L’usage politique de l’islam : l’universel
au service d’un État. Le cas du Maroc
Abdessamad Belhaj
Résumé
Lorsqu’il s’agit d’étudier les rapports des pays arabes à la mondialisation, il est nécessaire d’évoquer l’islam. En tant que facteur local, la symbolique islamique
offre des ressources de légitimation au pouvoir. Le cas marocain illustre bien la manière dont les rapports existant entre le Makhzen et le répertoire religieux
(Amīr al-Mu’minīne, la bayca , la chérifibilité… ) font de l’introduction de la modernité un simple espace virtuel et fonctionnel. L’émergence de la contestation
islamiste participe à la consécration du répertoire traditionnel. D’autre part, depuis les trois dernières décennies, l’essor de l’islam mondialisé offre au Maroc
des opportunités politiques à l’échelle mondiale. Ceci est observable au niveau du rôle joué par le pays dans le cadre de la diplomatie islamique (OCI,
ISESCO… ) ou au niveau de son positionnement dans l’islam européen. La gestion de l’interaction entre l’islam local et l’islam global, adaptée à la conjoncture
internationale, assure le maintien au pouvoir du régime.
Plan
I. Introduction
II. Les fondements de la légitimité islamique
A. Repères historiques
B. Le Commandeur des croyants
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D. La chérifibilité
 : la voie constitutionnelle
III. Les défis contemporains
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1. Hassan II et le leadership musulman
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a. La réforme de la Moudawana
b. La diplomatie interculturelle
IV. Conclusions
I. Introduction
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éléments ont donné forme à un islam populaire très vivant mais aussi à une politique religieuse officielle structurée et performante dont
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politique religieuse marocaine une forme de despotisme omeyyade. En réaction, il revendique la restauration de la khilafa. Comme nous
le démontrons, cette contestation, basée sur des éléments tels que la chérifibilité, la commanderie des croyants et le confrérisme,
consacre paradoxalement le référent religieux du régime et diffuse la même culture politique.
II. Les fondements de la légitimité islamique
2e approche se
manifeste dans la manière do
qui légitime les fondements du droit.
A. Repères historiques
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1 Dynastie berbère originaire du Sahara dont le nom arabe Al Mourabitoun  (...)
2 Dynastie berbère originaire du Haut Atlas dont le nom arabe Al Mouwahidoune res (...)
3 Dynastie berbère (nomades Zénètes originaires du bassin de la haute Moulouya). Cette dynastie a fon(...)
4 Dynastie chérifienne dont le nom dérive deChorfa, ce qui signifie  (...)
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6 Secte politico-(...)
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8 École juridique fondée par Malik Ibn Anas (v.715-v.795) traditionniste originaire de la Médine.
9 École théologique fondée par abu al-Hasan al-Ashcari (874-(...)
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4Les dynasties qui règnent sur le Maroc entre les IXe et le XVIIe siècles (Idrissides, Almoravides1, Almohades2, Mérinides3, Saadiens4),
vont asseoir leur pouvoir soit sur la descendance du prophète, comme les Idrissides et les Saadiens, soit sur un élan religieux et guerrier,
 autour
du roi, commandant des croyants, à la te du Makhzen5. Au niveau religieux, le Makhzen se débarrasse des doctrines hétérodoxes
comme le Kharijisme6 et le Chiisme7  -à- 
pour privilégier le Malékisme89 et le Soufisme10 comme fondements symboliques de la culture marocaine.
11 La descendance du Prophète.
12 Savants musulmans versés dans les sciences religieuses.
5                    ls
mobilisent les mêmes ressources que leurs prédécesseurs : les confréries soufies, la chérifibilité11, les oulémas12, le principe
               puiera sur un courant de
modernisation initié à la faveur de réformes engagées dans le courant du XIXe siècle et, surtout, durant le protectorat franco-espagnol
(1912-          Makhzen    légitimité
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occidental sont mises en place pour permettre une gestion plus efficace de la vie politique et sociale intérieure ainsi que pour répondre
aux défis militaires et économiques européens.
6En 1912, le couple franco-
e et culturelle du pays. Le Makhzen, qui a préservé ses ressources symboliques et politiques

mondialisé entérine 
diplomatie active au Moyen-
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B. Le Commandeur des croyants
13  (...)
7- fut attribué la première fois au deuxième calife13 cUmar (v.581-644). Il confère à celui qui le
porte un statut ambigu, relevant du pouvoir spirituel aussi bien que du pouvoir politique, sans que la frontière entre les deux ne soit bien
 point de vue
                 
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pouvoir change. Les deux fonctions, religieuse et politique, sont assumées par le sultan dans un système politique autoritaire le titre
-   oulémas 
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8
musulman. Ces critères assurent en effet une sacralité de la figure du sultan ; ils entretiennent par ailleurs une ambiguïté au niveau de
- a essentiellement deux fonctions dans le système politique marocain 

9férence de la
nation marocaine. À cet égard, le commandant des croyants se situe au delà des conflits, des enjeux politiques et des différences
                  ute instance de
pardon. En temps de crise ou de mobilisation, il se présente en chef musulman guidant tous les sujets contre les ennemis, intérieurs ou
extérieurs.
14 Sédition, guerres ou tensions internes à la communauté musulmane.
10La fonction exclusive                 
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contestation intérieure pour appeler à éviter la fitna14  
peut accéder au jeu politique marocain, fût-il limité, sans reconnaî-
cette question entre les islamistes et le Makhzen.
C. L’usage de la tradition politique musulmane : l’institution de la bayca
15 Les quatre successeurs du Prophète Muhammad : Abu Bakr, Umar, Uthman, Ali. Cette période est consid (...)
11 bayca geance passé entre le calife et la collectivité (Tozy, 1999 :33). Dans
    éissance
absolue tant que le calife respectait ses engagements. 
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départ, cet engagement était basur la confiance, valeur majeure pour les tribus arabes préislamiques. Au moment du passage à la
monarchie héréditaire, après la riode des Califes guidés15(632-661), le sultan, veillant surt     
                     es
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actuelle de la bayca :
Elle est un rite de soumission célébré annuellement et un acte solennel, consentant et reconnaissant la légitimité du pouvoir royal ou marquant
 bayca Qadi) qui va invoquer
pour sa rédaction toute la chaîne référentielle du Sunnisme classique (Benani, 1986 :53).
16 Région du Sahara récupérée par le Maroc en 1979.
12Le texte de la bayca des populations de Oued Eddahab16, sig le 14 août 1979, est un exemple qui résume le rôle important et
efficace du facteur religieux dans             
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 :
Ne foulez pas u
Celui qui est délié de toute allégeance est mort comme ceux qui ont vécu pendant la   :3437].
17 Parole, comportement ou approbation du Prophète et deuxième autorité en Islam après le Coran. Les c (...)
13Le premier 17 est considéré comme étant faible du point de vue des sciences du  puisque la chaîne de transmission
         -           
particulièrement conséquent en termes de traditions inventées et attribuées au Prophète, ceci en raison des luttes relatives à la légitimi
religieuse menées contre les opposants chiites et kharijites.
14Quant à la deuxième parole, malgré une transmission rapportée par Muslim (la deuxième autorité en matière de  chez les
itre de calife :
  :
18 Familles descendant du Prophète.
Nous Chorfa18, Oulémasouveler à -,
 aux Souverains
Alaouites.
19  (...)
al-19. Aussi avons-
nous pris un engagement de loyalisme à Son autorité et avons juré de Lui être fidèles et de suivre à tout moment et en toutes circonstances Ses
conseils.
Nous nous considérons désormais comme Ses partisans, Son soutien et Ses soldats. Nous soutiendrons Ses alliés et combattrons Ses ennemis.
 Le Matin du Sahara du 13/08/2004).
15 
des          bayca, le discours politique aspire à persuader les oulémas, les islamistes et le
courant traditionnel. Ces forces religieuses et sociales attachent toujours une grande importance au Coran et à la Tradition du Prophète
fluen-
20 Don de bénédiction attribué aux descendants du Prophète.
16             -  
Hassan II, assure la Baraka20, mais aussi le privilège. En effet, prêter allégeance à un descendant du Prophète revient à prêter
allégeance au Prophète lui-même.
21  (...)
17Enfin, la bayca marocaine va encore plus loin dans cette évocation du sacré. En f     
compagnons du Prophète21al-ridw :61).
18Le discours officiel joue largement sur cette référence. Lors de chaque commémoration de cet événement, les médias favorables au
régime rappellent :
hab, cette bayca ainsi proclamée, renouait avec une tradition historique centenaire qui, inscrite dans une longue
gie du Roi du Maroc, que
e cette allégeance (Le
Matin du Sahara, 13/8/2004).
19Le maintien de la bayca, élément constitutif du pouvoir politique, a 
           bayca, les représentants de la communauté ne font pas
 la fois réelle et mythique. La bayca constitue, dans la conception marocaine de la
                    de
pouvoir ni les limites de ce pouvoir. La baycaserait dans ce cas une bénédiction pour un pouvoir absolu.
20e dans la
pensée politique sunnite), hormis la garantie de veiller   fitna règne sur les rapports du chef avec la
ment, à
garantir la sécurité des populations :
Nous rmais vous
 
pour votre bien-t au-
dessus de la leur. Quiconque viole son serment, le fait plutôt à son détriment. Quic
de celui- Le Matin du Sahara du 13/08/2004).
21En résumé, la bayca est un contrat sacré et irrévocable. -
puisque le contrat a é prê « plutôt » à Dieu. Si le Roi décide de mener des réformes, ce sera un don et non une obligation
quelconque.
D. La chérifibili
22Sur le plan théorique, les juristes sunnites exigent que le candidat chérif appartienne à la tribu de Quraych. Les Chiites sont plus
        e cAli. La dynastie alaouite revendique quant à elle la
descendance chérifienne par c
 Baraka et le pouvoir surnaturel hérité. Le
 :

transforme partiellement le sens. La référence à la généalogie est une pratique constante, régulière et forte qui singularise le monarque dans le
e 
fue  :82)
23litique,
discours radio- :103).
24et, dans une
société où les tissus sociaux sont, encore en grande partie, basés sur la tribu et les clans et la généalogie  compte énormément
ue plusieurs
familles ayant ce privilège, à Fez par exemple, pourraient revendiquer le droit au pouvoir.
E. L’usage du répertoire juridique islami : la voie constitutionnelle
25En septembre 1992, Hassan II, répondant à la fois aux défis de la démocratisation imposés par la conjoncture et aux revendications
 :
onarchie constitutionnelle dans laquelle même le souverain déléguerait tous ses pouvoirs sans
gouverner (Cubertafond, 1997 :19).
26 constitution
                      -
      -. Le régime a bien pris ses précautions en interdisant toute modification
 : le pouvoir suprême
sur la communauté. Elles 
 :
Préambule
abe.
Article 6

Article 7, deuxième alinéa
La devise du Royaume est Dieu, La Patrie, Le Roi.
Article 19
Le Ro-lle au
ux et collectivités. Il garantit

Article 106

(Constitution marocaine, 1992).
27tée par le
dans le contrôle de la constitutionnalité des lois. En effet, toutes les lois peuvent demeurer
sans effet si elles contredisent un principe islamique. Le Conseil constitutionnel doit respecter cette supra-constitution que sont les
principes du Coran et la tradition du Prophète. Il doit tenir compte des avis des oulémas ainsi que de la sensibilité et des habitudes
igieuse suprême du
pays. En cas de contestation, il a le pouvoir de bloquer à tout moment une loi qui ne sert pas ses intérêts. Si une question demeure
irrésolue, le point de vue du commandeur des croyants doit primer (Cubertafond, 1997 :69). Le Roi, étant commandeur des croyants,
« représentant suprême de la nation », garant et protecteur, a donc une position de supériorité et un pouvoir de contrôle sur tous les
individus, groupes et institutions.
28Un tel système politique à double répertoire juridique ne permet pas la séparation des pouvoirs. En effet, le Roi ne se situe pas dans le
   ient au
répertoire islamique, il transcende les enjeux du répertoire moderne (constitution, partis, élections, etc.). La modernisation ne
Islam. Par son
pouvoir suprême, étant le commandeur des croyants, le sultan peut autoriser une ouverture politique formelle tant que celle-
pas le partage de sa légitimité religieuse.
29
 V lors de la proclamation de la charte des réformes constitutionnelles, le 8 mai 1958. À cette occasion, il rappela les

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 :312).
30               ligion dans le système politique
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intérieurs et extérieurs.
31cialistes de
Mehdi Ben Barka contestèrent le droit de gouverner              
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