point de divergence peuvent ne plus jamais se rencontrer, de même pour leurs
descendances. Ou leurs descendances se rencontrer à nouveau mais ne plus se
reconnaître comme partenaires sexuels. Ou encore se croiser à nouveau mais
produire une descendance stérile. On dira alors qu’elles ne font plus désormais partie
de la même espèce. L’espèce n’est pas écrite sur les être vivants, ni inscrite dans une
essence dont ils seraient porteurs, ni dans le ciel ; elle n’est pas éternelle ; elle n’est
Elle est d’abord ce que nous voulons qu’elle soit ;
c’est-à-dire qu’il existe
L’espèce n’est rigoureusement définie que dans la durée du
temps : c’est l’ensemble des individus qui donnent ensemble de la descendance
fertile, depuis le précédent point de rupture du flux généalogique théorique jusqu’au
prochain point de rupture. Après ce point de rupture, les individus qui ne sont plus
interféconds avec leurs formes parentales ou latérales constitueront, par convention,
Un constat immédiat est à faire : l’espèce n’est pas stable, l’environnement non plus,
à plus ou moins long terme. Si rien n’est stable, pourquoi ne voyons-nous pas une
continuité de formes organiquement désordonnées ? Pourquoi, malgré la variation,
les individus se ressemblent-ils ? En fait, le vivant est la résultante de forces de
maintien organique et de forces de changement. Parmi les forces du maintien
organique, la sélection naturelle par le moyen des facteurs d’un milieu stable élimine
pour un temps de la postérité généalogique les individus peu optimaux. Elle
participe donc au maintien des « discontinuités » que nous percevons. En d’autres
termes, nous n’observons pas dans la nature d’animal mi-lézard vert mi-lézard des
murailles car il n’y a pas eu de « niche » d’optimalité correspondant à une telle
forme. Ensuite, le croisement entre partenaires sexuels pour la reproduction limite
les effets des mutations aléatoires subies par tout individu et participe donc aussi à la
stabilité organique. D’autre part, les contraintes architecturales internes héritées des
ancêtres constituent également des limites au changement. De même, des contraintes
fonctionnelles internes évidentes limitent forcément le champ des changements
possibles. Par exemple, bien des embryons « malformés » meurent avant même
d’avoir été confrontés directement au milieu.
Parmi les forces du changement, il y a les sources de la variation, par exemple les
erreurs des polymérases (ensemble d’enzymes qui assure une réplication de l’ADN,
avant une division cellulaire) qui, bien que très fidèles, laissent tout de même passer
dans l’ADN des « coquilles » parmi les milliards de paires de bases recopiées.
Lorsque le milieu change, les conditions sélectives changent aussi. La sélection
naturelle devient aussi, dans ces conditions, la courroie de transmission du
changement sur les êtres vivants, des changements qui ne traduisent aucun « but »,
mais seulement les aléas du milieu.
Mais qu’est-ce qui dérange tant ?
Quelle que soit l’ampleur des changements et quelle que soit l’intensité des
contraintes architecturales et fonctionnelles internes, la multitude de facteurs
intriqués en jeu est telle qu’il est impossible, sur le plan théorique, de donner une
priorité absolue aux forces stabilisatrices. En d’autres termes, le milieu, lui-même
imprévisible sur le long terme, rend,
via la sélection naturelle,
espèce imprévisible et rend du même coup caduque toute notion de « destinée ».
Rien n’est écrit dans le marbre et l’on a coutume de dire, après S.J. Gould