RECENSIONS
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sément sa philosophie le voulait et on ne peut la séparer de
ses
engagements,
comme l'auraient souhaité plusieurs de ceux qui, à tel ou tel moment, ont été
ses
amis, sans comprendre
ce
qu'il y avait d'incongru, au point de vue même
de la philosophie, à lui demander d'être infidèle à
ce
qu
'il vivait et voyait,
sous prétexte
de
fidélité à des livres, fussent-ils de saint Thomas. Néo-thomiste
pour les uns, pa/éo-thomiste pour les autres, il
se
riait des étiquettes; il était
tout simplement philosophe au
xx·
siècle.
2.
On
ne peut cependant oublier que sa philosophie recevait constamment
une inspiration qui vient de plus haut
qu
'elle et sans laquelle elle n'aurait
pas été pour lui une sagesse. Selon une expression qu'il s'est efforcé d'expli-
quer et de défendre, mais dont il déplorait l'insuffisance et la permanente
ambiguïté, il vivait une «philosophie chrétienne
».
Il
n'a
certes jamais accepté
que cette inspiration la dénature -
ce
qui eût été contraire à l'une et à l'au-
tre -mais il rejetait par là une conception
qu
'il attribuait à Descartes (son
<J.
intime
ennemi»),
celle de la «philosophie séparée » ; la foi d'un homme
ne peut pas rester étrangère à
ce
qu
'il vit comme une sagesse. Je ne fais pas
précisément allusion ici à
ce
qu'ont été, sur quelques points précis, des incur-
sions dans le domaine de la
théologie;
il s'est efforcé d'en donner en méthode
des justifications que je n'ai jamais très bien saisies et
j'a
voue avoir été de
ceux qui tout à la fois ne lisaient pas
ces
productions sans quelque malaise
et cependant
se
seraient bien gardés de l'en détourner car, au milieu de
ce
qui
nous paraissait maladroit ou franchement contestable, apparaissait presque
toujours quelque joyau que nul autre n'aurait trouvé ou exprimé comme lui.
Mais cela est, somme toute, resté
marginal;
Jacques Maritain a toujours
voulu être philosophe et c'est dans le chœur des philosophes qu'il a pris place.
Ce
ne pouvait être sans dialogue et
ce
dialogue ne pouvait de sa part rester
académique; il a été passionné. Celui-là seul s'en étonnera pour qui la vérité
n'est pas une question vitale.
On
s'est parfois montré surpris de la pla
ce
qu'a
prise dans son œuvre la discussion avec Descartes. Cela tient évidemment à
l'histoire concrète de son esprit, à ce
qu'ont
été pour lui les occasions de
se
définir, qu'elles soient nées de
ses
lectures ou des exigences de son ensei-
gnement.
De
fait, c'est contre Descartes qu'il a voulu vider pour lui-même la
grande querelle de l'idéalisme. Il aurait
pu
faire à d'autres cet honneur.
De
mes
conversations avec lui, j'ai retiré l'impression que, parmi ses adversaires,
c'est pour
Kant
qu'il nourrissait l'admiration la plus profonde, peut-être même,
malgré la fondamentale opposition, une secrète connivence, dont je ne suis
pas éloigné de penser que certaines de
ses
formulations en philosophie morale
ont gardé la trace.
3.
Mais faisons davantage connaissance avec le recueil que nous offre
H.
Bars.
Ce
ne peut être sans rendre un particulier hommage aux Editions Desclée
De
Brouwer, qui
n'ont
rien ménagé pour que la présentation soit
parf
ai
te. La
reliure et le format de la «Bibliothèque
européenne»
rendent
ce
volume de
treize cents pages à la fois solide et maniable, cependant que la typographie
cl
aire, aérée, peut-être un peu trop large pour les textes mêmes, est un plaisir
pour l
es
yeux. Il faut,
il
est vrai, apprendre à s'en
servir;
l'usage n'en est p
as
l~médi
a
tement
évident, mais dès qu'on est un peu familiarisé avtc la réparti-
tion adoptée, on s'aperçoit qu'on a sous la main tous les renseignements souhai-
tables. L'«
Introduction»
dégage avec maîtrise la ligne même de la pensée. Elle
est suivie d'une «Chronologie », suffisamment minutieuse pour suivre tout le
dessin de la biographie, sans être inutilement surchargée. La
«Bibliographie»