L'entretien d'explicitation
La personne qui mène l’entretien (B) propose au sujet « expli-
cité » (A), c’est-à-dire qui, dans l’entretien, va accéder aux
contenus de sa conscience préréflexive de revenir sur une
expérience personnelle vécue quelconque [8]. B va d’abord
proposer un contrat qui va définir l’objet de l’entretien de A et
préciser qu’il ne s’agit pas d’un entretien aboutissant à une
interprétation psychologique ou psychanalytique de ce qui est
dit. B se met en effet dans une position phénoménologique de
réduction qui se traduit par l’accueil ouvert, bienveillant et
surtout neutre de ce que l’autre dit, en s’interdisant tout juge-
ment. Une fois l’expérience choisie (et remémorée), B pro-
pose à A de la décrire rapidement, par exemple le son d’une
cloche [11], dans son intégralité en en faisant tout d’abord un
survol pour en noter les différentes phases. Cette description
linéaire et simple constitue en quelque sorte le cadre de la
description de l’expérience. Puis, après avoir décrit ce qui
s’est passé (quid), s’organise un échange sur le comment cela
s’est passé (quomodo). B choisit un moment de l’expérience
qui a été signalé par A et pose des questions sur le contenu (du
type Qu’est-ce qui s’est passé ? Comment ça s’est passé ?),
sur les actes (Comment tu as fait pour le savoir ?, Comment
fais-tu pour faire X ?) et sur les états (Comment tu te sentais/
étais à ce moment-là ou pour faire X ?).
Parce qu’il s’agit d’une description phénoménologique et non
d’une recherche causale, les questions qui contiennent sous
une forme ou une autre le pourquoi doivent être évitées.
Celles-ci en effet relèvent des dimensions dites satellites de
l’expérience (contexte, raisons) mais éloignent le sujet de
son expérience propre. Il s’agit d’éviter également les ques-
tions trop inductrices. Pour que le sujet A revienne à son
expérience, c’est-à-dire la revive (l’évoque à nouveau), il lui
est nécessaire de se mettre lui aussi dans une disposition
d’esprit proche de la réduction phénoménologique, laquelle
suspend l’interprétation spontanée de ses propres vécus
pour laisser la place au revécu de l’expérience et en particu-
lier de ses dimensions préréflexives. Cette disposition peut
nécessiter un peu « d’exercice » de la part de A. Elle néces-
site également de la part de B une attention associée à un
certain accordage affectif avec A, ainsi que des reformula-
tions fréquentes des propos de A afin de le guider et le sou-
tenir dans l’exploration de ses vécus préréflexifs.
Notons que dans cette exploration des contenus de la
conscience préréflexive, il faut quand même produire des
actes réflexifs, mais relevant d’une réflexivité du comment
et non du pourquoi, toujours orientée vers l’expérience du
sujet et non l’expérience de l’objet [12]. Enfin il faut souligner
que l’entretien d’explicitation reste un outil de recherche qua-
litative plus particulièrement adapté pour décrire précisément
un moment d’expérience court. Pour décrire le déroulement
d’une expérience sur une longue durée, d’autres outils de
recherche qualitative existent [13].
Applications médicales
de l'entretien d'explicitation
Applications thérapeutiques
L’entretien d’explicitation a montré dans le domaine de l’ap-
prentissage qu’il permettait l’amélioration d’une procédure
et d’un savoir faire dans lequel des difficultés apparaissent.
Il a ainsi été particulièrement utilisé dans les procédures d’en-
seignement [12], par exemple pour les enfants ayant des
difficultés en mathématiques. Le fait de poser la question du
« comment » permet à l’enfant de révéler les moments ou
les processus dans lesquels se produisent des difficultés et
de dévoiler les solutions « cognitives » susceptibles d’aider
à la résolution des problèmes en question.
Appliqué au contexte médical, l’entretien d’explicitation peut
être utilisé de la même manière par l’enseignant comme un
outil pertinent au cours de l’apprentissage de la médecine et
des prises de décision thérapeutique. Mais il peut également
avoir des applications au cours de la prise en charge des
patients, notamment dans le cadre de la relation à leur ma-
ladie, aux thérapeutiques et au handicap. Il permet d’amener
le patient à être attentif à son expérience et aux stratégies
à mettre en place pour retrouver un sentiment de bonne
santé malgré sa pathologie. Il faut insister cependant sur le
fait que l’entretien d’explicitation n’est pas en soi une théra-
peutique, mais une technique d’entretien qui, par l’attention
qu’elle permet à l’expérience subjective, peut parfaitement
s’intégrer dans de nombreuses stratégies thérapeutiques ac-
tuelles. En soi, l’entretien d’explicitation, par son inspiration
phénoménologique, reste un outil polymorphe permettant de
mettre en exergue, de théoriser et de pratiquer la dimension
subjective en jeu dans de nombreuses thérapeutiques, sans
pour autant enlever la spécificité propre à chacune de ces
stratégies thérapeutiques. Ainsi il fait écho, dans les straté-
gies de psychoéducation, à ces moments où le sujet est ac-
compagné pour découvrir par lui-même les effets des traite-
ments, les facteurs de rechutes ou de rémission ; en
psychothérapie, de type cognitivo-comportemental mais éga-
lement psychanalytique, à la prise de conscience de certains
schémas de fonctionnement ou de représentations, moment
essentiel de la thérapie ; et dans les stratégies de rééduca-
tion motrice ou cognitive, à l’attention nécessaire du sujet
aux stratégies de compensation ou de substitution qu’il sera
amené à mettre en place [14]. Dans chacun de ces exem-
ples, il s’agit de permettre au patient de passer d’une posi-
tion passive à une position active sur sa prise en charge, ce
365octobre 2012MÉDECINE
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