L`Afrique du nord où l`idéologie du parcours linéaire Mourad

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L’Afrique du nord où l’idéologie du parcours linéaire
Mourad BETROUNI
Directeur de Recherche en Géologie du quaternaire et Préhistoire
Je voudrais, d’abord, remercier le Comité français d'histoire de l'art (CFHA), le Musée des civilisations de l’Europe
et de la Méditerranée (MUCEM), l'Institut national d'histoire de l'art (INHA) et le Comité International d'Histoire de
l'Art (CIHA) pour l’honneur et le privilège qu’ils m’ont accordés en m’invitant et m’associant à ce colloque
international sur la culture et les civilisations.
Ce colloque s’adresse davantage et en premier lieu, aux historiens de l’art et aux anthropologues, mieux exercés
aux usages historiographiques des deux dimensions culture et civilisation à leurs outils et contenus
théoriques.Etant loin de ces deux champs disciplinaires, de leurs épistémès et leurs méthodes, je me sens, pour
ma part, comme un cheveu dans la soupe, avec ma casquette de géologue-préhistorien.
En vérité, Je suis plus à l’aise dans la roche et le sédiment que dans le texte et le manuscrit. Je ne sais, comment
j’ai pu me glisser dans les interstices de ce colloque pour parler de la culture et la civilisation. Mais, sincèrement,
je suis très heureux que le conseil scientifique du colloque ait trouvé quelques intérêts dans ma modeste
contribution.
Je vais, donc, essayer de bien m’arrimer sur l’orbite de la rencontre et ajustant mon jargon de géologuepréhistorien à la sémantique du colloque. Pour y arriver, j’ai appuyé ma communication par des illustrations en
power point. Je vous prierais donc de m’excuser d’avance si l’exercice n’est pas vraiment concluant.
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En fait, pour aborder les questions pertinentes de civilisation et de culture, en Afrique du nord, à travers les
historiographies successives, il me semble essentiel de poser le préalable d’un regard critique et d’une approche
historique complètement renouvelée.
Un préalable qui nous permet de garantir la distance et le recul nécessaires par rapport à une Histoire qui, depuis
la plus haute antiquité, a versé dans des controverses d’idéologies et d’écoles, mises au service des dynasties, des
empires et des théologies successives.
Un préalable qui nous commande de dépasser une situation de fait qui a rendu illisible et inaccessible l’histoire de
toute une région, usant d’une même langue, partageant les mêmes mœurs et coutumes et établie sur un même
territoire, à l’ouest du Delta du Nil, que nous convenons d’appeler aujourd’hui « Afrique du nord ».
Un préalable qui nous autorise à transgresser les chroniques et narrations, si séduisantes, d’Heractée de Milet, à
contrevenir aux « vérités » d’Hérodote d’Halicarnasse et aux récits légendaires de Salluste.
Un préalable qui nous commande de réinventer l’histoire de l’Afrique du nord dans sa substance et sa
quintessence. Une histoire repensée, qui s’interdirait de sacrifier la vérité historique sur l’autel de l’attrait et de la
fascination – sous prétexte de la carence des sources littéraires – pour justifier ou légitimer une seule et unique
manière d’appréhender l’histoire. Il n’y a pas qu’une seule et unique manière d’appréhender l’histoire. Il nous
appartient de rechercher les autres pistes.
Justement, une piste très intéressante est à envisager, aujourd’hui, celle de l’approche globale de l’histoire et la
perspective d’une intégration dans la trame historique méditerranéenne (je reviendrais plus loin sur cette idée).
C’est cette piste que nous avons empruntée et qui transparait quelque peu dans cette communication, que nous
avons intitulée, pour la circonstance, « L’Afrique du Nord où l’idéologie du parcours linéaire ».
Il faudrait que j’explique un peu cet intitulé, qui met en équation et en relation une entité géographique, un
territoire, «l’Afrique du Nord », qui a été toujours là, entre les mêmes latitudes et longitudes (qui n’a pas changé,
du moins à l’échelle des 20 derniers millénaires), et un processus, un mouvement, un déplacement, que nous
avons appelé «parcours linéaire », celui qui semble avoir organiser le déroulement de l’histoire, selon une même
direction, un même itinéraire et une même trajectoire.
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Par cette idée du « parcours linéaire », nous avons voulu montrer ou plutôt illustrer et imager comment l’histoire
d’un territoire a été racontée, relatée et formulée de la même manière, dans le même sens, selon la même
sémantique et le même style, depuis les temps préhistoriques jusqu’à nos jours. Pourquoi des auteurs aussi
différents et aussi distants, que des siècles voire des millénaires séparent, racontent cette histoire de la même
manière, selon le même proformat et la même trame ?Nous avons trouvé cette histoire un peu trop régulière,
trop uniforme et même conventionnelle voire même convenue. C’est cette régularité de la récurrence, de la
redondance et de la répétitionque nous avons voulu interroger en nous mettant à la cahrnière de deux champs
disciplinaires: le champ de l’histoire et celui de la préhistoire.
Notre diagnostic repose sur trois constats essentiels :
Le premier constat est que l’histoire de l’Afrique du nord a été «écrite » par des voyageurs, des explorateurs et
des missionnaires qui ont vu, entendu puis exprimé des faits et événements dans leurs langues, leurs conceptions
et les valeurs qu'elles sous-tendent. C’est une histoire exogène, vue de l’extérieur.
Le deuxième constat est que cette histoire n’a jamais été conçue dans la perspective d’une totalité et d‘une
globalité, je dirais même d’une entièreté; elle a été racontée d’un point de vue fragmentaire, en séquences, en
parties, en morceaux collés les uns aux autres. Il n’y a pas une histoire de l’Afrique du nord, il y a une succession
de périodes chronologiques, chacune indispensable pour affirmer la continuité et la légitimité de l'autre.
Le troisième constat est que ces périodes chronologiques sont séparées les unes des autres par des niveaux de
discontinuités et des hiatus qui empêchent toute perception d’ensemble et de totalité pour exprimer le sens de
l’intégralité: périodes préhistorique, punique, romaine, vandale, byzantine, arabe, Ottomane, Française, Nationale.
A chacun son fragment d’histoire.
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Une fois ce diagnostic réalisé, une première question nous vient immédiatement à l’esprit et s’impose à nous: Où
s’arrête la préhistoire et ou commence l’histoire et qui en a défini les limites ?
La réponse à cette question est toute simple : un Temps To, tel le méridien de Greenwich, est placé entre la
préhistoire et l’histoire (un avant et un après l’écriture). Ainsi, et faute de sources écrites, les chroniqueurs et
hagiographes de l’antiquité et du moyen âge se sont accordés pour faire coïncider l’entrée dans l’histoire de cette
partie nord du continent africain avec l’établissement de Carthage et les premiers navigateurs phéniciens. Ce sera
le temps To à partir duquel l’histoire commence.
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Après ce temps T° de l’histoire, nous allons assister, subitement et soudainement, au sortir d’une longue nuit
préhistorique, à toute une série de mouvements et de déplacements de populations, sous la forme d’invasions, de
conquêtes et de colonisations.
C’est comme dans un conte de fée, tout a commencé par une histoire contée et racontée, le long d’un voyage,
d’une expédition, d’une croisière, le fameux périple d’Hannon – qui n’aurait, d’ailleurs, laissé aucune trace
matérielle – mais dont les récits, si savamment amplifiés, ont su ancrer dans nos entendements et nos
imaginaires successifs cette idéologie du parcours linéaire.
Voici ce qu’écrivait, en 1954, l’archéologue Pierre Cintas, à propos du périple d’Hannon : « C’est en répandant sur
les quais et dans les cabarets de la Méditerranée, le retentissant tapage de leurs exagérations que les flibustiers
puniques revenant des côtes occidentales de l’Afrique ... donnèrent naissance à « la belle histoire d’Hannon ». G.
Germain, trois ans plus tard, en 1957, poursuivait : « cessons de prendre des amplifications pour un document :
délivrons-en à jamais les discussions sérieuses ».
Cette idéologie du parcours, fondée sur la légende et la rumeur, a été bien illustrée, dans les années 1950, par le
même archéologue Pierre Cintas, à travers sa célèbre théorie des « échelles puniques » qui prône l’idée d’une
punicisation de la côte Nord-africaine, à partir de Carthage, par une suite d’escales réparties tous les 25 à 30 km.
Cette théorie a été longtemps soutenue par l’idée supposée que la marine phénicienne puis punique n’avait pas
encore acquis les capacités techniques pour pratiquer la navigation nocturne et donc faire de longs cours.
Cette théorie des « échelles puniques » est aujourd’hui battue en brèche par de nombreux faits, notamment la
relecture des performances nautiques des navires de charge marchands phéniciens et puniques, et leur capacité à
naviguer de nuit et donc d’effectuer d’une traite de longues traversées, même en perdant la côte de vue. Elle est
également battue en brèche par la découverte d’un matériel archéologique qui invite à reconsidérer le sens de la
navigation.
La linéarité du parcours linéaire
En fait, ce n’est pas le parcours et le trajet qui posent, fondamentalement le problème, d’un point de vue
théorique, mais sa linéarité qui a été érigée en ligne de conduite méthodologique. Un parcours le long d’un trait
de côte quasi-rectiligne Est-Ouest. Un trait de côte tracé à la règle, qui ne s’encombre ni des échancrures, ni des
estuaires ou des embouchures, au risque de déranger un ordre linéaire. L’histoire et l’archéologie punique,
romaine, vandale, byzantine, arabe, ottomane et française, s’inscriront en droite ligne dans cette linéarité
méthodologique.
Voyons comment s’exprime cette linéarité du parcours.
-Les Phéniciens, les premiers annonciateurs de l’histoire, se seraient donc établis de proche en proche sur la côte
Nord-africaine, en fondant des comptoirs, là où les exigences de la navigation et la qualité du mouillage le
permettaient. En fait, l’histoire punique a consisté à longer la côte Nord-africaine et non à la traverser.
L’alignement de l’occupation punique, parallèle à la côte, va déterminer le modèle des établissements humains
successifs sur un axe est-ouest.
La saga des invasions, des conquêtes et des colonisations
Après l’établissement punique, nous allons assister subitement et soudainement à une saga d’invasions, de
conquêtes et de colonisation selon le même déroulement du fil de l’histoire.
-Les Romains, qui succèdent aux phéniciens, vont progresser de la même manière, sur la même linéarité Est en
Ouest, en gagnant progressivement sur les terres intérieures.
-Les Vandales mettront un terme à la prospérité romaine dans le même sens longitudinal Est-Ouest.
-Les Byzantins, n’affecteront que modérément l’ordre établi. Avant l’arrivée des arabes (VIIème siècle), en dehors
de quelques forteresses byzantines, notamment à l’Est, le reste du territoire est occupé par des tribus berbères
regroupées en confédérations.
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-La Conquête arabe s’établit selon le même processus, d’Est en Ouest, depuis Kairouan jusqu’aux confins
marocains, avant de se répandre vers le sud.
-Les Ottomans procéderont de la même manière sur trois siècles d’occupation.
-La France, " héritière de Rome », chargée de « rétablir la continuité latine et chrétienne au Maghreb" s’établira de
la même manière sur un modèle de littoralisation Est-Ouest.
-Le Maghreb d’aujourd’hui, après moins d’un siècle d’indépendance est toujours otage de la même linéarité
territoriale. La notion de Maghreb « le couchant » est en soi une résultante, un aboutissement d’un parcourt,
d’une trajectoire est-ouest. De l’orient vers l’occident
L’histoire de l’Afrique du nord est ainsi racontée à la mesure d’un va et vient incessant. L’importance du corpus
produit (récits, légendes…) a fini par façonner les imaginaires collectifs et légitimer ce postulat de l’occupation, de
la conquête et de la colonisation. Un phénomène récurrent de va-et-vient qui a nourrit toute la littérature et les
récits légendaires et mythiques, depuis l’Antiquité et qui a fini par donner à l’Afrique du nord, une définition qui
ferait d’elle et pour longtemps, non point une substance géographique, mais une entité fluidale et évanescente,
une sorte de « tapis roulant » qui assure, d’une manière permanente, le passage.
Une figure linéamentaire est-ouest des unités structurales et biogéographiques
Mais quels sont ces éléments du milieu physique ou humain qui prédisposent ce territoire à une telle lecture de
l’histoire et qui semblent légitimer cette théorie du parcours linéaire ? C’est dans sa géographie singulière que
nous allons trouver l’essentiel des réponses.
En effet, l'élément de géographie qui permet de caractériser le mieux la région Nord-africaine est la figure
linéamentaire est-ouest de ses grandes unités structurales et biogéographiques. C'est un découpage naturel en
bandes parallèles est-ouest, rarement
interrompues par des accidents orthogonaux sud-nord. Ce
découpage,structurel, est le résultat d'accidents géologiques inscrits dans les mouvements de déplacement et de
rapprochement des plaques africaine et européenne. C'est ce système d'ordonnancement des éléments
géographiques, marqué par la prédominance des alignements structuraux est-ouest, qui semble, a priori, avoir
commandé la dynamique humaine dans ses expressions biologique, sociale et culturelle.
C’est cette prédisposition géographique – au bonheur des historiens et géographes, depuis la plus haute antiquité qui a orienté, d'abord méthodologiquement puis conceptuellement, l’essentiel de leurs travaux. Cette
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particularité géographique va s'imposer comme cadre théorique permanent qui déterminera, désormais, l'histoire
du peuplement et des cultures Nord africains selon une approche latitudinale : du Levant à l’Occident et du
Machrek au Maghreb.
Et comme le hasard fait bien les choses, cette structure « linéamentaire », cette zonation du terrain Nord-africain,
s'accorde très bien avec le schéma classique de l’histoire des civilisations, fondé sur l'existence d'un foyer de
civilisation oriental et d'un sens de diffusion et de propagation est-ouest des manifestations civilisées.
En effet, Depuis les hiéroglyphes égyptiens aux légendes antiques, aussi loin que nous remontons dans le temps,
l'idée d'un foyer originel de civilisation, situé en orient, et d'un sens de diffusion est-ouest vers les "limites
insoupçonnées du monde" a toujours constitué le fondement de l'histoire du monde et des civilisations.
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L’AFRIQUE DU NORD : UNE GRILLE DE LECTURE
Mer Méditerranée
Désert
Océan Atlantique
Désert
Une particularité géographique qui va s’imposer comme grille de lecture et d’analyse qui
organise l’histoire du peuplement et des cultures nord africains selon un processus
constamment renouvelé d’invasions et de colonisations et un sens de diffusion est-ouest
parfaitement adapté à la zonation latitudinale des unités géographiques..
L’histoire et la géographie vont ainsi s’accorder (se mettre d’accord) pour produire le format théorique le plus
imperméable, qui va gouverner notre compréhension du mode de peuplement et de culture de l’Afrique du nord.
En effet, limitée au Nord par la Méditerranée, à l’Ouest par l’Atlantique, au Sud et à l’Est par le désert, ce territoire
« étanchéisé » et « inaccessible » au sens propre et au sens figuré, ne communiquerait que par les réduits couloirs
qui partent de la vallée du Nil.Cette particularité géographique va s’imposer comme grille de lecture et d’analyse
qui organise l’histoire du peuplement et des cultures Nord africains selon un processus constamment renouvelé
d’invasions, de conquêtes et de colonisations et un sens de diffusion est-ouest parfaitement adapté à la zonation
latitudinale des unités géographiques.
HOMO NORD AFRICANUS
?
Qu’il soit appelé Libyen, Gétule, Berbère ou Mazigh, l’Homo nord africanus
représenté et imaginé dans ses seuls attributs socio-biologiques.
est
Ses dimensions culturelle et civilisationnelle sont réduites à de simples expressions
et manifestations aléatoires, instinctives ou accidentelles, sans incidences réelles sur
le cours général de l’histoire.
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Dans cette vision « géographique » voire même « orographique » de l’histoire, l’Homo nord africanus, qu’il soit
appelé Libyen, Gétule, Berbère ou Mazigh (qu’importe) , est représenté et imaginé dans ses seuls attributs sociobiologiques; ses potentialités culturelle et civilisationnelle sont réduites et ramenée à de simples expressions et
manifestations aléatoires, instinctives ou accidentelles, sans incidences réelles sur le cours général de l’histoire.
l’Homo nord africanus ne donnera rien, il recevra tout. Une prédisposition physiologique et psychobiologique
congénitale, qui expliquerait ce placage d’Homo nord africanus à la géographie et, par conséquent, son incapacité
à réaliser des œuvres et des ouvrages à la mesure des grandes civilisations.
Le placage à la vie
Nous allons voir comment cette caractéristique foncière est exprimée et traduite dans la littérature depuis la plus
haute antiquité. Nous avons choisi deux exemples illustratifs, l’un dans l’antiquité romaine (-45 -46 av JC) et l’autre
plus près de nous, aux derniers temps de l’Algérie française (1960).
Nous commencerons par la citation de l’écrivain historien de l’antiquité De Salluste, gouverneur sous César de la
nouvelle province romaine de Numidie en (-46 – -45). C’est lui qui a écrit La Guerre de Jugurtha qui raconte la
guerre de Rome en Afrique du nord contre le roi numide Jugurtha, entre 112 et 105 av. J.-C. Voici ce qu’il écrit à
propos des populations Nord africaines qu’il nommait « Gétules » et « Libyens : «Les premiers habitants de
l’Afrique furent les Gétules et les Libyens, gens grossiers et barbares, qui se nourrissent de la chair des bêtes
sauvages ou de l’herbe des prés à la façon des troupeaux ». Il énonçait ce préalable « placage à la vie » pour
marquer la rupture « épistémologique » entre un monde sauvage, exclu de l’histoire et un monde civilisé acteur et
auteur légitime de l’histoire des hommes et de la production culturelle.
Plus près de nous, en 1960 Jules Roy, dans « la Guerre d’Algérie », exprimait les mêmes sentiments à propos des
algériens :« Souffre-t-on de voir les bœufs coucher sur la paille ou manger de l’herbe ? Les Arabes pouvaient
bien marcher nu-pieds et cheminer des jours entiers puisqu’il ne leur était pas nécessaire d’aller en voiture et
encore moins de porter des chaussures. La chaleur, le froid, la faim leur étaient inconnus. Ah ! L’heureuse
espèce ! » (Paris, Julliard, 1960, p.21-22).
Le placage à la vie, ou plus exactement la superposition du comportement biologique et social aux articulations du
paysage (géologie, relief, hydrographie, climat) a été le postulat nécessaire à l’élaboration du schéma de
peuplement et de culture de l’Afrique du nord. Il est à l’origine de tout un arsenal de notions, de concepts et de
mots qui consacrent une véritable idéologie raciale : rudesse, violence, grossièreté, liberté, libertinage, intrigue,
légèreté, mensonge, inconsistance, anarchie, sobriété, résistance, agilité. Ce sont là les attributs essentiels d’un
être indomptable, à la limite de l’animalité, vivant à l’état grégaire et inapte à tout effort civilisationnel.
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De la transposition dans la préhistoire
LE PARALLÉLISME ENTRE LE RÉCIT ET L’ANTHROPOLOGIE PRÉHISTORIQUE
De l’Anthropologie préhistorique
Du récit
Gétule
nomade
Protoméditerranéen
Capsien
Libyen
sédentaire
Mechta Afalou
Ibéromaurusien
« Ces Libyens et Gétules, chasseurs et cueilleurs, sont des peuples de la
préhistoire. Si des millénaires ne séparaient ces temps primitifs de l’époque
carthaginoise, il serait même assez tentant d’établir un parallélisme entre ce récit
et ce que nous enseigne l’anthropologie préhistorique au sujet des origines
berbères » (Camps, 1960).
Nous allons nous arrêter là et quitter les sentiers battus de l’histoire pour accéder à l’autre territorialité : la
préhistoire – où nous sommes d’ailleurs plus à l’aise – pour montrer comment toutes ces fortifications
idéologiques et ces cadres conceptuels et méthodologiques préétablis de l’histoire, ont pris en otage toute une
science, la préhistoire d’Afrique du nord, pour sauvegarder, je dirais même sauver, un mode de pensée, une seule
manière d’envisager l’histoire de l’Afrique du nord, à l’exclusion de toute autre.
En 1960, Gabriel Camps, préhistorien spécialiste de l’histoire des Berbères, tout en réfutant le caractère
fantaisiste et excessif des récits mythiques et légendaires d’Hérodote et de Salluste, est par contre
particulièrement séduit et épris par l’idée de l’existence, en Afrique du nord, de deux éléments de populations : les
Gétules nomades et les Libyens sédentaires.
Voici ce qu’il a écrit à ce sujet : « Ces Libyens et Gétules, chasseurs et cueilleurs, sont des peuples de la
préhistoire. Si des millénaires ne séparaient ces temps primitifs de l’époque carthaginoise, il serait même assez
tentant d’établir un parallélisme entre ce récit et ce que nous enseigne l’anthropologie préhistorique au sujet des
origines berbères » (Camps, 1960).
La bipartition anthropologique, c’était tout ce qui manquait à l’édifice pour arrimer le récit mythique et légendaire
à la substance, à la matrice préhistorique : « établir un parallélisme entre le récit et ce que nous enseigne
l’anthropologie préhistorique au sujet des origines berbères ».
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UNE BIPARTITION ANTHROPOLOGIQUE
« DEUX RACES QUI SE PARTAGENT LE MAGHREB »
ENTRE LE PALÉOLITHIQUE ET LE NÉOLITHIQUE
Protoméditerranéen
Capsien
Mechta Afalou
Ibéromaurusien
« Aux derniers temps de la préhistoire et encore pendant le Néolithique, deux races
partagent en effet, le Maghreb, les hommes de Mechta el-Arbi dont l’extension est tellienne
et surtout littorale, tandis que les hommes des civilisations capsiennes (des
protoméditerranéens) occupent les régions méridionales qui seront plus tard le domaine
des Gétules. Mais l’analogie s’arrête simplement à cette bipartition, parce que celle-ci est
une constante de l’histoire du Maghreb… ». (G. Camps, 1960).
Nous allons essayer de voir ce que nous enseigne l’anthropologie préhistorique à ce sujet, en suivant le même
auteur (G. Camps) qui écrit à ce propos : « Aux derniers temps de la préhistoire et encore pendant le Néolithique,
deux races partagent en effet, le Maghreb, les hommes de Mechta el-Arbi dont l’extension est tellienne et
surtout littorale, tandis que les hommes des civilisations capsiennes (des protoméditerranéens) occupent les
régions méridionales qui seront plus tard le domaine des Gétules. Mais l’analogie s’arrête simplement à cette
bipartition, parce que celle-ci est une constante de l’histoire du Maghreb… ». (G. Camps, 1960).
En précisant sa pensée, l’auteur s’est risqué dans un télescopage que la science ne peut autoriser, entre un monde
de la préhistoire, qui tire sa substance de la mémoire sédimentaire et de son contenu paléoanthropologique, et
un autre monde plus linéaire, , celui de l’histoire, une histoire contée et racontée.
Vous remarquerez, ici, l’introduction de la dimension « race » dans le champ conceptuel préhistorique: « deux
races se sont partagés le Maghreb », l’une tellienne et littorale et l’autre méridionale et continentale. « Mechta el
Arbi » et « Protoméditerranéen » qui se placeront dans le prolongement exact de la bipartition « Lybiens »
sédentaires et « Gétules » nomades d’Hérodote et de Salluste.
Par cette équation, cette analogie, nous voyons bien ce que l’auteur a voulu réaliser : une connexion
épistémologique histoire-préhistoire, en faisant de cette dernière l‘instrument de légitimation d’un modèle et
d’un format historique préétabli. Vous avez remarqué qu’à propos de la bipartition anthropologique, l’auteur a
tenu à souligner que celle-ci était « une constante de l’histoire du Maghreb ».
Une préhistoire au service des extravagances et incongruités historiques
Nous allons voir comment la bipartition anthropologique va servir à l’énoncé d’un nouveau parcours linéaire,
cette fois-ci ancré à la préhistoire.
Je vous invite, d’abord à méditer sur une célèbre sentence, prononcée en 1955, par le non moins célèbre
préhistorien L. Balout, en conclusion de sa synthèse sur "la préhistoire d'Afrique du nord": "Ce serait donc dès les
millénaires obscurs de la préhistoire que les pays du Maghreb, soudés à l'Afrique et à l'Orient, mais pouvant
s'ouvrir à l'Europe, auraient pris ce caractère qui les enchaîne depuis lors, de n'avoir pu se donner une civilisation
dont ils auraient été le foyer, ni s'intégrer sans retour aux cultures venues de trois points de l'horizon, qui tour à
tour les colonisèrent… il manquera au Maghreb le sourire de la Grèce, et l'emprise de Carthage relayée par celle
de l'islam, c'est à dire la domination de l'orient; isolera ces méditerranéens, proches parents de ceux qui
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peuplent les rivages septentrionaux, ainsi que ce pays qui prolonge l'Europe plus qu'il n'annonce l'Afrique. Entre
Carthage et l'Islam, Rome a montré ce que pouvait être un Maghreb tourné vers l'Europe et s'assimilant à elle,
nous ne tentons pas autre chose depuis ou moins d'un siècle" (L. Balout, 1955, p. 490-491).
Quel rude verdict, prononcé par celui qui allait devenir le premier directeur du Centre de recherche algérien de
préhistoire, d’anthropologie et d’ethnographie (C.R.A.P.E). Par cette sentence qui clôture ses travaux de recherche
sur l’Afrique du nord, il venait de sceller le sort d’une préhistoire Nord-africaine, en la mettant définitivement au
service des extravagances et incongruités historiques.
COMMENT ON EST-ON ARRIVÉS LÀ ?
l’Homo sapiens sapiens maghrébin
(Homme de Mechta el Arbi) « est
assez semblable au type Cro-Magnon,
quoique plus frustre physiquement et
intellectuellement ». L. Balout, 1958).
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A propos de l’Homo sapiens sapiens maghrébin (Homme de Mechta el Arbi), Balout avait écrit, je cite : « il est
assez semblable au type Cro-Magnon, quoique plus frustre physiquement et intellectuellement » (L. Balout,
1958, Algérie préhistorique, Arts et Métiers Graphiques, n°71, p.7).
« Frustre physiquement et intellectuellement ». Je rappelle que nous parlons ici d’une humanité sapiens sapiens
ème
ème
qui s’est déployée en Afrique du nord, entre le 20 et le 10 millénaire. Une population de chasseurs-cueilleurs
à mode de production épipaléolithique non encore touchée par les effets de la révolution néolithique. Nous nous
demandons, par quel coup de génie, cet auteur a pu mesurer le quotient intellectuel de l’homme de Mechta El
Arbi pour lui interdire tout accès à la formulation artistique? Il est certain, que dans cet entendement idéologique,
la préhistoire et l’anthropologie ne sont convoquées que comme instruments de légitimation d’une théorie de
peuplement et de culture de l’Afrique du nord, fondée sur un « parcours linéaire » fait d’invasions, de conquêtes
et de colonisations.
Quel scénario pour la préhistoire ?
Telle qu’envisagée, la préhistoire Nord-africaine se présente comme une projection dans un passé géologique,
d’une vision arrêtée de l’histoire, fondée sur l’existence d’un foyer civilisationnel originel et unique oriental,
source de toutes les civilisations et manifestations civilisées. Un concept de la civilisation et de la diffusion qui
repose sur deux mécanismes dominants, l’un statique, source d’immobilisme voire même de régression, l’autre
dynamique source de progrès et de perfectionnement. Le schéma théorique de peuplement et de culture
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préhistoriques de l’Afrique du nord repose sur cette équation: statique/dynamique qui tire sa force de l’ancrage à
la géographie.
Homo sapiens sapiens
IMMOBILISME PALÉOLITHIQUE/DYNAMISME EPIPALÉOLITHIQUE-NEOLITHIQUE
Néolithique
Neandertal
Epipaléolithique
Paléolithique
Dynamisme
de contact
Immobilisme
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De l’immobilisme
Nous allons d’abord examiner la dimension statique, celle qui gouverne l’immobilisme et la régression.
Cette dimension est circonscrite aux phases paléolithiques de la préhistoire Nord-africaine (Paléolithique inférieur
et moyen) où l’humanité – considérée comme non encore acquise à la sapienisation - est présentée sous des
attributs qui la rattacherait fortement à un fond, un socle africain profondément enraciné dans le passé animal.
Cette humanité paléolithique tirerait son unité et sa stabilité de la lenteur d’évolution, en vas clos, sans apports
extérieurs, dans une ambiance facile et un climat uniformément doux qui assurerait, tout particulièrement, une
certaine sécurité alimentaire.
La dynamique du milieu biologique en Afrique du nord, a été lente et quasi-uniforme ; elle n’a pas été contrariée
par les grands phénomènes de migrations et d’échanges. L’évolution – du monde animal - s’est effectuée par
l’extinction progressive des formes animales attardées et leur remplacement par des éléments nouveaux. Les rares
représentants fauniques immigrés européens et asiatiques, introduits à la faveur de quelques influences
climatiques, n’ont joué qu’un rôle assez accessoire dans la composition écosytémique.
C’est à ce socle biologique animal, profondément africain, que l’homme paléolithique a été rattaché. Une
particularité africaine qui a été interprétée comme une aptitude et une tendance congénitale à l’immobilisme et la
régression.
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Le dynamisme de contact et les vertus de la sapienisation
Nous allons maintenant examiner la dimension dynamique celle qui gouverne le progrès et le
perfectionnement. J’ai emprunté l’expression «dynamisme de contact ». au jargon géologique « métamorphisme
de contact » qui a été à la base même de la théorie diffusionniste. C’est l’historien Emile Felix Gautier qui a, me
semble-t-il, transposé cette dynamique géologique, métamorphique à la dynamique humaine.C’est dans cette
logique minérale et magmatique qu’est conçu l’étalement d’Est en Ouest des manifestations civilisées, jusqu’aux
confins marocains ou les effets et les influences s’amenuisent s’essoufflent et s’estompent. Certains parleront du
« trainard maghrébin » qui intervient en fin de course au bout de l’essoufflement.
Dans cette lecture minérale de l’histoire, nous allons voir, comment l’Afrique du nord, dans ses phases postpaléolithiques (Epipaléolithique et néolithique) va connaître un profond bouleversement provoqué par l’arrivée
des premiers Homo sapiens sapiensd’Orient qui, par vagues successives, vont supplanter les populations
autochtones, réduites, refoulées, assimilées et même exterminées (Rappelez-vous la saga des invasions et
colonisations punique-romaine-vandale…). L’histoire se répète dans la préhistoire.
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Première vague : De « l’invasion ibéromaurusienne »
ème
ème
« La civilisation » Ibéromaurusienne : (20
– 8
millénaire) est présentée comme le fait d’une invasion
brutale, depuis la mer de Syrthe jusqu’à l’océan atlantique, de groupes dit de Mechta-Afalou, de la famille des CroMagnons.
Le préhistorien L. Balout avait écrit à ce sujet « Les hommes ibéromaurusiens, en d’autres termes, la race de
Mechta el-Arbi, ont donc déferlé à travers le Tell maghrébin comme le feront, bien des millénaires après, Sidi
Okba et ses successeurs en un demi-siècle. Mais il s’agit alors d’un fait infiniment plus grave : l’avènement brutal
d’Homo sapiens dans le Maghreb et la disparition de son prédécesseur néandertalien ». Les tout derniers
ibéromaurusiens «auront l’audace d’affronter l’Océan et peupleront les Canaries : ce sont les Guanches» (L.
Balout, 1956).
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DEUXIÈME VAGUE: : DE LA COLONISATION CAPSIENNE
Atérien
Capsien: 8.000 – 3.000 ans BP
Ibéromaurusien: 22.000 - 8.000 ans BP
Atérien: + 40.000 - 25.000 ans BP
Deuxième vague : De la « colonisation capsienne»
ème
ème
« La civilisation Capsienne » (8 -3
millénaire) est présentée quant à elle comme le fait d’une colonisation
progressive, à partir du Proche orient, de groupes humains protoméditerranéens, présentés comme les ancêtres
des berbères actuels, se rattachant au grand groupe des Méditerranéens. Le processus culturel engagé par ces
méditerranéens orientaux serait accompagné par une expansion géographique depuis les Hautes plaines
orientales vers le Sahara puis le Maghreb et enfin le Maghreb-Sahara.
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Troisième vague : De la « révolution néolithique »
Le processus de néolithisation de l’Afrique du nord à partir du proche orient, se présenterait comme un fait
civilisationnel révolutionnaire qui a rencontré :
- un terrain prédisposé, celui du Capsien des Hautes plaines orientales, à partir duquel il va étendre, en direction
du nord-ouest, ses influences et plus particulièrement ses aptitudes artistiques tout au long de l’Atlas saharien. Ce
serait « un fait d’assimilation » ;
- un terrain pauvre et répulsif, celui de l’Ibéromaurusien littoral et tellien qui tendrait à se réfugier dans les grottes
et escarpements rocheux, assez frustre et non acquis à l’influence artistique. Ce serait « un fait de colonisation »
par les protoméditerranéens;
- un terrain trop différent, celui d'une humanité à la limite de la sapienité, le Moustérien et/ou l’Atérien
néandertalien ou néandertaloïdes des Hautes plaines occidentales et du Sahara. Sur ce terrain, l'évolution se
serait faite à travers l'invasion d'un territoire par une humanité moderne sapiens sapiens et l'effacement et
extinction des derniers représentants d’un monde néandertaloïde révolu. Ce serait « un fait d’invasion ».
L’écroulement de l’édifice conceptuel statique/dynamique
La preuve par les dates
Tout cet édifice conceptuel et méthodologique qui a gouverné notre compréhension de la préhistoire de l’Afrique
du nord, n’a jamais été remis en cause ou même dérangé dans son énoncé. Il fallait attendre les années 67-68,
avec la généralisation des datations au Carbone 14, pour réaliser, pour la première fois, que le cadre de la
préhistoire Nord-africaine, tel que fixé, ne pouvait plus contenir, en l’état, les nouvelles données de la chronologie
absolue. Les dates obtenues, seront jugées tantôt trop hautes, tantôt trop basses, seront d’abord mises en doute
avant d’être rejetées purement et simplement.
Les nouveaux résultats de la chronologie absolue, de plus en plus nombreux, ne pouvaient plus s’adapter au
cadre chrono culturel préétabli ; ils imposaient d’eux-mêmes la nécessité d’une reconsidération profonde des
conceptions jusque-là en cours. Une nouvelle réalité est donc mise en valeur par les chiffres ; elle devait se
traduire obligatoirement par un éclatement du cadre chrono culturel en place. Ce qui n’a pas été fait. Seul un
réajustement du cadre chrono culturel préétabli a été opéré, à travers la multiplication des subdivisions culturelles
et la création de catégories artificielles.
Les nouveaux faits de la chronologie absolue, « contraires à la démonstration », qui n’arrivent plus à s’intégrer au
modèle théorique en place, sont les éléments les plus sûrs de la contradiction : ils rompent l’unité d’un cadre et
indiquent, par les chiffres, les limites de ses subdivisions. Le terrain Nord-africain, à l’apparente uniformité, a donc
fini par opposer une résistance de type chronologique au modèle préhistorique préétabli, ce qui en soi devait
impliquer une reconsidération épistémologique, au risque de forcer davantage la réalité par un émiettement
systématique des entités culturelles et anthropologiques. Ce qui n’a pas été fait.
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Expansion Néolithique
Colonisation Capsienne
Homo nendertalensis
Invasion Ibéromaurusien
Paléolithique
L’Homme de Neandertal absent en Afrique du nord
Le deuxième élément fondamental qui participe à l’effondrement du schéma conceptuel et méthodologique
préétabli est d’ordre anthropologique. Nous savons, aujourd’hui, que l’homme de Neandertal est absent en
Afrique du nord – ses ultimes traces n’ont pas dépassé Gibraltar - et que l’Homo sapiens sapiens de
l’Epipaléolithique (Homme de Mechta Afalou, Algérie) n’est que la forme évoluée de l’Homo sapiens sapiens du
paléolithique moyen (Homme de Dar es Soltane, Maroc).
Cette continuité anthropologique sapiens sapiens en Afrique du nord porte ainsi un coup dur au socle conceptuel
qui légitimait un certain dynamisme de contact; elle ne pourrait plus autoriser les hypothèses d’un va et vient
incessant de populations, mettant en jeu des successions de conquêtes, de colonisations et d’invasions.
Renouveau conceptuel et méthodologique
A lumière des toutes ces données de l’archéologie et de l’anthropologie, nous sommes nécessairement appelés à
revoir les approches et à rechercher d’autres pistes de réflexion mieux ancrées à la réalité et ne plus continuer à
forcer la réalité en créant des catégories culturelles et anthropologiques artificielles. Je ne m’adresse pas ici aux
seuls préhistoriens mais aux historiens aussi qui prennent pour acquis ces concepts préhistoriques et
anthropologiques révolus.
Nous avons évoqué, en introduction, cet intéressant paradigme de la globalité de l’histoire de l’Afrique du nord
et de la perspective de son intégration dans la trame historique méditerranéenne.C’est dans cette voie que nous
nous sommes inscrits, en investissant dans ce que nous avons appelé la recherche des transversalités en
Méditerranée. Nous nous sommes d’abord intéressés aux relations transméditerranéennes aux temps
paléolithiques. Une orientation de la de recherche qui nous met en dehors de l’ancrage exclusivement terrien, qui
a gouverné l’histoire de l’Afrique du nord jusqu’ici.
Des relations transméditerranéennes
Nous nous sommes toujours posé la question pourquoi l’archéologie nord africaine n’a été abordée que sous une
approche strictement terrienne et pourquoi des recherches en milieu subaquatique n’ont jamais été envisagées,
notamment les questions liées à la navigation proto et préhistorique. Nous savons, aujourd’hui, que c’est par
navigation que des Homo sapiens sapiens d’il y a une quarantaine de milliers d’années sont parvenus en Australie.
Nous savons également que l’occupation des îles pacifiques s’est réalisée de la même manière et selon les
modalités d’une navigation plus ou moins maîtrisée. Toutes les autres explications se sont montrées incompatibles
avec les données de l’archéologie et de la géographie notamment.
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Alors, pourquoi cette appréhension et ce scepticisme européen, à l’idée de navigation dès qu’il s’agit de relations
transméditerranéennes avant la période néolithique, alors que des preuves de migrations marines à travers le
détroit de Gibraltar et le couloir sicilo-tunisien sont attestées depuis les temps paléolithiques.
Voici ce qu’avait déclaré à ce sujet D. Anthony , en 1992, dans “ Migration in Archeology: the Baby and the
Bathwater »: « Cette allergie à l’idée de navigation n’est fondée en Europe occidentale que sur des habitudes de
pensées, puissantes et insidieuses ». En 1995, Marcel Otto, préhistorien de l’Université de Liège, en introduction
d’un article intitulé « Contacts transméditerranéens au Paléolithique », est encore plusvirulent sur ce sujet, il écrit
:« Curieusement, il n’est pas de bon ton aujourd’hui d’admettre volontiers les échanges trans-méditerranée
durant le Paléolithique. Cette « allergie intellectuelle » semble reposer sur quelques courants de pensée imposés
par certaines écoles à tendance dominatrice. De nombreux éléments de réflexion s’opposent pourtant à ce qui
tend à devenir un dogme dans les milieux scientifiques. Ce glissement épistémologique constitue, déjà en soi,
une sollicitation à la controverse puisque aucune aire ne peut rester inaccessible à la réflexion. La notion de
navigation paléolithique soulève automatiquement un scepticisme fondé sur des a-priori inconscients et ainsi,
difficilement surmontables. La science préhistorique s’est installée là dans un fonctionnement circulaire qu’il faut
au moins démonter, sinon combattre. Le simple raisonnement logique s’oppose à cette manière de voir : les
aptitudes intellectuelles attestées par la technicité terrestre, suffisent largement à surmonter les difficultés
posés par un passage d’eau". (M. Otto, 1995).
Nous croyons comprendre pourquoi les préhistoriens et anthropologues qui ont tout particulièrement travaillé en
Afrique du nord, continuent à rejeter toute hypothèse tendant à établir de possibles relations entre les deux rives
de la Méditerranée durant la période paléolithique.
RELATION TRANSMEDITERRANÉENNE PALEOLITHIQUE
Ibéromaurusien: 22.000 - 8.000 ans BP
Atérien: + 40.000 - 25.000 ans BP
En effet, si contacts il y a, durant cette période, entre les populations sud et nord de la Méditerranée, c’est tout
l’édifice épistémologique mis en place depuis la plus haute antiquité, qui se trouve ébranlé. Les théories
diffusionnistes qui organisaient jusque-là l’histoire des cultures et du peuplement nord africains se trouveront
sérieusement ébranlées.
En 2001, J. Roche, préhistorien, ayant beaucoup travaillé au Maroc, avait écrit : Il y a « 25.000 ans, les rives
européenne et africaine du détroit (Gibraltar) étaient distantes en moyenne de 20 km sur une longueur d’une
centaine de kilomètres, donc parfaitement visibles de part et d’autre du détroit - Dans la partie centrale, la
distance de franchissement n’excellait pas 10 km à cause de l’émergence d’un îlot » ( J. Roche, 2001).
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La même année, D. Feremebach, éminente anthropologue, soutenait que c’était durant cet intervalle de temps
que des Homo sapiens sapiens nord africains traverseront le Détroit de Gibraltar, profitant d’un abaissement
considérable du niveau des eaux de la Méditerranée jusqu’aux environs de -120 m d’altitude ( D. Ferembach,
2001).
La période de 25.000 ans, correspond « au passage d’un climat relativement frais et humide à une aridification
croissante » (M. Couvert et J. Roche, 1977-78 ; A. Debenath et alii, 1986).
« La bataille de Caprina »
C’est en sauveur de l’édifice que l’une des plus éminentes anthropologues du monde, Melle D. Ferembach, avait
proposé un schéma de peuplement et de culture où L’Atérien paléolithique « porteur d’un virus » aurait traversé la
Méditerranée et contribué à l’extermination des néandertaliens – Ces derniers auraient « perdu leur immunité
naturelle ». En terre d’Europe, les atériens se transforment en cromagnoïdes et apprennent - évidemment- au contact
des cromagnons d’Europe, les techniques du gravettien. Ce n’est qu’après « ce stage de courte durée » qu’ils
reviennent en Afrique pour devenir des ibéromaurusiens – (L’Anthropologie, t.90, pp.579-587, 1986 ;
l’Encyclopédie berbère, cahier n°36, 1986 ; le Manuel d’Anthropologie physique ,Doin, CNRS,pp.245-256,1986).
Situant parfaitement la portée et le glissement induits par ces hypothèses, le préhistorien G. Camps avait répondu,
dans une correspondance scientifique (B.S.P.F., 1987, t.84, pp. 67-68), à ce qu’il avait appelé « Un scénario de
préhistoire catastrophe : l’odyssée des atériens et le retour des ibéromaurusiens » :« je ne reviendrais pas sur cette
succession de massacres et d’exterminations qui nous ramènent à une préhistoire telle que la concevaient les
contemporains de Rosny aïné, on assiste même à une nouvelle phase de la bataille de Kaprina… La progression de
l’humanité dans sa complexité, ne saurait être conçue comme un déplacement linéaire le long d’un front continu ».
Retenons cette phrase de G. Camps : « La progression de l’humanité dans sa complexité, ne saurait être conçue
comme un déplacement linéaire le long d’un front continu ». N’est-ce pas là la meilleure conclusion que je pourrais
donner à ma contribution sur le parcours linéaire ?
Je voudrais terminer ma communication en disant quel’histoire de l’Afrique du nord est à revisiter et qu’elle ne
peut être réduite à une succession d’événements liés chronologiquement. Elle est un moment significatif chargé
de sens, de qualités et de valeurs. Aujourd'hui, il se pose pour nous le problème du support et de la preuve
archéologique de cette histoire. Par archéologique s’entend un recours aux traces et témoignages du passé,
laissés dans et sur le sol et dont il faut rendre lisible et intelligible la lecture.
La véritable question d’aujourd’hui : Qui sommes-nous, d’où venons-nous et oùallons-nous ? Pour apporter des
éléments de réponse à cette profonde angoisse identitaire, nous devons emprunter les sentiers profonds de la
préhistoire pour accéder aux valeurs perdues, endormies ou encore ensevelies sous quelques poussières de
sédiments. Tous les autres chemins mènent à « Rome ». Le préhistorien français F. Bourdier soulignait, à juste
titre : « S’il est vrai, comme dirait Héraclite, que pour comprendre une chose il faut en connaître l’origine et le
développement, la paléontologie et la préhistoire, qui nous révèlent la naissance et l’évolution de l’homme,
devraient constituer la base des sciences humaines et même de la morale et de la politique »(Préhistoire de France,
1967). L’inventeur de la préhistoire, Jean Crève-cœur Boucher de Perthes, n’en pensait pas moins en considérant
que « Les sciences des temps révolus nous ouvrent les portes de l’avenir » et qu’on ne peut calculer la trajectoire
du futur qu’en connaissant celle du passé ».
C’est aux fins fonds de la préhistoire que nous devons aller, pour retrouver le cours et remonter ses confluents, là
où sont encore précieusement conservés, à la faveur de quelques méandres prononcés, les restes d’usages
millénaires, gestes et comportements de générations paléolithiques qui ont fait ce que nous sommes aujourd’hui.
La préhistoire nous invite à transgresser les limites chronologiques de l’histoire, à aller au-delà du récit et de
l’évènement; elle nous invite à aller encore plus loin pour voir ce qu’il y a derrière, et ce qui est enfoui en dessous.
C’est au plus profond de la mémoire sédimentaire que nous devons puiser les clés de lecture d’une histoire
enregistrée dans le sédiment et incrustée dans la roche. Ce ne sera pas l’histoire classique des civilisations, mais
une histoire de l’homme et de sa production culturelle dans une historiographie sédimentaire, partant d’un corpus
documentaire fossile et fossilisé, appartenant à un temps géologique révolu, et d’une façon d’écrire et de
concevoir l’histoire « géologique » des cultures et civilisations d’Afrique du nord
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En géologue préhistorien nous voulions aller à contre sens de la démarche historiciste qui appel à dérouler le fil de
l’histoire dans une sémantique séquentielle. Notre approche se veut plus holistique, permettant, le plus sûrement,
d’accéder à un champ global d’interaction entre l’homme, ses manifestations et représentations culturelles et son
environnement naturel. Une approche qui se veut être en rupture avec la traditionnelle segmentation historique
(périodisation) qui, d’usage, emprunte un parcours chronologique d’événements « marquants ». Il s’agira, pour
nous, de fixer les contenus et les moments significatifs chargés de qualités et de valeurs, dans une matrice
géoarchéologique.
De la séquence à la matrice historique
Démarche historiciste qui vise à dérouler le fil de l’histoire
dans une sémantique séquentielle
traverser les épaisseurs de la mémoire
pour mieux s’ imprégner de sa substance
Succession de périodes chronologiques qui consacre des
niveaux de discontinuités et des hiatus, empêchant la
perception de toute individualité et originalité : périodes
préhistorique- punique – romaine – vandale – byzantine –
musulmane – turque – coloniale – nationale. A chacun son
fragment d’histoire.
Matrice
Fragments séquentiels
L’histoire agit le plus sûrement sur la filiation pour
produire de la continuité généalogique.
La mémoire sédimentaire est incompressible, elle est
contée et racontée dans une historiographie
sédimentaire, le long d’un corpus documentaire
géologique et d’une façon d’écrire et de concevoir
l’histoire géologique.
Nous avons préféré traverser les épaisseurs de la mémoire géologique pour mieux nous imprégner de sa
substance, en investissant dans la consistance de la matrice sédimentaire, véritable registre documentaire où
sont disposés les traces et les témoignages du passé dont il faut rendre lisible et intelligible la lecture.
C’est au plus profond de la mémoire sédimentaire que nous sommes allés puiser les clés de lecture de cette
mémoire. Une mémoire incompressible, contée et racontée dans une historiographie sédimentaire, le long d’un
corpus documentaire géologique et d’une façon d’écrire et de concevoir l’histoire géologique.
L’accès à cette mémoire est rendue possible grâce à une grille et une échelle de référence qui met en cohérence
et en concordance les différents éléments du « récit » sédimentaire. La géologie, la géomorphologie, la préhistoire,
l’archéologie et l’anthropologie ont été nos instruments d’investigation scientifique qui nous ont permis l’accès à
cette lecture des marques et des empreintes du temps (traces, vestiges et documents).
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