Carine Vassy & Bénédicte Rousseau Sociologues, Institut de Recherche Interdisciplinaire sur les enjeux Sociaux (IRIS) – Inserm – CNRS ‐ EHESS, Université Paris 13, Bobigny L'organisation du dépistage de la trisomie 21 au 1er trimestre en Angleterre : perspectives sociologiques Le but de notre présentation est d’analyser avec une perspective sociologique le dispositif du dépistage prénatal de la trisomie 21 en Angleterre, pour réfléchir sur la façon dont se déroule la communication entre femmes enceintes et professionnels de la santé autour du dépistage. Des chercheurs en sciences humaines et sociales ont analysé les versions antérieures de ce dispositif, comme le dépistage par marqueurs sériques au second trimestre, ou le dépistage par clarté nucale, et ont montré qu’il ne facilitait pas toujours une prise de décision éclairée des femmes enceintes quant à la passation des tests (Marteau, Pilnick, Williams, Heyman). La technique la plus couramment utilisée est le dépistage combiné. Nous avons étudié sa mise en œuvre en faisant des interviews et des observations de consultations dans une ville de province de taille moyenne. Il existe d’autres dispositifs, par exemple dans le secteur privé à Londres, mais ils sont moins représentatifs des pratiques actuelles que celui que nous avons étudié dans le National Health Service. Dans ce système de santé public et gratuit, financé par l’impôt, le nombre des sages‐ femmes est cinq fois plus important que celui des obstétriciens. Le dépistage prénatal au 2nd trimestre s’est développé dans les années 90 sur l’initiative de praticiens locaux. L’offre de tests était disparate, les praticiens négociant avec les autorités locales de santé pour mettre en place plus ou moins de tests, en réservant éventuellement le dépistage aux femmes les plus âgées, en fonction des budgets disponibles (Kerr 2004, Vassy, 2011). Suite aux critiques des professionnels de santé quant aux inégalités d’accès au dépistage, le Ministre de la Santé a annoncé en 2001 que les services de maternité seraient dans l’obligation de proposer un dépistage à toutes les femmes, dans un horizon de 3 ans, et il a demandé la nomination de coordinateurs de dépistage prénatal dans chaque hôpital. Régulièrement le National Screening Committee émet des recommandations en matière de taux de détection à atteindre et de taux de faux‐positifs à ne pas dépasser, ce qui a conduit à une harmonisation des pratiques, et à la mise en place du dépistage au premier trimestre, qui est proposé à toutes les femmes enceintes depuis 2010 (NSC, 2005 ; NSC 2007). Les pratiques se sont également standardisées avec la mise en place d’un organisme de contrôle des laboratoires de biochimie et de la qualité des échographies, le Down’s syndrome screening Quality Assurance Support Service (DQASS). Comme en France le suivi des femmes enceintes est pluridisciplinaire, mais les professionnels les voient dans des configurations différentes de celles dont on a l’habitude de notre côté de la Manche. Les femmes enceintes doivent contacter une sage‐ femme de leur secteur sanitaire qui les reçoit dans un centre d’accueil de la petite enfance. Cette première consultation permet de parler de l’historique de la grossesse et des antécédents médicaux, et de présenter les tests à venir, en particulier le dépistage du premier trimestre de la T21. La sage‐femme demande le consentement au dépistage et s’il est obtenu, prescrit les tests (marqueurs et clarté nucale) qui seront faits à l’hôpital où la femme veut accoucher. En cas de refus, elle prescrit une échographie de premier trimestre sans mesure de la nuque. Les échographies entre 11 et 13+6 semaines sont effectuées par des échographistes généralistes formés à la mesure de la clarté nucale, qui effectuent des vacations au département obstétrique. Le rendu des résultats se fait par l’intermédiaire de la sage‐femme, qui effectue également le reste du suivi de la grossesse si la femme enceinte est à bas risque (hormis l’échographie du 2nd trimestre, qui se déroule de nouveau à l’hôpital). Si la femme est jugée à haut risque, elle est prise en charge par un obstétricien et des sages‐femmes dans une unité de Fetal Care à l’hôpital. L’analyse de la soixantaine d’observations nous aide à comprendre les spécificités de la mise en place anglaise de ce dépistage du premier trimestre ainsi que réfléchir sur les effets des configurations d’organisation à la fois sur les soignants et sur les femmes enceintes. Références bibliographiques : Heyman B., Henriksen M., 2001 Risk, Age and Pregnancy. A Case Study of Prenatal Genetic Screening and Testing, Palgrave McMillan Kerr A. (2004) Genetics and Society, Routledge Marteau Slack, Kidd, Shaw, 1992 Presenting a routine screening test in antenatal care : practice observed, Public Health 106, 131-141 NSC 2005, Antenatal Screening ‐ Working Standards for Down's Syndrome Screening 2007. National Down's Syndrome Screening Programme for England NSC, 2007, NHS Fetal Anomaly Screening Programme – Screening for Down’s syndrome: UK NSC Policy Recommendations 2007-2010. Pilnick A., 2008, It’s something for you both to think about’: choice and decision making in nuchal translucency screening for Down’s syndrome, Sociology of Health & Illness, 30, 4, 511–530 Vassy, 2011, De l’innovation biomédicale à la pratique de masse: le dépistage prénatal de la trisomie 21 en Angleterre et en France, Sciences sociales et santé 29, 3, 5‐32 Williams C, Alderson P, Farsides B., 2002, Is non-directiveness possible within the context of antenatal screening and testing? Social Science & Medicine, 54, 339–47.