5
Pierre I
er
ces schémas sont totalement intégrés et assimilés
8
. Dans ce cas, peut-on encore
parler d’emprunt conscient ou d’appropriation du système culturel de l’Autre, si le répertoire
artistique et symbolique de tradition islamique fait partie intégrante de la culture castillane ?
D’ailleurs, les Trastamare eux-mêmes ont continué de construire le même type d’architecture,
comme le prouve la chapelle de la Mosquée de Cordoue construite par Henri II.
En raison de la longue cohabitation qui a engendré de nombreuses interactions culturelles
et le partage de nombreux thèmes artistiques entre chrétiens et musulmans, on parle parfois de
culture de cour commune dans la péninsule ibérique médiévale, d’un système esthétique
stable partagé par les différents groupes confessionnels, auquel la religion serait en quelque
sorte subordonnée
9
. En minimisant l’importance des frontières, cette conception de la réalité
culturelle en péninsule ibérique permettrait de dépasser les contradictions et polémiques,
souvent liées au concept d’art mudéjar. En effet, à la fois considéré comme un style artistique
nouveau, différent de l’art islamique et de l’art chrétien dont il est issu, le mudéjar est
également présenté comme la prolongation de l’art islamique sous domination chrétienne, le
fait historique de la Reconquête en constituant la frontière
10
.
Si l’on adopte méthodologiquement le point de vue d’une culture de cour commune et que
l’on considère que les palais de Séville et de Tordesillas, la synagogue du Transit de Tolède et
l’Alhambra de Grenade, appartiennent à un même ensemble culturel, la frontière religieuse,
ethnique et linguistique cesse-t-elle vraiment d’être un facteur discriminant ? N’a-t-elle pas
d’incidence sur la forme et les contenus architecturaux, et donc sur le sens de la propagande
véhiculée par les codes esthétiques utilisés par Pierre I
er
?
Dans son ouvrage sur la sémiotique, en s’appuyant sur les propos de George Miller,
Umberto Eco définit comme code « tout système de symboles qui, par convention préalable,
est destiné à représenter et à transmettre une information d’une source à un point de
8
Juan Carlos Ruiz Souza montre en effet que le règne de Pierre Ier correspond au degré le plus élevé
d’assimilation des codes esthétiques d’al-Andalus, Juan Carlos RUIZ SOUZA, « Castilla y Al-Andalus.
Arquitecturas aljamiadas y otros grados de asimilación », Anuario del Departamento de Historia y Teoría del
Arte, (UAM), 16, 2004, p. 17-43.
9
Cynthia ROBINSON et Leyla ROUHI (éd.), Under the influence : questioning the comparative in medieval
Castile, Leiden : Brill, 2004 ; Jerrilynn D. DODDS, María Rosa MENOCAL et Abigail KRASNER BALBALE,
The Arts of Intimacy: Christians, Jews, and Muslims in the Making of Castilian Culture, New Haven, Conn., and
London : Yale University Press, 2008 ; Rosa María RODRÍGUEZ PORTO, « Courtliness and its Trujamanes :
Manufacturing Chivalric Imagery across the Castilian-Grenadine Frontier », Medieval Encounters, 14 (2008),
p. 219-266.
10
G. BORRÁS GUALIS, El Arte Mudéjar, Teruel : Instituto de Estudios Turolenses, Diputación Provincial de
Teruel, 1990 ; Id., Mudéjar. El legado andalusí en la cultura española, catalogue de l’exposition, Saragosse :
Universidad de Zaragoza, 2010 ; J. C. RUIZ SOUZA, « Le ‘style mudéjar’ en architecture cent cinquante ans
après », Perspective. La revue de l’INHA, 2, p. 277-286 ; Elena PAULINO MONTERO, « Palacios y casas
principales mudéjares nobiliarias de los Antiguos Reinos de Castilla, León y Toledo. Recorrido historiográfico »,
Anales de Historia del Arte, Volume extraordinaire, p. 273-293.