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B/ Commentaire de la traduction.
Ce texte est extrait des Récits des Prophètes (Qiṣas al-anbiyā’) d’AbūIsḥāq al-Tha‘labīal-
Nīsābūrī(m. 1035), une collection de récits d’inspiration légendaire, dans lesquels se mêlent
des éléments empruntés à l’Ancien et au Nouveau Testament, aux midrash-s de la Torah, à
divers pseudépigraphes, et aux traditions orales arabes et proche-orientales, en fournissant
pour chaque récit une “chaîne de garants” (isnād) permettant d’une part d’en légitimer
l’inclusion, mais aussi d’islamiser et d’arabiser ces fragments narratifs de toutes origines dans
un cadre cohérent. Ces récits de type isrā’īliyyāt(narrations concernant les Prophètes
d’Israël) sont regardés, du fait de l’amplification légendaire qui les caractérisent, avec
suspicion par une partie de l’orthodoxie musulmane moderne.
Le fragment qui nous concerne traite de la parousie du Christ (littéralement dans le texte
seconde descente de Jésus), et reprend des éléments de l’Apocalypse de Jean. Il se compose
d’une part (1) de l’affirmation de la parousie, qui n’est pas explicite dans le texte coranique,
en s’appuyant sur l’interprétation traditionnelle de deux versets (lignes 1-3), puis (2) d’un
ḥadīth (propos attribué au Prophète de l’islam) dont la véracité est conférée, pour le lecteur
musulman, par la mention en fin de chaîne du compagnon AbūHurayra (603-681), l’autorité
la plus citée dans les ḥadīth-s jugés authentiques (ṣaḥīḥ) par la tradition sunnite.
Ce ḥadīth décrit l’apparence du Christ (la mention des cheveux lisses et comme mouillés
semble attribuable à l’iconographie chrétienne orientale) et annonce les actes de son règne :
destruction des croix et des porcs, instauration de l’islam comme religion unique des
Hommes, victoire sur l’Antéchrist (dajjāl), règne de justice et de paix universelles pendant
quarante ans (chiffre symbolique correspondant au règne du roi-messie David), mariage et
génération (répondant ainsi par l’eschatologie à la question de l’intrigant célibat du Christ
dans le cadre islamique), puis mort et enterrement au côté de ‘Umar (m. 644), second calife
du Prophète, ce qui permet ainsi d’arabiser la thématique christologique en rapprochant dans
la géographie les tombes du Prophète de l’islam et de Jésus fils de Marie.
Ce texte en arabe médiéval emploie un vocabulaire recherché, parfois archaïque (ikhwa li-
‘allāt, demi-frères paternels, l. 5), et a recours à des tours inusités ou surannés en arabe
littéraire moderne (lam yuṣibhu balal,litt. n’a pas été atteint par l’humidité > sans être
mouillé, l. 9). Il se caractérise par l’intertextualité coranique, et la fréquence des formules
religieuses, généralement rendues par des traductions littérales ou des calques de l’arabe
devenus usuels dans la tradition orientaliste et l’islam francophone :
- “qu’Il soit exalté” (ta‘ālā), l. 1, usuel après la mention de Dieu, le sens optatif de la
conjugaison à l’accompli appelant une forme en « que + subjonctif » en français. On note
l’usage du I majuscule de majesté quand le pronom de troisième personne se rapporte à Dieu.
- “sur lui le salut” (‘alayhi s-salām), calque de l’arabe, après la mention d’un nom de
prophète de l’islam, ici Jésus