plateau. Dessins de la matière des voix par leurs déplacements dans l'espace, rapport des choeurs, des solistes,
du tissage entre bande-son et son direct du plateau, voix chantées, voix parlées.
Comme nous le disions dans la note d'intentions 1: " ... chercher comment mettre en écho ces mots au supplice de
la musique, car ce qui intéresse toujours nos recherches c’est comment le son en est venu à être exclu du mot
écrit, et comment la page en a perdu sa voix. Bien que, dans ce cas particulier, la langue de Didier-Georges Gabily
soit elle-même empreinte d’une grande musicalité. Ici dans l’appellation « Oratorio/Matériau » il nous semble que
l'invitation est ouverte de chercher à mettre en écho ces mots au supplice d’autres musiques." La nature
géologique de l'écriture musicale de Zad Moultaka, compositeur libanais, est venue comme une évidence pour une
écriture dramaturgique de la musique au plateau. Une circulation dans une grande partie de son œuvre, avec son
accord, a permis un choix de montages et un agencement de partitions qui sera joué et chanté au plateau. Mais
aussi des superpositions et des tissages d'autres moments musicaux écrits à partir du plateau. Deux
instrumentistes au plateau (un saxophoniste et un violoncelliste), cinq chanteurs et trois acteurs, sachant que la
scène réclamera à chacun d'agrandir son rôle habituel.
Cet oratorio se présente formellement comme un long chapelet de voix à la fois identiques, mélangées et bien
distinctes. Si le souffle engendre le monde, peut-être est-il également le lieu de sa perpétuelle mise en danger.
Une écriture qui ne serait alors pas seulement un combat moral, mais l'extension du domaine de l'irreprésentable,
un lieu poétique, ontologique. Etre au monde, être dans le monde, peut être partager non pas une identité mais un
même souffle.
L'obscur est un souffle. L'illimité est le souffle qui nous anime et nous échappe, nous essayons de le saisir sans
l'étouffer, et inventons à cet effet un langage où se combine la rigueur et le vague, où la mesure n'empêche pas le
mouvement de se poursuivre sans se perdre.
Vivre tout événement quotidien dans les coordonnées de l'humanité. L'immensité de cette aventure dont nous ne
savons rien. Comment humain, de par l'âme et le corps, obtenir que les morts commémorés germent dans le corps
des vivants. L'homme se concentre sur ce qu'il est, essaie de renoncer aux simulacres, d'éviter les pièges qui le
crétinisent : idéologie, moralisme politique, commerce, transactions. Le poète tente de s'adresser à l'homme. Le
poète dans son inaliénable et irréductible célébration de l'homme essentiel tente de sauver cet homme essentiel au
moyen de la parole essentielle.
Il n'enseigne rien, crée et partage : "Frères humains qui après nous vivez...."2. Le poète est universellement seul, la
poésie est l'âme de milliards de corps. La poésie serait-elle donc un rapport sensuel à la terre en même temps
qu'un rapport sensuel au langage ? une fusion de l'éros et du logos qui brise l'ordre établi des choses et des
mots ? Essayer, au-delà du royaume de l'être, d’accéder au royaume de la vie. Penser et vivre dans un chaos-
cosmos, un chaosmos dirait Joyce, toujours inachevé qui pourrait être le produit de sa rencontre immédiate avec la
terre, avec les choses de la terre, perçues non comme des objets mais comme des présences.
L'acte poétique ne prétend rien expliquer, il n'implique pas l'impression que les choses n'ont ni explication, ni
cohérence, il ne s'oppose pas à l'absurde et même consent avec lui à la plus haute convergence. Il ne s'agit pas
d'une expérience absurde mais de l'expérience de l'absurde.
De l'existence, si on la vit en profondeur, de cet "arrière-pays"3, de l'abîme humain, la poésie est la fondation de
l'"être" par la parole. Cultiver un savoir de la profondeur et de l'abîme humain4, bien au-delà de la biographie, de la
biologie, de la psychologie et de l'histoire. C'est de l'homme vulnérable, de sa précarité que s'élève une force,
2 Villon, Ballade des pendus
3 Yves Bonnefoy, L'Arrière-pays
4 "Etre humain jusqu'à demain encore. Questionner encore." DGG - Enfonçures p. 26