De la lecture à la pratique! Compte rendu de l’ouvrage SENS ET PROJET DE VIE Gomez Gonzales, L.A., Léger, D., Bourdages, L. et Dionne, H. (2013). Sens et projet de vie. Québec : Presses de l’Université du Québec. Recension pratique réalisée par LOUIS COURNOYER, Ph.D., c.o. Professeur en counseling de carrière Directeur de la Clinique Carrière Université du Québec à Montréal Janvier 2016 Pourquoi recenser ce livre? Je m’intéresse beaucoup ces temps-ci à la notion de « sens » et dans le cadre d’études antérieures j’ai travaillé beaucoup sur les projets professionnels. Donc, spontanément, cela m’allumait. Bien que cette recension traite immanquablement du contenu formel de ce livre avant d’en arriver à des applications pratiques pour les professionnels de l’orientation professionnelle et du développement de carrière, c’est la volonté de mieux circonscrire la notion de « sens » qui guide ici l’écriture. 1. UN OUVRAGE À PLUSIEURS AUTEURS Sens et projet de vie est un ouvrage collectif impliquant le travail de quatre éditeurs, soit Luis Adolfo Gomez Gonzales, professeur en psychosociologie à l’Université du Québec à Rimouski, Diane Léger, professeure en sciences de l’Éducation à l’Université du Québec à Rimouski, Louise Bourdages est professeure retraitée à la TÉLUQ, ainsi qu’Hughes Dionne, professeur en sociologie à l’Université du Québec à Rimouski. L’œuvre se compose de quatre parties et de 11 chapitres, en plus de l’introduction et de la conclusion. L’ouvrage traite de l’expérience sur plus de 15 années d’un programme court de deuxième cycle intitulé « Sens et projet de vie ». Il est offert conjointement par la Télé-Université, l’Université du Québec à Trois-Rivières et l’Université du Québec à Rimouski. S’inspirant de concepts et d’approches propres aux disciplines de la philosophie, de l’éducation, de la psychologie et de la sociologie – et croisés avec les savoirs expérientiels des participantes et participants, la démarche est une occasion pour s’engager dans une redéfinition de leur orientation de vie personnelle ou professionnelle. Pour les personnes intéressées, Bernard Rivière et Laure Gueddar ont produit un article scientifique sur le sujet qui peut être consulté en cliquant sur la référence ci-dessous : Rivière, B. et Gueddar, L. (2013). Le programme « Sens et projet de vie » chez les 50 ans et plus : démarche d’orientation. Revue canadienne de counseling et de psychothérapie 47(3), 422-439. 2. CONTENU DE SENS Le chapitre 1, seul de la partie 1 du livre, traite de l’historique, de la philosophie et de la présentation du programme, de ses choix méthodologiques d’histoires de vie, d’herméneutique et de dialogue, de l’accompagnement proposé aux étudiants. Nous sommes des êtres cognitifs et rationnels, sensibles et émotifs, traversés d’expériences (passées, présentes) et de quêtes (futures). Sens et projet de vie rend compte de conceptions et d’applications propres à l’expérience d’enseignement d’un programme éponyme de deuxième cycle (15 crédits) offert par trois constituantes du réseau des universités du Québec : Télé-Université, Chicoutimi et Rimouski. Son contenu fait intervenir des disciplines (philosophie, éducation, anthropologie, psychologie, sociologie) et des références (Compte-Sponville, Castoriadis, Frankl, Cyrulnik) des plus variées sous une approche herméneutique et d’histoires de vie. Trois étapes marquent le cheminement du programme : 1) partage d’une réflexion et dialogue sur le sens de la vie dans la société actuelle ; 2) ouverture à la compréhension de soi et mise en contexte ; 3) élaboration d’un projet existentiel significatif, cohérent, pertinent et authentique aux sens construits tout au long du parcours. Bien qu’il fut initialement conçu pour une clientèle d’individus se préparant à la retraite, le programme a su au fil des années attirer des personnes plus jeunes intéressées à élaborer des projets de vie en concordant au sens qu’il souhaite lui attribuer. Tel que le souligne Bourdages (2013), réfléchir au sens de la vie « est plus que jamais nécessaire et pertinent dans la société moderne actuelle où le manque de sens de sa propre existence et la perte de repères significatifs au plan des valeurs nous tourmentent tous à divers degrés d’intensité. » (p. 8). En titre de la deuxième partie du livre s’annonce « Quête de sens et projet de vie : une expérience culturelle ». Trois chapitres composent cette partie. Le chapitre 2, intitulé « Transcendance et immanence : le sens de l’humain » amène son auteur, Hughes Dionne, à traiter de quête individuelle de réassurance et dépassement de sa propre finitude devant le bouleversement social et culturel moderne. C’est de l’incertitude que nait la quête de sens, ce besoin de définir et d’appliquer ses propres repères dans une existence dépourvue de règles préétablies. Pendant des siècles et encore aujourd’hui, la religion procure des réponses aux questionnements de ses adeptes. Toutefois, de plus en plus d’individus à travers le monde se déplacent vers une spiritualité plus large et par laquelle s’opère un transfert de responsabilité du présent et de l’avenir de son être. Notre conscience à l’égard d’expériences passées et présentes constitue souvent les seuls repères tangibles sur lesquels peut se construire le sens orienté vers le futur. Pour Dionne (2013), « parler de transcendance et d’immanence, c’est d’avoir la conviction que la vie commune va se poursuivre au-delà du tragique humain, au-delà de la limite visible. » (p. 40). Quotidiennement, dans la vie personnelle ou au travail, « nous cherchons à nous redéfinir à partir d’un enracinement de valeurs pour mieux nous libérer de la logique de production et des effets de déracinement de la globalisation libérale » (Dionne, 2013, p. 46). Le chapitre 3 s’intitule « Une expérience de passage » et son auteure est Nicole Bouchard. Pour l’auteure, « le rite va mettre en scène le passage d’un état à un autre dans un mécanisme toujours similaire : arrêt, attente, passage, entrée, puis finalement agrégation. » (p. 52). La traversée de rites de passage implique celle d’un deuil partagé, communiqué, car « pour faire du sens, cela prend de l’autre ; cela se vit dans un espace de dialogue où les participants pourront faire le deuil de leur toute-puissance et abandonner l’illusion pour l’humain d’arriver à trouver UN sens à la vie. » (Bouchard, 2013, p. 56). L’expérience de risquer un travail de mémoire au sein d’une communauté s’accompagne de prises de conscience relatives aux jougs du passé et ainsi procure un espace de pardon et de réconciliation. Ceci jette les premières pierres à l’édifice de son propre projet de vie. S’inspirant de la littérature sur le sujet, Bouchard (2013) souligne qu’accompagner le rite de passage comporte 1) une fonction de narrativité, facilitant souvent le récit de l’innommable, l’inédit, l’interdit; 2) une force reliante de communiquer, d’échanger et de faire passer avec l’autre et 3) un caractère éducatif, initiatique, de transmission des modes de faire et de penser Le chapitre 4, produit par Luis Adolfo Gomez Gonzalez a pour titre « La notion de projet : entre le sens et la vie, les contours d’une émergence ». Pour l’auteur, le projet est un processus d’élaboration situé entre le passé et l’avenir, ainsi qu’un ancrage de l’être singulier et ouvert sur le monde. Lorsqu’il est question de projet pour l’auteur, il est ici question de projet « d’être ». Dans le cadre du programme au cœur de cet ouvrage se retrouve le processus d’élaboration d’un projet centré sur des questions plutôt que sur des constats, qui s’adresse à l’être en cheminement, à la façon dont chacun de nous aspire à vivre, aux choix et aux découvertes que l’on souhaite faire, au sens que l’on souhaite donner à son existence. « Le projet est ainsi l’extériorisation du monde de nos passions et de nos désirs, la manifestation d’un constat d’incomplétude qui cherche sa complémentarité à l’extérieur de soi : seul endroit d’où viendraient nos possibilités de croissance, nos potentialités d’autodépassement, nos possibilités d’expérimentation du bonheur, du plaisir, de la joie, sièges des aspirations de l’espérance humaine. » (Gomez Gonzales, 2013, p. 69). À cet égard, le « sens » pour l’auteur renvoie à trois dimensions : la signification, la sensibilité et la trajectoire. La signification renvoie à la logique, la rationalité, la signifiance de l’expérience. La sensibilité relève de la capacité humaine à ressentir et à percevoir par l’intermédiaire des sens. La trajectoire pointe vers un but, une finalité qui témoigne de l’écart entre le départ et l’arrivée. La troisième partie traite de l’expérience d’un parcours pédagogique ouvert sur le sens. Le chapitre 5, produit par Thérèse Côté, Hughes Dionne et Huguette Guay, se nomme « Apprentissage expérientiel et cheminement de sens ». Il est d’abord question des phases du cycle d’apprentissage expérientiel de Kolb qui chapeaute l’expérience du programme. La première consiste à partir de son expérience immédiate et concrète (expérience concrète). Il s’agit de manière individuelle deà rechercher le partage avec autrui, l’intimité et l’ouverture nécessaire pour faire confiance et s’ouvrir à l’interprétation de son vécu. Ensuite, il est fait mention de l’importance d’apprendre comme base d’observation et de réflexion (observation réfléchie). Tel que le soulignent les auteurs, « faire son récit de vie, c’est s’engager dans une démarche d’observation réfléchie sur sa propre trajectoire de manière à relever les cohérences de son parcours et les pertinences de sens recherchées à la base de nos décisions. » (p. 84). Également, les auteurs font mention de provoquer une analyse plus approfondie de sa propre expérience (conceptualisation abstraite), soit dégager le fil conducteur des contextes culturels et historiques qui ont marqué nos vies en tant qu’héritier d’une époque, d’un milieu, de paramètres culturels et symboliques. Enfin, il est fait mention d’engendrer une implication renouvelée dans l’action (expérimentation active) : « La personne devient projet, expression d’une démarche permanente en vue de redéployer ou de renforcer le caractère humain de sa vie et de son lien aux autres. » (p. 89). Le chapitre 6 s’intitule « Histoire de vie et construction de sens. Une aventure passionnante » et se veut la production de Jeanne-Marie Gingras, Lucie Mercier et Céline Yelle. Il est question ici de points d’information important sur la conduite de la démarche, des modalités propres à ce type d’accompagnement de groupe, ainsi que des effets du travail d’histoire de vie. Concernant la démarche, les auteurs abordent les points suivants : 1) s’engager dans la traversée de sa vie ; 2) écrire son récit, écrire son récit, lire d’autres récits et divers textes ; 3) devenir chercheur-interprète de son récit et écrire son histoire de vie ; 4) identifier et reconnaître les apprentissages réalisés. S’engager dans la traversée de sa vie implique de faire le point au moyen d’un bilan de trajectoires, de connaitre et d’expérimenter par une approche d’histoire de vie, de réfléchir de manière critique à toutes dimensions d’expériences personnelles, ainsi que d’élaborer une vision nouvelle de sa vie dans une perspective de conception de projet. Écrire son récit, lire d’autres récits et divers textes implique selon les auteurs de voir à trouver les mots justes, les bonnes tournures de phrases, de manière à aller chercher le plus d’authenticité dans son propos. Devenir chercheur-interprète de son récit et écrire son histoire de vie est un travail intense de recherche, de construction et d’expression d’une signification conférée à sa trajectoire de vie dans le présent de son existence. « Ce travail de recherche peut mettre au jour une quête constante ou un fil conducteur qui donne un sens à ce récit de vie. Ce peut parfois être la construction identitaire d’une personne, sa socialisation entre le milieu d’origine et la situation sociale actuelle, la trajectoire de formation entre les activités formelles et informelles tout au long de la vie, la manière de vivre les passages ou transitions à différentes étapes de la vie, etc. » (p.99) Enfin, identifier et reconnaitre les apprentissages réalisés implique de réfléchir sur le chemin parcouru et reconnaitre les acquis à partir d’une grille des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être. Le chapitre 7 se nomme « Trajectoires personnelles et sociales en approche biographique et dialogique. Pratiques d’accompagnement des quêtes de sens et de générativité en formation » et il est produit par quatre auteurs : Jeanne-Marie Rugira, Diane Léger, JeanPhilippe Gauthier et Serge Lapointe. Il est ici question de réflexions et d’apprentissages retirés de l’expérience d’un des cours du programme portant sur ce sujet. Il a pour but d’accompagner à une compréhension plus fine, grâce à soi et au support des autres, de qui l’on est et ainsi faciliter l’entreprise d’élaboration d’un projet. Les sources d’inspiration d’une pratique formative en évolution proviennent des travaux de Gaston Pineau, Vincent de Gaujelac, de Danie Bois et d’autres. Véritable travail de transition, il s’agit ici de se confronter à la narration de sa vie et de s’engager en un rôle non plus de lecteur, mais de scripteur de son avenir avec tous le sens de signification, de direction et de sensorialité que cela peut prendre. Au travers de ce chapitre, les auteurs valorisent l’importance du groupe comme modalité d’accompagnement grâce au processus d’affinement de soi tiré de l’altérité. Bien que l’on puisse aussi se promener constamment entre des temporalités vécues et aspirées, il demeure clair que le positionnement constant de l’individu doit se faire au présent et que c’est de ce qu’il vit à ce strict moment que sont produits ses rapports au passé et au futur. La quatrième partie, la dernière de ce livre, comporte les chapitres 8, 9, 10 et 11 qui tous portent sur le partage d’expérience du programme par des participants, et ce, sous différentes facettes de leur expérience. 3. APPLICATIONS PRATIQUES « LA FORCE DE SENS ». Cet ouvrage nous amène tout d’abord un constat important. Le sens se constitue de plusieurs … sens. Il y a le sens cognitif, celui des représentations, de soi et du monde, celui des prises de conscience. Il y a le sens sensitif, celui des sensations corporelles, de l’activation comportementale fondée sur un élan mobilisateur. Enfin, il y a le sens directeur, celui rattaché aux buts, aux objectifs, au chemin d’engagement. Et la combinaison de ces trois sens en un procure la matière première à l’élaboration de projet. Pour caricaturer un peu, cela nous renvoie à l’idée que la mobilisation d’un client autour d’un projet doit s’appuyer sur différents sens. Il ne suffit pas de faire sens avec sa tête (cognitif), il faut aussi sentir de tout son corps (sensitif), et ce, en fonction d’un but (direction). Nos interventions et nos évaluations devraient chercher à accentuer la « force de sens » de l’individu : Qu’est-ce qui fait du sens (Cognitif) ?; Comment je me sens, ici et maintenant ? (Sensitif) ; Où se trouve le sens à donner à mes actions ? (Directif) NOURRIR LE SENS EN PRENANT LE TEMPS. Les notions de sens et de projet sont toutes deux des constructions temporelles, c’est-à-dire qui se situe dans la conjonction du passé (les souvenirs à la portée du présent), le présent (ici et maintenant), le futur (ce que j’aspire au présent). Le passé n’existe plus, le futur n’arrivera jamais, mais ils constituent tout de même des bases solides à notre conception du présent. Au moment (présent) de donner sens à sa vie au travers de la formulation d’un projet, nous sommes souvent en pleine période de transition, voire au cœur d’un rite de passage plus ou moins choisi (ex. : choix d’études collégiales, recherche d’un nouvel emploi, amorce d’un nouveau défi professionnel, etc.). Il ne faut pas aller trop vite. Tout doit bien se vivre pour en retirer le maximum d’apprentissage. Prendre le temps pour inclure à sa démarche l’acceptation, la responsabilisation, la détermination et autres vocables semblables qui sont tous des aliments fortifiants à notre santé professionnelle. LA NARRATION POUR COMBLER LES ÉCARTS D’INCERTITUDE. L’approche narrative, particulièrement sous un mode groupal, constitue une avenue d’intervention fort pertinente pour le travail de sens destiné à la formulation de projets personnels. La narration offre une occasion d’échanger, de dialoguer, de réfléchir, de prendre conscience, etc. d’une découverte plus affinée de soi par le regard de l’autre. La mise à plat par l’écrit permet de se raconter, puis de se lire, pour enfin peaufiner le sens des choses, pour déterminer comment poursuivre l’histoire d’un passé et d’un présent parfois insatisfaisants, incomplets, vers un futur d’espoirs prometteurs. Le groupe, par ses rétroactions, peut agir d’agent de pression positive pour assurer la rigueur, la responsabilisation, la structure requise pour assumer pleinement ses plans et ses décisions.