TAPISSERIE «La reddition de Marsal - Académie de Nancy-Metz

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TAPISSERIE «La reddition de Marsal»
TEMPS MODERNES
1500
1600
1643 : mort de Louis XIII.
Régence de Mazarin et
Anne d’Autriche
1715 : mort de
Louis XIV
1700
1800
Moyen
Age
1492
Epoque
contemporaine
1661 : prise de pouvoir
effective de Louis XIV à la
mort de Mazarin
1789
1669 :
tapisserie »Reddition
de Marsal »
Tous les documents iconographiques ont gracieusement été cédés par le Conservateur du Musée du Sel de Marsal, Gabriel Diss et de nombreuses
informations fournies par Véronique Bourras. Qu’ils en soient remerciés.
L’étude du tableau repose sur les recherches de G. Thewes, cité ci-dessous en bibliographie
Référence bibliographique :
THEWES (G.) – 2007 – La reddition de Marsal à Louis XIV en 1663 ou comment l’image crée l’événement. Actes du colloque organisé par la Commission
d’Histoire Militaire, les 24 et 24 juin 2007 à Marsal. Publié par la Section historique de l’Institut Grand-Ducal de Luxembourg.
PERRAULT (C.) – 1675 – Recueils de divers ouvrages en prose et en vers. Dédié à son Altesse Monseigneur le Prince de Conti, Paris, 1675.
1. L’œuvre
Titre : «Reddition de Marsal»
Dimensions : H : 382 cm
l : 580 cm
Date : 1669 (achevée en 1677)
Technique: Tapisserie
Lieu d’exposition : Propriété de l’état, elle fait partie du Mobilier National. Une
photographie est exposée au Musée du sel de Marsal.
Caractéristiques de l’œuvre : elle représente la remise symbolique des clés de la ville de
Marsal à Louis XIV après des années de conflits opposant la France à la Lorraine, dans la
possession de la place forte. Ce type de mise en scène est traditionnel lorsqu’il s’agit de
représenter la reddition d’une ville.
Elle est réalisée à partir de fils de soie, de laine et d’or.
Auparavant, il n’existait que quelques plans de la place forte : cette tapisserie fait entrer la
ville dans l’histoire et l’histoire de l’art.
Musée du sel de Marsal
Une image de propagande
Dès son entrée en fonction, au début des années 1660, Jean-Baptiste Colbert se voit confier la tâche de mettre les arts au service de la glorification du roi.
Peinture, sculpture, littérature, architecture doivent contribuer à rendre immortelles les actions de Louis XIV. Il apparaît alors que la tapisserie serait un moyen
de «conserver la splendeur des entreprises du Roy». En 1662, Colbert acquiert la manufacture des Gobelins qu’il met au service de la propagande royale.
En 1665, la manufacture se lance dans la fabrication d’une série de 14 tapisseries – à laquelle appartient la reddition de Marsal - qui racontent les hauts faits des
premières années de règne de Louis XIV (de 1654 à 1668) et appelée «l’histoire du Roy». C’est vraisemblablement Colbert qui a eu l’idée de mettre en scène
les événements marquants du règne de son souverain. Une fois le thème choisi et retenu conjointement par Colbert et le roi lui-même, le Premier Peintre du Roi
et directeur de la Manufacture des Gobelins, Charles Le Brun – ou un de ses ouvriers, réalisait une première ébauche (sous forme de croquis) de la scène à
immortaliser.
Les tapisseries de «l’histoire du Roy» ont été utilisées pour la première fois à Versailles, en juin 1677, durant les cérémonies de la Fête-Dieu.
Une image réalisé à-postériori
La campagne de Louis XIV en Lorraine a lieu en août-septembre 1663, or, le dessinateur Israël SYLVESTRE n’est envoyé que 2 ans après, en octobre 1665, à
Marsal, pour un y faire des croquis. La première mention de l’œuvre se trouve dans le poème de Charles PERRAULT, «la peinture», paru en 1668. Le travail de
tapisserie ne commence qu’en 1669, soit 6 ans après les événements censés être représentés. Le tissage prendre plusieurs années, si bien que la tapisserie ne sera
achevée qu’en 1677.
Une image reproduite à grande échelle
Cette représentation sera dupliquée, reproduite sous diverses formes et diffusée dans toute l’Europe. En effet, Impressionnés par les réalisations de la
manufacture des Gobelins ou désireux d’imiter leur souverain, les grands du royaume et les courtisans n’hésitaient pas à les faire reproduire sous forme de
tableau (cf. peinture à l’huile de la reddition de Marsal exposée au musée du sel)
En raison de la justesse topographique du paysage représenté et de la richesse de ses détails, les historiens l’utilisent fréquemment pour illustrer leurs propos sur
l’histoire de la Lorraine. A ce jour, elle reste l’image que l’on retient pour témoigner de la campagne de Louis XIV en Lorraine.
Charles PERRAULT, dans son poème «la peinture», célèbre «ces chefs d’œuvre de l’art, dont l’art mesme s’étonne» et s’extasie des talents de leur auteur.
2. L’artiste
Nom et prénom : Charles Le Brun (il a réalisé le carton qui a permis aux Gobelins de réaliser cette tapisserie)
Date de naissance et de décès s’il y a lieu : 1619-1690
Nationalité : Française
Informations biographiques :
Il est à l’origine de la fondation de l’Académie royale de peinture et de sculpture en 1648 puis obtient la direction de la manufacture des Gobelins qui a réalisé la
tapisserie présentée ici. A partir des années 1660, il est au service du Roi-Soleil et devient en quelque sorte « peintre officiel » du souverain, ce qui le fit
mépriser par les artistes romantiques du XIXème et explique que sa popularité ne soit pas à la hauteur de son talent. Il fut chargé de la décoration intérieure du
château de Versailles. Il a formé, entre autres, Hyacinthe RIGAUD.
Autres œuvres :
- Décoration de la galerie d’Apollon, au musée du Louvre
- Décor du château de Vaux-le-Vicomte
- Peintures murales du plafond de la galerie des glaces du château de Versailles
3. La manufacture des Gobelins et l’art de la tapisserie
- Histoire de la manufacture
Située au 42 avenue des Gobelins (Paris), à proximité de la Bièvre, cette manufacture doit son nom à une famille champenoise qui, au XVème siècle, y avait
établi une entreprise de teinture. Henri IV, en avril 1601, y installa deux tapissiers flamands. Mais c’est Louis XIV qui lui donna une impulsion considérable
en créant en 1662, la manufacture des Meubles de la Couronne. Colbert y centralisa divers ateliers de tapisserie dispersés jusqu’alors dans Paris et y ajouta
des ateliers d’ébénisterie, d’orfèvrerie… Le 8 mars 1663, Charles le Brun est nommé directeur de la Manufacture Royale des Gobelins. Il va y instaurer un
travail en équipe, réunissant autour de lui des dessinateurs, des peintres, des tapissiers… Le Brun n’hésitera pas à faire appel à des artistes étrangers de
grande réputation, tel le Flamand Adam Frans Van der Meulen.
Au XVIIIème siècle, le nom des Gobelins est connu dans l’Europe entière. La manufacture continue aujourd’hui à produire des tapisseries pour le «Mobilier
national», faisant travailler des artistes contemporains.
- Technique de la tapisserie : la réalisation de la tapisserie est la dernière étape d’une longue succession de travaux divers :
Réalisation d’un croquis (par Le Brun dans le cas de la reddition de Marsal),
A partir de ce dernier est réalisée une esquisse peinte, appelée aussi « petit patron ». Il s’agit d’un tableau réduit de la scène. Pour Marsal, le petit patron a
été réalisé par Adam Frans Van der Meulen, peintre flamand renommé.
Vient ensuite la confection d’un carton : les peintres-cartonniers réalisent une toile peinte à l’huile qui est l’ébauche, en dimensions réelles, de la
tapisserie.
Intervention des lissiers (personne qui réalise les tapisseries en utilisant un métier à tisser) qui tissent la tapisserie selon le modèle donné par les cartons,
en utilisant de la laine, de la soie et de l’or.
Ces œuvres sont réalisées en plusieurs exemplaires, puis livrées au Garde-meuble de la Couronne, avant d’orner les demeures royales ou d’être offertes à de
puissants personnages.
4. Le contexte historique et social
L’œuvre est un témoignage fort de la politique expansionniste de Louis XIV, de la construction progressive de notre pays et de l’histoire de ses frontières.
- L’accession au pouvoir de Louis XIV : renforcement de la monarchie absolue
Lorsque Louis XIII meurt en 1643, son fils n’a que 5 ans. C’est donc Mazarin, le premier ministre, qui gouverne la France, sous la régence d’Anne d’Autriche et
ce jusqu’à sa mort. Ce dernier disparu (1661), Louis XIV décide de rompre avec la tradition de ses prédécesseurs qui s’appuyaient sur des premiers ministres
puissants pour gouverner (Louis XIII Richelieu, Anne d’Autriche Mazarin) et d’être le seul à détenir le pouvoir (= monarchie absolue : le roi détient son
pouvoir de Dieu lui-même, ne peut être jugé que par ce dernier et n’a de comptes à rendre qu’à lui). Il nomme Colbert qui ne sera habilité qu’à conseiller le
souverain.
- L’extension du territoire français
« S’agrandir est la plus digne et la plus agréable occupation des souverains » disait Louis XIV. Pour être un grand roi et affirmer sa puissance, Louis XIV se
lance dans une politique d’extension du territoire français. Pour cela, il a recours à la guerre. La France s’est préparée à la guerre, aidée par des tacticiens
militaires : le ministre Louvois dote la France de la première armée d’Europe, Vauban fortifie plus de 300 places fortes sur les frontières…Et de fait, la France
est souvent victorieuse : 1668, l’Espagne doit céder la Flandre, puis la Franche-Comté en 1678, en 1697, Strasbourg devient française. Ces conquêtes, si elles
redorent le blason de la France, ne l’en laissent pas moins ruinée.
- Un réseau de courtisans
Louis XIV vit à Versailles, dans un palais qu’il a voulu à la hauteur de sa magnificence, entouré des plus grands personnages du royaume (la cour). Les fêtes se
succèdent : le roi entretient tout un parterre d’artistes (Molière, Jean de la Fontaine, Lully…)
- Une société très inégalitaire
Les fastes de la cour, les guerres à répétition nécessitent des rentrées financières que le roi obtient en pressurant le peuple (rappel la société est divisée en 3
ordres – le clergé et la noblesse dits privilégiés – et le tiers état – sur lequel repose toutes les contributions financières). Alors que quelques-uns vivent dans le
luxe et l’opulence, la majorité est victime des épidémies et de la famine.
- La mort du roi
A sa mort, en 1715, Louis XIV laisse un pays ruiné.
5. Rapide historique de la ville de Marsal
Ce rappel historique est à destination de l’enseignant et ne devra pas être à dispenser tel quel aux élèves. Il est important que ces derniers soient
conscients que l’histoire de Marsal est imbriquée dans l’histoire de France, complexe et que les villes frontières ont toujours eu des destinées
mouvementées en raison justement de la proximité avec les territoires « ennemis ».
L’histoire de la ville est liée au sel, matière première hautement importante en ces temps exempts de réfrigérateur et où toute conservation d’aliments passe par
la saumure.
Dès le Néolithique, des restes archéologiques attestent d’une occupation humaine à Marsal. Des traces de fours et de briquetage ont été retrouvées, témoignant
d’une exploitation du sous-sol.
A l’époque romaine, la ville est connue sous le nom de Marosallum, comme en témoigne une stèle érigée par les Marsalais (44) en l’honneur de l’empereur
Claude.
A partir du XIIème siècle, l’évêché de Metz et le duché de Lorraine se disputent le contrôle des salines de la région. C’est à cette époque, vers 1260, que sont
érigées les premières fortifications de la ville.
A l’époque moderne, la Lorraine est le « pays d’entre-deux », enserrée entre l’Empire et le royaume de France, convoitée par les deux puissances.
1553 à 1593 : occupation de Marsal par le roi de France. Après cette date, il doit céder la ville à Charles III de Lorraine.
Durant la guerre de 30 ans (1618-1648), Charles IV, duc de Lorraine, doit abandonner ses terres.
1631 : la cité est reprise par le roi de France. Le 6 janvier 1632, le traité de paix de Vic-sur-Seille fait de la ville une possession royale pour une durée de 3 ans.
1641 : le traité de Saint-Germain prévoit le démantèlement de la place forte et la restitution au duc de Lorraine.
1648 : la reprise des hostilités entre la France et la Lorraine rendent cet accord caduc : la Lorraine revient au roi de France.
1659 : le traité des Pyrénées redonne à Charles IV la possession de ses terres lorraines précédemment perdues.
1662 : par le traité de Montmartre, Charles IV accepte que la Lorraine revienne à la couronne de France à son décès, à l’exception de la ville de Marsal qui doit
être restituée de suite. Mais il tarde à remettre à ville à Louis XIV, si bien que ce dernier décide de s’en emparer par la force.
2 septembre 1663, Louis XIV s’empare de Marsal : la prise s’est faite sans combat, Charles IV ayant préféré se soumettre devant l’avancée des troupes royales.
Marsal est livrée le 4 septembre aux troupes françaises, alors que Louis XIV est déjà reparti pour Versailles. C’est le Maréchal de la Ferté qui en prend
possession au nom du roi de France. Louis XIV confie l’amélioration des fortifications à Vauban. Il en fait fermer les Salines en 1699.
Marsal devint une ville de garnison jusqu’en 1870, date à laquelle elle sera prise par les Prussiens.
6. Pistes pédagogiques
•
Lecture de l’oeuvre :
Informations pour l’enseignant
Louis XIV avait été averti que le duc de Lorraine, Charles IV, avait l’intention de garder la ville de Marsal, en dépit du traité signé précédemment. Ceci
amena le monarque à décider une opération guerrière conduite par le duc de Guiche et Monsieur de Pradel, avec l’aide des troupes stationnées en Lorraine
(août 1663). Un corps de militaires basé en dehors de la région vint renforcer le dispositif, sous la conduite du Maréchal de la Ferté-Senneterre. Louis XIV
vint en personne sur place, juger de l’état du front. Après 11 jours de siège, Charles IV envoya comme émissaire auprès de Louis XIV, Jacques Henri de
Lorraine, Prince de Lixen, avec une lettre annonçant qu’ordre avait été donné à la ville de se rendre. Le Maréchal de la Ferté entra alors dans la ville et y
plaça ses garnisons.
«La reddition de Marsal» est une des premières tapisseries de la série « histoire du roi ».
Le Brun n’a pas choisi de représenter le siège de la ville mais la journée du 1er septembre 1663, date à laquelle les clés de la ville sont symboliquement
remises à Louis XIV.
La lecture en plans :
Une chose est à remarquer : l’apparente exactitude documentaire de l’œuvre. Auparavant, il était courant de célébrer les actions du roi en l’identifiant à un
héros antique et Le Brun était familier de ce type de représentation. Ici, l’artiste rompt ici avec la tradition et représente Louis XIV sous les traits qui sont
les siens, dans ses habits habituels, apparemment sous la pression de l’entourage du roi. Cette représentation «contemporaine» témoigne de ce qui a été
appelé «la querelle des anciens et les modernes» et d’un déclin de l’Antiquité comme modèle : les contemporains de Louis XIV sont convaincus que les
actes de leur souverain dépassent ceux d’un Alexandre, donc nul besoin de le représenter sous les traits d’un guerrier antique. La préférence du
contemporain va de pair avec le souci de vraisemblance : il faut que le spectateur ne doute pas de ce qui est représenté («la vérité, qui est l’âme de
l’histoire, devient suspecte dès qu’elle est trop ornée» - René Rapin, 1677). Pour renforcer cette authenticité, l’artiste accorde une importance toute
particulière à l’arrière-plan de ses tableaux (topographie, silhouette de la ville…). Ce souci de véracité à des limites puisque, comme nous le développerons
un peu plus bas, Louis XIV n’est pas venu à Marsal et cette rencontre pour une remise des clés n’a jamais eu lieu. En fait, la scène principale, idéalisée, est
calquée sur un arrière-plan fidèle à la réalité et garant, lui, de la «vérité historique».
Premier plan :
On y voit Louis XIV, entouré de sa suite parmi lesquels Monsieur (frère du roi), le duc de Guiche, le Maréchal de la Ferté-Senneterre et Vauban. Les
émissaires de Marsal s’avancent vers le roi, chapeaux-bas, en signe de soumission, implorant la clémence du souverain. Le premier personnage est sans
doute le Marquis d’Haraucourt, le malheureux défenseur de la place forte. Il esquisse une génuflexion et tend les clés de la ville au roi, ce qui symbolique la
reddition de la ville et sa soumission à l’autorité royale.
1 – Le roi, Louis XIV
2 – Monsieur, frère du roi
3 – le Duc de Guiche
4 – Le Maréchal de la Ferté-Senneterre
Henri II de la Ferté-Senneterre (1599-1681) était maréchal de
France et gouverneur de la Lorraine.
5 – Vauban
Vauban est représenté avec une blessure à la joue gauche, alors
qu’il ne reçut cette balafre qu’au siège de Douai, en 1667.
6 – Le Marquis d’Haraucourt
Second plan :
Sont présentes les troupes qui ont participé à la prise de la forteresse.
Arrière plan :
On distingue la place forte de Marsal, fortifiée par Vauban.
Un témoignage de la politique de propagande mise en place par Louis XIV
La tapisserie est là, bien sûr, pour attester de l’issue heureuse de la conquête de la Lorraine, mais pas uniquement.
Pour la petite histoire, il est intéressant de savoir que ce jour là, Louis XIV présidait un conseil des ministres à Versailles et ne pouvait donc nullement être
à Marsal. Cette entorse à la vérité historique est intéressante à plusieurs titres :
Elle atteste de l’importance de cette remise symbolique des clés de la ville du vaincu au vainqueur : la posture soumise du Marquis d’Haraucourt et
l’attitude conquérante de Louis XIV viennent renforcer cette idée.
Elle témoigne de l’existence d’une propagande : les images sont réalisées pour servir des intérêts politiques. La politique expansionniste de Louis XIV a
des effets désastreux sur l’économie du pays et ses populations : levées d’impôts, surmortalité… Il faut donc légitimer – voire justifier cette politique et
le tableau y participe.
Elle adresse un avertissement à Charles IV et aux éventuels opposants à la royauté : le duc de Lorraine avait consenti à céder Marsal à la couronne de
France mais tarde à la faire. Louis XIV rappelle ce qu’il en coûte de ne pas s’exécuter. La tapisserie, mettant en scène des troupes massées devant
Marsal, est une démonstration de force du souverain.
Elle fait preuve de l’attention particulière que Louis XIV accorde à Lorraine. En effet, à la même époque, de nombreuses places fortes, plus prestigieuses
et plus puissantes que Marsal ont été conquises – Douai, Lille, Dôle, Tournai… et n’ont pas donné lieu à des tapisseries. En fait, Marsal est la première
conquête militaire de Louis XIV après le début de son gouvernement personnel en 1661.
La ville s’est rendue sans combattre : la réputation du roi et la connaissance de sa force de frappe ont incité la ville à se rendre.
Charles Perrault rend hommage à la clémence du roi : « Icy le fier Marsal, au seul éclair du foudre, se rend avant le coup qu’il eust réduit en poudre, et du
courroux du Prince évitant le malheur, éprouve sa clémence au lieu de sa valeur »
Jean de La Fontaine, dans le sonnet consigné plus loin, se plaint de l’absence d’adversaires à la hauteur du souverain : « Mais ma muse déjà commence à
redouter, de ne jamais te voir remporter de victoires, pour manquer d’ennemis qui t’osent résister »
Autre liberté avec la vérité historique, la blessure de Vauban, balafre qu’il ne recevra qu’en 1667, soit 4 ans après la prise de Marsal, lors du siège de Douai.
Il est important d’amener les élèves à avoir un regard critique sur les documents historiques rencontrés : ils sont souvent porteurs d’un message politique
subjectif, partisans et ne reflètent qu’une « vérité ». L’idéal serait de pouvoir étudier des documents contradictoires.
Analyse de l’œuvre avec les élèves :
Laisser les élèves observer l’œuvre pendant quelques minutes en silence, puis s’exprimer librement sur les points observés. Dans un deuxième temps, il
semble intéressant de recadrer ce qui aura émergé en structurant la description en plans et en s’appuyant sur un questionnaire « type » (cf. document
« questionnement sur un document iconographique », joint à titre indicatif).
Description de l’œuvre : la scène, s’intéresser aux personnages, à leur habillement pour en déduire l’époque à laquelle a pu être peint le tableau, à
l’arrière-plan, la vraisemblance de la représentation…
En déduire les objectifs d’une telle œuvre :
La puissance du roi
La propagande politique
L’avertissement/menace aux éventuels opposants
Appropriation de l’image : essayer de raconter la scène.
Observation d’éléments plastiques :
o
Recherche des sources de lumière fait-il jour ou fait-il nuit ?
o
Recherche d’éléments qui permettent de donner une notion de profondeur au tableau : par exemple la taille de la ville à l’arrière-plan par rapport
à celle des hommes à cheval…
o
Analyse des couleurs assez fades (couleurs plus vives à l’origine ou usées par le temps ? Dominance du rouge pour Louis XIV)
o
Positionnement des personnages principaux dans le plan : rejetés à l’extrême droite (et non en position centrale comme habituellement)
Questionnement à conduire sur document iconographique
Document iconographique
1 - Questionnement sur le document en lui-même = présentation, généralités…
Quelle est la nature du document proposé ? (document iconographique – mais précisément gravure, peinture, photographie, dessin, affiche de
publicité…).
Quel est le nom de l’auteur ? (s’il n’est pas mentionné, je peux chercher à la fin du livre, dans la rubrique « crédit photographique »).
L’auteur est-il quelqu’un de connu ? (son nom est-il dans le dictionnaire, dans les encyclopédies ou sur la toile ? Est-ce que l’on trouve ses œuvres dans
les musées ? Est-ce que l’on connaît ses films ?...)
A quelle date le document a-t-il été réalisé ? Est-ce un document historique ou non ? (= est-il contemporain de l’époque dont il parle ?).
Quelle technique a été utilisée ? (peinture, dessin, aquarelle, gravure…).
Si un lieu est mentionné, le faire situer sur une carte
2 - Questionnement sur le contenu du document = description
Qu’est le thème de ce qui est représenté ? (idée générale, les personnages, un paysage, un événement particulier, un objet…)
Décrire l’image en la divisant en plans s’il y en a (premier, second, arrière plans), en parlant des couleurs (palette de couleurs utilisée : noir et blanc
uniquement, couleurs pour souligner tel ou tel point de l’image…), la lumière, les éléments mis en valeur (en général ce qui est au centre)
Une fois les différents ensembles repérés on peut en faire repasser les contours sur un papier calque, en coder les informations et construire une légende.
3 – Positionnement du texte dans son contexte historique et interprétation = analyse.
par rapport à la date de réalisation de l’image : connaît-on le régime politique qui gouvernait le pays à ce moment là ? Les hommes politiques qui étaient
à sa tête ? Des événements marquants qui se sont passés à cette époque ?...
par rapport à la scène ou aux personnages représentés : peut-on identifier des personnages connus ? Connaît-on leurs idées, pourquoi ils sont encore
connus aujourd’hui des générations suivantes ?
interprétation de l’image :
pourquoi l’auteur a-t-il réalisé cette image (distraire ? informer ? faire vendre quelque chose ? vanter les qualités d’un personnage ou d’un objet ?...)
avait-il un message à faire passer ? Si oui, quel est-il ?
peut-on en déduire des idées sur les convictions politiques de l’auteur de l’image ?
quel public a-t-il voulu toucher ?
4 – Attitude critique face à l’image (=> très difficile à faire travailler et acquérir).
est-ce que je connais les circonstances dans lesquelles l’artiste a réalisé son œuvre ?
est-ce que je connais ses liens avec les personnages représentés ?
est-ce que je peux rapprocher cette image d’autres documents iconographiques que je connais ? Sont-ils de la même époque ? Veulent-elles faire passer le
même message ?
est-ce que je peux comparer le message de l’image à celui exposé par un texte ?
= est-ce que je peux vérifier que le document proposé expose la vérité ? Y a-t-il d’autres documents qui me permettent d’aller dans le même sens ? Vérification
que le document n’est pas de parti pris
5 - conclusion
Conclusion : quel impact a pu avoir le document auprès du public de l’époque ? Est-il fiable, objectif ou de parti pris pour défendre des idées ? Peut-on dire
que le document étudié présente une réalité historique ou non ?
7. Prolongements / variantes
Arts du langage : Jean de la Fontaine a écrit un sonnet sur la prise de Marsal alors qu’il avait des besoins d’argent. Il n’a pas hésité à se montrer flatteur, lui
qui parodiait les grands de son monde, afin d’obtenir un financement de la part du plus grands d’entre eux.
Le texte en est complexe et sera certainement difficile d’accès pour les élèves de cycle 3. Cependant, quelques vers – notamment ceux du début - peuvent
être explicités et mémorisés.
« Monarque le plus grand que révère la Terre,
Et dont l’auguste nom se fait craindre en tous lieux,
Près de toi le pouvoir des plus ambitieux,
A moins de fermeté que l’argile et le verre.
Marsal qui se vantait de te faire la guerre,
Baissant à ton abord son front audacieux,
Dès le premier éclair qui lui frappe les yeux,
Se rend et n’attend pas le coup de ton tonnerre.
Si la fierté rebelle eut irrité ton bras,
Qu’il se fut signalé par de fameux combats,
Et qu’il n’eut été doux d’en célébrer la gloire.
Mais ma muse déjà commence à redouter
De ne te voir jamais remporter de victoires
Pour manquer d’ennemis qui t’osent résister. »
-
Arts visuels :
comparaison avec un tableau réalisé d’après la tapisserie
Christine MAGGI – CPC généraliste Château-Salins
L’œuvre
Titre : «Reddition de Marsal»
Dimensions : 100 x 80 cm (sans le cadre)
Date : fin du XVIIème siècle
Technique: Peinture à l’huile
Lieu d’exposition : Musée du sel, Marsal
Caractéristiques de l’œuvre : remise symbolique des clés de la ville de Marsal à Louis XIV
Le tableau relate la remise symbolique des clés de la ville de Marsal à Louis XIV, après des
années de conflits opposant la France à la Lorraine, dans la possession de la place forte.
Le tableau a été peint par l’atelier d’Adam François Van Der Meulen, d’après la tapisserie
réalisée par Charles le Brun.
Musée du sel de Marsal
L’artiste
Nom et prénom : Atelier de Van Der Meulen, d’après une tapisserie de Charles Le Brun
Date de naissance et de décès s’il y a lieu : 1632 - 1690
Nationalité : Belge
Informations biographiques : artiste réputé pour ses représentations de chevaux et de paysages, il fut appelé à Paris par Charles Le brun, alors peintre attitré du roi
Louis XIV et directeur de la Manufacture des Gobelins. En 1665, il vint renforcer l’équipe chargée d’immortaliser l’image du roi. Il l’accompagne alors partout,
immortalisant le roi sur les champs de bataille comme dans les moments de la vie de cour. Il a donc connaissance des sites qu’il immortalise et est réputé pour la
justesse de ses informations topographiques.
Autres œuvres
Christine MAGGI – CPC généraliste Château-Salins
comparaison avec d’autres tableaux représentant des remises symboliques de clés ou des redditions
La reddition de Breda – Velasquez (1634-1635)
La soumission de Milan à François Ier en 1515 – Antoine
Caron (vers 1570)
Vercingétorix jette ses armes aux pieds de
César – L. Royer (1888)
Les remises symboliques de clés ou d’armes du vaincu au vainqueur sont monnaie courante. La reddition de Marsal s’en éloigne un peu par :
- le souci du détail accordé à l’arrière-plan
- la position des personnages principaux qui n’est pas centrale mais excentrée sur la droite
Christine MAGGI – CPC généraliste Château-Salins
comparaison avec d’autres hauts faits royaux de souverains antérieurs à Louis XIV
Henri IV, mort, est
emmené au ciel par
Zeus et Chronos
Marie de Médicis,
nommée régente pour
son fils mineur, tient
dans ses bras le futur
Louis XIII
L’apothéose d’Henri IV et la proclamation de la Régence de Marie de Médicis – Rubens
(1622 à 1625). Musée du Louvre
Avant les tapisseries de « l’histoire du Roy »
Après les tapisseries de « l’histoire du Roy »
Il était de tradition de représenter les faits historiques marquants à la manière
des artistes antiques, sans se soucier de la vérité historique ou la vraisemblance.
-
Costumes à la mode antique : toge, femmes aux seins dénudés,
personnages fantasmagoriques (femme ailée au premier plan)
-
Costumes conformes à leur époque
-
Pas de respect de la vraisemblance : il est impossible d’imaginer une
seconde que la mort d’Henri IV et la prise en main de la Régence par
Marie de Médicis se soient passées de la sorte, mais ce n’est pas un
problème. Les modèles sont ceux de l’Antiquité. Les Dieux antiques et
leur aura légitiment les faits.
-
Respect d’une certaine vraisemblance : la «vérité» historique est parfois
malmenée pour servir la cause royale mais, dans la mesure du possible,
on essaie de coller à l’Histoire (scènes vraisemblables, souci des détails
topographiques…)
Christine MAGGI – CPC généraliste Château-Salins
comparaison avec des tableaux réalisés avant la Renaissance
Sacre de Saint Louis à Reims – anonyme (XIIIème siècle)
Il faut opposer les tableaux anté et post-Renaissance
Avant la Renaissance = Le sacre de Saint Louis
Après la Renaissance = La reddition de Marsal
La Renaissance n’est pas une période historique à proprement parler, c’est un
mouvement artistique, de pensée… qui débute les Temps Modernes. Elle naît
au XVème siècle en Italie et se diffuse à partir du milieu du XVème dans toute
l’Europe.
Les artistes découvrent la perspective «linéaire » - comment représenter la
distance sur une surface plane. Les objets semblent d’autant plus petits qu’ils
sont éloignés et les lignes paraissent se rencontrer en un point – « le point de
fuite ».
Christine MAGGI – CPC généraliste Château-Salins
Pas de respect des proportions, des échelles de grandeur : les personnages ne Respect des proportions : ce qui est censé être loin du spectateur est plus petit
sont guère plus petits que la cathédrale qui les abrite.
que ce qui lui est proche…
Souci du détail moindre
Souci du détail même dans ce semble être secondaire à la scène (arrière-plan)
Moins grande maîtrise des couleurs : pas de clair-obscur, palette de couleurs Plus grande variété des couleurs : palette graphique étendue, souci d’un respect
moins étendue
de la vraisemblance (le ciel est plus lumineux que le sous-bois…)
Prolongement en pratique d’arts visuels : faire réaliser une tapisserie (sur un cadre de bois, planter des clous, tendre des fils et faire passer des bouts de
laine, de végétaux soupes entre les fils ainsi tendus)
Ce qu’il faut retenir d’un tel tableau :
- Il illustre la puissance du roi, la propagande politique (une représentation à la gloire du souverain) et la menace à demi-voilée faite aux éventuels opposants
politiques
- Il se caractérise par un souci de la vraisemblance : détails des costumes conformes à leur époque, de l’arrière-plan – travail d’un topographe, respect des
proportions
- Il s’oppose à la « vérité » historique : cette scène a été inventée de toute pièce - Louis XIV en réunion à Paris à la date de la prise de Marsal.
Christine MAGGI – CPC généraliste Château-Salins
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