36 • TOUS BOUCS ÉMISSAIRES
contre barbares, voilà la guerre qui s’est engagée. Ce schéma est 
ancien. L’Occident s’en était déjà servi comme alibi de la coloni-
sation, avec sa « mission civilisatrice ». Certes, rien ne justifie les 
milliers de morts causés par le terrorisme islamiste, ce fléau qui 
frappe aveuglément au niveau international. Mais ce n’est pas ce 
manichéisme primaire qui résoudra le problème. Les causes en 
sont multiples et les remèdes pour le moment difficiles à trouver.
En attendant, on a dessiné un axe du mal immuable, dont l’islam 
et l’islamisme constituent l’essentiel. Un essentialisme crétinisant dont 
les répercussions pour les musulmans d’Occident, en particulier en 
Europe, ont été catastrophiques 1. Par chance, si l’on peut dire, le 
judaïsme et les juifs sont sur l’axe du bien. Ainsi parlera-t-on sans 
cesse de cette civilisation « judéo-chrétienne » à défendre contre les 
assauts de l’islam. Le rapprochement n’était pas si fréquent dans les 
périodes d’antisémitisme. Au dernier dîner du Crif, où s’est comme 
de coutume bousculé le Tout-Paris politique, de gauche comme de 
droite, le président Sarkozy n’en a pas moins insisté aussi bien sur les 
« racines juives » que sur les « racines chrétiennes de la France ». « La 
présence du judaïsme est attestée en France avant même que la France 
ne soit la France, avant même qu’elle ne soit christianisée », dira-t-il.
L’engrenage des haines. Les juifs sont ainsi devenus les alliés de l’Occident 
dans sa lutte contre l’islam. Projetant le conflit israélo-palestinien 
sur leur vécu en diaspora, prenant parti, parfois de manière incon-
ditionnelle,  pour  les 
Israéliens et contre les 
Palestiniens, considérés 
comme  des ennemis, 
de nombreux juifs de 
France ont aisément pu 
développer une forme 
ou une autre de rejet 
des  musulmans.  Ces 
derniers, à leur tour, s’identifiant aux Palestiniens, ont pu trouver 
dans le combat et dans la résistance de ces derniers de quoi sauver 
l’honneur des immigrés et des enfants d’immigrés ségrégués et 
discriminés en Europe et dans le monde. Cet engrenage n’a pas été 
étranger au développement d’un antisémitisme dans ces milieux.
Les dérapages antisémites n’ont pas manqué d’être soulignés, 
et même délibérément exagérés, par des institutions juives comme 
le Crif, qui ont trouvé dans la peur le moyen de faire revenir au 
bercail leurs ouailles égarées, ayant des liens ordinairement très 
distendus avec elles. Ces mêmes institutions ont d’ailleurs souvent 
soutenu les prises de position et les mesures antimusulmanes de 
nos gouvernants, se réclamant de la laïcité, d’une laïcité finalement 
dénaturée. Ainsi la loi du 15 mars 2004 encadre, « en application du 
principe de laïcité », le port de signes ou de tenues manifestant une 
appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, 
mais vise au premier chef le port du foulard par les jeunes musul-
manes. Si le grand rabbin de France de l’époque, Joseph Sitruk, 
se prononçait pour l’autorisation du port des signes religieux – 
kippa ou foulard – à l’école, et demandait un meilleur respect 
des identités religieuses par la République, le Crif, représentation 
politique des juifs, plus laïque, en la personne de son président 
Roger Cukierman, lui, s’y opposait résolument.
Le musulman d’aujourd’hui est le juif d’hier. La nouvelle percée du Front national 
à la veille de la présidentielle de 2012 et l’accès conjoncturel à la 
« respectabilité » de sa nouvelle présidente, laquelle nous épargne 
certaines des vociférations – antisémites, racistes et xénophobes 
– auxquelles son père nous avait presque habitués, ont paradoxa-
lement freiné le flirt du Crif avec les islamophobes.
Si, lors du dîner du Crif du 3 février 2010, son nouveau président, 
Richard Prasquier, condamnait l’islamisme radical, dénonçait le 
délit de blasphème et se lançait dans un panégyrique de la laïcité, 
l’année suivante, le 9 février 2011, il changeait manifestement de 
cap et faisait cause commune avec l’islam : « La lutte contre le 
racisme est notre lutte. Nous ne voulons pas que le mot islam 
remplace le mot juif dans les fantasmes de diabolisation.» Son 
évocation de la laïcité tenait en une phrase, même s’il n’oubliait 
pas, comme à l’accoutumée, de dénoncer le fanatisme islamiste, 
avec mise en exergue du Hamas.
Environ un mois plus tard, dans Le Monde du 18 mars 2011, 
Richard Prasquier publiait avec Alain Jakubowicz, président de la 
Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), 
une tribune intitulée : « Le discours de Mme Le Pen menace juifs 
“
     Nous ne voulons pas que  
le mot islam remplace le mot juif 
dans les fantasmes de diabolisation.  
Richard Prasquier (Crif) ”
1. Fin 2012, l’institut CSA 
publie une enquête auprès 
de  1 029 personnes  : 
55  %  des  personnes 
interrogées estiment que 
les musulmans forment 
« un groupe à part dans 
la société ». Le racisme 
antimusulman augmente 
de 30 %.
BÊTE NOIRE • 37