Les archipels coralliens face au changement climatique

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Scholars, Professors and Experts on Asia and the Pacific
LES ARCHIPELS CORALLIENS FACE AU CHANGEMENT CLIMATIQUE :
DES « SYSTÈMES DE RESSOURCES » VULNÉRABLES ?
IN LIGHT OF CLIMATE CHANGE, CAN CORAL ARCHIPELAGOS BE DEFINED AS
VULNERABLE "RESOURCE SYSTEMS"?
A. Magnan, V. Duvat, P. Pirazzoli, G. Wöppelmann
Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), Sciences Po, Paris,
Université de La Rochelle, CNRS, Université de La Rochelle
Thématique H : Changement climatique
Theme H: Climate Change
Atelier H 02 : Les archipels coralliens face au changement climatique : des « systèmes de
ressources » vulnérables ?
Workshop H 02: Are coral archipelagos vulnerable systems of resources in light of climate
change ?
4ème Congrès du Réseau Asie & Pacifique
4th Congress of the Asia & Pacific Network
14-16 sept. 2011, Paris, France
École nationale supérieure d'architecture de Paris-Belleville
Centre de conférences du Ministère des Affaires étrangères et européennes
© 2011 – A. Magnan, V. Duvat, P. Pirazzoli, G. Wöppelmann
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LES ARCHIPELS CORALLIENS FACE AU CHANGEMENT CLIMATIQUE : DES « SYSTÈMES DE RESSOURCES » VULNÉRABLES ? A. Magnan*, V. Duvat**, P. Pirazzoli***, G. Wöppelmann** * Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), Sciences Po, Paris – [email protected] ** Littoral Environnement Sociétés (LIENSs), Université de La Rochelle (UMR‐CNRS 6250) – virginie.duvat@univ‐lr.fr , gwoppelm@univ‐lr.fr *** CNRS (UMR‐8591, Meudon, France) – [email protected] 1. Introduction Le changement climatique est désormais partiellement irréversible et les États coralliens sont emblématiques des menaces véhiculées par les perturbations météo‐marines (élévation du niveau de la mer et cyclones, notamment). Ces pays présentent en effet des « systèmes de ressources » étriqués et combinent de multiples contraintes : éclatement territorial, modestie des ressources naturelles, faibles niveaux de développement, appartenance à la zone tropicale (qui sera parmi les premières affectées par le changement climatique)…. Si la situation de ces États est souvent négligée compte tenu de leur faible poids démographique, de leur modeste contribution à l’économie mondiale et de leur isolement océanique, elle pose pourtant des questions auxquelles seront confrontées de nombreuses communautés littorales dans les décennies à venir. Paradoxalement, c’est justement parce qu’ils sont en « première ligne » que les États coralliens sont parmi les premiers à réellement commencer à intégrer la perspective du changement climatique dans leurs choix de développement, et à engager depuis une dizaine d’années des stratégies d’adaptation. Ils démontrent ainsi ce que s’adapter peut concrètement signifier. Dès lors, que peuvent‐ils nous enseigner et comment d’autres communautés littorales, insulaires ou pas, peuvent‐elles bénéficier de leur expérience ? À partir des cas des Maldives (océan Indien) et des Kiribati (Pacifique), ce texte propose un bilan actualisé des tendances météo‐marines et des impacts des aléas actuels et futurs. Il s’agira ensuite de mobiliser la notion de « système de ressources » pour proposer une vision nuancée de la vulnérabilité de ces pays au changement climatique et de leurs marges de manœuvre en termes d’adaptation. La conclusion posera trois grandes hypothèses : l’expérience des aléas naturels actuels peut préparer aux aléas futurs, l’expérience des États coralliens peut être utile à d’autres contextes, l’analyse de la vulnérabilité sous l’angle du « système de ressources » est pertinente. 2. Perspectives sur l’élévation du niveau de la mer Les variations générales du niveau de la mer sont une conséquence et un indicateur importants du changement climatique planétaire. La fonte des glaces continentales et leur transfert de masse d’eau vers les océans, d’une part, et le réchauffement des océans et leur dilatation thermique, d’autre part, sont les causes principales à l’origine de ces variations aux échelles globale et séculaire. Les analyses des observations des marégraphes acquises à la côte depuis parfois trois cent ans (Wöppelmann et al, 2006) indiquent une remontée générale du niveau de la mer dont la plus récente estimation est de 1,7 ± 0,2 mm/an au cours du siècle passé (Church et White, 2011). Celles des satellites sont plus élevées (Cazenave et Llovel, 2010), de 3,3 ± 0,4 mm/an depuis 1993. A titre de repère, les indicateurs géologiques ou archéologiques suggèrent un niveau général stable au cours des derniers millénaires, alors qu’il serait remonté à des taux pouvant atteindre l’équivalent de plusieurs cm/an pendant des épisodes de grande débâcle (Pirazzoli, 1995), il y a environ 14 000 ans par exemple. Les observations récentes peuvent ainsi paraître modestes, d’un côté, mais significatives de l’autre, suggérant une accélération contemporaine coïncidant à celle des températures de l’atmosphère. Il convient néanmoins de s’intéresser aux difficultés rencontrées dans l’estimation de ces valeurs et leurs incertitudes pour comprendre la fourchette des valeurs publiées et interpréter les différences, en particulier lorsque les valeurs sont données sur des durées différentes. L’échantillonnage temporel est important car une tendance calculée sur 20 ans n’a pas la même signification qu’une autre calculée sur 100 ans en présence d’oscillations inter‐
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décennales. De même, l’échantillonnage spatial est critique car les variations géographiques des tendances du niveau de la mer sont désormais reconnues. Les processus à l’origine de ces variations sont multiples : (i) dilatation thermique des couches superficielles des océans (Ishii et al, 2006) ; (ii) fonte des glaces continentales et effets gravitationnels associés à la redistribution des masses d’eau (Tamisiea et Mitrovica, 2011) ; (iii) redistribution des champs de pression atmosphérique (Woodworth et al, 2010) ; (iv) mouvements verticaux du sol à la côte (Wöppelmann et al, 2007). Alors que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a surtout porté son attention sur l’estimation de paramètres indicateurs du changement climatique à l’échelle globale, l’intérêt scientifique, économique et social se concentre surtout dans les variations locales du niveau marin, lesquelles pourront s’écarter notablement de la moyenne globale. A l’échelle locale, des facteurs d’origine dynamique peuvent accentuer ou atténuer les variations générales. Ce fût par exemple le cas en Méditerranée entre 1960 et 1993 (Tsimplis et Josey, 2001). De nombreux travaux sont en cours pour tenter de déterminer les empreintes spatiales des tendances de long terme du niveau marin, mais les observations manquent, sont de mauvaise qualité, ou trop récentes pour ce faire, en particulier dans les océans Pacifique et Indien. Le cas se complique dès lors que des erreurs systématiques se cachent dans les processus d’estimation car, par définition, elles ne sont pas représentées dans les barres d’erreur. Outre les effets de l’échantillonnage, l’évolution des techniques d’observation sont critiques. Celles‐ci obligent à une révision permanente des outils utilisés pour l’observation. La précision et l’exactitude des mesures ne sont jamais acquises une fois pour toutes : un effort d’analyse et de contrôle des erreurs et des biais sont nécessaires (Martin Miguez et al, 2008). Des étalonnages et des comparaisons permanentes des produits et des données d’origines différentes sont indispensables : garantie de qualité et gage d’une utilisation ultérieure (BDL, 2009). 3. Bilan des impacts potentiels du changement climatique sur les îles et les systèmes coralliens L’élévation progressive du niveau de la mer (ENM), si le blanchissement des coraux (suite à l’accroissement des températures de la mer) reste limité, sera globalement favorable à la croissance des récifs (Hopley, 2005). Or, leur développement accroît la production de sédiments, contribuant à l’accrétion des côtes océaniques lors des épisodes de fortes houles liés aux tempêtes, en particulier cycloniques (Fig. 1) (Woodroffe, 2008). Redistribués par les houles saisonnières, ces dépôts contribuent à l'exhaussement de certaines portions d'îles et/ou à l'avancée du trait de côte. Les nouvelles zones d'accumulation sont ensuite rapidement colonisées par la végétation qui les stabilise (Fig. 2). Là où l’érosion domine sur les côtes au vent, les côtes sous le vent sont concernées par l’accrétion (Webb et Kench, 2010). Les modèles climatiques prévoient des étés plus secs dans la plupart des zones subtropicales nord (avec cependant de fortes variations d’amplitude selon les modèles – Wang, 2005), et l'on s’attend parallèlement davantage à des épisodes pluvieux plus intenses qu’à une forte évolution des moyennes de précipitations (Kharin et Zwiers, 2005). Les ressources en eau des atolls vont avoir tendance à diminuer du fait de l’amincissement et de la salinisation des lentilles souterraines (élément qui pourrait toutefois être contrebalancé par des épisodes El Niño plus fréquents), d’une évaporation plus forte liée à l’augmentation des températures de l’air, et de la baisse des totaux pluviométriques. Cela aura des conséquences sur les potentiels agricoles et sur la disponibilité en eau de consommation. Cependant, les principaux bouleversements de la vie sur les atolls ne seront probablement pas dus à l’ENM (qui œuvrera à l’échelle de plusieurs générations humaines), mais davantage aux variations des régimes de cyclones qui pourront accroître l’érosion et les submersions. Si à l’heure actuelle, la zone équatoriale n’est quasiment pas affectée par les cyclones, l’impact du réchauffement du climat sur les cyclones est mal connu, d’où de fortes incertitudes sur le contexte futur des risques naturels. Walsh (2004) montre par ailleurs que les fluctuations El Niño influencent fortement l’occurrence des cyclones dans le Pacifique Sud, mais là encore le lien changement climatique/El Niño reste flou. Les cyclones tropicaux impliquent la destruction de parties entières d’îles, ce qui contraint le développement des communautés. Mais ils peuvent aussi jouer un rôle constructeur sur la topographie et la surface des îles (élargissement de zones côtières, comblement partiel de lagons…). Il est donc nécessaire de considérer positivement les zones créées par des dépôts de cyclones, car ces derniers peuvent être récurrents dans certaines régions. Dans l’Hémisphère Sud, par ex., les cyclones de direction nord‐ouest/sud‐est génèrent une Atelier H 02
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énergie maximale de houles sur les parties orientales des récifs situés à gauche de la trajectoire des cyclones (Pirazzoli, 1998). Des prévisions actualisées sur ces trajectoires peuvent permettre de limiter les dégâts dans les zones exposées, de même que des travaux en géomorphologie peuvent améliorer la connaissance des zones en accrétion ou en recul. Et comme l’on s’attend à ce que l’ENM accentue les tendances actuelles sur les îles coralliennes, cela offre la possibilité d’anticiper les changements dans un futur proche. Enfin, dans beaucoup d’îles coralliennes, les dépôts de tempête forment des conglomérats de coraux qui se consolident avec le temps et forment des plates‐formes subhorizontales constituant des « remparts » résistants à l’érosion, et en aval desquelles le sable peut s’accumuler. Ce sont des zones où des communautés humaines peuvent s’établir. Or, les processus de consolidation de ces conglomérats sont relativement indépendants des variations du niveau de la mer (Montaggioni et Pirazzoli, 1984 ; Pirazzoli, 1998). Les îles ne sont donc pas fatalement toutes vulnérables sur l’ensemble de leur surface et avant d’envisager des migrations de population, des aménagements raisonnés peuvent être développés. 4. Atteintes au « système de ressources » et vulnérabilité Les impacts du changement climatique dans les archipels coralliens seront variables aux échelles régionale et locale, pour des raisons qui tiennent, au‐delà des évolutions du climat, aux effets perturbateurs eux‐mêmes inégaux du développement des sociétés sur la croissance des récifs coralliens, le fonctionnement morphodynamique des îles et la qualité des eaux souterraines. La « crise récifale » actuelle résulte en effet, non pas des effets du changement climatique, mais des dégradations d'origine anthropique des deux derniers siècles qui se sont accrues au cours des dernières décennies dans les îles habitées (Hughes et al., 2003). Ici, l'on peut s'attendre à ce que le changement climatique accélère les évolutions en cours. Il en sera de même pour l'évolution sédimentaire des îles. Là où des aménagements et des pratiques destructrices (dragage dans les récifs, remblayage des platiers, extraction de matériaux) ont cours et où des aménagements ont été réalisés au plus près de la mer, qui sont aujourd'hui à protéger, l'équilibre sédimentaire des côtes est rompu (Cazes‐Duvat, 2001). Dans ce cas, les effets du changement climatique aggraveront la situation, au point de remettre en cause la viabilité de certaines îles. Enfin, l'exploitation des eaux souterraines est contrainte par la pollution dans les îles à forte densité, qui font déjà face à d'importantes difficultés d'approvisionnement. Ce sont donc les impacts prévisibles du changement climatique sur des environnements perturbés qu'il s'agit d'établir lorsque l'on s'intéresse aux archipels habités. Les sociétés des îles basses ont développé la capacité de s'adapter à un environnement non seulement très contraignant (exiguïté des îles, rareté de l'eau et des ressources terrestres, pauvreté des sols, forte exposition aux aléas météo‐marins...), mais aussi évolutif, ces îles ayant déjà été affectées, depuis qu'elles sont peuplées, par des changements environnementaux (variations du climat, mouvements sédimentaires...). L'analyse de la capacité d'adaptation de ces territoires au changement climatique doit s'appuyer sur une approche globale et systémique qui, seule, permet d'intégrer de manière satisfaisante l'ensemble de leurs composantes, naturelles et anthropiques, ainsi que les interactions qui les lient. Dans cette perspective, ces territoires peuvent être appréhendés comme des « systèmes de ressources » dont la vulnérabilité face au changement climatique tient à leurs composantes naturelles et humaines, qui déterminent leurs forces et faiblesses et, par là même, leur capacité de gestion des perturbations et d'adaptation au changement (Magnan, 2009 ; Duvat et Magnan, 2010). Ces composantes sont la configuration du territoire, son exposition aux risques naturels, les ressources et la sensibilité des écosystèmes, la cohésion sociétale, les conditions de vie, le degré de diversification de l'économie et l'organisation politique et institutionnelle. Dans les atolls urbanisés, les perturbations anthropiques des dernières décennies ont, non seulement affecté les ressources sur lesquelles repose le développement de ces territoires, mais aussi l'ensemble des mécanismes, physiques et humains, qui assuraient leur résilience. Les effets de cercle vicieux qui s'observent font d'autant plus redouter les effets aggravants du changement climatique que la situation de certaines îles peut être considérée, d'un point de vue environnemental, comme irréversible. Les prochaines décennies resteront fortement marquées par les effets du mal développement qui seront aggravés par les perturbations dues au changement climatique. La marge de manœuvre des populations sera plus élevée dans les atolls ruraux, qui pourraient par conséquent jouer un rôle non négligeable dans les stratégies d'adaptation des États coralliens. Atelier H 02
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5. Les marges de manœuvre des communautés insulaires pour s’adapter C’est parce que l’analyse des processus physiques à l’œuvre et de leurs impacts sur les sociétés est très complexe que le discours actuel sur la vulnérabilité des États coralliens au changement climatique présente des limites importantes. Très schématiquement, ce discours issu la communauté internationale est le suivant : « la mer va monter et les événements extrêmes vont se faire plus intenses, donc les îles vont disparaître, et donc leurs populations doivent migrer en masse et rapidement ». Cette position ne repose pas sur une vision rationnelle et nuancée des menaces que font réellement peser les aléas naturels présents et futurs, et elle pose globalement 2 grands problèmes. En premier lieu, ce discours n’envisage pour les communautés insulaires qu’une seule issue : la fuite. Si la migration fait depuis des millénaires largement partie des stratégies déployées pour survivre dans des environnements très contraignants1, elle ne constitue qu’une option parmi d’autres. Généralement, seuls quelques individus quittent les îles et le plus souvent seulement pour quelques temps. Cela contribue à l’assise économique des familles restées sur place. Mais le message véhiculé aujourd’hui en appelle à une migration définitive de tous les habitants. Or, les conclusions de la science du climat montrent que les impacts ne seront pas forcément très conséquents sur les 20 à 30 ans à venir, mais qu’ils le seront davantage ultérieurement. « L’urgence » est donc toute relative et le temps ne manque pas obligatoirement pour penser des stratégies de réponse et d’anticipation. De plus, les travaux actuels sur les réponses des systèmes insulaires aux stress météo‐marins montrent que de grandes incertitudes demeurent quant au comportement des écosystèmes (îles et récifs notamment). Négliger ces deux points amène un certain catastrophisme qui ne favorise à l’évidence pas l’élaboration de stratégies d’adaptation prenant en compte les pas de temps réels des menaces et reposant sur une analyse fine des forces et faiblesses du système de ressources. Parallèlement, le discours ambiant véhicule l’idée reçue selon laquelle « les communautés les plus pauvres sont les plus vulnérables au changement climatique car elles ont de faibles capacité d’adaptation ». Autrement dit, des territoires comme les États coralliens, parce qu’ils n’ont pas beaucoup d’argent, sont voués à subir sans pouvoir ni réagir, ni anticiper. L’adaptation est ici systématiquement corrélée au niveau de développement, et donc jugée uniquement dépendante de moyens économiques. C’est malheureusement négliger plusieurs autres dimensions des sociétés qui participent pleinement de la capacité à s’adapter : les relations de solidarité, une connaissance du système de ressources fine et élaborée au fil du temps, le rapport culturel aux aléas naturels, une certaine expérience de ces derniers, etc. Si ces éléments peuvent œuvrer avec moins de force dans les atolls urbanisés que dans les atolls ruraux, tous les habitants de ces pays ne vivent pas sur les premiers. Il reste dans ces populations des traces des capacités d’adaptation passées ayant permis la survie depuis plusieurs millénaires. Ces capacités d’adaptation passées ne peuvent‐elles constituer de solides bases pour affronter les menaces liées au changement climatique ? Bien sûr les conditions de vie du passé ne sont plus les mêmes, notamment en termes de pression démographique et de dégradation des écosystèmes, mais le changement climatique va davantage exacerber des pressions existantes qu’en générer de nouvelles. Dès lors, l’expérience (réussites et échecs) des dernières décennies peut avoir une utilité pour (re)penser les stratégies d’adaptation. Gérer plus durablement le système de ressources est par exemple l’une des options d’adaptation actuellement les plus pertinentes, car elle est un levier important pour réduire la vulnérabilité présente et conserver des marges de manœuvre pour le futur. 6. Conclusion Les propos précédents invitent à formuler 3 hypothèses fortes et qui peuvent servir de piliers pour l’élaboration et la mise en œuvre de stratégies d’adaptation sur les littoraux du monde. L’expérience des aléas naturels actuels peut être utile pour se préparer aux aléas futurs, car elle renvoie à des échecs et des succès en termes de résilience, et qui posent des bases de connaissance sur le fonctionnement de l’environnement et de la société. Or, mieux comprendre le passé et l’actuel est d’autant plus crucial que le changement climatique va en grande partie renforcer les tendances actuelles en matière de risques naturels. 1
Ce n’est pas vrai que pour les îles. Atelier H 02
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L’expérience des États coralliens peut être utile à d’autres contextes, car le caractère extrême de leurs situations impose de chercher concrètement à réduire leur vulnérabilité et d’imaginer des solutions d’adaptation dès aujourd’hui applicables. Or, dans leurs grandes lignes, celles‐ci sont en partie transposables à d’autres contextes littoraux, même si elles doivent bien entendu être ajustées aux spécificités de ces derniers. L’analyse de la vulnérabilité sous l’angle du « système de ressources » est pertinente : car elle permet de porter un regard systémique sur ce qu’est le territoire, à la croisée de conditions et de processus environnementaux et anthropiques. Or, les aléas naturels actuels comme futur posent précisément la question de cette interface hommes/environnement : en quoi les changements environnementaux soudains et graduels perturbent‐ils les sociétés humaines, et inversement ? Bibliographie BDL, 2009. Les Observatoires. Observer la Terre. Bureau des longitudes, Ed. Hermann, 309 p. Cazenave, A., Llovel, W., 2010. Contemporary sea level rise. Annual Review of Marine Science, 2, 145‐173. Cazes‐Duvat, 2001. Le poids des contraintes physiques dans le développement des atolls : l’exemple de l’archipel des Maldives (océan Indien). Les Cahiers d’Outre‐Mer, 53 (213), 3‐26. Church, J. A., White, N.J., 2011. Sea‐level rise from the late 19th to the early 21st century. Surveys in Geophysics, doi:10.1007/s10712‐011‐9119‐1. Duvat V., Magnan A., 2010. Des archipels en péril ? Les Maldives et les Kiribati face au changement climatique. VertigO, special issue: « Les petits territoires insulaires face aux changements climatiques : vulnérabilité, adaptation et développement », 10 (3). [On line, 20th December 2010, URL: http://vertigo.revues.org/10594]. Hopley, D., 2005. Coral reefs. In: Schwartz, M. (Ed.), Encyclopedia of Coastal Science, Springer, Dordrecht, The Netherlands, 343‐349. Hughes T.P., Baird A.H., Bellwood D.R., Card M., Connolly S.R., Folke C., Grosberg R., Hoegh‐Guldberg O., Jackson J.B.C., Kleypas J., Lough J.M., Marshall P., Nyström M., Palumbi S.R., Pandolfi J.M., Rosen B., Roughgarden J., 2003. Climate change, human impacts and the resilience of coral reefs, Science, 301, 929‐933. Ishii, M., Kimoto, M., Sakamoto, K., Iwasaki, S.I., 2006. Steric sea level changes estimated from historical ocean subsurface temperature and salinity analyses. Journal of Oceanogry, 62, 155–170. Kharin, V.V., Zwiers, F.W., 2005. Estimating extremes in transient climate change simulations. Journal of Climate, 18 : 1156‐
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