![](//s1.studylibfr.com/store/data-gzf/a93548320db12fb956ce369842104ac4/1/004509812.htmlex.zip/bg2.jpg)
Perspective fonctionnelle de la phrase et ordre linéaire dans les textes latins tardifs
- 110 -
assez naturelle, notre investigation portera sur l’arrangement linéaire des
constituants, l’un des moyens fondamentaux responsable de la création d’une
perspective communicative – l’autre moyen décisif étant le système prosodique,
que notre documentation ne laisse aborder, bien entendu, que très indirectement.
Nous devons nous rappeler, sur ce point, qu’il ne règne aucun consensus
véritable en ce qui concerne les règles de l’ordre des termes en latin classique
sinon justement pour une certitude : c’est qu’il n’y a pas de certitude, seulement
des tendances à constater dans cette langue où l’arrangement linéaire apparaît
comme – nous connaissons bien l’étiquette – « libre »
3
. D’après ce qui vient d’être
dit, on sait interpréter cette soi-disant « liberté » : elle signifie que les locuteurs
utilisent l’arrangement linéaire dans une mesure assez limitée pour transmettre des
contenus référentiels, mais ils l’exploitent d’autant plus facilement pour répartir la
charge communicative entre les membres successifs de l’énoncé. Les changements
survenus à partir de la période du latin tardif ont bouleversé ces données.
L’aboutissement de cette évolution est bien connu : les langues romanes modernes
font un usage nouveau de la linéarité, pour opérer certaines distinctions
sémantiques, le point le plus connu étant l’opposition entre un sujet préverbal et un
complément d’objet postverbal, en l’absence de toute marque morphologique
(Pierre aime Marie ~ Marie aime Pierre). En nous servant du témoignage des
textes, nous voudrions tirer au clair ici quelques tendances qui modifient le statut
communicatif de l’ordre des termes en latin tardif et préparent la nouvelle
réglementation caractérisant les langues romanes médiévales, antécédent direct de
la structuration actuelle de ces langues.
Nous pouvons anticiper ici sur l’un des résultats de l’investigation : les textes
nous permettent de former l’hypothèse de deux mouvements successifs, dont le
premier va vers une « liberté » plus grande et le second vers une réglementation
plus stricte de l’ordre des termes (« liberté » signifiant, bien entendu, la capacité à
prendre en charge l’articulation communicative de la phrase). Le point de départ
de notre examen historique se situe vers le début de notre ère, à l’époque dite
« classique » du latin. La prose latine classique (il vaut mieux laisser de côté la
poésie, parce qu’elle est sujette à de nombreux écarts stylistiques voulus) nous
surprend par une tendance, variable selon les auteurs et les types de textes,
pourtant très nette : quand un rhème complexe renferme un verbe, il laisse à ce
verbe le plus souvent la dernière place de la phrase. Citons une phrase d’historien
qui est conforme à cette habitude, qu’il s’agisse de la proposition principale ou des
subordonnées (Velleius Paterculus est un auteur du I
er
siècle de notre ère) :
(1) Vell. Paterc. Hist. 1,9,3 Tum senatus populusque Romanus L. Aemilium Paulum, qui et
praetor et consul triumphauerat […], consulem creauit, filium eius Pauli qui, ad Cannas, quam
tergiuersanter perniciosam rei publicae pugnam inierat, tam fortiter in ea mortem obierat
‘Alors le sénat et le peuple romain nommèrent consul L. Aemilius Paulus, qui avait déjà reçu le
triomphe comme préteur et comme consul […], fils de ce Paulus qui, à Cannes, avait manifesté
3
Concernant les tendance de l’arrangement linéaire des constituants syntaxiques en latin, cf. la mise
au point de H
OFMANN
et S
ZANTYR
(1965 :
397-398) ;
v. également D
EVINE
et S
TEPHENS
(2006 : 79-
82).