Napoleon`s Empire: European Politics in Global Perspective Compte

Napoleon’s Empire: European Politics in Global Perspective
Compte rendu de colloque de Peter Geiss, Département d’histoire, Université de Wuppertal
Colloque international du 18 au 20 avril 2012 à l’Institut historique allemand
L’objectif du colloque organisé par GUDRUN GERSMANN (Paris) et UTE PLANERT (Wuppertal) à
l’Institut historique allemand, intitulé »Napoleon’s Empire: European Politics in Global Perspective«,
était de faire éclater le cadre d’observation occidental qui a dominé la recherche sur le pouvoir
napoléonien jusqu’à très récemment. Adopter une approche globale de l’époque s’impose urgemment
tant les bouleversements provoqués par la conduite de la guerre et la politique de Bonaparte se sont fait
sentir de l’empire ottoman au cap Nord et de l’empire tsariste à l’Amérique du Sud. C’est dans cette
optique que des conférenciers originaires de 25 pays et régions géographiques ont participé au
colloque. Ils ont proposé tout autant une synthèse de l’historiographie jusqu’à aujourd’hui qu’un tour
d’horizon de la recherche actuelle.
Dans son intervention introductive, ANNIE JOURDAN (Amsterdam) a présenté l’époque révolutionnaire
et napoléonienne en France comme le champ de recherche de l’historiographie française qui a été le
premier à offrir une »scène d’entrée« massive aux historiens étrangers. Au départ, cette perspective
étrangère était marquée par une forte critique de »l’impérialisme« français et a donc essentiellement
contribué à démystifier l’Empire. Depuis les années 1990, l’analyse de processus transnationaux au
seuil de la modernité a progressivement pris le pas.
Jourdan a appelé à continuer à élargir le champ de vision et à intégrer plus fortement les répercussions
à distance du régime bonapartiste sur l’autre rive de l’Atlantique. La quête de ces interactions,
cependant, ne doit pas conduire à une impasse qui consisterait à construire un »Atlantique
napoléonien« et à tomber dans le piège d’un nouvel eurocentrisme.
Dans la première section consacrée à l’Europe de l’Ouest, JACQUES-OLIVIER BOUDON (Paris) s’est
d’abord intéressé aux évolutions internes de la France napoléonienne. Il a dressé un tableau précis de
la composition des élites de la fonction publique et a montré comment le régime s’est à la fois appuyé
sur l’aristocratie de l’Ancien régime (ministres) et sur le personnel des organes représentatifs
révolutionnaires (préfets), tout en puisant dans de nouveaux réservoirs de recrutement pour les
domaines militaires et techniques. NATALIE PETITEAU (Avignon) a souligné les déficits de la
recherche sur l’histoire de la culture politique dans l’espace rural. À rebours de la conception
dominante, elle a pu prouver une nette politisation de la population paysanne, qui s’est notamment
exprimée dans des témoignages spontanés de loyauté à Napoléon. BRECHT DESEURE (Louvain) et
JOHAN JOOR (Amsterdam) ont fait ressortir qu’aux Pays-Bas, comme dans la future Belgique,
l’historiographie a d’abord été dominée par un paradigme patriotique.
Logiquement, les historiens belges, en particulier flamands, ont longtemps envisagé le rattachement à
la France en termes de sujétion à l’une des multiples dominations étrangères (autrichienne et
hollandaise, outre l’espagnole). Les Hollandais également se sont principalement intéressés à la
République batave, alors que le royaume de Hollande et le rattachement consécutif à l’Empire français
ont été considérés comme des chapitres peu exaltants de l’histoire nationale et été négligés par les
historiens néerlandais.
ALAN FORREST (York) a ouvert la section sur l’espace ibéro-atlantique en constatant que Napoléon
pouvait certes être un objet de peur, de haine ou d’admiration en Grande-Bretagne, mais que la
monarchie insulaire et son empire étaient ressortis plus fort que jamais des conflits avec la France
napoléonienne. LUCIA MARIA BASTOS PAREIRA DAS NEVES (Rio de Janeiro) a mis au jour un
transfert étonnant. En Europe, ce sont les éléments libéraux de l’héritage napoléonien qui ont eu un
impact sur le long terme. Mais en 1822 dans le tout jeune Brésil, qui venait de faire sécession avec la
puissance coloniale portugaise, ce sont des traits monarchiques de Napoléon dont on s’est inspiré lors
de la proclamation de l’empereur Pierre Ier. JEAN-RENÉ AYMES (Paris) s’est penché sur la guerre
d’indépendance espagnole et a rappelé les controverses actuelles qui traversent le monde scientifique
quant au rôle de la guérilla espagnole, dont l’importance a probablement été surestimée. Dans son
intervention sur l’indépendance des colonies espagnoles, STEFAN RINKE (Berlin) a montré que les
tentatives de mobilisation religieuse, qui ont joué un rôle crucial dans la résistance espagnole à
l’»Antéchrist« napoléonien, ont pu aussi être la source de malentendus interculturels. C’est ce que l’on
peut observer lorsque des ecclésiastiques qualifièrent Napoléon de »serpent à cornes« au cours d’une
proclamation traduite pour la population maya. Dans la mythologie indigène ce symbole religieux n’est
pas seulement synonyme de destruction, mais aussi de »donneur de vie«.
BERNARD GAINOT a souligné les desiderata de la recherche sur l’histoire coloniale française. La
période napoléonienne a été de courte durée en raison des succès britanniques en outre-mer, mais ses
conséquences n’en n’ont pas été moins fatales sur le long terme, puisqu’elle a introduit la ségrégation
raciste entre les blancs et les »gens de couleur« (se substituant à la distinction jusque-là en vigueur
entre »libre » et »serf«).
Dans la section suivante sur l’Europe septentrionale et orientale, RUTH LEISEROWITZ (Varsovie) a
évoqué le statut particulier de la Pologne. Alors qu’ailleurs Napoléon a été repoussé comme
l’Antéchrist, son entrée dans Varsovie a soulevé des espoirs de restauration de l’État polonais et les
églises ont été décorées en son honneur. DENIS SDVIZKOV (Moscou) a souligné que la Russie ne
s’était – il est vrai – pas retrouvée sous domination napoléonienne et s’était révélée comme l’un des
plus grands adversaires de l’empire. Mais il ne fallait pas oublier pour autant le phénomène de
l’échange entre les empires, car l’armée russe s’était en quelque sorte développée en miroir des forces
françaises. Les interventions suivantes, consacrées aux monarchies scandinaves, ont porté le regard
sur une zone de conflit géostratégique située entre la Grande-Bretagne, l’empire français et la Russie.
Ainsi que l’a montré RASMUS GLENTHOJ (Odense), le sort de l’existence étatique du petit Danemark
en particulier était lié à la bienveillance d’une grande puissance au moins, ce qui l’a incité, après le
bombardement de Copenhague par la flotte britannique (1807), à opter pour une alliance avec les
Français.
BARD FRYDENLUND (Oslo) a mis en relief les conséquences du système continental pour la Norvège,
alors danoise, qui perdit le marché britannique pour ses importantes exportations de bois.
Simultanément, l’effondrement de l’hégémonie napoléonienne a aussi permis en 1814 à une
constitution proto-démocratique de voir le jour au sein du royaume de Norvège. Comme chez ses
voisins, l’ère napoléonienne en Suède a aussi été une période de bouleversements significatifs.
MARTIN HÅRTSTEDT (Umea) n’a pas simplement rappelé à cet égard la modernisation de la Suède et
l’union personnelle avec la Norvège instaurée sous Bernadotte, mais aussi la conquête de la Finlande,
jusque-là suédoise, par l’empire tsariste.
MAX ENGMAN (Turku) en a présenté les répercussions paradoxales pour ce dernier pays : la Finlande,
en vertu du traité de Tilsit, est passée à l’empire tsariste et a développé de ce fait des structures
d’indépendance politique qui seront décisives pour son évolution ultérieure en un État-nation finlandais.
ARMIN OWZAR (Fribourg-en-Brisgau) a ouvert la section sur l’Europe centrale avec une contribution à
l’historiographie de la période napoléonienne en Allemagne. Il a fait ressortir combien les chercheurs,
après avoir tardivement laissé derrière eux les téléologies de l’histoire nationale, se sont tournés vers
les multiples processus de modernisation, de constitutionnalisation et d’émancipation de la période de
la Confédération du Rhin et ont ouvert de nouvelles perspectives en histoire sociale et des mentalités.
ANDREAS WÜRGLER (Berne) a mis en relief des résultats tout aussi complexes pour la Suisse,
»unique république napoléonienne«. Certes la République helvétique ne joue aucun rôle dans la
conscience historique de la grande majorité des Suisses, qui situent les racines de la démocratie
helvétique à la fin du Moyen Âge, dans la résistance au pouvoir habsbourgeois. Würgler a souligné
qu’en revanche les principes d’ordre et d’égalité institués avec l’Acte de médiation de 1803 avaient été
très importants pour l’histoire de la démocratie suisse. Pas plus que dans d’autres États faisant partie
du Saint-Empire romain germanique jusqu’en 1806, MARTIN SCHENNACH (Innsbruck) n’a pu déceler
de résistance nationale à l’hégémonie napoléonienne en Autriche, pas même au Tyrol. Il s’est plutôt agi
de défense des droits de disposer, propres à l’État moderne. La monarchie austro-hongroise a certes
joué la carte patriotique contre Napoléon ; mais le patriotisme s’est restreint à la dynastie. ANNA MARIA
RAO (Naples) a identifié des parallèles structurels entre l’Allemagne napoléonienne et l’Italie. La
recherche transalpine récente envisage la période française comme un laboratoire qui permet d’étudier
les origines du Risorgimento.
Dans la section sur l’Europe du Sud-Est et le bassin méditerranéen, les trois premiers intervenants se
sont intéressés aux Provinces illyriennes, longtemps délaissées par les chercheurs d’Europe de
l’Ouest : PETER VODOPIVEC (Ljubljana) dans une perspective slovène, puis MARCO TROGRLIC et
JOSIP VRANDECIC (Split) dans une optique croate. Le mouvement culturel slovène, a rapporté
Vodopivec, a associé la domination française à l’espoir de voir la restauration de l’antique Illyrie.
Ces aspirations se sont traduites par l’ouverture d’écoles slovénophones sous contrôle français. Dans
les territoires croates des Provinces illyriennes, c’est principalement la bourgeoisie citadine qui a
soutenu le pouvoir napoléonien selon Trogrlic et Vrandecic. Les valeurs révolutionnaires – liberté,
égalité, fraternité – sont restées des concepts abstraits alors que le réseau routier napoléonien a
continué à être considéré comme une innovation importante, même après le retour dans le sein de
l’empire habsbourgeois. HARALD HEPPNER (Graz) a établi un effet bien plus indirect de l’empire
napoléonien sur les principautés danubiennes. L’idée de nation roumaine n’est pas une importation
française, mais trouve son origine en Transylvanie.
La question des origines napoléoniennes dans le développement des États-nations et les processus de
modernisation se pose aussi pour la rive méridionale de la Méditerranée. La campagne napoléonienne
de 1798–1801 a-t-elle servi d’étincelle aux mouvements postérieurs d’indépendance et de réforme
menés par Muhammad’Alî (ou Méhémet Ali) en Égypte ? JEAN-MARCEL HUMBERT (Paris) a montré
que cette thèse divise l’historiographie. En rappelant la diffusion du style empire, il a souligné
simultanément la nécessité de ne pas oublier les rétroactions de l’expédition sur la France et l’Europe.
Dans son intervention également consacrée à l’historiographie de la campagne égyptienne, MAURUS
REINKOWSKI (Bâle) a attiré l’attention sur le fait qu’au Proche Orient cet événement peut aujourd’hui
encore être l’objet de réactualisations politiques – par le biais d’associations avec la guerre en Irak ou
de références aux croisades européennes menées à différentes époques contre l’Islam. Il a expliqué la
signification historique de l’expédition égyptienne pour le Proche Orient et constaté que cette dernière,
en dépit des impulsions modernisatrices en Égypte, est restée un phénomène marginal de l’histoire de
l’empire ottoman.
Dans son intervention conclusive, MICHEL BROERS (Oxford) s’est interrogé sur l’héritage de l’empire
napoléonien sur la longue durée. Il réside pour lui dans un modèle impérial qui a certes des origines
nationales françaises mais renferme une visée universelle. Ce n’est pas la dictature militaire qui se
trouve au cœur de cette matrice d’action décisive de l’impérialisme et du colonialisme européen des
XIXe et XXe siècles, en définitive inspirée de l’empire romain, mais bien une administration rationnelle,
la standardisation du droit et de la langue.
Dans une synthèse provisoire, Ute Planert a constaté que le renouvellement transnational de
l’historiographie de l’empire napoléonien ne rendait pas obsolète les approches comparatives à partir
d’un cadre national. L’important est de se départir des schémas d’interprétation nationalistes, tels qu’ils
s’expriment dans l’idée d’une résistance nationale contre le régime napoléonien. Dans toutes les
régions étudiées, cette conception a cédé la place à des explications plus nuancées. L’analyse des
impacts économiques de l’ère napoléonienne en est à ses balbutiements, tout comme les questions des
comparaisons et transferts transnationaux, qu’il s’agisse de la mobilité des élites et de leur évaluation
des territoires et populations administrés ou de la lecture de la littérature mémorielle militaire comme
une source de rencontres interculturelles. Planert a souligné l’importance fondamentale des recherches
scientifiques sur la diffusion, la réception, l’appropriation et la transformation des modèles et concepts
politiques dans la circulation entre diverses entités politiques et culturelles. Elle a relevé aussi les
desiderata concernant le transfert des univers visuels et les problèmes d’émetteur-récepteur qui leur
sont corrélés. Dans l’ensemble, on a à faire au tournant du XIXe siècle à un »world in upheaval«, dont la
reconfiguration économique, sociale et politique dans la suite du XIXe siècle n’est que très
insuffisamment appréhendée par le concept de restauration.
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