Extrait du livre PDF

publicité
00446_couv_v1.indd 1
n° 00446, pel. BR., format : 210x297, dos=13.7 mm
24/03/2014 14:49:24
Quand Louis XIV brûlait le Palatinat...
Collection « Diversités »
Dirigée par Hedi SAIDI, historien.
Cette collection est destinée à présenter les travaux théoriques,
empiriques et pratiques des chercheurs scientifiques, et des acteurs
sociaux. Elle a vocation à publier des ouvrages essentiellement
universitaires, traitant des rapports sociaux, de la mémoire, de
l’histoire et de l'altérité. Elle se propose de constituer un portail
d’accès à l’étude des sociétés contemporaines et offrir une
plateforme d’échanges à des chercheurs de plusieurs disciplines.
La collection entend faire connaître la production française dans
les domaines historiques et sociologiques mais aussi relayer les
travaux de chercheurs étrangers et devenir ainsi un point d’appui
dans le développement des échanges scientifiques au niveau
international en sciences humaines et sociales.
Comité scientifique international : ARFAOUI Khémais – Université
de Tunis, Tunisie ; BARBOUCHI Sarah – Université de Toulouse-Le
Mirail, France ; BELGACEM Brahim – Université de Tunis, Tunisie ;
BELLAMINE Meriem – Université de Tunis, Tunisie ; BELKHOJA
Chedly – Université de Moncton, Canada ; BENSEDRINE Lamjed –
Tunisie ; BOUCHER Colette – Université Laval, Canada ; BRICHARD
Christiane – Belgique ; COSTEA Simion – Université de Targu Mures,
Roumanie ; DAHMANI Said – Université de Toulouse 1, France ;
DRAME Patrick – Université de Sherbrooke, Canada ; JOLIOT Bernard
– universitaire, France ; LABORI Michel – historien, France ; MANAA
Ammar – Université de M’sila, Algérie ; MEKKI Nidhal – Université de
Tunis, Tunisie ; M’RABET Tarek – CCMA, France ; PRIMEAU Marie
Douce – Université de Montréal, Canada ; SAPICAS Marina – France ;
SAYAH Jamil – Université de Grenoble, France ; SAYAH Mansour –
Université de Toulouse-Le Mirail, France ; SOW Abdoulaye – Université
de Nouakchott, Mauritanie ; TADLAOUI Jamal-Eddine – Université de
Sherbrooke, Canada ; TITO Anna – journaliste, Italie.
Déjà parus
Jamil SAYAH, La révolution tunisienne : la part du droit, 2013.
Michel ROUSSEAU
Quand Louis XIV brûlait le Palatinat...
La guerre de la Ligue d’Augsburg
et la Presse
© L’Harmattan, 2014
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris
http://www.harmattan.fr
[email protected]
[email protected]
ISBN : 978-2-343-01536-1
EAN : 9782343015361
SOMMAIRE
AVANT-PROPOS ..........................................................................................................
13
CHAPITRE I
Prélude à la guerre ..................................................................................................... 17
CHAPITRE II
Mélac (1688-1689) .................................................................................................... 23
CHAPITRE III
« Qu’il n’y reste pierre sur pierre » Lettre de Louvois du 20-01-1689
La prise de Mannheim (novembre 1688) .................................................................... 37
CHAPITRE IV
Arrêt sur image : la société allemande au XVIIe siècle .................................................. 55
CHAPITRE V
Le présage des temps de malheur ............................................................................... 97
CHAPITRE VI
Guillaume III et Louis XIV : le duel ......................................................................... 123
REMERCIEMENTS .....................................................................................................
201
ANNEXES .................................................................................................................
203
BIBLIOGRAPHIE SUCCINCTE ......................................................................................
219
CHRONOLOGIE SOMMAIRE ........................................................................................
221
TABLE DES ILLUSTRATIONS
...................................................................................... 223
Elisabeth-Charlotte von der Pfalz, Reiss-Engelhorn-Museum, Mannheim.
Louis XIV, Wvon Seidlitz, Allgemeines Historisches Portraitwerk-München 1884.
8
Château de Heidelberg, Merian 1645.
9
Philippe-Guillaume von der Pfalz, Stadt Muséum Düsseldorf.
Léopold I, Kaiser, Stadtmuseum Düsseldorf.
10
Cartes anciennes du Palatinat, Bruxelles Albertine.
11
AVANT-PROPOS
« Quand Louis XIV brûlait le Palatinat... ». Il suffit de sortir de l’oubli les documents du
temps et surgit alors dans un décor rougeoyant la silhouette équestre de Mélac, cet homme
de guerre français dont le nom claque comme une mâchoire qui se referme... Un autre
personnage aussi retiendra l’attention, le prince Guillaume d’Orange, un adversaire résolu
de Louis XIV pendant trente ans ; on le suivra plus particulièrement durant la période
qualifiée en France de « Guerre de la Ligue d’Augsbourg » (1688-1697), la tradition anglosaxonne préférant employer l’appellation plus neutre de « Guerre de Neuf ans ».
Donner chair à ce XVIIe siècle, mettre en pleine lumière ces personnages à l’aide d’un
choix de documents souvent inédits, telle est l’ambition de cet essai. Parmi ces documents,
une place privilégiée sera accordée à des « Flugblätter » surtout allemands, ces « images
volantes » de format in folio, imprimées d’un seul côté et comportant sur le même thème
texte et illustration. Chaque feuille était vendue séparément sur le marché à la discrétion
des colporteurs.
Et le présent ouvrage est donc un recueil de ces fragiles papiers, épaves miraculeusement
venues jusqu’à nous. Chacune de ces images s’accompagne à la page voisine d’un
commentaire qui s’efforce « d’éclairer » l’illustration et le texte. Celui-ci est rapporté en
italique. Au lecteur de vagabonder à travers l’ouvrage, de bousculer la chronologie en se
penchant sur tel ou tel « Flugblatt » qui aiguise sa curiosité.
Ces images volantes inédites en français pour la plupart, seront donc au coeur de cet
essai avec une préoccupation essentielle : comment rapportent-elles ce « Siècle de fer », le
XVIIe siècle ?
Imitons aussi ces lecteurs du temps qui déjà maniaient la lentille pour approcher les fins
détails de ces gravures.
Un peu de géographie...
Aujourd’hui le Land Rheinland-Pfalz avec ses 19840 km2 est sensiblement plus étendu
que le Palatinat du XVIIe siècle. Ce dernier se situait essentiellement dans cette plaine du
Rhin moyen sur 30 km est-ouest et une centaine de km nord-sud. Cette plaine est fermée
au nord par le massif du Taunus et le Rhin doit alors bifurquer vers l’ouest (au niveau de
Mayence) en traçant la « percée héroïque » à travers le Massif schisteux rhénan.Au sud
cette plaine du Rhin moyen se partage entre l’Allemagne (pays de Bade à l’est)et la France
(l’Alsace à l’ouest). Cette plaine du Rhin moyen s’est constituée à partir de l’époque
tertiaire quand la naissance des Alpes a provoqué des bouleversements, en particulier
l’ouverture d’un profond Graben (fossé d’effondrement).
Du tertiaire au quaternaire s’effectue le comblement de ce fossé par divers matériaux
parmi lesquels émergent des grés triasiques qu’un géographe qualifiait de « malheur
national allemand ». Ceux-ci donnent en effet des sols pauvres laissés souvent à la forêt de
sapin... Et le sapin de Noel est né dans ces régions ! Mais les sols fertiles ne manquent pas,
avec de riches cultures dans un paysage d’openfield. Sans oublier, au pied des hauteurs de
l’ouest, les vignobles de la Weinstrasse et à l’est les vergers de la Bergstrasse. Vignes et
cultures fruitières qui conviennent à la douceur climatique du monde rhénan. Douceur liée
à la faible altitude de cette région (moins de 100m). C’est dans cette plaine du Rhin moyen
que l’Histoire a façonné cet état du Saint-Empire appelé Palatinat.
Le Palatinat avant Louis XIV
Palatium désigne le mont Palatin, une des 7 collines de Rome, celle où L’empereur
Auguste construisit sa prestigieuse demeure. Durant le Haut-Moyen-Age, « Pfalz »,
« Palast » désignent les lieux qui accueillent la cour itinérante du souverain germanique
(Worms, Speier, Ingelheim... Mais apparaît aussi un personnage, « der Stammespfalzgraf »
le comte représentant du Palais impérial. Après l’an mil, der Pfalzgraf bei Rhein (Comes
Palatinus Rheni) se montre particulièrement actif. Dans la Bulle d’Or de 1356, sorte de
constitution du « Heiliges Römisches Reich Deutschen Nation » le Saint-Empire Romain
Germanique de la Nation Allemande, l’empereur Charles IV consacre un article entier aux
droits de son écuyer tranchant, der Pfalzgraf bei Rhein, l’un des 7 princes électeurs (la
monarchie impériale est élective) et vicaire imperial en cas de vacance du pouvoir impérial.
Mais Pfalz (Palatinat) désigne aussi le territoire sur lequel le Pfalz Graf bei Rhein exerce
son autorité, Heidelberg étant sa résidence.
Plus tard, l’électeur palatin Frédéric joue un rôle essentiel dans le déclenchement de la
Guerre de Trente ans qui bouleverse l’Allemagne (1618-1648).
Louis XIV et son royaume
Avant d’associer Louis XIV au Palatinat, allons à Versailles, car l’image du roi est
inséparable de Versailles. Non pas le château de briques et de pierres (côté ville), pieux
restes du rendez-vous de chasse paternel. Il n’est qu’un château digne du Roi-Soleil,
matérialisé par l’immense façade de pierre qui chatoie au soleil couchant. Façade
imposante à l’horizontalité magnifique qu’il faut apprécier à partir des jardins en se laissant
guider par l’auguste propriétaire, le roi en personne auteur du texte, manière de montrer les
jardins de Versailles. C’est de ce côté qu’il faut imaginer aussi les immenses charrois de
pierres et de terre alors qu’au plus fort de travaux pharaoniques quelque 30000 travailleurs
s’activent sans relâche. Puis en mai 1682, Versailles encore inachevé devient la résidence
définitive du Roi et de la Cour.
14
Derrière la façade prestigieuse, la Galerie des Glaces flanquée aux extrémités du Salon
de la Guerre et du Salon de la Paix. Parcours obligé des touristes d’aujourd’hui, parcours
imposé jadis aux ambassadeurs venus présenter au souverain leurs lettres de créance. Il
fallait défiler sous les torchères en argent massif et garder bonne contenance devant cette
débauche de magnificence. Mais l’historien s’interroge depuis longtemps : et si cette
architecture monumentale n’était qu’un trompe-l’œil baroque ? Au-delà de cette
extraordinaire machinerie théâtrale mettant en scène le Roi-Soleil, Versailles est-il un fidèle
miroir de la France de Louis XIV ?
Qu’en est-il du royaume de France en 1688, au moment où Louis XIV envahit le
Palatinat ?
La configuration du royaume n’est pas très différente de l’Hexagone d’aujourd’hui. Du
côté des terres d’Empire, la Lorraine connaît l’occupation française depuis 1670 et
l’annexion au royaume sur arrêt de réunion en 1682 (réunion : montage juridique
« légalisant » l’annexion). L’Alsace est acquise par Mazarin aux traités de Westphalie
de1648 et Louis XIV parachève l’œuvre de son mentor par l’occupation de Strasbourg en
1681. En terres d’Empire, trois forteresses, têtes de pont possibles en vue de nouvelles
conquêtes (Mont-Royal, Landau, Freiburg).
Mais c’est du côté des Pays-Bas espagnols que la frontière (concept flou au XVIIe
siècle) est volontiers disputée. L’Espagne n’a plus les moyens de tenir son rang et Louis
XIV « se paie sur la bête ». Aux traités d’Aix-la -Chapelle, (1668) de Nimègue (1678), ce
sont de larges lambeaux de la Flandres, de la Franche-Comté, que s’arroge le roi. Roi de
Guerre, Roi de Gloire « Nec pluribus impar » Pas inégal à plusieurs !
Le Roi a les moyens de ses appétits : Au plan démographique et partant au plan
militaire, la France est au premier rang en Europe avec quelque 20 millions d’habitants
(sans la Corse, la Savoie et le Comtat Venaissin).Le Saint-Empire saigné par la Guerre de
Trente Ans (1638-1648) se situe aux environs de 15 millions d’habitants en 1675, à la
même époque l’Espagne compte autour de 10 millions d’habitants, l’Angleterre 6millions
tandis qu’aux Provinces-Unies vivent moins de 2 millions d’habitants.
Ces estimations globales doivent être nuancées : quel que soit le pays, il faut insister sur une
certaine fragilité démographique. Comme jadis, la mort est une faucheuse imprévisible.
Il suffit d’un dérèglement climatique, du passage d’hommes de guerre pour que la
disette frappe et que les « pestes » déciment la population. Notons le frémissement d’une
démographie nouvelle avec le recul de l’âge au mariage dans différents endroits d’Europe
(exemple : Genève première moitié du XVIIe siècle, les hommes ne convolent pas avant
l’âge de 29 ans ! Mesure radicale de limitation des naissances à une époque où le neuvième
commandement a force de loi. Mais J.-P. Bardet (op.cit.) a relevé les premiers indices d’un
timide contrôle des naissances dans la ville de Rouen à la fin du XVIIe siècle. Les couples
de notables rouennais connaissent alors une baisse de l’indice de fécondité par la pratique
du coït interrompu, pratique pourtant condamnée par l’Eglise.
Le roi de France en 1688
Il est bon de se rapprocher de Louis XIV à la veille de 1688, c’est à dire avant qu’il ne
fête ses cinquante ans et qu’il n’envahisse le Palatinat. Le 30 juillet 1683, meurt la reine de
15
France Marie-Thérèse, le seul chagrin que cette princesse aurait causé à son royal époux...
Aux dires de l’intéressé. Lequel imposa à Marie- Thérèse sa kyrielle de maîtresses dont la
marquise de Montespan. Les huit enfants nés de cette liaison nécessitent les secours d’une
gouvernante, ce sera Françoise d’Aubigné, de petite naissance mais de grande beauté
(surnommée la « belle indienne » après un séjour de jeunesse aux Antilles). Depuis 1674 la
veuve Scaron tisse sa toile, Françoise d’Aubigné avait épousé le poète Scaron mort en
1660. Marquise de Maintenon par la grâce du roi (Madame de Maintenant disent les
méchantes langues), elle guide si bien Sa Majesté sur les chemins de la vertu que bientôt
les liens sacrés du mariage uniront les deux veufs. En octobre 1683, deux mois après le
décès de Marie-Thérèse, aura lieu en secret le mariage privé célébré par le père La Chaize
en présence de Louvois. Et c’est ce couple austère qui donne le ton à une Cour devenue
ennuyeuse... Madame Palatine, seconde épouse de Monsieur frère du roi n’a que fiel pour
la nouvelle épousée. Dans les courriers envoyés hors du royaume (et ouverts par la censure
royale), Madame qualifie volontiers la marquise de Maintenon de « alte Zotte » Zotte, poil
du pubis, traduisons librement « vieille conne ». « La vieille conne et le père La Chaize ont
persuadé le roi que tous les péchés que Sa Majesté avaient commis avec la Montespan seraient
absous s’il harcelait et chassait les Réformés et que c’était le chemin qui le conduirait au Paradis.
Le pauvre roi l’a crue fermement, car de sa vie, il n’avait lu un seul mot de la Bible » (Van der
Cruysse, op.cit., page 295). Jugement porté en 1719 sur la Révocation de l’édit de Nantes
de 1685. Madame, une femme cultivée et intelligente, un témoin parfois excessif mais
toujours précieux.
Mais rapprochons-nous encore davantage du roi. En 1685, le roi a 47 ans, il lui reste
une dent à la mâchoire supérieure et toutes les dents de la mâchoire inférieure sont
infectées. Une intervention maladroite des barbiers lui a enlevé une partie du palais et
quand le patient boit, le liquide lui coule par le nez (Petitfils, op.cit., 553). Mais c’est en
1686 que les ennuis de santé du roi s’aggraveront : une fistule à l’anus nécessitera deux
interventions chirurgicales très douloureuses à l’époque où l’anesthésie est inexistante. Un
homme accompagnera le roi dans cette épreuve, Louvois. L’Hôtel du ministre accueille
dans le plus grand secret le chirurgien Félix chargé de se faire la main sur un certain
nombre de fistuleux. Le 18 novembre 1686 à 9h00 l’opération est pratiquée secrètement à
Versailles. Dans une pièce attenante, Madame de Maintenon prie. Au chevet du roi ses
deux médecins, son chirurgien et Louvois. Le roi tient la main de Louvois. Scène
extraordinaire. Laissera-t-elle des traces dans les relations entre le roi et son ministre ?
Deux ans plus tard, c’est la guerre, c’est leur guerre... Le 16 juillet 1691, au sortir du
cabinet du roi, Louvois s’effondre, foudroyé par une crise d’apoplexie. Des rumeurs
circulaient évoquant une disgrâce prochaine. Saint-Simon, perfide, observe sur le visage du
roi « un je ne sais quoi de leste et de libéré ».
16
CHAPITRE I
Prélude à la guerre
Dès les débuts de son règne personnel, Louis XIV est prompt à saisir les occasions de
faire la guerre. Ainsi le décès de son beau-père Philippe IV l’amène à intervenir en 1667
aux Pays-Bas espagnols. La paix est rétablie par le traité d’Aix-la Chapelle signé le 2 mai
1668. Mais le répit est de courte durée, le 6 avril1672, Louis XIV déclare la guerre aux
Provinces-Unies. La guerre se généralise par la signature le 30 août d’un traité d’alliance
entre les Provinces-Unies, l’Espagne et l’Empereur. La France résiste à cette coalition et la
paix est rétablie par les traités de Nimègue (1678-1679).
La France est en paix avec ses voisins mais une paix « musclée » car s’inaugure alors une
politique française dite des « réunions ». A Metz, ville française depuis le XVIe siècle, il est
créé en novembre 1679 une Chambre nouvelle du Parlement chargée d’examiner les
anciens traités afin de découvrir les « dépendances » dont on avait négligé l’annexion. Ainsi
en Alsace, Lauterburg et Gemersheim, possessions de l’Electeur Palatin, furent « réunies »
à la Couronne en qualité de dépendances de l’abbaye de Wissembourg, déjà dans le
royaume. Les arrêts de réunion du 5 avril et du 2 août 1682 rattachent à la France une
autre terre d’Empire, la Lorraine. Quant à la prise de la ville impériale de Strasbourg en
septembre 1681, elle répond à des considérations stratégiques avec des justifications
juridiques pour le moins douteuses. Durant la même année, la Chambre des réunions de
Metz découvrit que Luxembourg, possession espagnole, était une dépendance du Comté
de Chimay, lui-même dépendance de l’évêché de Metz... L’occasion était trop belle, mais il
fallut, par décence attendre quelque peu. Des négociations avec l’Espagne étaient en cours
et surtout Louis XIV fit connaître sa volonté de respecter une trêve, fin juillet 1683, au
moment où le Turc menaçait Vienne. Ce n’est donc qu’en juin 1684 que Vauban offrit la
citadelle de Luxembourg à son auguste maître. Mais l’idée de trêve faisait son chemin et le
15 août 1684 la France l’Espagne et l’Empereur signaient la trêve de Ratisbonne censée
durer 20 ans. La France gardait mais à titre précaire (20 ans) les réunions réalisées depuis
la paix de Nimègue.
En 1685, Louis XIV semble surtout préoccupé d’affaires intérieures, appliquer l’adage
« une foy, une loy, un roy » et se poser en champion de la Contre-Réforme catholique. Ceci
aboutit à l’édit de Fontainebleau du 17 octobre 1685 qui interdit l’exercice du culte
réformée dans le royaume. Les années 1686-1687 semblent surtout marquées par la
« grande maladie » du souverain, ce qui, conjugué aux influences apaisantes de Madame de
Maintenon et du Père La Chayze, ne porte pas aux travaux guerriers.
Mais deux fortes personnalités, le Prince d’Orange et le duc du Neuburg s’efforcent de
rassembler l’Empire, l’Espagne et les Provinces-Unies face aux empiétements français.
C’est la Ligue d’Augsburg (9 juillet 1686) aux ambitions limitées, maintenir les traités de
Westphalie, de Nimègue et la trêve de Ratisbonne.
Puis ce fut le coup de tonnerre du Mémoire des raisons qui ont obligé le roy à reprendre les
armes en date du 24 septembre 1688. La réponse impériale parut d’abord en latin, langue de
la chancellerie impériale le 18 octobre 1688 (Textes en annexe).
« Mémoire des raisons... »
C’est vraisemblablement au Conseil du 20 août 1688 que la décision d’agir est arrêtée,
sans plus de précisions car les réunions du Conseil d’En-Haut (le roi et quelques ministres
d’état) ne s’accompagnaient d’aucun procès-verbal de séance. On observe cependant que
Louvois lance après le 20 août une série de dispositions militaires. Ce qui laisse à penser
que c’est au cours de ce Conseil d’une longueur inhabituelle que Louis XIV prit la décision
d’ouvrir les hostilités. Le 27 septembre le Manifeste est envoyé au représentant du roi à la
Diète d’Empire de Ratisbonne, accompagné des consignes suivantes : « Je désire que vous
rendiez public l’imprimé qui regarde mes propositions... en sorte que touz lez ministres et députés
des Electeurs, Princes et Estatz en ayent connaissance et comme j’en envoye en mesme temps dans
toutes les Cours d’Allemagne, on puisse délibérer au plus tost sur l’acceptation ou le refus, ce
premier party devant assurer le bonheur de toute la Chréstienté et l’autre donner commencement à
une guerre de longue durée (Boutant 837).
A Paris, la diffusion était assurée chez Jean-Baptiste Coignard, imprimeur du Roi. Un
document de 12 feuillets in octavo au titre contrasté : « Mémoire des raisons qui ont obligé à
reprendre les armes... pour l’affermissement de la tranquillité publique » Titre menaçant et
rassurant à la fois mais qui n’en sonne pas moins comme un ultimatum. Le roi accorde à
l’Empereur un délai « conditions acceptées dans le mois de janvier prochain » (annexe page 12).
Conditions qui ne tiennent pas en 12 pages mais en 12 mots : remplacer par une paix
définitive la trêve de Ratisbonne conclue pour 20 ans. En clair, les « réunions », c’est à dire
les annexions françaises au détriment de l’Empire deviendraient définitives dans le nouveau
traité. Ajoutons, ultimatum certes, mais d’un genre particulier car sans attendre janvier, le
roi entreprendra immédiatement des actes de guerre : « assiéger Philipsbourg, comme la place
la plus capable de faciliter à ses ennemis l’entrée dans ses états » (page 10). Et cette hâte
guerrière, le Manifeste la justifie amplement : « Le dessein que l’Empereur a formé depuis
longtemps d’attaquer la France »Cette affirmation est martelée à cinq reprises (pages 1, 3, 4,
5, 8) assortie d’une autre affirmation : « Ils se sont enfin déterminez à faire la paix avec les
Turcs. »Propos audacieux, la paix n’interviendra qu’en 1699. Il est vrai que depuis 1686 le
Turc a subi des revers, il est moins redoutable aux yeux de l’Empereur mais il reste
toujours l’ennemi héréditaire (Erbfeind). Selon le Manifeste, il existe aussi deux affaires qui
prouvent les intentions belliqueuses de l’Empereur, la succession palatine et l’affaire
Fürstenberg. Examinons ces deux affaires :« personne n’ignore le droit incontestable qui
18
appartient à Madame, belle-sœur de Sa Majesté, sur la succession de l’Electeur Palatin son frère »
(page 4). Le droit germanique raisonnait autrement, d’autant que le contrat de mariage
signé à Versailles le 6 novembre 1671 prévoyait une clause de renonciation à tous les biens
situés en Allemagne. Il est vrai aussi que le montant de la dot de la Princesse Palatine avait
été laissé en blanc. Le père de l’épousée ne roulait pas sur l’or...
Le 20 août 1685, l’abbé Morel chargé à Heidelberg des intérêts de Madame écrivait au
roi : « Je n’ose asseurer qu’il n’y a plus rien à prétendre de ce Prince par voye de négociation »
(Boutant).
Ce prince succédait au frère de Madame, mort sans postérité. Il s’agissait de PhilippeGuillaume, duc de Neuburg. Agé de 70 ans en 1685, Philippe-Guillaume était un prince
chanceux. Sa femme lui donna quatorze enfants et quatre mariages avaient accru l’éclat de
sa Maison : sa fille aînée Eleonore avait épousé l’Empereur Léopold, son fil aîné avait
épousé Maria-Anna d’Autriche tandis que sa seconde fille, la princesse Sophie avait
convolé avec le roi du Portugal au grand dam de Louis XIV qui désirait à Lisbonne une
princesse française. Enfin une troisième fille avait épousé le roi Charles II d’Espagne, veuf
de Louise d’Orléans. La fécondité des Neuburg était proverbiale mais de là à accomplir des
miracles...
Le Manifeste fait du duc de Neuburg une sorte de personnage maléfique attisant le
différend entre Léopold Ier et Louis XIV. Il est vrai qu’outre la succession palatine et le
mariage portugais, Philippe -Guillaume utilise son entregent. Strattmann, chancelier
d’Empire, est un de ses anciens collaborateurs et Philippe-Guillaume a l’oreille de son
gendre l’Empereur. Bref « le parti du Neuburg » est actif dans l’entourage de Léopold Ier.
« Et les ligues qu’il a formées ? » (page 5). Il est vrai qu’il a œuvré à la réalisation de la
Ligue d’Augsburg. Mais le véritable maître d’œuvre de la ligue signée le 9 juillet 1686 entre
l’Espagne et l’Empire était Guillaume d’Orange. Sa finalité ? Le respect des traités de
Münster, de Nimègue et de la trêve de Ratisbonne. Dans une lettre circulaire à ses
ambassadeurs (août 1686), Louis XIV traite cette ligue avec désinvolture : « Je ne suis pas
persuadé que le traité de ligue... puisse être d’une grande utilité à la Cour de Vienne ni ailleurs ; et
vous pouvez tesmoigner beaucoup d’indifférence sur ce qui s’en débite au lieu où vous estes »,
Boutant 399).
Dans un mémoire du 1er juin 1685, les revendications de Louis XIV portaient sur la
moitié du Palatinat. Dans le Manifeste de 1688, le roi se contenterait d’un « dédommagement en argent » (page 12) pour peu que le nouveau traité voie le jour...
Reste l’affaire Fürstenberg. Le cardinal Fürstenberg était le candidat de Louis XIV au
siège électoral de Cologne. Depuis longtemps les princes électeurs favorables à la France
bénéficiaient des libéralités du Roi-Soleil (« Les louis de Louis »). Dans le langage des
chancelleries, on les désignait sous le vocable de « bien intentionnés ». Les meilleures
années, Louis XIV disposait d’une majorité à la Diète de Ratisbonne grâce au vote des
représentants des Princes Electeurs « bien intentionnés ». Depuis 1687, il ne reste que deux
bien intentionnés, les Princes-Electeurs -Archevêques de Cologne et de Mayence. Le 4 juin
1688, le Prince-Electeur de Cologne meurt. Deux candidats à ce siège : le cardinal
Fürstenberg soutenu par Louis XIV et le Prince Clemens, frère de l’Electeur de Bavière.
Perdre l’Electorat de Cologne, ce serait perdre une principauté alliée qui compte par sa
population, son économie et sa position- clef sur le Rhin. Ce serait une défaite cuisante
pour la diplomatie du Roi-Soleil. Sur quelles fidélités pourrait-on compter en Allemagne
19
Téléchargement