Mécanismes neuronaux de la localisation spatiale 3-D dans le

Mécanismes neuronaux de la localisation spatiale 3-D dans le
cortex visuel primaire du primate.
Yves Trotter, Directeur de Recherche CNRS
Centre de Recherche CERVEAU & COGNITION (UMR 5549 )
Faculté de Médecine de Rangueil
Université Paul Sabatier
133, route de Narbonne
31062 TOULOUSE cédex France
Tel: 33- 05 62 17 28 05
Fax: 33-05 62 17 28 09
e-mail. Yves.Trotter@cerco.ups-tlse.fr
Avant de saisir un objet, nous devons le localiser, apprécier sa forme et son
volume, ainsi que la distance qui nous en pare. Le mécanisme par lesquel le
cerveau détecte les reliefs est aujourd'hui relativement bien compris. La vision
du relief repose essentiellement sur des indices visuels. Elle est due au fait que
lorsqu'on fixe un objet, chacun des deux yeux le voit sous un angle légèrement
différent : c'est ce que l'on appelle la vision stéréoscopique. C'est à partir des
deux images planes et légèrement disparates qui se forment sur les rétines
droite et gauche, en vision binoculaire, que le cerveau reconstruit la troisième
dimension. La preuve en a été fournie pour la première fois en 1838 quand le
physicien anglais C. Wheatstone inventa le stéréoscope. Grace à un jeu de
miroirs, cet appareil permet de simuler le relief en présentant à chaque œil deux
photos prises sous un angle légèrement différent. Plus d'un siècle plus tard, en
1960, le physicien américain B. Julesz mettait au point les stéréogrammes. Ces
montages sont constitués de deux trames de points distribués au hasard. Les
deux trames sont identiques, hormis le fait qu'un certain nombre de points sont
décalés horizontalement. Ce ger calage déclenche une sensation vive de
relief lorsque les deux images sont perçues indépendamment par chacun des
deux yeux, à l'aide d'un stéréoscope, de filtres rouges et verts, ou de lunettes à
cristaux liquides. Julesz apportait donc la démonstration définitive que l'écart
entre les deux images rétiniennes, encore appelé disparité rétinienne, est l'indice
essentiel qui engendre la vision du relief.
D’un point de vue neurophysiologique le groupe d'Horace Barlow (1967)
montrait pour la première fois chez le chat que les neurones du cortex visuel
primaire, qui reçoit simultanément les messages issus de chaque œil, sont
effectivement sensibles à cet indice de disparité rétinienne. Mais il aura fallu
attendre les travaux réalisés chez le singe, espèce animale dont les capacités
perceptives sont voisines de celles de l'homme, pour comprendre avec
davantage de précision l'analyse du relief. On peut en effet "interroger"
individuellement les neurones dans le cerveau en enregistrant leur activité
électrique lorsqu'on présente des stéréogrammes à l'animal. G.F. Poggio et ses
collaborateurs (1977,1985) ont ainsi montré que les neurones du cortex visuel
primaire sont capables de détecter avec précision la position relative d'un objet
par rapport au point de fixation oculaire, donc sa position devant ou derrière un
autre objet que l'on regarde.
Toutefois, percevoir le relief ne suffit pas à restituer une vision complète de
l'espace à trois dimensions qui nous entoure. Il faut encore que notre système
nerveux analyse la distance qui nous sépare des objets et l'intègre avec les
informations sur le relief fournies par la stéréoscopie. Or nous sommes capables
d'estimer cette distance avec une excellente précision pour des objets proches, à
portée de main (Viguier et al, 2001). Pour cela, le cerveau doit utiliser des indices
autres que le décalage des images sur les deux tines, qui ne renseigne que sur
les distances relatives. Quels peuvent être ces indices ? Cette question a fait
l'objet, depuis le siècle dernier, de quelques travaux de psychophysique, une
discipline qui étudie, chez l'homme, les rapports entre les caractéristiques
physiques des stimuli et la perception du sujet. Par exemple, le sujet doit estimer
la distance à laquelle il perçoit un objet. Pour expliquer les excellentes
performances des sujets, les psychophysiciens ont émis l'hypothèse que le
cerveau utiliserait comme indice l'angle de convergence entre les deux yeux. Cet
indice qui varie avec la distance de l'objet fixé est sous le contrôle des muscles du
globe oculaire. Un deuxième indice pourrait être l'accommodation exercée par les
muscles intraoculaires qui permettent d'obtenir une image nette sur la rétine en
ajustant les courbures du cristallin.
Il est une autre raison pour laquelle le décalage des images rétiniennes ne peut
suffire à expliquer notre perception tridimensionnelle du monde visuel. En effet,
si la perception de profondeur ne reposait que sur l'indice de disparité, un objet
devrait nous paraître de plus en plus plat au fur et à mesure que la distance qui
nous en sépare augmente. Cela découle tout simplement de la ométrie
rétinienne ; en effet, la taille de l'image d'un objet sur la tine est inversement
proportionnelle à la distance, alors que la valeur de la disparité tinienne chute
beaucoup plus vite, avec le carré de la distance. Et pourtant l'aspect de l'objet, sa
forme, son épaisseur, sont maintenus constants quelle que soit la distance. Par
exemple, un livre présen à 80 cm apparaît aussi épais qu20 cm, alors que les
disparités sont 16 fois plus petites. Ce phénomène perceptif de “constance de
profondeur” doit également nécessiter l'intervention d'indices oculomoteurs.
Le traitement par le cerveau de ces différents aspects de la perception de
profondeur n’avait pratiquement pas éétudié sur le plan neuronal. Nous avons
entrepris une telle étude chez des macaques rhésus. Puisque l'on savait déjà que
le cortex visuel primaire est sensible à la disparité rétinienne, nous avons cherché
à savoir comment celle ci réagissait lorsqu'on change la distance de l'objet
(Trotter et al, 1992). Nous avons donc testé la capacité des neurones de cette
région à détecter les mêmes disparités rétiniennes, mais à différentes distances de
fixation, 20cm, 40cm ou 80 cm. Lorsqu'on modifie la distance, l'activité électrique
de la plupart des neurones change de façon remarquable. Les neurones
"préfèrent" toujours la même disparité relative, par exemple "plus près" ou "plus
loin" que le point de fixation. Mais le niveau d'activité est totalement sous la
dépendance de la distance de l'objet. Certains neurones sont silencieux lorsqu'un
objet est placé à une distance donnée, par exemple 20 ou 40 cm, alors qu'ils
détectent très préciment la position d'un objet à une autre distance, par
exemple 80 cm. Pour d'autres neurones, la capacité de localisation d'un objet est
meilleure à certaines distances qu'à d'autres. Enfin, en l'absence de tout stimulus
visuel, certains neurones sont plus actifs lorsque le singe fixe un point situé tout
près de lui, c'est-à-dire lorsqu'il fait un effort de convergence des deux yeux.
Ainsi, les neurones du cortex visuel sont sensibles à la distance absolue des objets,
et ce dès les premières étapes d'analyse de l'image.
Pour connaître la nature de l'information oculo-motrice parvenant aux neurones
du cortex visuel, nous avons répété nos expériences en plaçant devant les yeux
du singe des prismes qui l'obligent à modifier l'angle de convergence de ses yeux
tout en fixant correctement l'objet. Par ce biais, sans changer la distance des
objets, mais en modifiant uniquement le degré de convergence, nous avons
obtenu des variations d'activi des neurones identiques à celles que nous
obtenions en modifiant la distance. Il est donc établi à présent que le message
oculomoteur qui parvient au cortex visuel est lié au moins en partie à la
convergence des deux yeux.
Nous avons par la suite tenté de mieux comprendre les mécanismes neuronaux
de localisation spatiale sous la dépendance de l’orientation des yeux en modifiant
la direction du regard dans le plan fronto-parallèle (Trotter and Celebrini, 1999).
Nous avons entraîné des singes rhésus à fixer un point sur un écran, dans trois
directions différentes : droit devant, dix degrés sur la gauche ou dix degrés sur
la droite. Pour chacune de ces directions, nous leur avons présenté les mêmes
stéréogrammes (devant, dans le plan, derrière). Nous avons observé que des
neurones, dans la zone de projection rétinienne foale, dont l'activité est
maximale par exemple pour un stéréogramme derrière le plan de fixation
quand le singe fixe sur la gauche sont silencieux pour les mes stimuli
présentés sur la droite; l'activité d'autres neurones est au contraire d'autant plus
grande que le regard est dirigé vers la droite. D’autres préfèreront un regard
centré. Nous avons poursuivi ce type d’étude dans la zone de projection
rétinienne périphérique appélée calcarine, et avons observé le même
phénomène de modulations de l’activité visuelle par la direction du regard.
Toutefois dans cette zone de projection visuelle excentrée, un autre signal peut
théoriquement participer à ces modulations. Il s’agit cette fois d’un signal
rétinien appelé disparité verticale, qui intervient chaque fois que la distance
d’un objet est plus proche d’un œil que de l’autre, comme dans le cas d’un objet
excentré ou d’une viation du regard. Jusqu’à présent le rôle de ce signal était
obscur. Toutefois des travaux de modélisation et de psychophysique
s’accordent sur le fait que la disparité verticale doit intervenir pour renseigner
le cerveau sur la position absolue des objets. En effet la disparité horizontale à
elle seule ne renseigne sue sur les distances relatives. Il lui faut combiner
d’autres signaux pour lever l’ambiguité sur la localisation spatiale 3D absolue.
Nous avions déjà montré que les signaux oculomoteurs de position de l’œil
sont impliqués dans la zone de projection rétinienne foale. Nous venons de
tester celui de la disparité verticale en zone parafovéale chez des singes rhesus
et montrons qu’il existe un ritable codage de la disparité verticale au me
titre que celui de la disparité horizontale pour des stimuli visuels excentrés
(Durand et al, 2002) . De plus les 2 types de signaux de disparités interagissent
fortement de telle manière que l’activité excitatrice qui en resulte a lieu sur une
échelle angulaire bidimensionnelle (horizontale et verticale) qui indique avec
précision la position obsolue d’un objet excentré. En fait les 3 types de signaux,
disparité horizontale, disparité verticale et position de l’œil interagissent pour
rendre compte de la localisatation spatiale des objets. Ce qui compte c’est le
poids de chacun de ces signaux, selon la configuration géométrique de la scène :
davantage la combinaison du signal de disparité horizontale et de position de
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