immédiatement compréhensible ; il a d'emblée un sens pour nous parce qu'il s'agit d'un acte humain et le cours de l'histoire est lui-même
"compréhensible" parce qu'il s'agit d'un devenir humain.
L'histoire ne peut avoir pour but, comme une science de la nature, d'établir des lois, mais bien de reconstituer le passé humain à partir de la connaissance
naturelle que nous avons d'autrui, par une participation au sens de ce passé. Parce que l'histoire est un monde humain, parce que l'histoire a affaire à une
réalité humaine, elle est tout entière compréhensive, fondée, comme l'écrit M. Marrou, sur "cette disposition d'esprit qui nous rend connaturels à autrui,
qui nous permet de ressentir ses passions, de repenser ses idées sous la lumière même qui les fit naître comme vérité."
Mais, dira-t-on, les actes humains sont ambigus et l'histoire est susceptible de plusieurs interprétations possibles. L'interprétation ne dépend-t-elle pas de la
situation de l'historien, de son point de vue ? Dans ces conditions l'histoire ne sera-t-elle pas toujours partielle et partiale ? - C'est par là, nous répond-t-on,
qu'elle est "compréhensive".
L'historien ne fait qu'éclaircr d'un certain point de vue une partie du passé. C'est précisément parce que Tocqueville était un aristocrate attentif aux conflits
de la royauté et de la noblesse qu'il a pu mettre en lumière le rôle de la noblesse dans la convocation des Etats Généraux et déceler ainsi une des origines
de la Révolution Française. Vouloir substituer à cette compréhension une explication objective, exhaustive, c'est méconnaître le sens même de toute réalité
humaine. La partialité de l'historien et l'ambiguïté de l'histoire ne font qu'exprimer l'essence même de la réalité humaine.
b) C'est le même point de vue qui préside à l'idée d'une sociologiecompréhensive chez Max Weber. On ne peut pas "expliquer" la société capitaliste
comme le simple effet du jeu des forces économiques. Si l'on constitue "un type idéal" de la société capitaliste occidentale, on se donne le moyen de
comprendre le rapport intime du capitalisme et du protestantisme: Parmi les raisons du capitalisme apparaissent au même titre que les causes économiques
la confiance des protestants en la prospérité de leurs affaires, signe de leur élection par Dieu, la justification "religieuse" de leur épargne et de
l'accumulation des richesses, leur audace dans l'expansion de leur entreprise qui conduit à la concentration des capitaux.
La sociologie ne peut avoir pour but d'établir des lois de l'évolution des sociétés comme une réalité objective. La compréhension repose sur l'originalité et
l'irréductibilité du fait social que l'explication abolit. Elle consiste à le recréer dans sa réalité inépuisable et singulière.
En exigeant des "sciences" humaines qu'"elles fournissent le même type d'intelligibilité que les sciences de la nature, c'est le sens même des faits humains
que l'on met entre parenthèses, c'est l'essence même de la réalité humaine que l'on laisse de côté.
Ainsi, si ces modes de connaissance, explication et compréhension s'opposent et vont jusqu'à s'exclure, c'est d'une part que l'explication des sciences de la
nature ne nous donne pas accès à l'essence des choses, c'est d'autre part que l'essence de la réalité humaine exclut toute explication scientifique. Il ne s'agit
point d'une question de méthodes, mais d'une affirmation de principes : l'agnosticisme d'une part, concernant la connaissance objective de la nature, le
subjectivisme d'autre part, concernant la réalité humaine, qui exclut toute connaissance objective.
Deuxième partie :
Qu'en est-il ? Que nous apprennent les démarches réelles de la science ? Les sciences de la nature se contentent-elles d'établir des relations entre les
phénomènes, ou bien n'ont-elle pas pour objet d'élaborer des théories qui aboutissent à la compréhension de l'essence même des choses ?
D'autre part, ne peut-on concevoir la réalité humaine comme une réalité objective sans en éliminer l'originalité et la signification ?
Telles sont les questions auxquelles il faut répondre si l'on veut ne pas opposer compréhension et explication comme deux modes d'intellection
correspondant à des réalités distinctes par nature, mais les unir comme deux aspects du processus réel de la connaissance, qui a toujours affaire à une
réalité objective.
1) La science ne se borne pas à constater qu'un phénomène est suivi d'un autre pour établir un rapport quantitatif entre les deux. Elle invente des
hypothèses et des théories qui nous proposent une approximation de l'essence même des phénomènes que la loi relie.
C'est ainsi que la compréhension des lois de la dilatation est réalisée par la théorie moléculaire. L'hypothèse de la pression atmosphérique qui rend compte
de la hauteur du mercure dans le tube expérimental rend compte du fait et constitue une véritable compréhension. L'explication au sens d'un rapport
quantitatif entre les phénomènes n'est qu'un moment, une étape, non le tout de l'intelligibilité scientifique. Le mouvement réel de la science consiste
précisément à découvrir derrière les phénomènes l'essence qui rend compte de leur production.
Au cours du progrès des sciences de la nature, les lois expriment non plus seulement des rapports quantitatifs entre les phénomènes, mais la raison même
de ces phénomènes, le lien nécessaire qui relie les apparences à l'essence même des choses. Si l'on considère l'histoire de la pensée scientifique, on assiste
à un mouvement vers une intelligibilité, une "compréhension" de plus en plus profonde de la réalité :
Une hypothèse est formulée. L'observation révèle un fait nouveau qui rend impossible le mode d'explication antérieure. Alors, nait le besoin d'un nouveau