Le facteur Rhésus
Ce phénomène apparaît nettement dans
le cas du facteur Rhésus (Rh), cet anti-
gène des globules rouges du sang
humain qui existe sous deux formes
(positive ou négative). Ce caractère est
déterminé par un seul gène et, pour des
raisons de santé publique, il a été étudié
dans des milliers de populations : les
médecins doivent identifier les femmes
Rhésus négatif et dont le fœtus est
Rhésus positif, afin de leur administrer,
immédiatement après l'accouchement,
un traitement immunologique qui pré-
vient la formation par l'organisme
maternel d'anticorps qui agiraient contre
les enfants qui seraient conçus ultérieu-
rement. Le gène de l'antigène Rhésus
négatif est fréquent en Europe, plus rare
en Afrique et en Asie de l'Ouest, et
presque absent en Asie de l'Est et chez
les populations indigènes d'Amérique et
d'Australie (voir lafigure 1).
On estime l'apparentement entre
deux groupes ethniques en soustrayant les
pourcentages d'individus Rhésus négatif
de ces deux groupes : par exemple, les
Anglais (16 pour cent d'individus Rhésus
négatif) diffèrent des Basques (25 pour
cent) de 9 pour cent, et des Asiatiques de
l'Est de 16pour cent: dans le second cas,
la différence supérieure correspond pro-
bablement à une séparation antérieure.
En pratique, les généticiens effec-
tuent des opérations un peu plus com-
plexes que la soustraction afin d'obtenir
des distances génétiques qui reflètent au
mieux l'histoire évolutive des popula-
tions. Quand une même population est
scindée en plusieurs groupes qui sont
totalement isolés les uns des autres, par
exemple, ces groupes se différencient
génétiquement même en l'absence de
mutations et de sélection naturelle : seul
le hasard modifie leurs fréquences
géniques par un mécanisme de «dérive
génétique».
En l'absence de forces évolutives
particulières, la distance génétique entre
deux populations augmente régulière-
ment au cours du temps : elle est
d'autant plus grande que la divergence
entre ces populations est plus ancienne.
Les distances génétiques peuvent-elles
alors être une sorte d'horloge qui date-
rait les événements de l'histoire
humaine? Difficilement, car des ana-
lyses statistiques montrent qu'un seul
gène (telle gène Rhésus) est insuffisant
pour fournir une chronologie précise.
Pour déterminer les distances géné-
tiques, on doit calculer des moyennes
sur de nombreux gènes et, idéalement,
on devrait comparer les résultats obte-
nus à ceux qui proviendraient d'autres
ensembles de gènes. Fort heureusement,
on connaît des milliers de gènes, bien
que peu d'entre eux aient été étudiés
dans de nombreuses populations.
Les distances génétiques conduisent à
plusieurs types d'arbres généalogiques.
TI
y a 27 ans, Anthony Edwards, de
Cambridge, et moi avons publié un arbre
qui reliait 15 populations en nous fondant
sur le principe du «chemin génétique
minimal». Comme l'indique le nom de ce
principe, dû à A. Edwards, l'arbre établi
est celui dont la longueur totale des
branches est minimale. Lorsqu'on le pro-
jette sur une carte du monde afin que ses
extrémités soient situées sur les habitats
actuels des populations, cet arbre corres-
pond approximativement aux migrations
anciennes reconstituées par les anthropo-
logues (voir lafigure 2). On ignore mal-
heureusement si le chemin génétique
minimal est la meilleure méthode pour
construire un arbre à partir des données
génétiques. D'autres méthodes pourraient
donner des longueurs de branches plus
proportionnelles au temps écoulé et pro-
curer ainsi une meilleure estimation des
dates de séparation des divers groupes
(voir la figure 3). On peut définir la
racine de l'arbre reliant les populations à
un groupe extérieur, par exemple au
groupe des chimpanzés, dont l'espèce
humaine semble s'être séparée il y a cinq
à sept millions d'années. Si l'on admet
que la vitesse d'évolution est identique
sur les différentes branches, leur longueur
pourrait être proportionnelle au temps
écoulé depuis leur individualisation.
Cependant de tels arbres sont erronés si
toutes les branches n'ont pas évolué à la
même vitesse.
Les vitesses d'évolution
On minimise les erreurs en utilisant des
modèles mathématiques qui permettent
d'estimer avec précision les vitesses
d'évolution. Le modèle d'évolution que
nous avons utilisé est le plus simple: il
postule que deux branches évoluent à la
même vitesse quand la dérive génétique
est la principale force évolutive et
quand les populations ont la même taille
en moyenne. La première hypothèse a
été démontrée par plusieurs observa-
tions indépendantes, et la seconde est
rendue très probable lorsqu'on choisit
les populations de façon adéquate. Les
vitesses d'évolution ont des chances
d'être constantes pour les grandes popu-
lations vivant sur de vastes territoires
depuis leur installation originale.
Avec Paolo Menozzi, de Parme, et
Alberto Piazza, de Turin, j'ai établi une
méthode d'analyse commune de l'his-
toire et de la géographie des gènes
humains. Durant 12 ans, nous avons
analysé l'ensemble des données géné-
tiques accumulées au cours des 50 der-
nières années sur plus de 100 caractères
génétiques différents, provenant d'envi-
ron 3 000 échantillons issus de
1 800 populations ; la plupart de ces
échantillons comportaient des centaines
ou des milliers d'individus. Ces don-
nées (que nous nommerons l' «ensemble
classique») sont indirectement dérivées
des protéines, les produits des gènes.
Récemment nous avons comparé ces
données à un second ensemble : des
données moléculaires sur les séquences
nucléotidiques de l'ADN,c'est-à-dire les
gènes eux-mêmes (et non plus les carac-
tères génétiques exprimés par les indivi-
dus). La plupart de ces données molécu-
laires ont été collectées durant sept ans
par mes collègues de l'Université de
CORÉEN INUIT AZTÈQUE AUSTRALIEN
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ARCTIQUE AMÉRICAIN PACIFIQUE
YANOMANO POLYNÉSIEN MAORI MÉLANÉSIEN
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POUR LA
SCIENCE 43