Fatigue et rupture fragile de substrats DCB pour applications haute température Sylvain PIETRANICO1, 2, Sylvie POMMIER1, Stéphane LEFEBVRE2, Zoubir KHATIR3 1 LMT 61 Avenue du président Wilson 94235 Cachan 2 SATIE 61 Avenue du président Wilson 94235 Cachan 3 INRETS-LTN 2 Avenue Malleret-Joinville 94114 Arcueil Résumé : Les modules de puissance soumis à des conditions "sévères" notamment de cyclage en température subissent des contraintes d’origine thermomécanique qui peuvent entraîner la défaillance des substrats DCB. Dans cet article nous étudierons la robustesse du substrat DCB (Cu-AlN-Cu) en utilisant des notions de mécanique de la rupture. Plusieurs modes de défaillances seront présentés et analysés. Dans une première partie, nous utiliserons une approche statistique représentée par une loi de Weibull traduisant l’aléa sur la sévérité des défauts présents dans l’AlN à l’origine du caractère aléatoire de la rupture. Dans une seconde partie, la géométrie du DCB qui présente des "singularités" nécessitera l’utilisation d’une approche déterministe pour la prévision de la propagation de fissures depuis ces singularités. L’approche nous permettra d’introduire le facteur d’intensité des contraintes et de mettre en place une méthodologie pour la détermination du nombre de cycle avant la rupture par le biais d’une loi empirique de PARIS. I. INTRODUCTION La figure 1 montre la structure simplifiée d’un module de puissance et fait apparaître le substrat DCB assurant l’isolation électrique de la puce par rapport à la semelle et permettant également l’évacuation des calories vers la semelle. défauts présents dans l’AlN à l’origine du caractère aléatoire de la rupture. Dans le cas de substrats DCB AlN, sur lesquels porte l'étude, il a déjà été montré que l'épaisseur des films de cuivre avait une influence importante sur leur durée de vie. En particulier, pour des épaisseurs de cuivre élevées, ce type de substrat n’est pas adapté aux applications sous forte variation de température ambiante. Toutefois, les nombreuses données expérimentales déjà disponibles sur ces technologies nous permettrons de valider la méthodologie retenue. II. APPROCHE UNIDIMENSIONNELE Figure 1 : Module de puissance Figure 2 : Observation d’une fissure de l’AlN par MEB [1] Dans un grand nombre de systèmes embarqués (avionique par exemple) les fortes variations de température (cyclage passifs et actifs) sont responsables de contraintes thermomécaniques sévères liées aux différences de coefficients de dilatation thermique des matériaux constituants et qui mènent par fatigue à la défaillance. Les premiers travaux réalisés par nos laboratoires sur ce sujet ont concerné l’étude de différents substrats céramiques pour des applications aéronautiques (variation de température ambiante entre -55°C et +200°C dans le pire des cas liées aux phases de décollage/atterrissage) [1]. Dans ces conditions extrêmement sévères, la durée de vie des substrats DCB peut être très réduite. Il a été montré que l’écrouissage du cuivre du DCB, en augmentant les contraintes mécaniques dans la céramique, était à l’origine de la fracture conchoïdale de cette dernière (figure 2) [1]. Le présent article a pour but de mettre en évidence les différents modes de défaillance, comprendre précisément les phénomènes physiques mis en jeu et proposer une modélisation thermomécanique du DCB permettant d’apprécier les principaux facteurs limitant sa durée de vie. Si l’étude de la fracture de la céramique nécessite l’utilisation de techniques de la mécanique de la rupture, nous nous focaliserons sur les besoins d’une bonne connaissance des propriétés physiques (et principalement mécaniques) des matériaux utilisés dans ces assemblages. L’article détaillera également dans un premier temps une approche statistique traduisant l’aléa sur la sévérité des Nous proposons dans ce paragraphe d’effectuer une approche certes "simpliste" du problème, mais qui permet de mettre en évidence l’impact des propriétés des matériaux et de la géométrie sur les contraintes mécaniques au sein de la structure. Nous supposerons les hypothèses suivantes : - Les faces supérieures et inférieures de l’assemblage DCB sont supposées libres de se déplacer. Cela revient à faire l’hypothèse pour un module complet que les brasures accommodent les gradients de déplacement entre les surfaces de cuivre et d’AlN. - Les contraintes sont homogènes dans le matériau. - Le cuivre est supposé avoir un comportement élastoplastique parfait et l’AlN un comportement élastique. - L’adhérence entre la couche de cuivre et celle d’AlN est « parfaite ». Avec ces hypothèses, le comportement de l’assemblage peut être représenté par le modèle rhéologique simplifié de la figure 3, où nous représentons le substrat DCB comme la mise en parallèle des branches élémentaires de chaque matériau (Cu-AlN-Cu) qui se déforment de façon identique du fait de l’adhérence parfaite entre les couches. La déformation totale pour chaque matériau est la somme de déformations thermique ε θ , élastique ε e et, dans le cas du cuivre plastique, ε p . Pour chaque mode de déformation, on introduit un comportement du matériau. En ce qui concerne la dilatation thermique, on s’appuie sur l’équation 1 : ε θCu = αCu (T − To ) et ε θAlN = α AlN (T − To ) (1) Où αCu et α AlN sont les coefficients de dilatation thermique des deux matériaux et To la température de référence. En ce qui concerne la déformation élastique, elle est liée à la contrainte par la relation (2) : ε eCu = σ Cu ECu et ε eAlN = σ AlN E AlN (2) Où ECu et E AlN sont les modules d’Young des deux matériaux. Enfin, tant que la contrainte dans le cuivre reste inférieure en valeur absolue au seuil de plasticité, la déformation plastique est nulle. Lorsque ce seuil RCu est atteint, la contrainte dans le cuivre est égale à ce seuil (équation (3)) Cu Si σ Cu < R Cu : ε& Cu = ±R Cu (3) p = 0, sinon σ L’hypothèse d’adhérence parfaite des couches induit l’équation (4), où L est la longueur des couches du DCB : AlN (4) Lε Cu = Lε AlN ⇒ ε θCu + ε eCu + ε Cu + ε eAlN p = εθ Enfin l’équilibre des efforts dans le système induit la relation (5), où t Cu et t AlN sont les épaisseurs des couches de cuivre et d’AlN et w la largeur de ces couches : (2t Cu .w ).σ Cu + (t AlN .w )σ AlN = 0 (5) Ce jeu d’équation permet de déterminer les contraintes dans le composant, lorsqu’on refroidit le composant depuis la température d’assemblage T0 (température de référence ici) jusqu’à T1, puis qu’il est cyclé entre T2 et T3, selon l’épaisseur des couches et les caractéristiques principales des matériaux. ce modèle simplifié. Pour déduire le risque de rupture de l’estimation de la contrainte appliquée, la détermination expérimentale de la distribution statistique des contraintes à rupture de l’AlN a été menée. III. APPROCHE STATISTIQUE A. Théorie du Maillon Faible Une origine possible de la fracture d’une céramique est la présence de défauts dans le volume du matériau (joints de grains, microfissures, porosité …). Ainsi, la contrainte à rupture d’un matériau céramique est-elle statistiquement distribuée du fait de l’aléa sur la présence de sites d’amorçage de fissures ou sur leur sévérité. Pour représenter ce phénomène on utilise une théorie dite "du Maillon Faible" qui traduit le fait que le premier défaut activé sera à l’origine de la défaillance complète de la céramique, tout comme la rupture d’un seul maillon conduit à la rupture d’une chaîne. La loi de Weibull permet de modéliser cette théorie dans un cadre statistique en utilisant les paramètres σ0 et m. Cette loi permet de modéliser le fait que la contrainte à rupture moyenne diminue lorsque le volume de matière testé augmente, puisque la probabilité de rencontrer un défaut est alors plus grande [3]. La probabilité qu’un volume de matière dV (a dimensionné par le paramètre Vo, choisi égal à 1 mm3) soit rompu lorsqu’une contrainte lui est appliquée est la suivante : ⎛ dV ⎛ σ ⎞ m ⎞ ⎜ ⎟ ⎟ PR = 1 − PS = 1 − exp⎜ − (7) ⎜ Vo ⎜⎝ σ 0 ⎟⎠ ⎟ ⎝ ⎠ Ainsi, plus le volume est grand et plus la probabilité de rupture est grande ; il en est de même pour l’effet de la contrainte. Les deux paramètres σo et m sont identifiés à l’aide d’essais sur éprouvettes. B. Détermination expérimentale des paramètres Figure 3 : Schéma équivalent, unidimensionnel simplifié du DCB Dans le cas particulier où le cuivre se plastifie lors du premier refroidissement (de T0 à T1) puis reste macroscopiquement élastique lors des cycles ultérieurs entre T2 et T3, avec (T1<T2<T3<T0) les contraintes dans la céramique AlN se calculent alors comme indiqué dans l’équation 6. T0 a σ AlN = 0 T1 a σ AlN = − RCu (2t Cu t AlN ) T2 aσ AlN = (α Cu − α AlN )(T2 − T1 ) − R (2t Cu Cu t 1 E AlN + AlN 2tCu 1 ECu (α Cu − α AlN )(T3 − T1 ) − R (2t Cu Cu t t AlN ) (6) t AlN ) 1 + E AlN 2t Cu ECu La valeur maximale de la contrainte dans la céramique est atteinte pour la température T3 et permet de calculer le risque de rupture en fonction des caractéristiques géométriques et physiques des diverses couches. La différence entre les coefficients de dilatation thermique intervient mais son effet dépend des épaisseurs relatives des couches. En outre la céramique ne se trouve en tension (risque de rupture de la céramique) que si le cuivre se plastifie lors du refroidissement, du moins, dans le cadre de T3 aσ AlN = 1 AlN Pour la détermination des paramètres de la loi de Weibull, un système de flexion 3 points a été réalisé au LMT [4] (figure 4), et des éprouvettes de différentes géométrie ont été testées, dont l’épaisseur t vaut 0.5 mm ou 1 mm, la largeur w vaut 2.5 mm ou 10 mm et la longueur utile L, 19 mm. En flexion 3 points, la contrainte en un point de l’éprouvette s’exprime en fonction de la contrainte maximale dans l’éprouvette comme suit : ⎛ 2 x ⎞⎛ 2 y ⎞ σ (x , y ) = ⎜ ⎟⎜ ⎟σ max (7) ⎝ L ⎠⎝ t ⎠ Par ailleurs, comme la probabilité de survie de la pièce est le produit de la probabilité de survie de chacune de ses sous-parties, et compte tenu de la forme de la loi de Weibull, il vient : ⎛ ⎛σ PR = 1 − PS = 1 − exp⎜ − ⎜⎜ W ⎜ ⎝ σ0 ⎝ ⎞ ⎟⎟ ⎠ m ⎞ ⎟ où σ = σ ⎛⎜ Veff W max ⎜ ⎟ ⎝ Vo ⎠ ⎞ ⎟⎟ ⎠ 1/ m (8) wLt le volume équivalent qui serait 2(1 + m )2 soumis à un effort de traction tel que la contrainte soit uniforme dans le matériau. La caractérisation expérimentale de la distribution des contraintes à rupture sur 3 lots d’éprouvettes de dimensions différentes permet d’identifier précisément l’effet de volume sur la probabilité de rupture. avec Veff = Figure 4 : Banc expérimental de flexion 3 points La figure suivante montre ainsi les résultats obtenus sur 3 lots de 40 échantillons de céramique AlN et l’identification de la loi de Weibull correspondante avec m=10.3, σo=368 MPa et Vo=1mm3. Ainsi, pour une pièce d’AlN subissant une traction simple uniforme, la contrainte à rupture, pour une même probabilité de rupture PR = 0.63 , est de 368 MPa si le volume de matière testé est de 1mm3, de 450 MPa pour 0.1mm3 et de 300 MPa pour 10 mm3. Figure 5 : Probabilité de rupture fonction de la contrainte de Weibull dans 3 lots d’éprouvettes de flexion 3 points (AlN). Comparaison avec la loi de Weibull. C. Application au DCB Une fois la loi de distribution des contraintes à rupture du matériau identifiée, elle peut être appliquée au problème de l’assemblage DCB. Par exemple, on peut estimer la probabilité de rupture à l’aide du modèle unidimensionnel de l’assemblage (Equation 6, température T3). m ⎛ L .w .t ⎛ σ AlN ⎞ ⎞⎟ AlN ⎜ ⎟ ⎜ (10) PR = 1 − exp − ⎜ Vo ⎜⎝ σ o ⎟⎠ ⎟ ⎝ ⎠ Les caractéristiques des matériaux utilisées sont les suivantes : α Cu = 16.10 −6 / °C , α AlN = 5.10 −6 / °C , et E AlN = 320GPa . La largeur w et la longueur L de l’assemblage sont fixées à 10mm. On se donne tCu=0.2 mm. L’équation 10 permet alors de calculer la probabilité de rupture en fonction de l’épaisseur de la couche d’AlN et pour différentes valeurs du seuil de plasticité du cuivre. Figure 6 : Exemple d’application. Calcul de la probabiliuté de rupture de l’assemblage pour T3-T1=200°C, à tCu fixée, en fonction de tAlN/tCu et selon Rcu. Cette application permet de montrer qualitativement l’effet des paramètres géométriques et des caractéristiques des matériaux sur la probabilité de rupture fragile en volume de la céramique. Ces premiers calculs permettent de définir les rapports d’épaisseurs optimaux pour éviter la rupture fragile de la céramique. Lorsque l’épaisseur d’AlN augmente la contrainte diminue et donc la probabilité de rupture diminue. A l’inverse lorsque l’épaisseur d’AlN diminue, d’une part le volume diminue ce qui induit une diminution de la probabilité de rupture et d’autre part, le cuivre peut ne plus entrer en plasticité ce qui laisse alors la céramique en compression. Finalement, le rapport d’épaisseur intermédiaire est à éviter. Cependant, ces calculs sont unidimensionnels et on suppose la contrainte uniforme dans chaque couche, ce qui n’est pas le cas en réalité. Par la suite, nous serons amenés à calculer numériquement les contraintes dans l’assemblage par la méthode des éléments finis. La probabilité de rupture sera calculée en suivant la même démarche mais à partir de la valeur de la contrainte principale maximale calculée numériquement dans chaque élément fini, et du volume de cet élément. La méthode des éléments finis permet également de calculer le risque de rupture dû à la propagation d’une fissure de fatigue depuis les singularités. Dans la suite nous expliquons en premier lieu le type de modèle numérique mis en place, puis comment les singularités sont étudiées. IV. MODELISATION THERMO-MECANIQUE Une étude par éléments finis a été effectuée sur le logiciel Abaqus. Pour cette étude 3 épaisseurs de cuivre ont été considérées (127µm, 200µm et 300µm), l’épaisseur de la couche d’AlN quant à elle reste constante égale à 635µm. On utilise un modèle axisymétrique avec des éléments linéaires à trois nœuds. La dimension des éléments est de l’ordre de 30 microns dans les zones où la contrainte est homogène et atteint 1 micron dans les zones singulières (figure 7). Les propriétés des matériaux ont été trouvées dans la littérature et seront ré-identifiées dans le futur. Pour la céramique le comportement est choisi purement élastique avec un module d’Young de 320 GPa et un coefficient de Poisson de 0,24. En ce qui concerne le cuivre [2] nous lui attribuons un caractère élasto-plastique à écrouissage isotrope, un module d’Young de 130MPa, et un coefficient de Poisson de 0,3. Figure 7 : Maillage structuré au niveau de la singularité de l’assemblage. Tableau 1 : Modèle élasto-plastique du cuivre [2], contrainte d’écoulement, en fonction de la déformation plastique cumulée. σ(MPa) 130 190 260 350 εp 0,001 0,0985 0,2998 0,597 La température de référence T0 est choisie égale à la température de fusion de la brasure semelle/DCB. Et on applique ici un chargement thermique initial dont la température T1 pourra varier (entre -30°C et -70°C), puis des cycles thermiques entre T2=- 30°C ou -50°C selon la valeur de T1 et T3=+180°C. Pour l’analyse probabiliste, les singularités sont exclues. On utilise une approche déterministe pour déterminer la durée de vie à partir des gradients de contrainte et de déformation dans ces zones. conduit à une loi probabiliste de rupture. Si ce n’est pas le cas, la géométrie du DCB ayant été optimisée, la rupture pourra néanmoins se produire dans la céramique à partir d’un défaut produit par la sollicitation de fatigue. Ce défaut s’initie au niveau des singularités de l’assemblage DCB et se propage cycle à cycle dans le cuivre jusqu’à atteindre une dimension critique permettant la rupture fragile de l’AlN. Ce constat nous a amené à traiter ce second processus de rupture dans le cadre de la mécanique de la rupture. Georges Irwin [5] a établi le premier le concept de mécanique de la rupture en proposant d’isoler une région entourant la pointe de la fissure pour établir les critères de rupture (figure 9), ces concepts ont été généralisés plus tard à d’autres types de singularités. V. APPROCHE DETERMINISTE A. Introduction Lors des essais réalisés auparavant sur ces modules [1], une fracture a été observée après cyclage en température du substrat DCB. Les fissures s’initient en surface, au niveau des singularités à l’interface cuivre-céramique et se propagent dans le cuivre cycle à cycle par fatigue en laissant, dans le Cuivre, une strie de fatigue à chaque cycle. La figure 8 montre une image MEB de la surface de rupture dans la zone d’amorçage sur laquelle les stries de fatigue sont clairement visibles ainsi que l’espace inter-stries qui est compris entre 0,7 et 0,8 µm. Ces observations permettent de conclure que la vitesse de propagation de la fissure est de l’ordre de 0.7 μm par cycle thermique. Après cette première phase de propagation cycle à cycle, la surface de rupture change brutalement et on observe alors la rupture fragile typique de la céramique. L’estimation de la dimension de la fissure semi-elliptique juste avant la rupture fragile de la céramique est cohérente avec la vitesse de propagation de la fissure par cycle et la durée de vie mesurée [1] (de l’ordre de 40 cycles pour cet exemple). Figure 8 : Image MEB de la surface de rupture d’un DCB AlN-Cu sous cyclage thermique T2=-30°C, T3=+180°C (tCu = 300µm, tAlN = 635 µm). L’espace inter-stries pour 10 stries a été souligné sur ce cliché et est proche 7.5 μm. Par conséquent, la rupture peut se produire dans un premier temps à partir d’un défaut pré-existant de la céramique, dont la présence en volume est aléatoire et qui Figure 9 : Fissure de Référence de Griffith Une fissure ou un angle rentrant constituent en effet des concentrations de contraintes. En élasticité linéaire, on montre que les contraintes ou les déformations tendent vers l’infini lorsque la distance r à l’extrémité de la fissure ou au sommet de l’angle tend vers zéro [5,6]. Un critère de rupture local, fondé sur la contrainte maximale atteinte en un point, n’est donc pas applicable. Des approches globales portant sur les champs de contraintes, de déformation ou de déplacement dans toute la zone au voisinage de la singularité ont donc été introduites. Il a été montré [5,6] que le développement asymptotique des champs de contraintes, de déformation ou de déplacement au voisinage de la singularité pouvait se mettre sous la forme d’une somme de termes comportant une fonction de forme, ne dépendant que le la position (r,θ) d’un point vis-à-vis de la singularité et d’un facteur d’intensité dépendant du chargement appliqué et des conditions aux limites. Pour toute singularité la contrainte évolue asymptotiquement comme 1 r λ . λ vaut 0.5 pour une fissure dans un milieu homogène. λ peut également être calculé analytiquement pour un coin rentrant à une interface entre deux matériaux (dans notre cas le résultat du calcul donne λ=0.42). Ainsi la forme du champ des contraintes autour de l’extrémité de la fissure est connue à priori et est indépendante de la longueur de la fissure et du chargement, seule son intensité en dépend. Cette propriété remarquable permet d’établir des critères de fissuration et de rupture globaux fondés sur l’intensité des contraintes dans tout le voisinage d’une singularité et non pas sur la valeur locale d’une contrainte en un point. B. Singularité Dans le cas traité ici, la singularité est un angle de 90° à l’interface entre le Cuivre et la céramique. Si la céramique est bien élastique, ce n’est pas le cas du cuivre. Les solutions analytiques ne seront donc pas directement applicables. On s’appuie donc sur le calcul par éléments finis (Code Abaqus) pour déterminer l’ordre de la singularité dans la céramique et le domaine de validité du développement asymptotique. Pour cela, on considère la région de la céramique située dans une plage de distance r à la singularité comprise entre 10 et 100 microns, suffisamment loin du point singulier pour limiter les erreurs numériques et suffisamment proche pour que le développement asymptotique du champ des contraintes à l’ordre 1 soit prépondérant. Sur la figure 10 est tracé le produit r λσ 12 pour diverses distances r et pour λ=0.5 (qui permet de minimiser l’écart entre les courbes). Ce produit ne dépend alors plus que de l’angle θ. Cette singularité de 0.5 étant la même que celle d’une fissure, les concepts « classique » de mécanique de la rupture pourront s’appliquer. On utilisera en particulier les fonctions de formes de Westergaard f(θ) associées à chaque mode de fissuration [6]. Figure 10 : Contrainte de cisaillement σ12×rλ en fonction de θ pour une singularité de 0,5 ? C. Facteur d’Intensité des Contraintes Une fissure plane se définit en effet par les paramètres suivants, son plan (n), sa frontière (v) et le déplacement relatif de ses faces (u) comme indiqué sur la figure 11. Ce déplacement ayant trois composantes, on définit trois modes élémentaires d’ouverture (mode I), de cisaillement plan (mode II) et de cisaillement anti-plan ou déchirure (mode III). Figure 11 : Modes de déplacement I, II et III pour une fissure. Les solutions asymptotiques du champ des contraintes et des déplacements aux alentours de la fissure ont été calculées analytiquement par Westergaard [6]. De manière générale, on peut alors exprimer les champs de contraintes comme suit [7] au premier ordre en r : III III n =I n =I σ ij = ∑ K n r −λ f ijn (θ ) et u i = ∑ K n r 1−λ f in (θ ) (11) où K n est le facteur d’intensité des contraintes associé à chaque mode n et f ijn (θ ) la fonction de forme, connue à priori, associée à chaque mode et à chaque composante du tenseur des contraintes. Le calcul numérique par éléments finis permet de calculer les contraintes au voisinage de la singularité et d’en déduire les facteurs d’intensité du mode d’ouverture, KI, et du mode de cisaillement plan, KII. Ici KIII=0, puisque nous travaillons en 2D. Une fois que KI et KII ont été déterminés dans le repère initial attaché à l’interface Cu-AlN, pour lequel l’axe 1 est parallèle à l’interface et l’axe 2 lui est normal, des équations simples [10] permettent d’exprimer KI*(α) et KII*(α) dans un second repère en fonction de l’angle de rotation α (autour de l’axe 3) entre ces deux repères. On peut ainsi déterminer l’angle α pour lequel KII* est nul et KI* est maximum en valeur absolue, on le notera alors KIm. Des critères de rupture sont alors exprimés en fonction des facteurs d’intensités et de leurs amplitudes. D. Application, durée de vie du DCB. Deux critères principaux de la mécanique de la rupture pourront être utilisés ici. Premièrement, Griffith a établi qu’une fissure dans un matériau fragile se propageait de manière instable lorsque l’énergie élastique libérée par la rupture devenait égale à l’énergie requise pour la création de nouvelles surfaces libres, ce qui peut s’écrire comme un critère sur la valeur de KI. Lorsque KI atteint la ténacité du matériau KIc la fissuration instable se produit. Dans notre cas, la rupture de la céramique s’initie à partir de la petite fissure d’interface amorcée par fatigue du cuivre, dans le cuivre, à l’interface cuivre / céramique. Comme la propagation de cette fissure reste très modeste, on fera donc l’hypothèse que la rupture de la céramique se produit si KIm=KIc. Deuxièmement, pour la plupart des matériaux métalliques ductiles, la vitesse de fissuration par fatigue obéit à la loi de Paris. Lorsque des cycles d’amplitude constante sont appliqués, la vitesse de propagation d’une fissure est nulle tant que l’amplitude du facteur d’intensité des contraintes est inférieure à un seuil ΔKIth, et la fissuration instable se produit lorsque KI=KIc, entre les deux une propagation cycle à cycle peut avoir lieu et suit la loi de da propagation suivante : = CΔK m (11) dN Où C et m sont des paramètres du matériau, où da/dN est le taux de création d’aire fissurée par unité de longueur de front de fissure et où ΔK est l’amplitude cyclique du facteur d’intensité des contraintes. Il est à noter que lorsque l’aire du défaut augmente KI augmente. Comme dans les essais réalisés sur le DCB la fissure de fatigue se propage dans le cuivre mais à l’interface Cuivre-AlN, c’est donc l’amplitude de KI et de KII dans le repère attaché à l’interface que l’on considèrera. Le protocole d’exploitation des calculs numérique est donc le suivant, on effectue la simulation numérique des divers chargements thermiques du DCB, on analyse les champs au voisinage de la singularité afin de déterminer KI et KII dans le repère attaché à l’interface, puis on calcule leur amplitude. Plus cette amplitude est grande et plus la durée de vie sera faible. Enfin on détermine KIm, et l’angle α correspondant qui maximise KI* et sur lequel se propagera la fissure dans l’AlN. La rupture du DCB intervient lorsque KIm atteint la valeur de la ténacité de la céramique. E. Résultats L’amplitude ΔKI à l’interface a donc été tracée sur la figure 12 pour trois épaisseurs de la couche de cuivre. Lorsque cette épaisseur augmente ΔKI diminue, et la durée de vie du DCB devrait donc être plus longue. Par ailleurs, on note que ΔKI augmente avec le nombre de cycles du fait de l’écrouissage du matériau, d’où l’importance de déterminer finement le comportement élasto-plastique du cuivre par la suite. Normalement, ΔKI augmente lorsque la fissure se propage mais cette propagation n’a pas été modélisée ici, le KI tracé est celui associé à la singularité de l’assemblage. Les mêmes observations sont faites pour KIm. DCB aux cycles thermiques de forte amplitude (Dimples, DAB, céramiques Si3N4), ces résultats permettent néanmoins d’envisager une solution complémentaire éventuelle et montrent également l’importance cruciale d’une bonne connaissance des propriétés mécaniques des matériaux utilisés. Figure 14 : Effet du durcissement du cuivre sur la tenue d’un substrat céramique à des cycles thermique de forte amplitude VI. CONCLUSIONS Figure 12 : Représentation du facteur d’intensité des contraintes en mode I au niveau de l’interface cuivre/AlN durant plusieurs cycles en Température entre –30°C et 180°C Enfin, même s’ils restent imprécis du fait des méconnaissances sur le comportement cyclique du cuivre employé dans le DCB, ces calculs ont permis de montrer que quelques cycles initiaux entre +180°C et une température très basse de -70°C permettaient de diminuer la valeur de ΔKI pour un cyclage ultérieur entre -30°C et +180°C, du fait des déformations plastiques dans le cuivre. Cette observation nous a conduit à tester expérimentalement l’effet de ce traitement initial sur la durée de vie du DCB. La détection de la fissuration conchoïdale s’effectue en mesurant la capacité parasite entre le cuivre sur la surface supérieure du DCB et la semelle comme indiqué à la figure ci-dessous : Les différents résultats présentés montrent l’importance d’une bonne connaissance des propriétés mécaniques des matériaux constituant. Une étude de la couche de cuivre par diffraction RX est en cours afin de déterminer les contraintes initiales dans le cuivre du DCB résultant du procédé de fabrication du substrat. Les propriétés physiques des céramiques sont en cours d’élaboration, la loi de Weibull est maintenant connue pour l’AlN, mais il reste à déterminer sa ténacité. Nous devrons également caractériser finement le comportement élasto-plastique cyclique du cuivre et sa loi de fissuration par fatigue. VII. REFERENCES [1] L. Dupont, Thèse de Doctorat de l’ENSC, « Contribution à l’étude de la durée de vie des assemblages de puissance …», juin 2006 [2] Y. Nagatomo and T. Nagase, "The Study of the Power Modules with High Reliability for EV Use", 17th EVS conf., Montreal, October 2000 [3] A. Houssam, et al, “Room temperature tensile and flexural strength of ceramics in AlN-SiC system” J. of the Eur. Cer. Soc., Vol. 15, I. 5, 1995, pp 425-434 [4] J-M Haussonne et al, “Céramiques et Verres”, Traité des Matériaux, Volume 16, 2005 Figure 13 : Détection de la fracture conchoïdale par mesure de capacité Les résultats sont indiqués figure 14. On compare l’évolution de cette capacité avec et sans cycles préalables entre -70°C et +180°C avant cyclage entre -30°C et +180°C. Sans cycles de refroidissement, la fracture conchoïdale apparaît après 40 cycles environ. Les trois cycles initiaux de refroidissement ont permis d’introduire des contraintes résiduelles dans le cuivre et cette modification de l’état initial semble à même d’augmenter considérablement la durée de vie du substrat DCB (pas de fracture conchoïdale détectée après 147 cycles, l’essai se poursuit actuellement, et devrait être validé sur des essais supplémentaires). Si d’autres solutions technologiques ont déjà été trouvées pour augmenter la robustesse des substrats [5] G. Irwin, « Analysis of stresses and strains near the end of a crack traversing a plate », J. of Applied Mechanics, Volume 24, 1957, Pages 361-364. [6] H.M. Westergaard, « Bearing pressures and cracks”, Journal of Applied Mechanics , 61, A 49-53, 1939. [7] D. Leguillon, “Strength or toughness? A criterion for crack onset at a notch », EJMA-S E, Volume 21, Issue 1, 2002, Pages 61-72 [8] P. Paris, “A rational analytic theory of fatigue”, The Trend is Engineering, Volume 13, 1961, Pages 9-14. [9] Pommier, S. Cyclic plasticity and variable amplitude fatigue. IJF. Vol 25. Num 9/11. Pages 983-997. [10] Y.Murakami, “Stress intensity handbooks”, 1987.