Rapport de mission pour la Fondation Eau Neige et Glace
Marie Savéan parrainée par Christian Trommsdorff (Guide de Haute Montagne)
3 Avril 2013 au 28 Avril 2013
Dans le contexte actuel des changements environnementaux (climatiques et sociétaux), les milieux
de montagne sont particulièrement vulnérables. En effet, les glaciers et les surfaces enneigées, constituant
des ressources en eau considérables pour ces environnements de hautes altitudes, sont particulièrement
sensibles à l’augmentation globale et rapide des températures.
L’Hindu-Kush-Himalaya appelé aussi le château d’eau de l’Asie ou encore le Troisième Pôle compte
tenu de l’immensité de ses surfaces enneigées et englacées, est, malgré cela, une chaine les impacts des
changements environnementaux sont peu connus. Face à cette méconnaissance d’importantes recherches en
hydrologie, glaciologie, climatologie, et géographie sont menées actuellement par la communauté
scientifique internationale.
C’est dans ce contexte scientifique que je alise une thèse en hydrologie de montagne à
HydroSciences Montpellier sous l’encadrement de Pierre Chevallier et François Delclaux. Le but de cette
thèse est d’étudier et de préciser les impacts des changements environnementaux sur les ressources en eau
du bassin versant sud de l’Everest. Elle s’inscrit pleinement dans le projet de l’Agence Nationale de la
Recherche (ANR) « PAPRIKA » pour « CryosPheric responses to Anthropogenic PRessures in the HIndu-
Kush-Himalaya regions »
1
. Ce projet, en collaboration avec le programme italien SHARE (Stations at High
Altitudes for Research on the Environment), ainsi qu’avec plusieurs institutions scientifiques népalaises a
pour but d’étudier l’influence des changements environnementaux sur les surfaces enneigées et les glaciers
de cette région.
Dans ce projet, une des thématiques menée par le Centre d’ Etudes Himalayennes (CEH - unité
propre du CNRS) est d’étudier la perception des changements environnementaux par la population locale.
Pour cela, les deux géographes en charges de cette problématique, Olivia Aubriot et Joëlle Smadja, vont à la
rencontre des populations du bassin versant de l’Everest pour savoir quels changements la population
perçoit : climatiques, sociétaux ? Variables, zones, périodes, personnes concernées ?
C’est dans ce cadre que j’ai sollicité l’aide financière de la fondation Eau Neige et Glace. En effet, je
souhaite intégrer dans ma thèse l’approche sociétale développée par le CEH en essayant de répondre à la
question suivante : Est-ce que les changements, des variables climatiques (température, précipitations, etc.)
ou du couvert neigeux, perçus par la population du bassin de l’Everest se retrouvent dans les chroniques
mesurées et simulées? Pour cela, grâce à la fondation Eau Neige et Glace j’ai pu accompagner Olivia et
Joëlle au cours d’une mission de 3 semaines sur le bassin versant de Kharikhola d’une superficie d’environ
20 km² s’élevant entre 2 000m et 4
000 m
d’altitude à une trentaine de kilomètres au sud du sommet de la
Terre.
De gauche à droite : 1) Culture en terrasse au levé du soleil à Bupsa, 2) Femme transportant du fourrage à
Pangum, 3) Crépuscule sur les montagnes enneigées vue de Pangum.
1
http://www.evk2cnr.org/cms/en/share/pilot-projects/ABC/Nepal?filter0=paprika%20himalaya
Nous avons commencé notre mission à Lukla (aéroport d’arrivée dans la zone népalaise de l’Everest)
pour suivre le chemin partant au sud vers Kharikhola (cf. cartes ci-dessous). Au cours de ce trajet, également
emprunté pour le transport de marchandise (mules ou porteurs) ainsi que par une minorité de touristes ayant
choisis d’accéder au massif à pied, plutôt que par avion, nous avons commencé à collecter de nombreuses
informations aux cours de discussions informelles. Arrivées dans le bassin de Kharikhola quelques jours
plus tard, nous avons pu réaliser 20 interviews complètes (15 hommes et 5 femmes).
Cartes situant le bassin de Kharikhola (à gauche) et l’itinéraire effectué (à droite).
Un des principaux résultats de cette mission est que la population de cette zone ne semble pas
percevoir d’évolution climatique majeure.Du point de vue de l’habitant et à l’échelle de plusieurs dizaines
d’années, les précipitations (pluie et neige) et la températurene ne paraissent pas avoir changé. Même si
certains habitants relèvent des particularités dans la précipitation et le couvert neigeux (beaucoup de neige
en 2012 et 2008 pour certains, et moins de neige au cours des trois dernières années pour d’autres), elles
sont trop isolées et contradictoires pour être généralisées.
Nous avons identifié différentes raisons pour expliquer l’absence de la perception du changement
climatique par la population locale :
- Les changements climatiques ne sont pas les seuls à avoir lieu sur cette zone. Localement, la vallée de
l’Everest est le siège d’un développement extrêmement rapide des activités liées au trekking et aux
expéditions d’alpinisme, générant de nouveaux intérêts économiques qui priment sur tout le reste. Il est
donc très difficile d’identifier ou de différencier les causes des évolutions environnementales dues aux
changements climatiques ou aux changements sociétaux.
- Le bassin de l’Everest est soumis à une très forte saisonnalité : une mousson chaude et humide de juin à
septembre et un hiver froid et neigeux de Novembre à Février. Pour la population locale, le climat
change à chaque saison et à chaque année.
- L’observation du climat n’est pas évidente. Par exemple, pour la population locale, lorsque la neige ne
tient que quelques jours, il n’a pas neigé ; cela biaise les résultats des interviews sur le couvert neigeux.
- Enfin, dans cette région, la population n’a pas de problème majeur au niveau des ressources en
eau.Même si cela dépend des saisons, les sols sont toujours assez humides pour cultiver le blé, l’orge, le
maïs, les pommes de terre et les rivières toujours assez abondantes pour faire tourner les moulins à
grains ou à prières. L’absence de problème diminue la perception des changements climatiques.
L’ensemble de ces résultats ainsi que le riche échange que j’ai pu avoir avec les deux scientifiques du
CEH me permettront de compléter ma thèse par l’approche sociétale du changement climatique. Pour cela,
une des premières pistes que je pense suivre sera de comparer les premiers résultats de ma thèse sur les
ressources en eau et sur le couvert neigeux de la zone, estimés grâce à un modèle hydro-nivologique, avec
les résultats obtenus au cours de cette mission. Je projette d’effectuer cette comparaison avec les chroniques
mesurées actuellement (il y a 5-10 ans) mais également avec les enregistrements passés (il y a 30-40 ans)
afin d’utiliser la perception et la mémoire de la population comme des données permettant de valider les
simulations du modèle hydro-nivologique.
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