Laurence LABROUCHE
ARIANE MNOUCHKINE
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UN PARCOURS THEATRAL
Le terrassier, l'enfant et le voyageur
Préface de Robert Abirached
Éditions L'Harmattan
5-7, rue de l'École-Polytechnique
75005 Paris -FRANCE
L'Harmattan Inc.
55, rue Saint-Jacques
Montréal (Qc) - CANADA H2Y 1K9
(Ç)L'Harmattan, 1999
ISBN: 2-7384-8022-5
Préface
Laurence Labrouche est née, à quelques mois près, en même
temps que le Théâtre du Soleil: voilà qui explique, peut-être, le
désir qu'elle a eu d'envisager le parcours d'Ariane Mnouchkine
comme un objet d'histoire, dont elle n'observerait pas seulement la
vie quotidienne et la logique intime, mais qu'elle pourrait situer
aussi dans son environnement social, et, ce qui est plus original,
dans une généalogie du théâtre de notre siècle. Il fallait pour cela
une assez belle audace, puisqu'une telle démarche supposait de se
mettre légèrement en retrait df.un personnage déjà inlassablement
interrogé, cité, portraituré: omniprésente dans ce livre, Ariane n'a
pas été priée d'y prendre directement la parole. Elle n'y est donc
entraînée à son corps défendant ni dans un processus de
fascination ni dans un devoir de commentaire. L'aventure m'a paru
d'emblée mériter d'être courue, au moment où j'ai accueilli
Laurence Labrouche dans mon équipe de recherche de l'université
de Paris X-Nanterre.
J'ai donc, sans hésitation, accepté son projet et la méthode
qu'il impliquait: philosophe, metteur en scène, solidement instruite
en histoire et en esthétique du théâtre, Laurence Labrouche
montrait une détermination sans faille pour mener à bien son
travail, avec un mélange de modestie, d'engagement personnel et
d'humour qui augurait bien de l'avenir. C'est ainsi qu'en décembre
1995, au bout de six ans de travail, elle soutenait la thèse dont le
présent ouvrage est issu.
Voici donc une étude passionnante, où l'on saisit le
cheminement d'un personnage et d'une équipe, soudés t'un à l'autre
à travers toute une suite d'avatars, de surprises, d'entêtements, de
passions, de ruptures, mais surnage, invinciblement, un projet
d'une clarté absolue: il s'agit ici de parler aux hommes de leur
humanité, en accompagnant leur marche ininterrompue à travers
un grand récit aux épisodes divers. L'histoire, dans cette
perspective, est inséparable des mythes qu'elle suscite
ou qui s'en-
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trelacent avec elle au fil des siècles, mais elle est également
inscrite dans la sphère de l'intimité des êtres, car ses soubresauts
engagent les consciences et les âmes. Présent dans le débat social
depuis ses débuts, le Théâtre du Soleil a rompu cette "synchronie",
selon Laurence Labrouche, au début des années 1980 :non qu'il se
soit mis délibérément à contre-courant, mais parce qu'il était
conduit, pour maintenir sa vigueur, à prendre de nouveaux
détours, à mieux ajuster sa distance au monde et à chercher de
nouvelles façons de dire les accointances de la vie et du théâtre,
quitte à revenir à l'actualité chaque fois que l'urgence le
commandait, en la reliant à de grands thèmes fondateurs.
Ce que montre Laurence Labrouche, d'autre part, c'est la
nature du rapport avec la tradition qu'a toujours entretenu le
Théâtre du Soleil: de la commedia dell'arte au jeu du clown, du
travail sur le masque aux techniques du théâtre oriental, Ariane
Mnouchkine a toujours puisé dans le savoir immémorial du
théâtre, comme si, pour innover ou simplement parler un langage
.d'aujourd'hui, il fallait d'abord découvrir les traces vives du passé
et leur rendre leur efficacité. En cela comme en beaucoup d'autres
occurrences essentielles, le Théâtre du Soleil obéit à la leçon de
Jacques Copeau: Laurence Labrouche établit avec force les liens
de filiation qui existent entre Ariane Mnouchkine et le patron des
Copiaus. Elle montre que le Soleil a enfin donné corps au rêve
poursuivi depuis le Vieux-Colombier et Pernand- Vergelesse et
demeuré pour une bonne part inaccompli. Douée d'une légèreté,
d'une allégresse et d'un esprit combatif qui est l'autre nom d'un
profond plaisir de vivre, à l'opposé de l'austérité de Copeau, mais
aussi obstinée et aussi méfiante que lui à l'égard des pouvoirs,
Ariane Mnouchkine a su montrer que le théâtre savait transformer
la vie (ou aider à l'assumer) en se nourrissant d'elle: condamné
certes à un inachèvement sans cesse renouvelé, il est aussi capable
de l'accomplir dans les figures du jeu et de la fiction, qui donnent
accès aux joies les plus secrètes du coeur.
D'où la triple métaphore du terrassier, du voyageur et de
l'enfant que nous propose Laurence Labrouche, dans sa belle
conclusion, pour suivre au plus près le cheminement d'une troupe
changeante et toujours la même, qui est d'ici et d'ailleurs, tout
entière engagée dans l'instant sans jamais s'y attarder, joyeuse
d'inventer tout en se sachant servante d'un très vieux rituel.
ROBERT ABIRACHED
QUELQUES REPÈRES POUR UN PARCOURS
De l'ATEP au Théâtre du Soleil
Ariane Mnouchkine naît à Paris en 1939 d'une mère anglaise et
d'un père russe, Alexandre Mnouchkine, arrivé en France en 1923
à la suite de la révolution de 1917. Au moment de la naissance de
sa fille aînée, Ariane Mnouchkine a une soeur cadette, il vient de
fonder une maison de production: Les Films Ariane. Alexandre
Mnouchkine est d'origine juive, toute la famille quitte Paris
pendant la guerre pour se réfugier à Caudéran près de Bordeaux. Ils
regagnent la capitale à la Libération. Les Films Ariane rouvrent
leurs portes. En 1957, à l'issue de son baccalauréat, Ariane
Mnouchkine semble se destiner à une carrière de psychanalyste.
Elle part en Angleterre pour effectuer une année de propédeutique
à Oxford. C'est qu'elle commence à faire du théâtre, travaillant
avec John Mac Grath et Ken Loach, qui dirigent à l'époque deux
troupes universitaires. Elle est également assistante sur deux
spectacles: Ulysse d'après le roman de Joyce et Coriolan, mis en
scène par Anthony Page. C'est à l'issue de cette expérience qu'elle
envisage une carrière théâtrale. De retour à Paris en 1958, Ariane
Mnouchkine s'inscrit néanmoins en psychologie à la Sorbonne et
tente de travailler avec le Groupe Antique. Cantonnée à des tâches
qui ne l'intéressent nullement, elle le quitte très rapidement. C'est
aussi à peu près à cette période semble-t-il, entre la fin des années
50 et le début des années 60, qu'elle entame une psychanalyse
qu'elle crédite, nous signale Raymonde Temkine, de la prise de
conscience de ses propres capacités de création I.
En octobre 1959, Ariane Mnouchkine fonde l'Association
Théâtrale des Étudiants de Paris -ATEP - avec France Dijoud,
Pierre Skira, et Martine Franck, qui allait signer par la suite de
IRaymonde Temkine, Mettre en scène au présent, p. 107-134, La Cité-L'Age
d'homme, 1977.
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