Distribution des médicaments et marge arrre
Elise Verpillot
ISPED
Université Victor Segalen
Bordeaux 2
eliseverpillot@yahoo.fr
Juillet 2008
Résumé
Dans cet article, nous nous intéressons à un marché où le prix des médicaments est
régulé. Nous nous demandons si les marges arrière octroyées par les laboratoires aux
pharmaciens doivent être encouragées ou si elles doivent être interdites. De nombreux
problèmes informationnels apparaissent lorsque nous nous intéressons au pharmacien,
ce qui nous a conduit à établir di¤érents scénarios qui dépendent du fait que le phar-
macien est capable d’observer ou non les caractéristiques privées des patients comme
la di¤érence de qualité perçue entre les deux médicaments. Dans chacun des scénarios,
octroyer des marges arrière permet au laboratoire produisant des génériques d’in‡uen-
cer le choix de prescription des pharmaciens et donc d’encourager la substitution. La
mise en place de marges arrière est par conséquent une forme de concurrence qui
apparaît sur les marchés régulés.
Mots clés : Distribution, marge arrière, médicaments, di¤érenciation
Classi…cation JEL : H51, I18
1
1 Introduction
Un médicament générique possède, par rapport au produit de référence appelé princeps
(dont le brevet a expiré), la même composition qualitative (principe actif) et quantitative
(dosage), ainsi que la même forme d’administration. Il est aussi certi…é bioéquivalent. Ce
médicament est alors équivalent au princeps en termes de sécurité et d’ cacité. Et comme
le prix fabricant du médicament générique (prix de sortie usine) est moins élevé que celui
du princeps1, le développement des génériques est source d’économie pour les assureurs.
Dès lors, il apparaît important de favoriser la consommation de génériques. Il s’agit par
conséquent d’amener les médecins à prescrire autant que possible le médicament le moins
cher ou à prescrire en Dénomination Commune Internationale (DCI)2.
Il s’agit aussi d’inciter les pharmaciens à exercer au mieux leur pouvoir de substitution
d’une part et à rechercher une prestation plus économique que le princeps dans le cas de
prescription en DCI d’autre part. Cette substitution met en relation plusieurs acteurs :
l’industriel du médicament (o¤re de produits génériques), le pharmacien (qui peut ou non
proposer de substituer), l’assuré et bien sûr les pouvoirs publics qui dé…nissent les inci-
tations. En e¤et, la dé…nition de la marge des pharmaciens ainsi que la réglementation
concernant les taux de remboursement des médicaments in‡uent directement sur l’incita-
tion des pharmaciens à substituer et sur la réponse des patients. En France depuis 2003
les pharmaciens sont fortement incités à proposer la version générique puisque, pour les
médicaments non soumis au prix de référence, la marge des pharmaciens est plus élevée
pour les génériques que pour les princeps. Ceci est dû à une particularité du circuit de
distribution français. Pour le médicament générique, le pharmacien peut s’adresser direc-
tement aux laboratoires produisant les génériques. Et jusqu’en 2008, il pouvait négocier
des remises arrière ce qui augmentait sa marge totale3.
Dans cet article, nous nous posons la question de l’impact de cette marge arrière sur la
demande de médicaments dans un marché où les prix sont régulés. Ainsi, les prix ne sont
pas …xés par le marché mais sont déterminés par un régulateur. Nous nous intéressons à
deux situations. Dans la première c’est le pharmacien qui détermine cette demande, le choix
de celui-ci est donc in‡uencé par la possibilité de mise en place de marges arrière. Tandis
que dans la seconde c’est le patient qui choisit quel type de médicaments il consomme,
dans ce cas les marges arrière ne jouent aucun rôle puisqu’il s’agit d’un simple transfert
entre le laboratoire et le pharmacien. Nous supposons en outre que l’assureur public est
en mesure d’observer cette marge arrière. Aussi, le prix du médicament générique …xé par
l’assureur prend en compte cette marge arrière. Les marges arrière sont utilisées par le
producteur de génériques pour concurrencer le producteur de médicaments originaux. En
1En France depuis 2006 celui-ci doit être inférieur dau moins 50% au prix du princeps pour être mis
sur le marché.
2voir Paraponaris et al. (2004) pour une analyse des facteurs favorisant la prescription en DCI
3Les marges arrière ont d’abord été plafones à 20% en 2005, puis à 15% avant d’être complètement
supprimées en 2008.
2
et, plus les remises octroyées par le laboratoire de génériques sont importantes, plus le
pharmacien est incité à substituer et plus le prix établi par l’assureur pour le générique
est faible.
Peu d’articles théoriques s’intéressent à la relation entre la marge du pharmacien et la
demande de médicaments au sein de marchés régulés. Généralement, la littérature s’inté-
resse de préférence à des marchés où les prix sont …xés par les o¤reurs et où le circuit de
distribution est ignoré. Le médicament y est considéré comme vendu directement aux pa-
tients par le laboratoire. Le rôle du pharmacien n’est donc pas pris en compte. Une relation
d’agence parfaite existe entre le prescripteur et le patient et le choix de prescription du pra-
ticien re‡ète parfaitement les préférences du patient. Dans ce contexte, Mestre-Ferrandiz
(2001) analyse les e¤ets de l’introduction du prix de référence sur le marché pharmaceu-
tique espagnol en se basant sur les fonctions de demande développées par Singh et Vives
(1984). Mérino-Castello (2003) étudie la mise en place d’un prix de référence endogène.
Toutefois, pour Zweifel et Crivelli (1996), cette relation d’agence n’est pas parfaite. Ces
auteurs montrent que les prix établis par les …rmes dépendent des caractéristiques des
médecins.
L’un des rares articles à prendre en compte le circuit de distribution du médicament
est celui de Narciso (2005) qui analyse l’impact de l’instauration du droit de substitution
des pharmaciens. Elle montre notamment que le taux de substitution des médicaments
n’est pas forcément excessif - comparé à l’optimum social - lorsque le pharmacien est
chargé de substituer. Pour déterminer la demande de médicaments nous nous basons sur
la modélisation proposée par cette auteure en utilisant toutefois notre propre dé…nition du
surplus collectif, puisque nous prenons en compte non seulement le surplus des consomma-
teurs, le pro…t des producteurs et des distributeurs de médicaments mais aussi les dépenses
publiques que nous supposons coûteuses. Par ailleurs, nous approfondissons l’analyse de
cette auteure en nous posant la question de la crédibilité des hypothèses posées. Nous
mettons plus particulièrement en évidence les problèmes informationnels découlant de
ces hypothèses. En e¤et, pour Narciso (2005), le pharmacien est capable d’observer les
caractéristiques de tous les patients et l’assureur public connaît le degré d’altruisme du
pharmacien. Nous présentons donc une solution alternative dans laquelle le pharmacien
propose à tous les patients le même médicament, puisque le pharmacien ne peut observer
les caractéristiques privées des patients comme la di¤érence de qualité perçue entre un
médicament princeps et sa version générique. Nous imaginons tout d’abord que le patient
ne peut refuser la proposition du pharmacien et nous posons ensuite que si les choix du
pharmacien et du patient ne convergent pas, alors le patient décide de trouver un autre
fournisseur. Dans chacun des scénarios, notre objectif est de mettre en évidence le rôle
de la marge arrière. En outre, nous analysons aussi un scénario dans lequel les patients
sont les décisionnaires …naux. Ce scénario nous sert de référence, il nous permet notam-
ment d’analyser sous quelles hypothèses le scénario selon lequel le pharmacien ne sert pas
3
l’ensemble de sa clientèle est crédible.
Dans la première partie de ce travail, nous présentons les hypothèses du modèle, qui
sont inspirées du modèle de Narciso (2005). Puis, dans une seconde partie, nous établissons
l’équilibre sur le marché des médicaments lorsque le pharmacien détermine la demande de
médicaments et que toutes les caractéristiques des agents sont connaissances communes.
Nous nous intéressons notamment à l’impact de la mise en place d’une marge arrière entre
le laboratoire produisant des génériques et le pharmacien. Dans une troisième partie, nous
supposons que le pharmacien n’observe pas les caractéristiques des patients. En…n, dans la
dernière partie nous supposons que ce sont les patients qui sont les décisionnaires …naux.
2 Le modèle
L’objectif de notre travail est d’analyser dans un cadre relativement simpli…é le rôle
des marges arrière ou remises arrière sur un marché où les prix sont régulés. Nous nous
basons sur le modèle de Narciso (2005) qui décrit le marché du médicament portugais que
nous adaptons pour modéliser le marché pharmaceutique français 4.
Nous supposons dans un premier temps que c’est le pharmacien qui choisit quel mé-
dicament dispenser et dans un second temps nous posons que cette décision revient au
patient. Nous ignorons le rôle des grossistes. Le choix du pharmacien dépend notamment
de la marge qu’il obtient en vendant chacun des médicaments, tandis que le choix des
patients dépend du prix qu’ils paient pour la consommation des deux biens.
Nous nous situons sur un marché où les prix des médicaments sont déterminés par
le gouvernement qui est aussi un assureur, puisque celui-ci prend en charge une partie
du prix de vente …nal des médicaments. Cette prise en charge est possible grâce à des
prélèvements …scaux coûteux. Nous posons que les prix producteurs des médicaments sont
exogènes puisque ces prix résultent en France d’une négociation préalable entre l’assureur
et les laboratoires. Bien évidemment, le prix fabricant du générique doit être inférieur au
prix fabricant du princeps pour que le médicament générique puisse entrer sur le marché.
La marge que retire le pharmacien de la vente du princeps est elle aussi exogène. Le rôle
de l’assureur public est donc de déterminer le prix de vente …nal du générique. Pour cela il
maximise le surplus collectif. L’assureur public …xe le prix de vente du médicament géné-
rique en prenant en compte la valeur de la marge arrière. Dès lors, celle-ci est connaissance
commune.
Dans ce modèle nous considérons quatre types d’agents : les patients, le pharmacien,
les producteurs de médicaments et l’assureur public.
4Nous reprenons les fonctions d’utilité des patients établies par Narciso (2005). La dérence avec
l’article de cette auteure réside dans la dé…nition du surplus collectif et dans l’introduction des marges
arrière.
4
Les patients
Nous supposons que les patients ne perçoivent pas le médicament générique comme
étant un substitut parfait du princeps. Aussi, certains d’entre eux sont prêts à payer un
prix plus élevé pour le princeps que pour le générique. Cette di¤érenciation est due à
une perception de la qualité di¤érente puisque le packaging et la couleur des deux pro-
duits ne sont pas identiques. Bien que ces deux versions soient bioéquivalentes, le produit
princeps est généralement perçu comme de meilleure qualité par les patients (Dickson,
1998). Bien sûr chaque consommateur a sa propre évaluation de cette di¤érence. Dès lors,
pour certains patients, les deux médicaments sont très proches tandis que, pour d’autres,
consommer le générique implique une forte réduction d’utilité. Ainsi, nous supposons que
cette perte d’utilité est représentée par une variable aléatoire ; répartie uniformément
dans la population entre 0et 1.
L’utilité du patient dépend du type de médicaments consommés mais aussi de la po-
litique de tari…cation mise en place. Quel que soit le médicament choisi, les patients s’ac-
quittent uniquement d’une proportion kdu prix du bien, appelée ticket modérateur. k
appartenant à l’intervalle [0;1[. 1 est exclu de l’intervalle puisque si k= 1, le patient
prend en charge la totalité du prix du médicament et les dépenses publiques sont nulles.
Par conséquent, l’utilité des patients est dé…nie de la façon suivante :
UP(v) = vkPPsi le patient choisit le médicament princeps
et UG(v; ) = vkPGs’il choisit le générique.
est la valeur conférée au médicament princeps.
Etant donné le prix du médicament générique …xé par l’assureur public, le patient
choisit de consommer le médicament qui maximise son utilité. Ainsi, le patient achète le
médicament qui lui procure la satisfaction la plus élevée.
Il se tourne vers le médicament princeps si :
UP(v) = vkPPUG(v; ) = vkPG
,0=k(PPPG):
sinon il choisit de consommer le générique.
Le consommateur indi¤érent entre les deux médicaments est donc dé…ni par :
0=k(PPPG)(1)
Par conséquent, les patients tels que 0choisissent le médicament original et les
patients tels que < privilégient la version générique du médicament.
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