76 Médecine Le Matin Dimanche | 30 novembre 2014 En collaboration avec: www.planetesante.ch Prometteur, un vaccin contre le cancer est testé à Genève Essai clinique Une équipe des HUG utilise un dispositif implanté sous la peau pour aider le corps à combattre les cellules cancéreuses. Dans la première phase de test, quinze patients recevront le traitement. De quoi on parle Un outil de traitement parmi d’autres Vaccination contre le cancer: comment ça marche? Christian Bonzon Le vaccin contre le cancer testé par la start-up MaxiVax aux Hôpitaux universitaires de Genève combine l’injection de cellules tumorales inactivées (antigènes) avec l’administration locale d’un stimulant puissant du système immunitaire (immunomodulateur). $Les faits «Le Matin» l’annonçait la semaine dernière, les Hôpitaux universitaires de Genève testent, en collaboration avec la start-up MaxiVAX et l’EPFL, une vaccination novatrice contre le cancer. Au total, quinze patients bénéficieront de ce traitement expérimental mis en place par l’équipe du Dr Nicolas Mach, oncologue. Le vaccin permet de stimuler leur système immunitaire pour qu’il lutte contre les cellules cancéreuses. 1 Inactivation des cellules tumorales But: obtenir des composants de la tumeur (antigènes) qui pourront être reconnus par le système immunitaire $Si le traitement proposé par MaxiVAX 2 Production de l’immunomodulateur But: aider le système immunitaire à reconnaître les cellules tumorales et le stimuler pour qu’il détruise les cellules malades. Nouveauté de MaxiVax: offrir un traitement hautement spécifique à chaque patient voire même à chaque cancer Cellules génétiquement modifiées pour produire un immunomodulateur appelé GM_CSF Conditionnement des cellules dans une capsule poreuse laissant entrer les nutriments et l’oxygène et sortir le GM-CSF Prélèvement de cellules tumorales Congélation des capsules Implantation des capsules sous la peau à l’endroit ou est effectuée l’injection de cellules tumorales inactivées, puis retrait des capsules après une semaine Benoît Perrier [email protected] U tiliser contre le cancer «des armes qui sont déjà dans le patient». Voilà, selon le Dr Nicolas Mach, oncologue aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), le principe de base du produit thérapeutique pour lequel le premier essai clinique a débuté récemment au sein du Centre d’oncologie des HUG. Le but est d’aider le système immunitaire à détruire la tumeur: on parle d’immunothérapie. Quatre premiers patients, souffrant de cancer très avancé, en progression malgré les médicaments classiques, ont déjà reçu le traitement expérimental. Ils seront en tout quinze dans cette étude préliminaire que conduit le Dr Denis Migliorini. La piste suivie par l’équipe du Dr Mach consiste à «lancer» le système immunitaire à la poursuite des cellules cancéreuses en les lui présentant par des injections. C’est cet aspect d’«éducation» immunitaire qui permet de parler de technique de «vaccination thérapeutique». Contrairement à la vaccination habituelle, il s’agit de soigner et non de prévenir la maladie. Reconnaître la cible La méthode consiste donc à soumettre au système immunitaire des cellules de la tumeur du patient, rendues incapables de se diviser par irradiation. Ces cellules – qui mourront en une semaine – sont ensuite réinjectées sous la peau. De nombreuses équipes dans le monde font de la recherche sur la vaccination anticancéreuse. Quelle est donc la nouveauté du processus des chercheurs genevois? «La majorité des autres équipes utilisent des morceaux de protéines anormales, caractéristiques d’un type de tumeur, détaille le Dr Mach. Pour notre part, nous avons choisi d’utiliser des cellules entières. L’avantage de la méthode est qu’elle fournit aux défenses immunitaires de l’organisme un répertoire de cibles complet. Elle peut par ailleurs s’appliquer à tout type de cancer. L’inconvénient est qu’elle oblige à faire du sur-mesure: on ne peut pas utiliser les cellules de la tumeur de Mme Y comme cibles pour le système immunitaire de M. X.» Par ailleurs, le traitement n’est pas sans risque. La difficulté, en effet, est d’empêContrôle qualité Inactivation des cellules par irradiation sans autres manipulations afin de conserver tous les antigènes tumoraux 3 Réaction à l’intérieur du corps Congélation des cellules Les antigènes des cellules tumorales rendues inoffensives attirent les cellules immunitaires L’immunomodulateur stimule la réaction immunitaire Injection des cellules à un endroit sain cher que le système immunitaire ne se retourne contre le patient lui-même, «car les cellules cancéreuses qu’on lui a présentées partagent de nombreux composants avec les cellules saines de l’organisme», explique le professeur Pierre-Yves Dietrich, chef du service d’oncologie des HUG. Les premiers patients sont donc étroitement surveillés. «Doper» le système immunitaire Injecter les cellules cancéreuses inactivées dans le corps rappelle le principe même de la vaccination mais n’est en soi pas suffisant. Une telle injection n’a en effet pas d’effet sur le système immunitaire. «Il faut parallèlement améliorer la capacité du système de défense de l’organisme à reconnaître les cellules malades et à les identifier comme une cible à détruire.» Il s’agit, en quelque sorte, de réussir à «doper» le système immunitaire. Et c’est là que se trouve la deuxième particularité de l’essai genevois. Pour stimuler les défenses de l’organisme, l’équipe utilise une capsule longue comme une pointe de crayon. Ce dispositif médical, injecté sous la peau, contient des cellules humaines qui ne proviennent pas du patient. Ces cellules produisent un activateur puissant du système Les cellules immunitaires stimulées circulent dans tout l’organisme, reconnaissent les cellules tumorales et les tuent immunitaire, le GM-CSF. Cette protéine, sécrétée par les cellules encapsulées, va activer la reconnaissance par le système immunitaire des cellules cancéreuses qu’il devra détruire. Ce dispositif comporte aussi une membrane semi-perméable qui laisse sortir dans l’organisme du patient le GM-CSF produit, tout en empêchant le système immunitaire du patient de pénétrer à l’intérieur de la capsule et de détruire les cellules productrices de GM-CSF qui lui sont étrangères. «Le traitement lui-même se réalise de manière ambulatoire, sans anesthésie compliquée. Il est répété six fois, explique encore le Dr Mach. On implante, sous la peau, à distance des sites tumoraux, deux capsules à un centimètre l’une de l’autre puis on injecte les cellules tumorales inactivées entre les deux. Une semaine après, on retire les capsules, et on enchaîne avec une seconde vaccination.» Le processus s’est montré efficace chez la souris comme l’explique encore le Dr Mach. «Nous sommes effectivement parvenus à susciter une immunité protectrice chez l’animal, détaille le chercheur. La grande majorité des animaux vaccinés avec cette technique ont développé des armes pour rejeter les cellules cancéreuses et n’ont pas dé- SOURCE: LMD «Les résultats sont très intéressants en termes de faisabilité et de sécurité» Dr Nicolas Mach, oncologue aux HUG est porteur de nouveaux espoirs, il ne sera probablement qu’un outil parmi d’autres à la disposition des oncologues. «Dans le combat actuel contre le cancer, nous nous efforçons en fait de développer des stratégies contre des milliers de maladies différentes, analyse le professeur Dietrich. C’est pour cela que la recherche semble évoluer dans de si nombreuses directions. Il y a non seulement des cancers différents mais également des sous-types parmi eux. On en dénombre par exemple une centaine dans le cas des lymphomes. Tous ont des genèses et des comportements différents: dans ces conditions, la probabilité d’un remède universel paraît biologiquement fort peu probable.» D’où l’idée que ce sont des «séquences de traitements» qui permettront de mieux soigner les malades du cancer. Le professeur Dietrich poursuit: «Peut-être que, pour une tumeur donnée, l’immunothérapie sera l’élément le plus important. Pour une autre, ce sera la chirurgie ou la chimiothérapie. Ou encore l’association d’une immunothérapie et d’une chimiothérapie comme dans le cancer du sein.» Le dosage des différentes stratégies de lutte contre le cancer devient également de plus en plus efficace. Bref: si la compréhension du cancer avance, le traitement de ses différents types reste encore complexe et sera probablement multiple. veloppé de tumeur.» Des résultats assez prometteurs pour que MaxiVAX finance un premier essai clinique. Le protocole d’étude a reçu l’aval de Swissmedic, l’autorité suisse de régulation des médicaments, et de la commission d’éthique du canton de Genève avant le recrutement des premiers patients souffrant d’un cancer avancé «réfractaires aux traitements disponibles», donc pour qui le risque pris en se soumettant à l’expérience n’est pas disproportionné par rapport à l’éventuel bénéfice attendu. Les cellules et les capsules sont préparées dans le Laboratoire de thérapie cellulaire des HUG, structure spécialisée pour cette activité alors que les patients sont traités en ambulatoire au sein de l’Unité de recherche clinique de la Fondation Dr Henri Dubois Ferrière Dinu Lipatti du Centre d’oncologie des HUG. Stop ou encore? Cependant, «il faut être très prudent, prévient le Dr Mach. Le but de l’essai que nous menons, dit de phase I – sur les 4 que comporte le processus de développement d’un médicament – est de tester la faisabilité et la tolérance du traitement. Il s’agit de vérifier si le traitement est administrable hors du laboratoire où il est développé et s’il ne cause pas d’effets secondaires graves immédiats qui seraient rédhibitoires.» Pour l’instant, chez les quatre premiers patients qui bénéficient de ce traitement de pointe, «les résultats sont très intéressants en termes de faisabilité et de sécurité». Mais il faut être prudent avec ces informations encourageantes, car elles sont préliminaires, l’étude n’étant pas finalisée. Si celle-ci est positive, la suite du développement est la mise sur pied d’ici le début de l’année 2*016 de plusieurs études de phase II, où, cette fois, l’efficacité du traitement sera évaluée dans certains types de tumeur comme ceux du cancer du poumon, du pancréas et de l’ovaire. U