affairescommunication Réseaux sociaux : de nouvelles perspectives pour la publicité Ernestine Gauthey En plein développement au Liban, les réseaux sociaux, largement dominés par Facebook, représentent un potentiel important pour la publicité. a publicité sur Internet a un fort potentiel de croissance », lit-on dans le troisième rapport sur les médias arabes publié en février dernier par le Club de la presse de Dubaï et Value Partners. D’après ce document, le taux de croissance de la publicité en ligne au Liban pourrait être de 47 % entre 2009 et 2013. Les réseaux sociaux, Facebook en tête, pourraient en être les principaux bénéficiaires. D’après une étude publiée le 13 mai par ComScore sur la publicité en ligne aux ÉtatsUnis, le site qui a enregistré au premier trimestre 2010 le nombre d’impressions publicitaires le plus important (176 307, soit 16,2 % du total) n’était autre que Facebook. De tels chiffres ne sont bien sûr pas disponibles au Liban, mais les différents acteurs locaux de la publicité en ligne interrogés convergent sur un point : depuis un an environ, les annonceurs libanais se lancent dans la publicité sur les réseaux sociaux. En témoignent les campagnes de plus en plus nombreuses qu’on peut voir en particulier sur Facebook : Sayfco, Eurojar, ou encore Crest et son jeu concours en partenariat avec Femme Magazine. « Dès 2007, certaines entreprises libanaises ont commencé à utiliser ces réseaux en complément des campagnes publicitaires réalisées sur les autres médias. Aïshti, par exemple, a été l’une des premières à avoir systématiquement un budget réservé à Facebook, explique Élie Achkouty, directeur commercial de la régie publicitaire Adline Media Network. Aujourd’hui, nous réalisons de plus en plus de campagnes sur les réseaux sociaux. » «L UN CIBLAGE PRÉCIS Outre le développement de l’utilisation de ces réseaux au Liban (Facebook annonçait mi-juillet 962 440 comptes actifs au Liban, ce qui en fait de loin le réseau social le plus utilisé dans le pays, malgré une légère baisse constatée ces derniers mois), plusieurs éléments expliquent cet engouement. En premier lieu, la précision du ciblage que l’on peut réaliser lorsqu’on achète des bannières sur ces réseaux, grâce aux données renseignées par les utilisateurs lors de l’ouverture de leur compte. Mais aussi grâce aux groupes qu’ils rejoignent ensuite et aux différentes informations qu’ils partagent sur ces réseaux. Sur Facebook, par exemple, il est possible de cibler un public en fonction du pays, de l’âge (plus de 30 % des inscrits au Liban ont entre 25 et 34 ans), du sexe (près de 55 % sont des hommes), de la langue (plus de 92 % utilisent l’anglais), de leur situation amoureuse (célibataire ou marié), de leur niveau d’études et de leur emploi. Le réseau social va même plus loin : il permet de déterminer un groupe ayant un intérêt commun (40 800 inscrits sur Facebook au Liban aiment par exemple le chocolat) et de lui adresser des publicités adaptées. Facebook n’est bien sûr pas le seul à proposer ce type de ciblage très précis : Myspace, aujourd’hui dépassé, a été l’un des premiers à le proposer, et d’autres réseaux tels que Jeeran, Maktoob ou Linkedin le permettent également. En avril dernier, le PDG de Facebook, Marck 78 - Le Commerce du Levant - Août 2010 La précision du ciblage sur les réseaux sociaux, grâce aux données renseignées par les utilisateurs, exlique l’engouement des publicitaires Zuckerberg, a même annoncé un nouveau système, “Instant personalization”, qui permet à des entreprises partenaires de partager les données personnelles des utilisateurs pour leur proposer une navigation personnalisée. Exemple : un utilisateur qui cliquerait sur le bouton “J’aime” d’un film sur le site IMDB (une base de données spécialisée sur le cinéma) se verrait ensuite proposer des publicités pour l’achat du DVD correspondant. En clair, il s’agit d’outils permettant d’aller plus loin dans la collecte des données personnelles pouvant être utilisés par les publicitaires. Un dispositif qui rappelle étrangement “Beacon”, une fonctionnalité similaire présentée par Facebook en 2007 et qui avait dû être enterrée devant la fronde des utilisateurs. Cette fois-ci, après des protestations nombreuses et une plainte portée par des avocats américains, Facebook a seulement promis d’améliorer et de faciliter la gestion des paramètres de confidentialité des utilisateurs du réseau. La vague de protestations a donc pris de l’ampleur : deux Canadiens ont même lancé le Quit-Facebookday, le 31 mai dernier, pour inciter les utilisateurs à fermer leurs comptes Facebook. qu’ils sont déterminés en fonction du ciblage et du message (certains mots-clés étant plus onéreux que d’autres). Sur les réseaux sociaux, les données concernant les campagnes elles-mêmes sont également très précises, ce qui permet aux annonceurs d’obtenir un feedback précieux et quasiment immédiat sur l’impact des bannières achetées. Ils peuvent ainsi calculer et maîtriser le retour sur investissement. Enfin, les coûts, variables mais relativement bas, ont achevé de convaincre les annonceurs. Sur ces réseaux, ils ont le choix de payer au nombre d’impressions (nombre de fois où une publicité s’affiche) ou au nombre de clics. En revanche, les prix varient fortement d’un réseau à l’autre (Linkedin est par exemple réputé plus cher que Facebook), mais surtout d’une publicité à l’autre puis- La création de publicités sur Facebook est par ailleurs extrêmement rapide et facile : « Un jeu d’enfant », confiait même un responsable marketing. En quelques clics, il est possible de créer avec un texte une image et un renvoi vers une page web ou Facebook une publicité de 110 par 80 pixels qui s’affichera dans la colonne de droite des pages Facebook des utilisateurs ciblés. « N’importe qui peut créer sa publicité pour la diffuser sur Facebook, confirme Karim Saikali, fondateur d’EcomLebanon.com. Il est donc très difficile d’évaluer le volume de publicités réalisées au Liban sur ce réseau social. » D’autant que l’achat de bannières sur Facebook peut être réglé via Paypal, un outil de paiement en ligne sécurisé, pratique pour les petits montants. Pour acheter une bannière plus grande sur la page d’accueil des utilisateurs de Facebook, il faut en revanche passer par le représentant exclusif du réseau dans la région, Connect Ads, une agence web basée au Caire qui représente également MSN. D’une certaine manière, l’essor de la publicité sur les réseaux sociaux bouleverse les pratiques des agences et des régies publicitaires qui tentent de garder la main sur la conception et la réalisation des campagnes. « Si on veut savoir exactement quel réseau est le plus adapté par rapport à un public spécifique, dans un pays donné, cela devient compliqué, détaille un responsable marketing. On voit donc des gens qui reviennent vers les professionnels après avoir essayé de faire eux-mêmes leurs campagnes. » Élie Achkouty, directeur commercial chez Adline Media Network « Jusqu’à 2009, 75 à 80 % des espaces publicitaires que nous vendions en ligne se concentraient sur des sites classiques, en particulier ceux des journaux. Mais la situation s’est renversée depuis un an : aujourd’hui, les trois quarts des espaces publicitaires que nous vendons en ligne sont sur les réseaux sociaux, et en premier lieu sur Facebook. Viennent ensuite MSN, puis YouTube et les autres. Quant aux sites panarabes tels que Jeeran ou Maktoub, très utilisés dans les pays arabes, ils ne sont pas efficaces pour de la publicité ici. C’est une des particularités du Liban. » Yann Rotil, directeur associé d’Ebizproduction « Il y a deux principaux points d’entrée sur le web : Google et Facebook. L’audience est concentrée sur ces deux sites. L’intérêt principal de Facebook réside dans la précision du ciblage et dans les outils d’analyse qui permettent de connaître précisément le parcours de l’internaute : s’il a cliqué sur une publicité pour se rendre sur un site de e-commerce, est-ce qu’il a fait ensuite un achat et, si oui, quel est le montant du panier moyen ? C’est très rassurant pour le client et cela permet de gérer les campagnes avec une grande finesse et en temps réel. » Karim Saikali, fondateur d’EcomLebanon.com « Facebook assure une grande visibilité pour un petit budget, ce qui est intéressant pour des campagnes d’image et de notoriété de marques. Mais pour que cela devienne vraiment efficace, il faut combiner l’achat de bannières avec des renvois vers une page Facebook. Cela suppose d’animer sa page de manière efficace, en la mettant à jour régulièrement et en proposant par exemple des offres promotionnelles réservées aux utilisateurs de Facebook. » DES COÛTS MODÉRÉS “UN JEU D’ENFANT” 79 - Le Commerce du Levant - Août 2010 affairescommunication QUELLE EFFICACITÉ ? Si les réseaux sociaux offrent une grande visibilité, ils ne génèrent pas forcément des retombées directes importantes. Sur Facebook en particulier, le taux de clics sur les publicités reste assez faible, de l’ordre de cinq ou six pour mille. D’autres réseaux permettent d’atteindre des taux de clics beaucoup plus élevés, par exemple de l’ordre de 73 pour mille sur Jeeran, un réseau social très utilisé dans la région, mais boudé par les annonceurs libanais. Les réseaux sociaux sont de ce fait utilisés pour l’instant, en complément des médias traditionnels, pour des campagnes visant pour l’essentiel à développer l’image d’une entreprise ou la notoriété de marques. Quelques contre- Line Abou Nasr, media manager chez Vertical « Aujourd’hui, nous avons des clients qui nous demandent spontanément de faire de la publicité sur Facebook. Il y a un effet de masse : puisque tout le monde y est, je veux y être aussi. Je crois également que la force de Facebook au Liban est liée aux mentalités, les gens adorent tout savoir. D’autres réseaux sociaux peuvent être intéressants, YouTube pourrait être beaucoup plus utilisé au Liban si la qualité des connexions Internet s’améliore. On peut mettre en ligne des spots publicitaires, en revanche l’option permettant de développer de véritables chaînes de marques sur YouTube, avec une page dédiée et un habillage spécifique n’est pas disponible au Liban. YouTube n’a ouvert ce service qu’aux entreprises basées aux États-Unis, au Canada, en France, en Allemagne ou au Royaume-Uni. » exemples, parmi lesquels le promoteur immobilier Sayfco, un des plus gros annonceurs en ligne au Liban, ont cependant déjà prouvé que la publicité sur les réseaux sociaux peut avoir un impact très important sur les ventes. Pour y parvenir, il ne suffit pas cependant de diffuser quelques bannières sur Facebook ou des vidéos sur YouTube. Pour Karim Saikali, il est nécessaire de développer une véritable stratégie combinant des bannières au sens classique, avec l’animation d’une page et d’un groupe. Là encore, les réseaux sociaux font éclater les frontières de la publicité : qu’il s’agisse d’une bannière achetée, d’une page, d’un groupe de fans, de discussions ou de vidéo-clips, tout peut être utilisé à des fins publicitaires. C Carla el-Assaad, responsable marketing chez Procter & Gamble pour les produits de beauté et d’hygiène au Moyen-Orient « Nous avions déjà mis quelques publicités sur Facebook, mais c’est la première fois que nous l’utilisons de manière aussi importante, en nous appuyant sur des groupes de fans, dans le cadre d’une campagne pour Crest au Liban. C’est le site le plus visité ici, alors il nous a semblé logique d’acheter des petites bannières sur Facebook, en complément des autres médias. Sur ce réseau, il y a aussi une culture de l’image : on aime partager ou montrer des photos. Ce qui correspondait à ce que nous cherchions pour ce concours. En moins d’un mois, nous avons eu presque 2 500 participants au concours. De nombreux consommateurs utilisent également leur page Facebook pour inciter leurs amis à voter pour un candidat. » 80 - Le Commerce du Levant - Août 2010 Trois questions à Chahé Yérévanian, PDG de Sayfco Holding Depuis quand utilisez-vous les réseaux sociaux à des fins publicitaires ? Nous avons commencé à faire un peu de publicité en ligne à la fin des années 1990, mais aujourd’hui cela représente 70 % de notre budget publicitaire. Et la moitié de la publicité que nous faisons en ligne est concentrée sur Facebook. C’est en 2009 que j’ai compris le potentiel de ce réseau social pour notre entreprise : pour les 50 ans de notre société, nous avons organisé une loterie avec un appartement d’un million de dollars à gagner, et nous avons créé une page Facebook avec un groupe. En moins de six mois, nous sommes arrivés à 12 000 fans. Quel est l’intérêt de Facebook ? Une grande partie de nos clients sont des Libanais expatriés ou des étrangers, or Facebook est le seul moyen de les joindre directement, quel que soit l’endroit où ils se trouvent. Nous avons donc continué à développer notre stratégie de publicité en ligne, en nous appuyant sur Facebook : c’est sur notre page Facebook que nous annonçons nos nouveaux projets et que nous offrons des promotions à nos fans, aujourd’hui plus de 120 000. C’est énorme, d’autant qu’il s’agit en majorité de Libanais expatriés, intéressés par l’immobilier et éventuellement prêts à investir. Avez-vous pu mesurer l’impact de vos campagnes sur les réseaux sociaux ? Pour le projet Horizon à Dbayé, nous avons annoncé début mai sur notre page Facebook une remise réservée à nos fans : 15 000 dollars pour un appartement de 145 mètres carrés. Nous avons vendu 52 appartements en moins de 24 heures, sans qu’aucune autre annonce n’ait été faite. Facebook génère d’excellents retours, surtout pour les appartements dont le budget est compris entre 100 000 et 300 000 dollars. Mais je crois que ce n’est qu’un début, car le potentiel de Facebook est énorme.