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29 janvier 2014 Revue Médicale Suisse
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présentation clinique
Un homme de 45 ans fait une chute
d’une échelle. Il en résulte une fracture
du calcanéum droit traitée par réduction
ouverte, ostéosynthèse, immobilisation,
puis physiothérapie. Après une évolution
décrite comme favorable, il consulte au
quatrième mois pour une douleur qui
persiste, particulièrement présente le soir
et la nuit. La couette est difficilement
supportée sur le pied. Il note aussi une
tuméfaction, toujours présente, accom-
pagnée d’une sensation de chaleur. A
lexamen clinique, le patient utilise deux
cannes. Les cicatrices sont calmes. La
cheville et le pied sont enflés, chauds,
assez raides. Le rebord externe et le
dos du pied sont diffusément sensibles
avec des sensations désagréables au
toucher. A la prise de sang, les para-
mètres inflammatoires sont normaux. Le
contrôle récent chez le chirurgien est
rassurant, la fracture considérée comme
consolidée.
Vous suspectez une algodystrophie et
prescrivez un traitement de calcitonine
avec poursuite de la physiothérapie.
Après six semaines, l’évolution est miti-
gée. Le patient dit que ça va un petit peu
mieux. Lexamen clinique est superpo-
sable.
Confirmez-vous le diagnostic d’algo-
dystrophie ? Proposez-vous des examens
complémentaires et/ou d’autres traite-
ments, médicamenteux ou non ?
commentaire
En labsence de test objectif, le syn-
drome algodystrophique a longtemps res-
semblé à un chaos diagnostique, entraînant
confusion thérapeutique et controverse
scientifique. Pour «remettre de l’ordre dans
la maison», l’International Association for
the Study of Pain (IASP) a proposé une
nouvelle terminologie, le syndrome doulou-
reux régional complexe (SDRC), qui évite
toute spéculation physiopathologique. Elle
a aussi réalisé un consensus diagnostique
aussi complet que possible. Cela a permis
la récente validation des critères dits de Bu-
dapest (tableau 1), qui devraient dorénavant
faire foi.1 La vignette ci-dessus remplit ces
critères. Ils sont exclusivement cliniques, ne
laissant aucune place aux examens radio-
logiques (radiographie, scintigraphie, IRM).
Néanmoins, même si elle est toujours l’objet
d’une controverse,2,3 l’imagerie, en parti-
culier la scintigraphie et l’IRM, garde un
rôle à notre sens, à condition den faire bon
usage.
Sur le plan diagnostique, l’imagerie de-
vrait être réservée aux formes douteuses
(celles qui ne remplissent pas les critères
de Budapest), aux localisations pour les-
quelles les signes cliniques sont souvent
discrets et incomplets (par exemple, le ge-
nou), aux formes atypiques rares, telles que
les SDRC partiels de la main (gure 1).4 Elle
devrait de plus être réalisée précocement,
Le syndrome douloureux
régional complexe
(algodystrophie) sous toutes
ses formes
Quadrimed 2014
Rev Med Suisse 2014 ; 10 : 271-2
F. Luthi
M. Konzelmann
Drs François Luthi et Michel Konzelmann
Service de réadaptation de l’appareil
locomoteur
Clinique romande de réadaptation
Suvacare
Av. Grand-Champsec 90, 1950 Sion
1. Douleur qui persiste et apparaît disproportionnée avec l’événement initial
2. Au moins un symptôme dans trois des quatre catégories suivantes
a. Sensoriel : le patient décrit une douleur qui b. Vasomoteur : le patient décrit une asymétrie de température
évoque une hyperpathie et/ou une allodynie et/ou un changement de couleur et/ou une asymétrie de
couleur
c. Sudomoteur/œdème : le patient décrit un d. Moteur/trophique : le patient décrit une raideur et/ou une
œdème et/ou une asymétrie de sudation dysfonction motrice (faiblesse, trémor, dystonie) et/ou un
changement trophique (pilosité, ongles, peau)
3. Au moins un signe dans M 2 des catégories suivantes
a. Sensoriel : confirmation d’une hyperpathie b. Vasomoteur : confirmation d’une asymétrie de température
et/ou allodynie et/ou changement de couleur et/ou asymétrie de couleur
c. Sudomoteur/œdème : confirmation d’un d. Moteur/trophique : confirmation d’une raideur et/ou
œdème et/ou asymétrie de sudation dysfonction motrice (faiblesse, trémor, dystonie) et/ou
changement trophique (pilosité, ongles, peau)
4. Il n’existe pas d’autre diagnostic qui explique de manière plus convaincante
les symptômes et les signes cliniques
Commentaires :
• les critères 1 et 4 doivent toujours être remplis. Le respect du quatrième critère explique pourquoi
l’imagerie garde une place dans le processus diagnostique.
• les critères cliniques font la part belle à la sensibilité (sensibilité : 0,85/spécificité : 0,69).
il existe également une application «recherche» de ces critères. Au moins un symptôme doit être présent
dans les quatre catégories a-d. Pas de critère supplémentaire nécessaire pour les signes cliniques
(sensibilité : 0,70/spécificité : 0,96).
Tableau 1. Critères de Budapest (2010)1
Figure 1. Image scintigraphique
d’un syndrome douloureux régional
complexe (SDRC) partiel de la
main droite (trois derniers rayons)
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moins de six mois après le début des symp-
tômes. Sur le plan thérapeutique, l’ima gerie
peut probablement contribuer à orien ter la
stratégie médicamenteuse. Une équipe ita-
lienne a récemment publié un essai rando-
misé, contrôlé, de bonne qualité, qui tend à
montrer l’intérêt des bisphosphonates
utilisés précocement si la scintigraphie os-
seuse est positive aux trois phases.5 Dans
le cas clinique présenté, la scintigraphie
était positive et la diminution des douleurs
était marquée après des perfusions de pa-
midronate (4 x 90 mg en huit jours). Dans les
formes «précoces» (moins de six à douze
mois), en parallèle avec le traitement antal-
gique, les médicaments les plus intéres-
sants sont les corticoïdes, les bisphospho-
nates et les médicaments de la douleur
neuropathique. Le niveau de preuves reste
cependant modeste et l’approche théra-
peutique est pragmatique.6 La calcitonine
perd progressivement son crédit et ne doit
pas être utilisée plus de quatre à six se-
maines. Dans les formes «tardives», les trai-
tements médicamenteux sont ceux des
syndromes douloureux chroniques en gé-
néral, sans spécificité véritable du SDRC.
Le diagnostic peut être difficile à confirmer,
rendant les choix thérapeutiques encore
plus complexes.6
Mais le socle thérapeutique demeure la
restauration fonctionnelle précoce, avec la
physiothérapie et l’ergothérapie.6 En plus
des techniques antalgiques, du drainage,
des mobilisations progressives, la réactiva-
tion précoce de l’ensemble de la personne
souffrant d’un SDRC est primordiale. Il faut
éviter d’appliquer une «règle de la non-dou-
leur», rigide et mal comprise, et la rempla-
cer par la «règle du bon rapport d’activité»,
qui permet au patient de retrouver son auto-
nomie. Des essais cliniques récents ont en
effet confirmé qu’une exposition progres-
sive des patients était possible et efficace.7
En cela aussi le SDRC se rapproche des
autres syndromes douloureux. Les facteurs
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Implications pratiques
Les critères de Budapest1 sont applicables en clinique. Ils permettent de retenir le diag-
nostic de syndrome douloureux régional complexe (algodystrophie) dans la majorité des cas
L’imagerie garde sa place dans la stratégie diagnostique, mais elle doit être demandée de
manière raisonnée (cas douteux, localisation ou forme «atypiques») et si possible dans
les six premiers mois d’évolution
A côté du traitement antalgique, notre «arbre médicamenteux précoce» comprend prin-
cipalement les corticoïdes (forme «inflammatoire» prédominante), les bisphosphonates
(forme avec imagerie osseuse positive : scintigraphie trois phases, œdème médullaire à
l’IRM) et les médicaments de la douleur neuropathique (forme avec douleur «neuropa-
thique» prédominante)
La restauration fonctionnelle (physiothérapie, ergothérapie) demeure le socle théra-
peutique. Une approche biopsychosociale orientée vers l’autonomie du patient est pri-
mordiale6
La prise en charge doit être précoce, dynamique et pragmatique en évitant de conserver
pendant des semaines des traitements inefficaces
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Bibliographie
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physical therapy in patients with complex regional pain
syndrome type 1. Pain 2011;152:1431-8.
de mauvais pronostics, personnels et envi-
ronnementaux, sont les mêmes, sans place
pour une typologie propre au SDRC. Le rôle
des messages délivrés par les soignants,
et en particulier par le corps médical, est
donc capital pour une prise en charge glo-
bale, bio-psychosociale, des malades souf-
frant de SDRC.
conclusion
Le travail réalisé au cours des dix der-
nières années, notamment sous l’égide de
l’IASP, a permis d’obtenir un consensus ac-
ceptable et praticable pour poser le diag-
nostic de SDRC (algodystrophie). La diffu-
sion de ces critères devrait permettre la
réa lisation d’essais cliniques de qualité.
Une meilleure compréhension des méca-
nismes physiopathologiques et des traite-
ments, toujours sujets de controverses, est
donc probable à lavenir.
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