Introduction à la Théorie et à la Philosophie du Droit 3
AVANT PROPOS
Le projet d'écrire une introduction à la théorie et à la philosophie du droit a été déterminé par le
besoin de mettre à la disposition de mes étudiants une vue d'ensemble de ce domaine. Lorsque
j'ai commencé l'enseignement de cette matière en octobre 1987 à l'Université de Vincennes à
Saint-Denis, je savais que j'allais devoir affronter deux difficultés majeures. Tout d'abord, les
étudiants de licence et de maîtrise de droit n'ont aucune formation philosophique. Ensuite, il
n'existe en France aucune bibliographie adéquate pour permettre une bonne entrée en matière
(ce qui n'est pas le cas en Allemagne, en Italie ou en Espagne).
Ces difficultés sont liées au fait que, dans la tradition de l'enseignement juridique en France, il y
a peu de place pour une réflexion dépassant les limites de la positivité du droit et de sa
dogmatique, malgré les efforts de Michel Villey, ou de Gurvitch, à partir de la sociologie du
droit.
A ce manque d'une tradition solide dans la réflexion, cherchant à dépasser les bornes de
l'ontologie juridique, s'est ajoutée, dans la modernité, l'incidence du marxisme. Pour cette
théorie, comme on le sait, le droit appartient à ces déterminations de la suprastructure qu'il
s'agit de dépasser. Or, le marxisme sous sa forme la plus dogmatique a joué un rôle de tout
premier ordre dans l'Université française.
C'est donc en constatant ce vide dans ]a réflexion axiologique que m'est venue l'idée d'écrire
une présentation de la philosophie du droit. Mais ce projet s'est trouvé soudain intégré dans
une perspective beaucoup plus vaste. C'est à l'automne 1988 que le projet actuel - dont cette
Introduction est la première partie - a pris sa forme définitive.
La construction théorique dont il est question est composée de quatre Introductions à la Théorie
et à la Philosophie. La première concerne le droit, la seconde l'économie, la troisième la
politique et la quatrième la nature. Ces Introductions, à l'instar des piliers d'une bâtisse, seront
chapeautées par un travail dont le titre sera : De l'Ontologie et de la Métaphysique de l'Etre.
Ce projet de construction théorique est ainsi l’aboutissement d'une réflexion pour laquelle le
dépassement du déboussolement que nous connaissons dans les temps présents ne peut venir
que de la restructuration totalisante de ce qui s'insinue déjà comme essentiel dans la
philosophie première : les cadres référentiels. Il s'agit plus précisément de reconstruire le
devoir-être du monde.
Il y a dans ce travail des reprises de certains thèmes essentiels. Mais ces reprises ne doivent pas
être considérées comme de simples répétitions. Elles sont plutôt l'incidence des grands
problèmes des temps qui courent. Elles nous ont semblé nécessaires pour expliciter certaines
catégories, voire certains phénomènes essentiels pour la compréhension du règne de la
normativité et de son objectivation.
A notre époque de crise, de misère généralisée et de déroute intellectuelle, il nous a semblé
nécessaire de rappeler les principes de l'ordre social. Chaque fois que nous avons soulevé le
voile qui enveloppe la réalité sociale, nous avons découvert, comme dit Kelsen, la tête de
Gorgone de l'Etat. Il s'est alors agit de découvrir les mécanismes qui conditionnent l'existence
de cet être-voile que nous appelons la réalité. Nous avons ainsi constaté - tout comme l'a fait la
grande pensée qui a été source de conscience de la raison en elle-même - que le discours du
monde est construit, pour l'essentiel, à partir de l'illusion et du mensonge. C'est seulement par
delà cette couche idéologique que se manifeste l'infinité de la raison.
Nous sommes, plus que jamais, condamnés à penser, pour pouvoir surmonter l'entreprise de
destruction et d'avilissement d'une grande partie de l'humanité qui, de nos jours, est à l'oeuvre
au nom des valeurs d'ordre universel. La lutte pour la vérité de la raison est en même temps une
lutte pour la dignité et la justice.
Avant de mettre fin à cet avant-propos, je tiens à remercier Julie Athlan pour avoir, en tant que,
secrétaire du département de droit, défendu pendant des années l’existence de mon cours de
philosophie du droit. J’adresse aussi mes remerciements à Judith Rosowsky pour mener à bien
la publication de ce texte. Paris, le 23 décembre 1990.