L`Afrique du nord où l`idéologie du parcours linéaire Mourad

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L’Afrique du nord où l’idéologie du parcours linéaire
Mourad BETROUNI
Directeur de Recherche en Géologie du quaternaire et Préhistoire
Je voudrais, d’abord, remercier le Comité français d'histoire de l'art (CFHA), le Musée des civilisations de l’Europe
et de la Méditerranée (MUCEM), l'Institut national d'histoire de l'art (INHA) et le Comité International d'Histoire de
l'Art (CIHA) pour l’honneur et le privilège qu’ils m’ont accordés en m’invitant et m’associant à ce colloque
international sur la culture et les civilisations.
Ce colloque s’adresse davantage et en premier lieu, aux historiens de l’art et aux anthropologues, mieux exercés
aux usages historiographiques des deux dimensions culture et civilisation à leurs outils et contenus
théoriques.Etant loin de ces deux champs disciplinaires, de leurs épistémès et leurs méthodes, je me sens, pour
ma part, comme un cheveu dans la soupe, avec ma casquette de géologue-préhistorien.
En vérité, Je suis plus à l’aise dans la roche et le sédiment que dans le texte et le manuscrit. Je ne sais, comment
j’ai pu me glisser dans les interstices de ce colloque pour parler de la culture et la civilisation. Mais, sincèrement,
je suis très heureux que le conseil scientifique du colloque ait trouvé quelques intérêts dans ma modeste
contribution.
Je vais, donc, essayer de bien m’arrimer sur l’orbite de la rencontre et ajustant mon jargon de géologue-
préhistorien à la sémantique du colloque. Pour y arriver, j’ai appuyé ma communication par des illustrations en
power point. Je vous prierais donc de m’excuser d’avance si l’exercice n’est pas vraiment concluant.
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En fait, pour aborder les questions pertinentes de civilisation et de culture, en Afrique du nord, à travers les
historiographies successives, il me semble essentiel de poser le préalable d’un regard critique et d’une approche
historique complètement renouvelée.
Un préalable qui nous permet de garantir la distance et le recul nécessaires par rapport à une Histoire qui, depuis
la plus haute antiquité, a versé dans des controverses d’idéologies et d’écoles, mises au service des dynasties, des
empires et des théologies successives.
Un préalable qui nous commande de dépasser une situation de fait qui a rendu illisible et inaccessible l’histoire de
toute une région, usant d’une même langue, partageant les mêmes mœurs et coutumes et établie sur un même
territoire, à l’ouest du Delta du Nil, que nous convenons d’appeler aujourd’hui « Afrique du nord ».
Un préalable qui nous autorise à transgresser les chroniques et narrations, si séduisantes, d’Heractée de Milet, à
contrevenir aux « vérités » d’Hérodote d’Halicarnasse et aux récits légendaires de Salluste.
Un préalable qui nous commande de réinventer l’histoire de l’Afrique du nord dans sa substance et sa
quintessence. Une histoire repensée, qui s’interdirait de sacrifier la vérité historique sur l’autel de l’attrait et de la
fascination sous prétexte de la carence des sources littéraires pour justifier ou légitimer une seule et unique
manière d’appréhender l’histoire. Il n’y a pas qu’une seule et unique manière d’appréhender l’histoire. Il nous
appartient de rechercher les autres pistes.
Justement, une piste très intéressante est à envisager, aujourd’hui, celle de l’approche globale de l’histoire et la
perspective d’une intégration dans la trame historique méditerranéenne (je reviendrais plus loin sur cette idée).
C’est cette piste que nous avons empruntée et qui transparait quelque peu dans cette communication, que nous
avons intitulée, pour la circonstance, « L’Afrique du Nord où l’idéologie du parcours linéaire ».
Il faudrait que j’explique un peu cet intitulé, qui met en équation et en relation une entité géographique, un
territoire, «l’Afrique du Nord », qui a été toujours là, entre les mêmes latitudes et longitudes (qui n’a pas changé,
du moins à l’échelle des 20 derniers millénaires), et un processus, un mouvement, un déplacement, que nous
avons appelé «parcours linéaire », celui qui semble avoir organiser le déroulement de l’histoire, selon une même
direction, un même itinéraire et une même trajectoire.
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Par cette idée du « parcours linéaire », nous avons voulu montrer ou plutôt illustrer et imager comment l’histoire
d’un territoire a été racontée, relatée et formulée de la même manière, dans le même sens, selon la même
sémantique et le même style, depuis les temps préhistoriques jusqu’à nos jours. Pourquoi des auteurs aussi
différents et aussi distants, que des siècles voire des millénaires séparent, racontent cette histoire de la même
manière, selon le même proformat et la même trame ?Nous avons trouvé cette histoire un peu trop régulière,
trop uniforme et me conventionnelle voire même convenue. C’est cette régularité de la récurrence, de la
redondance et de la répétitionque nous avons voulu interroger en nous mettant à la cahrnière de deux champs
disciplinaires: le champ de l’histoire et celui de la préhistoire.
Notre diagnostic repose sur trois constats essentiels :
Le premier constat est que lhistoire de l’Afrique du nord a été «écrite » par des voyageurs, des explorateurs et
des missionnaires qui ont vu, entendu puis exprimé des faits et événements dans leurs langues, leurs conceptions
et les valeurs qu'elles sous-tendent. C’est une histoire exogène, vue de l’extérieur.
Le deuxième constat est que cette histoire n’a jamais é conçue dans la perspective d’une totalité et d‘une
globalité, je dirais même d’une entièreté; elle a été racontée d’un point de vue fragmentaire, en séquences, en
parties, en morceaux collés les uns aux autres. Il n’y a pas une histoire de l’Afrique du nord, il y a une succession
de périodes chronologiques, chacune indispensable pour affirmer la continuité et la légitimité de l'autre.
Le troisième constat est que ces périodes chronologiques sont séparées les unes des autres par des niveaux de
discontinuités et des hiatus qui empêchent toute perception d’ensemble et de totalité pour exprimer le sens de
l’intégralité: périodes préhistorique, punique, romaine, vandale, byzantine, arabe, Ottomane, Française, Nationale.
A chacun son fragment d’histoire.
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Une fois ce diagnostic réalisé, une première question nous vient immédiatement à l’esprit et s’impose à nous:
s’arrête la préhistoire et ou commence l’histoire et qui en a défini les limites ?
La réponse à cette question est toute simple : un Temps To, tel le méridien de Greenwich, est placé entre la
préhistoire et l’histoire (un avant et un après l’écriture). Ainsi, et faute de sources écrites, les chroniqueurs et
hagiographes de l’antiquité et du moyen âge se sont accordés pour faire coïncider l’entrée dans l’histoire de cette
partie nord du continent africain avec l’établissement de Carthage et les premiers navigateurs phéniciens. Ce sera
le temps To à partir duquel l’histoire commence.
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Après ce temps de l’histoire, nous allons assister, subitement et soudainement, au sortir d’une longue nuit
préhistorique, à toute une série de mouvements et de déplacements de populations, sous la forme d’invasions, de
conquêtes et de colonisations.
C’est comme dans un conte de fée, tout a commencé par une histoire contée et racontée, le long d’un voyage,
d’une expédition, d’une croisière, le fameux périple d’Hannon qui n’aurait, d’ailleurs, laissé aucune trace
matérielle mais dont les récits, si savamment amplifiés, ont su ancrer dans nos entendements et nos
imaginaires successifs cette idéologie du parcours linéaire.
Voici ce qu’écrivait, en 1954, l’archéologue Pierre Cintas, à propos du périple d’Hannon : « C’est en répandant sur
les quais et dans les cabarets de la Méditerranée, le retentissant tapage de leurs exagérations que les flibustiers
puniques revenant des côtes occidentales de l’Afrique ... donnèrent naissance à « la belle histoire d’Hannon ». G.
Germain, trois ans plus tard, en 1957, poursuivait : « cessons de prendre des amplifications pour un document :
délivrons-en à jamais les discussions sérieuses ».
Cette idéologie du parcours, fondée sur la légende et la rumeur, a été bien illustrée, dans les années 1950, par le
même archéologue Pierre Cintas, à travers sa célèbre théorie des « échelles puniques » qui prône l’idée d’une
punicisation de la côte Nord-africaine, à partir de Carthage, par une suite d’escales réparties tous les 25 à 30 km.
Cette théorie a été longtemps soutenue par l’idée supposée que la marine phénicienne puis punique n’avait pas
encore acquis les capacités techniques pour pratiquer la navigation nocturne et donc faire de longs cours.
Cette théorie des « échelles puniques » est aujourd’hui battue en brèche par de nombreux faits, notamment la
relecture des performances nautiques des navires de charge marchands phéniciens et puniques, et leur capacité à
naviguer de nuit et donc d’effectuer d’une traite de longues traversées, même en perdant la côte de vue. Elle est
également battue en brèche par la découverte d’un matériel archéologique qui invite à reconsidérer le sens de la
navigation.
La linéarité du parcours linéaire
En fait, ce n’est pas le parcours et le trajet qui posent, fondamentalement le problème, d’un point de vue
théorique, mais sa linéarité qui a été érigée en ligne de conduite méthodologique. Un parcours le long d’un trait
de côte quasi-rectiligne Est-Ouest. Un trait de côte tracé à la règle, qui ne s’encombre ni des échancrures, ni des
estuaires ou des embouchures, au risque de déranger un ordre linéaire. L’histoire et l’archéologie punique,
romaine, vandale, byzantine, arabe, ottomane et française, s’inscriront en droite ligne dans cette linéarité
méthodologique.
Voyons comment s’exprime cette linéarité du parcours.
-Les Phéniciens, les premiers annonciateurs de l’histoire, se seraient donc établis de proche en proche sur la côte
Nord-africaine, en fondant des comptoirs, là où les exigences de la navigation et la qualité du mouillage le
permettaient. En fait, l’histoire punique a consisté à longer la côte Nord-africaine et non à la traverser.
L’alignement de l’occupation punique, parallèle à la côte, va déterminer le modèle des établissements humains
successifs sur un axe est-ouest.
La saga des invasions, des conquêtes et des colonisations
Après l’établissement punique, nous allons assister subitement et soudainement à une saga d’invasions, de
conquêtes et de colonisation selon le même déroulement du fil de l’histoire.
-Les Romains, qui succèdent aux phéniciens, vont progresser de la même manière, sur la même linéarité Est en
Ouest, en gagnant progressivement sur les terres intérieures.
-Les Vandales mettront un terme à la prospérité romaine dans le même sens longitudinal Est-Ouest.
-Les Byzantins, n’affecteront que modérément l’ordre établi. Avant l’arrivée des arabes (VIIème siècle), en dehors
de quelques forteresses byzantines, notamment à l’Est, le reste du territoire est occupé par des tribus berbères
regroupées en confédérations.
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