Le musée par les chemins de traverse (I)
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Isabelle Burkhalter
Quel pied!
Arpenter les musées, c’est souvent mettre ses pieds à rude épreuve! L’occasion d’une visite sur ce thème
à travers une sélection d’œuvres du Musée d’art et d’histoire, en s’intéressant plus particulièrement au
pied dit «grec». Caractérisé par un deuxième orteil plus long que le pouce, le pied grec n’est pas le plus
répandu dans la nature, puisqu’il ne concernerait que 5% de la population mondiale et 46% des Grecs .
Statistique qui tendrait à prouver qu’il porte plutôt bien son nom, à défaut d’être facile à caser dans des
chaussures!
Le pied grec, roi de la sculpture antique
Une chose est sûre, dans le domaine du canon esthétique, le pied grec a un statut privilégié. Les
sculptures antiques, pour autant qu’elles aient encore des pieds, le prouvent.
Ainsi, l’Apollon Saurochtone, copie romaine d’un chef-d’œuvre du sculpteur athénien Praxitèle (IVe siècle
av. J.-C.). La version du Musée d’art et d’histoire, découverte à Rome au milieu du XIXe siècle, n’est
conservée que dans sa partie inférieure – la poitrine, les bras et la tête du jeune dieu ont été recréés en
plâtre d’après la copie du Musée du Vatican. Ce fragment l’atteste: le jeune archer, dieu des arts réputé
pour sa grande beauté, a le pied fin et gracieux et le deuxième orteil qui dépasse, dans une version
délicate et harmonieuse du pied dit grec!
D’autres statues célèbres d’Apollon, tel l’Apollon du Belvédère, présentent ces mêmes proportions. Les
dessins d’après l’antique réalisés à Rome par Jean-Pierre Saint-Ours permettent de le vérifier.
Un peu plus loin, la statue de l’empereur Trajan héroïsé arbore, elle aussi, de beaux pieds grecs. Et
pourtant il s’agit d’un Romain, dont le pied est caractérisé par des orteils sensiblement de même longueur.
Mais rien d’étonnant à cela. Les Romains, grands admirateurs de l’esthétique grecque, étaient prompts à
la prendre pour modèle. Cette statue emprunte ainsi un archétype grec fameux. En effet, la tête de
l’empereur, marquée par l’âge, est posée sur un corps jeune et puissant emprunté au Diomède du
sculpteur Crésilas (actif à Athènes au Ve siècle av. J.-C.). Comme ses sandales le laissent voir, ses
deuxièmes orteils dépassent bien…
Les pieds dans la peinture
D’autres magnifiques exemples se trouvent dans la grande peinture du XVI e siècle Le Péché originel (vers
1580). Est-ce à dire qu’à sa genèse, l’humain avait le pied grec? Pour cet artiste inconnu de l’École
flamande du moins, le premier homme et la première femme ont tous deux le deuxième orteil plus long,
bien plus long que le pouce. Cet allongement s’accorde ici avec celui des jambes et des corps en torsion,
propre à l’esthétique maniériste.
Pour clore ces considérations «hellénopodes», revenons à l’artiste genevois Jean-Pierre Saint-Ours
(1751-1809). Comme les peintres du mouvement néoclassique dont il est un représentant, Saint-Ours a
exécuté de nombreuses toiles représentant un épisode d’histoire ancienne, avec un souci du détail