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Abstract: The explicitation interview in medicine: exploring the subjective experiences
The explicitation interview, largely derived from the phenomenological approach allows a precise and rigorous
description of subjective experiences. It therefore offers innovative perspectives in medicine, both from the
point of view of clinical and therapeutic approaches and from research in psychology and neuroscience. Indeed,
it can be used as a functional upgrade of cognitive and affective strategies in a practical purpose. Thanks to the
originality of its methodology, it is also a tool for enrichment of medical and scientific theoretical frameworks.
Key words: Interview, Psychological; Psychotherapy
L'entretien
d'« explicitation »
en médecine
Pour explorer les vécus subjectifs
Les questions posées par le lien entre les expériences
subjectives et les expériences médicales ont été largement explorées et inventoriées par la psychologie
de la santé et de la médecine [2].
Sans vouloir diminuer l’apport considérable de la psychologie de la santé et de la médecine, celle-ci nous
semble avoir pour limite un cadre théorique souvent
dans une certaine continuité par rapport au cadre théorique du modèle biopsychosocial, réduisant d’une certaine manière les possibilités de compréhension ou
d’explication innovantes [1]. À l’inverse, certains vont
donc surinvestir le caractère « artistique » voire mystérieux de l’art médical, allant vers les médecines parallèles et des explications « parapsychologiques »
n’ayant d’innovant que leur variété foisonnante qui ne
peut laisser que perplexe. Au demeurant, ces explications « parapsychologiques » constituent pourtant un
fait anthropologique bien présent qui se doit d’être
étudié sérieusement également [4].
Nous proposons dans cet article un autre point de départ, si ce n’est un outil, pouvant être utilisé dans de
multiples contextes, permettant d’aborder les expériences des sujets (patients, médecins) et de les décrire avec précision et rigueur, afin de tenter ensuite
d’en trouver les invariants (subjectifs et intersubjectifs)
et les motifs de variations. C’est ainsi que l’on peut
espérer constituer un fondement rigoureux pour de
nouvelles approches susceptibles de répondre aux
questions que nous évoquions. À notre sens l’approche la plus fine pour décrire des contenus et des structures de conscience est l’approche phénoménologique initiée par Husserl [5]. Cette approche a ensuite eu
une longue histoire dans le domaine de la psychiatrie
[3, 6]. Dans le cas particulier de cet article nous
Jean-Arthur
MicoulaudFranchi1, 2, 3, 4
Céline Balzani1, 2, 3
Jean Vion-Dury1, 2, 3
1
Atelier de
Phénoménologie
Expérientielle (Aphex),
Marseille
2
Unité
de Neurophysiologie,
Psychophysiologie
et Neurophénoménologie, Hôpital
Sainte-Marguerite,
Marseille
3
Laboratoire
de Neurosciences
Cognitives (LNC), UMR
CNRS 7291, 31
Aix-Marseille
Université, Marseille
4
Unité Centaure,
Service du Pr Naudin,
Hôpital
Sainte-Marguerite,
Marseille
Mots clés : entretien
psychologique,
psychothérapie
DOI : 10.1684/med.2012.0877
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L’apprentissage et la pratique de la médecine posent des questions qui ne relèvent
pas uniquement du savoir médical biopsychosocial et de la pratique réglée sur ce savoir. Ces questions impliquent en effet le vécu subjectif et des expériences du patient
comme du médecin [1]. Du côté du patient, on peut notamment soulever les questions
importantes du sentiment de bonne santé, comme de l’acceptation et de l’engagement
dans les thérapeutiques ne correspondant pas forcément à ses représentations et
pouvant n’être pas comprises voire s’avérer angoissantes [2]. Du côté du médecin, on
peut soulever les questions de l’apprentissage du diagnostic, de l’évaluation du pronostic et de la décision thérapeutique, mais également de la conduite pratique des
thérapeutiques et de l’accompagnement du patient [3].
CONCEPTS ET OUTILS
Outils
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CONCEPTS ET OUTILS
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Outils
vocabulaire soit de compréhension difficile. C’est une philosophie de l’expérience et, partant, de la vie [5]. De plus, en
permettant d’« injecter » de l’expérience subjective dans les
processus scientifiques, elle peut permettre de transformer
les cadres paradigmatiques en les ouvrant sur le monde vécu
(expérientiel) du sujet constituant [10].
Parce que la phénoménologie ne sépare pas le corps-objet
de l’esprit, mais parle seulement d’un corps vécu, d’une chair
« expériencée » en propre, il s’agit d’une philosophie parfaitement compatible avec la culture médicale (et la neurophysiologie). La psychiatrie l’a compris très tôt, elle qui est
confrontée à cette question fondamentale : qu’est-ce que
l’expérience de la maladie mentale ? [3, 6]. Notre propos
n’est donc pas de détailler ce que la phénoménologie a apporté à la psychiatrie, mais de partir de ce point, pour montrer
en quoi les questions pratiques posées par la psychiatrie et
que la phénoménologie a permis d’explorer, pourraient s’appliquer au cadre plus général de la médecine.
présenterons un moyen, largement dérivé de l’approche phénoménologique, d’aborder ces questions difficiles. Nous ne le
ferons pas de manière théorique, c’est-à-dire philosophique,
parfois rébarbative, mais de manière pratique, afin que chacun puisse se l’approprier, après formation, pour analyser sa
propre expérience du moment qu’il y est un peu attentif [7].
Ce moyen, à savoir l’entretien d’explicitation, permet la description fine (et dans l’esprit de la phénoménologie) des vécus
subjectifs [8]. Nous verrons ensuite les perspectives offertes
par cet outil à la médecine à la fois du point de vue de la
clinique et de la thérapeutique que de la recherche.
De la phénoménologie
psychiatrique à la
phénoménologie médicale
L’objectif de la phénoménologie peut être exprimé par la
maxime célèbre suivante : « droit aux choses mêmes » [9].
Pour Husserl, la phénoménologie est une science conférant à
l’ego (le sujet) transcendantal le statut de fondement de la
scientificité, faisant ainsi en sorte que la connaissance de l’objet passe d’abord par la connaissance de soi en tant que sujet
« constituant ». La démarche phénoménologique procède
alors par « réductions », consistant notamment à mettre entre parenthèses toutes les théories prédonnées, afin d’offrir
l’accès aux choses elles-mêmes, telles qu’elles sont saisies
dans l’immédiateté de l’intuition et de permettre ensuite d’en
faire varier imaginairement les traits afin de découvrir ceux
qui, ne pouvant varier, en constituent l’essence ou eidos.
Pratiquer la phénoménologie c’est à la fois « « voir » l’expérience et « interroger » les préjugés » [7]. Car l’expérience
propre du sujet (l’ego transcendantal) est au centre de la pensée phénoménologique, laquelle insiste sur l’apparaître des
choses pour le sujet lui-même. Les questions toujours posées, une fois cette position « naïve » adoptée, sont cellesci : Comment m’apparaissent les choses ? Quel effet cela
me fait-il de... ? Etc. [7]. La phénoménologie peut donc ne
pas être qu’une philosophie théorique, bien que parfois son
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Avoir accès à sa conscience
préréflexive
Pour autant, la question se pose de savoir si tout un chacun
peut avoir aussi accès de manière détaillée aux contenus et à
l’organisation de sa conscience, dans la vie quotidienne, sans
avoir à lire toute la phénoménologie. Il s’agit alors de se demander comment nous avons accès à notre propre expérience. Les
réponses apportées font apparaître un double aspect de la
conscience : ce qui a été appelé la conscience réflexive (qui
concerne l’expérience d’un objet en tant qu’objet, par exemple
un son de cloche) et ce qui a été appelé la conscience préréflexive (qui concerne tous les détails par exemple du son de
cloche pour lui-même, sa granularité, son caractère résonant...)
[11, 12]. Notre conscience, en tout instant, ne se limite donc
pas à la réflexivité, c’est-à-dire la conscience que l’on a d’être
conscient de quelque chose (consciousness). Cette
conscience réflexive médiate et focalisée constitue en quelque sorte une couche « superficielle » de notre conscience au
sens large. Un second niveau est celui de la possibilité d’une
d’expérience sous-jacente, relativement épaisse, à laquelle on
peut accéder par un effort d’attention ouverte (awareness). Ce
second niveau, cette conscience préréflexive, couche moins
directement accessible de notre expérience subjective est
multimodale, préconceptuelle et précognitive [11]. Il reste accessible, « conscientisable », notamment par les techniques
d’entretien d’explicitation (sous entendu de la conscience préréflexive) largement décrites [8, 10-12].
Cet entretien d’explicitation assume l’arrière-plan philosophique de la phénoménologie qui en « polarise » la théorisation
autorisant ainsi le développement d’une phénoménologie
pratique, ce qui pourrait apparaître comme une contradiction
de la démarche philosophique, intrinsèquement conceptuelle. Il peut servir à l’apprentissage et à l’amélioration des
pratiques [12], mais également à la recherche philosophique
[7], psychologique ou neuroscientifique [10]. Il peut donc
avoir un grand intérêt en médecine comme nous allons le
voir. Mais tout d’abord nous allons en décrire succinctement
la méthode.
CONCEPTS ET OUTILS
Outils
Notons que dans cette exploration des contenus de la
conscience préréflexive, il faut quand même produire des
actes réflexifs, mais relevant d’une réflexivité du comment
et non du pourquoi, toujours orientée vers l’expérience du
sujet et non l’expérience de l’objet [12]. Enfin il faut souligner
que l’entretien d’explicitation reste un outil de recherche qualitative plus particulièrement adapté pour décrire précisément
un moment d’expérience court. Pour décrire le déroulement
d’une expérience sur une longue durée, d’autres outils de
recherche qualitative existent [13].
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Applications médicales
de l'entretien d'explicitation
L'entretien d'explicitation
La personne qui mène l’entretien (B) propose au sujet « explicité » (A), c’est-à-dire qui, dans l’entretien, va accéder aux
contenus de sa conscience préréflexive de revenir sur une
expérience personnelle vécue quelconque [8]. B va d’abord
proposer un contrat qui va définir l’objet de l’entretien de A et
préciser qu’il ne s’agit pas d’un entretien aboutissant à une
interprétation psychologique ou psychanalytique de ce qui est
dit. B se met en effet dans une position phénoménologique de
réduction qui se traduit par l’accueil ouvert, bienveillant et
surtout neutre de ce que l’autre dit, en s’interdisant tout jugement. Une fois l’expérience choisie (et remémorée), B propose à A de la décrire rapidement, par exemple le son d’une
cloche [11], dans son intégralité en en faisant tout d’abord un
survol pour en noter les différentes phases. Cette description
linéaire et simple constitue en quelque sorte le cadre de la
description de l’expérience. Puis, après avoir décrit ce qui
s’est passé (quid), s’organise un échange sur le comment cela
s’est passé (quomodo). B choisit un moment de l’expérience
qui a été signalé par A et pose des questions sur le contenu (du
type Qu’est-ce qui s’est passé ? Comment ça s’est passé ?),
sur les actes (Comment tu as fait pour le savoir ?, Comment
fais-tu pour faire X ?) et sur les états (Comment tu te sentais/
étais à ce moment-là ou pour faire X ?).
Parce qu’il s’agit d’une description phénoménologique et non
d’une recherche causale, les questions qui contiennent sous
une forme ou une autre le pourquoi doivent être évitées.
Celles-ci en effet relèvent des dimensions dites satellites de
l’expérience (contexte, raisons) mais éloignent le sujet de
son expérience propre. Il s’agit d’éviter également les questions trop inductrices. Pour que le sujet A revienne à son
expérience, c’est-à-dire la revive (l’évoque à nouveau), il lui
est nécessaire de se mettre lui aussi dans une disposition
d’esprit proche de la réduction phénoménologique, laquelle
suspend l’interprétation spontanée de ses propres vécus
pour laisser la place au revécu de l’expérience et en particulier de ses dimensions préréflexives. Cette disposition peut
nécessiter un peu « d’exercice » de la part de A. Elle nécessite également de la part de B une attention associée à un
certain accordage affectif avec A, ainsi que des reformulations fréquentes des propos de A afin de le guider et le soutenir dans l’exploration de ses vécus préréflexifs.
Applications thérapeutiques
L’entretien d’explicitation a montré dans le domaine de l’apprentissage qu’il permettait l’amélioration d’une procédure
et d’un savoir faire dans lequel des difficultés apparaissent.
Il a ainsi été particulièrement utilisé dans les procédures d’enseignement [12], par exemple pour les enfants ayant des
difficultés en mathématiques. Le fait de poser la question du
« comment » permet à l’enfant de révéler les moments ou
les processus dans lesquels se produisent des difficultés et
de dévoiler les solutions « cognitives » susceptibles d’aider
à la résolution des problèmes en question.
Appliqué au contexte médical, l’entretien d’explicitation peut
être utilisé de la même manière par l’enseignant comme un
outil pertinent au cours de l’apprentissage de la médecine et
des prises de décision thérapeutique. Mais il peut également
avoir des applications au cours de la prise en charge des
patients, notamment dans le cadre de la relation à leur maladie, aux thérapeutiques et au handicap. Il permet d’amener
le patient à être attentif à son expérience et aux stratégies
à mettre en place pour retrouver un sentiment de bonne
santé malgré sa pathologie. Il faut insister cependant sur le
fait que l’entretien d’explicitation n’est pas en soi une thérapeutique, mais une technique d’entretien qui, par l’attention
qu’elle permet à l’expérience subjective, peut parfaitement
s’intégrer dans de nombreuses stratégies thérapeutiques actuelles. En soi, l’entretien d’explicitation, par son inspiration
phénoménologique, reste un outil polymorphe permettant de
mettre en exergue, de théoriser et de pratiquer la dimension
subjective en jeu dans de nombreuses thérapeutiques, sans
pour autant enlever la spécificité propre à chacune de ces
stratégies thérapeutiques. Ainsi il fait écho, dans les stratégies de psychoéducation, à ces moments où le sujet est accompagné pour découvrir par lui-même les effets des traitements, les facteurs de rechutes ou de rémission ; en
psychothérapie, de type cognitivo-comportemental mais également psychanalytique, à la prise de conscience de certains
schémas de fonctionnement ou de représentations, moment
essentiel de la thérapie ; et dans les stratégies de rééducation motrice ou cognitive, à l’attention nécessaire du sujet
aux stratégies de compensation ou de substitution qu’il sera
amené à mettre en place [14]. Dans chacun de ces exemples, il s’agit de permettre au patient de passer d’une position passive à une position active sur sa prise en charge, ce
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CONCEPTS ET OUTILS
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qui implique une prise de conscience de la part du patient.
L’entretien d’explicitation dans ce contexte peut être un outil
puissamment inducteur de ce que les Anglo-Saxons appellent le « Aha ! Moment » [15] dans la mesure où la prise de
conscience des vécus préréflexifs apporte un éclairage nouveau (et souvent étonnant) sur l’expérience de celui qui est
interrogé. C’est également pour cette raison que l’entretien
d’explicitation n’est pas en lui-même un outil thérapeutique,
mais un moyen général permettant au sujet exercé de rester
en contact plus facilement plus longuement et plus fréquemment, de manière autonome, avec ses vécus préréflexifs.
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Application en recherche
L’entretien d’explicitation peut être utilisé de manière originale pour des recherches sur la sémiologie, le soin ou les
neurosciences [16]. En effet, il trouve de nombreuses applications théoriques, par l’analyse des données recueillies.
Une fois les entretiens transcrits sous la forme de verbatim,
l’analyse des données d’entretien consiste à isoler et définir
des catégories et à hiérarchiser de manière diachronique et
synchronique. Cette analyse peut être sous-tendue par des
aides logicielles (comme Nvivo, Atlas-Ti, Nud*Ist ou Sphinx).
La définition des catégories implique une prise de position
du médecin ou du chercheur sur ces données en fonction du
cadre théorique de la discipline dans lequel il se situe. Cependant la dimension athéorique et phénoménologique de
l’entretien d’explicitation avant l’analyse des verbatim en fait
un outil original de recueil de données sur l’expérience subjective permettant d’amener des données nouvelles et de
formuler des catégories inattendues dans le cadre théorique
d’une discipline et, pourquoi pas, de modifier certains aspects de cette théorie [13].
Concernant la sémiologie, l’entretien d’explicitation peut non
seulement aider le patient à mieux comprendre ou mieux
repérer certains signes par l’attention portée à l’expérience
de la maladie, et en même temps, permettre au médecin de
mieux saisir la sémiologie fine de la maladie de son patient.
Des applications originales ont par exemple été réalisées
dans l’anticipation des crises d’épilepsie [17] et dans l’approche de la sémiologie des douleurs [18]. Ainsi, dans notre
groupe, une étude est en cours afin de préciser la sémiologie
neurologique de certains types de douleur chronique. Les
données de l’entretien d’explicitation peuvent permettre la
création de questionnaires spécifiques permettant d’étudier
certaines dimensions révélées par les entretiens [13].
Concernant le soin, outre les applications thérapeutiques décrites précédemment, l’entretien d’explicitation permet
d’être attentif au caractère relationnel de celui-ci et à ce qui
est désormais appelé le care [19]. Au-delà des concepts de
la psychologie médicale, le care tel qu’il serait enrichi par
l’entretien d’explicitation, pourrait permettre de formuler une
« éthique du care », phénoménologique, alternative aux éthiques dominantes (kantiennes ou utilitaristes) et les bases
d’une recherche clinique orientée vers des conceptions des
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soins innovantes tant du point de vue de leur organisation,
de leur évaluation, que de leur enseignement [16, 20].
Concernant la recherche en neurosciences, l’entretien d’explicitation constitue l’outil d’investigation qualitative le plus
adéquat permettant de développer le projet de la neurophénoménologie [10]. La neurophénoménologie développée par
Varéla consiste à mettre en perspective les rapports en
1re personne (obtenus par l’entretien d’explicitation) avec les
données obtenues dans une expérience scientifique en
3e personne (objectivant les processus neurocognitifs ou le
fonctionnement neurophysiologique) [10, 17]. Cette approche novatrice permet à la fois d’interpréter plus finement les
résultats obtenus et en même temps de moduler ou affiner
les protocoles ultérieurs afin d’explorer de plus en plus précisément le lien entre la conscience et le cerveau et ses
possibilités de modification réciproque, point central d’une
médecine à venir centrée sur le cerveau et la bonne santé
mentale [21].
Conclusion
La validité méthodologique de toute méthode qualitative requiert notamment la qualité relationnelle et éthique mise en
jeu lors des entretiens [13]. Celle-ci se révèle être également
un critère épistémologique d’une importance cruciale dans
le cas des entretiens d’explicitation. Cette spécificité de l’entretien d’explicitation, en lien avec son ancrage phénoménologique, est un des critères qui caractérise de manière assez
singulière ce type d’entretien par rapport aux autres entretiens de recherche qualitative [8, 13].
Au cours de l’entretien d’explicitation se produit en effet une
expérience de co-présence avec l’idée (et le vécu) que l’on
est avec (dans) l’expérience de l’autre. Cette attention particulière à autrui propre à cette méthodologie en fait ainsi
bien plus qu’un simple outil de recueil de données d’expérience en première personne. Il conduit le médecin qui s’en
sert à prêter une attention particulière au sujet qui lui fait
face. Phénoménologiquement, l’entretien d’explicitation
nous amène à saisir au fond de nous-même ce qu’est cette
« coprésence existentielle » qu’implique l’acte médical [3]
mais également, et d’une certaine manière, la recherche
psychologique ou neuroscientifique [10]. C’est à ce titre que
l’entretien d’explicitation, qui peut être utilisé comme outil
fonctionnel de mise à jour des stratégies cognitives et affective dans un but pratique, se présente être aussi un outil
d’enrichissement rigoureux des cadres théoriques médicaux
et scientifiques.
Remerciements : Clélia Quiles et le groupe de l’Aphex
Conflits d’intérêts : aucun.
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Références :
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
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des vécus subjectifs. Il offre donc des perspectives innovantes en médecine, tant du point de vue de la clinique et de la
thérapeutique que de la recherche en psychologie et neurosciences. Il peut en effet être utilisé comme outil fonctionnel
de mise à jour des stratégies cognitives et affectives dans un but pratique. Par l’originalité de sa méthodologie, il est aussi
un outil d’enrichissement des cadres théoriques médicaux et scientifiques.
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