Politique et religion dans la philosophie antique I.Caractères communs 1)Dans la cité antique, l’idée de dissocier le religieux du politique était impensable. La religion s’adressait à l’ensemble des citoyens, quitte à permettre des dévotions et des pratiques particulières. En l’absence de vérités révélées, y régnait la tolérance. 2)La religion était dépourvue de toute dimension spirituelle. Elle était uniquement constituée de rites et de pratiques. 3)Les dieux protégeaient la cité, mais ils étaient aussi capables de la châtier si elle venait à les négliger, en provoquant des catastrophes naturelles, des famines, des défaites militaires…... Aussi étaient-ils redoutés. II.Le cas grec En Grèce, la religion avait une origine ethnique : les premiers habitants des cités ont été les héritiers des doriens qui avaient forgé des mythes et élu des divinités. En sorte qu’il existait un fond religieux commun à toutes les cités. L’œuvre de poètes tels Homère et Hésiode constituait le répertoire canonique des mythes. Les dieux étaient présents et actifs et la piété consistait avant tout à respecter les règles qui régissaient les rapports humains. Tous les actes de la vie politique étaient marqués par la liturgie religieuse. Ainsi, quand on fondait une colonie, le fondateur venait auparavant chercher l’approbation de l’oracle de Delphes. L'assemblée des citoyens à Athènes commençait par le sacrifice d'un porcelet. Les magistrats prêtaient serment devant les dieux à leur entrée en fonction. Le rôle des prêtres était limité : ils veillaient seulement au bon déroulement des rites. Socrate a été accusé d'impiété mais son cas a été présenté aux archontes et jugé par l'héliée, tribunal populaire, non par les prêtres. A l’entrée de l'agora, on se purifiait grâce à deux vases remplis d'eau posés à l'entrée. En temps de guerre, on sacrifiait sur le champ de bataille. On devait même attendre le présage divin pour agir. On ne devait pas passer outre un présage défavorable. III.Le cas romain 1)Un caractère juridique. A Rome, le sacré était une catégorie juridique, et non la manifestation terrestre d’une réalité transcendantale. Les romains avaient passé un contrat avec les dieux : la pax deorum. Ils avaient l’obligation d’honorer les dieux. En contrepartie, ceux-ci s’engageait a ne pas les châtier sans jugement. Principe religieux entré dans le droit : nul ne peut être condamné sans avoir été jugé. De même, le régime des biens décidés sans maître par les consuls (res nullius) par opposition aux biens appartenant aux particuliers. Ils relevaient des dieux et étaient donc inviolables et soustraits à l’usage humain. Cette règle est à l’origine de la différence de régime juridique entre les biens publics et les biens privés. 2)Un caractère politique. Les dieux participaient à la vie politique. Ils manifestaient leur volonté par des signes, les auspices, que les augures qui observaient le vol des oiseaux, messagers des dieux et les haruspices qui observaient les entrailles des animaux étaient chargés d’interpréter. Cette consultation des dieux était obligatoire avant chaque décision publique importante. Le droit d’obnuntiatio permettait de bloquer les processus de décision en cas de signe défavorable. Les antagonistes disposaient donc chacun d’une arme divinatoire dans le débat politique et il était de bonne guerre de se servir de l’assentiment divin pour imposer sa volonté. Autrement dit, les rites étaient une arme politique. Les affaires religieuses étaient de la compétence du pouvoir exécutif. Ainsi, les empereurs prirent le titre de pontifex maximus (grand prêtre qui avait pouvoir sur les affaires religieuses) et se firent vénérer à l’égal des dieux. Les prêtres n’étaient en fait que des spécialistes du droit sacré. Les magistrats avaient par contre un pouvoir presque absolu, tant à l’égard des citoyens qu’à l’égard des dieux. C’est dans cette concentration du pouvoir que résidait sans doute l’un des secrets de la solidité du pouvoir romain. Cependant, l’État ne se mêlait pas de la vie religieuse privée des citoyens. L’autorité religieuse des familles était aux mains du père de famille, qui servait à la fois de célébrant et de prêtre. Ni les prêtres ni les magistrats romains n’avaient compétence pour interférer dans la vie religieuse, tant que l’ordre public était préservé. 3)Une religion sans transcendance. Elle n’exigeait aucun acte de foi explicite. La religion romaine était ritualiste et la seule « foi » consistait à pratiquer, du moins à ne pas refuser la pratique ou à ne pas entraver celle-ci. La pratique religieuse garantissait donc la liberté des consciences. Ce n’est que pour ceux qui refusaient de pratiquer qu’un problème se posait. IV.La naissance de la philosophie et ses conséquences La naissance de la philosophie a provoqué une rupture dans la continuité. La continuité réside dans le fait que bien qu’étant dans une recherche incessante de rationalisme, les philosophes antiques n’ont pas totalement rompu avec la tradition religieuse de leur temps. Ainsi, la pratique philosophique de Socrate débuta après que la pythie de Delphes qui transmettait la parole d’Apollon ait déclaré que personne n’était plus sage que lui et il affirma qu’un esprit divin, le daimon, manifestation d’Apollon, l’accompagnait depuis son enfance et se manifestait sous la forme d’une voix intérieure. Chez Platon et Aristote, on ne trouve aucune trace d’une volonté de séparer le religieux du politique. La constitution que décrit Platon dans « Les Lois » est assez libérale mais par certains côtés, théocratique. Il y a, chez lui, une volonté non seulement de définir une orthodoxie en matière de religion mais de l’imposer. On ne voit rien de tel chez Aristote. Cependant, il ne rejette pas la religion civique. Pour les citoyens, rendre un culte aux divinités doit aller de soi. Des philosophes ont pris leur distance avec le complexe politicoreligieux. Ce fut le cas de Protagoras mais il ne dit nullement que les dieux n’existent pas, mais que leur l’existence n’est pas certaine. Pour Critias, la religion a été créée par un homme malin afin que la peur retienne les hommes de commettre des fautes en cachette. Epicure contesta la religion populaire selon laquelle les hommes sont les marionnettes des dieux. Selon lui, ces derniers ne portent aucun jugement sur les hommes, n’attendent rien de l’humanité qui, de son côté, ne leur doit aucun sacrifice ni aucun culte. Son disciple Lucrèce est plus violent encore : la religion est une monstruosité, ses pratiques sont liées à des superstitions, avoir peur des dieux est un égarement de l’esprit. Sénèque proposa une idée plus personnelle de la divinité. Il n’y a qu’un seul Dieu mais qui revêt des noms divers : Jupiter, Hercule, Mercure….Il est un principe actif qui a donné une forme au monde et l’anime selon un plan préétabli. Il œuvre pour le bien de l’humanité. Il n’est donc pas à craindre mais à aimer et, s’il le veut l’homme peut nouer une relation intime avec lui. Quant à la rupture, elle réside dans deux mutations. La première est que la philosophie a apporté des réponses à la question de la cité idéale en passant non pas par la mythologie mais par la pensée rationnelle. La deuxième est qu’avec elle, ce fut désormais l’ordre harmonieux du Cosmos possédant par sa force tous les caractères du divin qui prit la forme de la cité idéale contrairement au polythéisme dépourvu de toute transcendance. Ces mutations tendent vers la rupture entre politique et religion. La religion appartient à la mythologie et la politique à la Raison. La politique a pour idéal l’ordre du Cosmos et la religion le rituel parfaitement accompli.