L’exposition Terre des Hommes qui s’est déroulée à Montréal en 1967 a permis la réalisation
d’un événement unique : la Pavillon chrétien. Le re Irénée Beaubien a été l’initiateur du projet
et un de ses principaux réalisateurs. Quarante ans plus tard, il nous raconte ce qui demeure
à ses yeux “ la plus grande aventure oecuménique au Canada ”.
Vivre ensemble : Quelle était la alité œcuménique de Montréal dans les années précédant
la réalisation du pavillon chrétien?
Irénée Beaubien : Alors que le Christ demande que ses disciples soient unis, les chrétiens
se trouvent malheureusement divisés. On s’interroge alors sur ce qu’il est possible de faire
pour que cesse ce scandale. Dans la mentalité de l’Église du temps, ce sont les protestants,
les orthodoxes et les anglicans qui doivent revenir à l’Église catholique. J’avais donc fondé le
Catholic Inquiry Forum en janvier 1952 pour faire connaître à nos concitoyens non catholiques
les positions de l’Église catholique, sa doctrine, ses pratiques. Après cinq ans d’expérience,
je suis devenu persuadé que l’unité des chrétiens n’allait pas se faire par des conversions
individuelles. J’étais convaincu que l’unité chrétienne à Montréal ne pouvait s’accomplir sans
un honnête dialogue. Il fallait quelque chose de nouveau.
Je savais que le mouvement œcuménique existait depuis 1910 même s’il n’était pas
accepté dans l’Église catholique. C’était un mouvement issu surtout des Églises de la Réforme
mais auquel participaient aussi des anglicans et des orthodoxes. Je me suis donc intéresà ce
mouvement et j’ai demandé une année sabbatique. Je désirais renouveler mes connaissances
théologiques grâce aux recherches qui se faisaient alors et qui ont finalement inspi le Concile
Vatican II. Et je me suis surtout doncomme objectif de rencontrer beaucoup de gens. me
si l’Église catholique officiellement n’était pas engagée dans le mouvement œcuménique, il
y avait des individus qui suivaient ce mouvement. Le Père Yves Congar, le grand théologien
français, était de ceux-là tout comme, en Hollande, l’abbé Willebrands, qui est devenu plus
tard secrétaire général et président du Secrétariat pour l’unité des chrétiens. En France, en
Hollande, en Belgique, en Angleterre, en Écosse, dans les pays scandinaves, en Allemagne
il y avait des catholiques qui s’intéressaient personnellement au mouvement œcuménique
même s’ils n’étaient pas nombreux. Je suis allé les rencontrer.
Je suis revenu au Canada avec la conviction qu’il fallait abolir les barrières avec les
pasteurs protestants, avec les autorités des autres Églises qu’on ignorait totalement. Il fallait
trouver les moyens d’engager un dialogue, dans l’esprit de l’œcuménisme. Dès septembre
1958, j’ai réussi à rencontrer 7 ou 8 pasteurs protestants et un prêtre orthodoxe ouverts à
Il y a 40 ans …
Le Pavillon chrétien de Terre des Hommes
Entrevue avec Irénée Beaubien, jésuite
BULLETIN DE LIAISON EN PASTORALE INTERCULTURELLE • CENTRE JUSTICE ET FOI
VIvRe ensemBLe
AUTOMNE 2007
VOLUME 15, N° 51
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des rencontres pour se comprendre dans un esprit de vérité, de charité, d’ouverture. J’ai
invité quelques rares catholiques capables de s’ouvrir à cette approche. On a décidé de se
rencontrer une fois par mois. On a développé des amitiés. On s’est fait confiance les uns les
autres.
VE : Quel a été le chemin parcouru pour que devienne possible ce projet d’un pavillon
œcuménique à Montréal?
I.B. : En 1962, on annonce que Montréal était
la ville choisie pour l’Exposition universelle
de 1967. Je me suis dit que si cet événement
venait à Montréal, il fallait qu’on trouve
le moyen de manifester nos efforts de
rapprochement et d’unité entre chrétiens de
diverses confessions. J’ai convoqué à mon
bureau deux prêtres anglicans, deux pasteurs
protestants, un prêtre orthodoxe, et deux de
mes amis catholiques qui étaient jà engagés
dans notre cheminement œcuménique. Je
leur ai proposé un défi en leur présentant
mon souhait que les principales Églises
chrétiennes bâtissent ensemble un pavillon et
donnent un moignage conjoint de l’Évangile
à Terre des Hommes. C’est ainsi qu’est un
comité de recherche. Les chtiens se s’étaient
jamais réunis dans un seul et même pavillon
lors des expositions mondiales précédentes.
Nous avons tenu plusieurs rencontres
à mon bureau, pour définir le message que
nous voulions donner, la façon de nous
organiser et de vendre notre idée. C’était
un gros défi car il fallait, entre autres,
convaincre le Vatican, qui avait droit à son
pavillon, d’y renoncer en faveur d’un pavillon
œcuménique. Nous étions des gens de foi,
nous avons donc beaucoup prié là-dessus.
Nous nous sommes mis d’accord pour
rédiger et signer une première ébauche que
avons proposée aux sept principales Églises
chrétiennes qui regroupaient environ 95%
des chrétiens du Canada.
VE : Comment cette idée a-t-elle pu faire son chemin au sein de l’Église catholique?
I.B.: Pour intéresser la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC), nous avons
fait appel à l’influence du Cardinal Léger, archevêque de Montréal. Le Cardinal participait
à la préparation du Concile Vatican II et il était influencé par les rencontres auxquelles il
assistait à Rome. De plus, Jean XXIII avait manifesté son désir de voir le Concile s’ouvrir au
Le 22 décembre 1964, une déclaration
commune des Églises devenait officielle et
publique : “ Unis par leur baptême dans
une même foi en Jésus Christ et une même
espérance, les chrétiens du Canada, à
l’occasion de l’Exposition universelle de
Montréal en 1967, ont voulu exprimer leur
amour à leurs frères de toute la terre et
répondre aux angoisses et aux espérances de
notre siècle par une proclamation commune de
l’Évangile. Au-delà des déchirures imposées
par l’histoire, les chrétiens du monde entier se
réjouiront d’apprendre la décision à laquelle
nous sommes parvenus après plusieurs
mois de rencontres et d’échanges : nous
érigerons ensemble un Pavillon chrétien
qui puisse proclamer au monde que Dieu
s’est fait chair pour habiter parmi nous et
qu’il est présent à tout ce qui se passe sur
la “ Terre des Hommes ”. En dépit de ce qui
nous sépare, nous croyons pouvoir et devoir
porter ensemble l’humble témoignage de
notre foi en Jésus-Christ et de notre volonté
d’être comme Lui serviteurs de nos frères.
Devant Dieu, nous voulons accomplir ce
travail ensemble pour implorer la parfaite
unité chrétienne que sa divine grâce peut
nous donner; pour le monde nous vivons,
notre geste veut être une invitation à réfléchir
sur le salut qui s’offre à la liberté des hommes
et sur l’espérance qui vient à la rencontre de
l’Univers en marche. ”
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mouvement oecuménique.
Notre petit groupe d’œcuménistes avait d’ailleurs réussi en janvier 1963, après
l’ouverture du Concile, à faire publier une lettre signée par le Cardinal sur l’importance du
mouvement oecuménique, lettre adressée à toutes les paroisses et chapelles catholiques
francophones et anglophones de Montréal. La lettre fut lue dans toutes les églises. C’était
très avant-gardiste. Au printemps 1963, nous avions de plus réussi à créer la première
commission diocésaine d’œcuménisme. En déposant notre projet à l’automne 63, il y avait
donc un début d’ouverture.
Le Cardinal Léger craignait la réaction du président de la Congrégation de la foi, mais
il n’a pas fermé la porte. De plus, grâce au lobbiyng auprès des évêques du Canada, tous
ont accepté l’idée sauf deux. Par ailleurs, le commissaire général de l’exposition, Monsieur
Pierre Dupuy, connaissait personnellement Paul VI. Il m’a proposé un voyage à Rome pour
tenter de convaincre le Vatican de renoncer à son pavillon.
VE : Quelle a été la réception de votre projet à Rome?
I.B. : J’ai d’abord rencontré un responsable qui était chargé des dossiers relatifs aux expositions
internationales et universelles. J’ai tenté de lui faire comprendre que dans le climat de Vatican
II, le temps était peut-être venu pour les catholiques de s’unir avec d’autres chrétiens dans
un seul et même pavillon. Il m’a alors répondu : “ Mon père, ce n’est pas compliqué, le
Vatican va avoir son pavillon et on va inviter les autres Églises à venir dans ce pavillon ”.
Je lui ai expliqué qu’en œcuménisme un projet doit être conçu conjointement, développé
conjointement, financé conjointement, exécuté conjointement. Je me suis rapidement rendu
compte que je perdais mon temps. Je lui ai tout de même laissé un document approprié. J’ai
ensuite rencontré le Cardinal Béa qui était président du Secrétariat pour l’unité des chrétiens
et beaucoup plus ouvert.
Monsieur Dupuy, commissaire général de l’Expo 67, avait un rendez-vous le lendemain
avec le pape Paul VI. Le soir, il m’invite à souper pour parler de son entrevue avec le Pape.
Bien que surpris par le projet, Paul VI n’avait pas fermé la porte. Il avait même ajouté : Je
sais qu’il y a un jésuite qui croit beaucoup à ce projet-là. La décision finale devait être prise
au plus tard en décembre 1964. C’est d’ailleurs à l’automne de 1964 que le Décret sur
l’œcuménisme fut publié.
VE : Compte tenu de son ampleur, comment pouviez-vous avancer le projet dans l’attente
des accords définitifs du projet?
I.B. : Pendant tout le temps des négociations avec les Églises, et surtout avec l’Église
catholique, nous nous sommes comportés comme si le pavillon allait devenir une réalité. Il
fallait penser à la construction, au choix de l’architecte et de l’artiste pour exprimer notre
message, au financement, etc. Le comité de recherche se devait de fonctionner rapidement.
De plus, on demanda à chaque Église de déléguer quelqu’un sur un comité qui jouait le rôle
de conseil d’administration. Un comité de gestion et des sous-comités ont été mis en place.
On avançait et on tenait les Églises au courant.
Le Cardinal Léger de Montréal et le Cardinal Roy de Québec ont été délégués à Rome
pour dire l’appui de l’épiscopat canadien. Le Vatican renonça à son pavillon et remettait aux
évêques du Canada la responsabilité de collaborer au Pavillon chrétien de l’Expo 67. Les
dirigeants de chacune des Églises se sont alors réunis pour signer une déclaration commune
(voir Déclaration dans l’encadré). Une conférence de presse fut convoquée pour ce moment
historique. Le conseil d’administration, le comité de gestion et les sous comités n’ont cessé
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de collaborer ensemble jusqu’à la fin de l’exposition.
VE : Décrivez-nous le Pavillon chrétien?
I. B. : La première partie du Pavillon voulait sensibiliser les visiteurs à la vie concrète
de notre société. Il y avait de magnifiques photos représentant toute la diversité
de Montréal. Cela invitait implicitement à s’engager au service de cette société. La
deuxième section, que l’on atteignait en descendant un escalier, montrait les horreurs
dont les humains sont capables. Il y avait des photos des pires cruautés ainsi qu’un film
de douze minutes qui se terminait avec l’horrible éclatement d’une bombe atomique.
C’était comme un coup de poing sur la gueule. Mais aussi une invitation à travailler
pour combattre ces situations inhumaines et intolérables.
Finalement, c’était la remontée dans une haute salle bien illuminée, qui
correspondait au troisième temps de l’exposition : une partie bien éclairée, cinq
superbes photos illustrant les cinq principales étapes de la vie humaine : la naissance,
l’adolescence, l’âge adulte, la mort, la résurrection. Au bas de chaque grande photo,
se trouvait une phrase appropriée de l’Évangile. À la sortie qui débouchait sur le fleuve,
on pouvait lire : La lumière luit dans les ténèbres; Elles ne pourront jamais l’éteindre;
Qui aime son frère demeure dans la lumière.”
À l’entrée, il y avait un beau jardin avec un jet d’eau. L’ambiance respirait
la paix. Les visiteurs venaient de toutes les parties du Canada, car leur Église était
engagée dans ce pavillon. Ce qui a frappé les gens surtout, c’était de voir les sept
Églises témoigner ensemble dans un seul pavillon.
VE : Cette expérience du pavillon chrétien a certainement avoir des conséquences
au plan du rapprochement œcuménique?
I.B. : Il y a eu une éducation qui s’est faite chez les chrétiens, entre autres par le biais
de la campagne de financement. Le budget nécessaire pour la réalisation du Pavillon
chrétien avait été fixé à 1, 300,000. Chaque Église s’était engagée à contribuer pour un
montant équivalent au pourcentage de sa population chrétienne. Ainsi les catholiques
qui représentaient plus de 45% des chrétiens ont financé près de la moitié du montant
global, l’Église Unie a contribué pour 20% du budget, etc. Il y a donc eu des quêtes
partout, ce qui a permis de parler du pavillon chrétien et de l’œcuménisme. Ajoutons
qu’il y avait des chrétiens de toutes les Églises sur chacun des nombreux comités créés
pour concrétiser l’événement. On a fait un travail formidable. Nous avons vécu une
expérience concrète de dialogue et d’action œcuménique.
VE : Cette expérience, qui était la première du genre, a-t-elle été suivie par d’autres
pays qui ont accueilli une Exposition universelle par la suite?
I.B. : Malheureusement, malgré tout l’investissement que nous y avons mis, cela n’a
jamais été répété avec la même envergure ailleurs dans le monde. Au Japon, en 1970,
à l’exposition d’Osaka, il y a eu un petit pavillon chrétien. Ce fut tout de même un beau
geste symbolique dans un pays qui ne compte guère plus de 1% des chrétiens.
Lors de l’exposition universelle de l’an 2000 en Allemagne, les deux grandes
Églises, catholique et luthérienne, ont commencé tardivement à réfléchir à la possibilité
de donner un témoignage commun. À cette fin, ils ont formé un comité catholique et
un comité protestant. Ce fut une erreur. Il fallait un comité conjoint, un seul, dès le
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départ. En 1998, le révérend Gerhard Wegner, le secrétaire exécutif du comité luthérien, la
personne-clé pour ce pavillon, qui sera appelé le “ Pavillon du Christ ”, est venu à Montréal
pour s’informer sur l’histoire du pavillon et notre cheminement pour sa réalisation. Nous lui
avons fourni tous les renseignements désirés. Mais il restait peu de temps pour convaincre à
nouveau le Vatican de renoncer à son pavillon. À l’Exposition 2000, il y a donc eu le pavillon
du Vatican et le “ Pavillon du Christ ”, celui-ci réalisé surtout grâce à la collaboration de
l’évêque catholique et de l’évêque luthérien de la région de Hanovre, et le Pavillon de l’Espoir
réalisé par l’Église évangélique d’Allemagne( ?).
VE : Lunité des chrétiens reste encore un projet, 40 ans plus tard. Comment y parvenir davantage?
I.B. : D’une part, il convient de nous réjouir du long chemin parcouru au 20ième siècle par
l’ensemble du mouvement oecuménique. D’autre part, pour diverses raisons, le mouvement
international souffre aujourd’hui d’une sorte d’essoufflement. Je crois que nous entrons dans
une période d’approfondissement.
Il demeure que l’un des enseignements majeurs de l’Évangile porte sur l’unité des
chrétiens (Jean 17,21) au service de l’unité du monde. D’où le besoin d’apôtres éclairés
qui se consacrent avec foi, intelligence et dévouement à la promotion de dialogues, de
réconciliations et de collaborations.
Ensemble, nous avons à faire connaître la mission exceptionnelle de cette personne
absolument unique qu’est Jésus-Christ. Ensemble nous avons à promouvoir son message
d’unité et de paix dans un climat de vérité, de justice et d’amour. Ceci étant dit, il faut aussi
nous efforcer de discerner les valeurs spirituelles et morales dans les grandes religions du
monde.
VE : Pour vous qui suivez la question œcuménique depuis plus de 50 ans quel serait votre
message pour les chrétiens du Québec à l’occasion de ce 40ème anniversaire?
I.B. : Mon message s’inspire de la réflexion du théologien allemand Hans Küng : il n’y a pas
d’union possible entre les nations s’il n’y a pas d’union entre les religions. Il faut continuer à
entretenir l’esprit qui a contribué à rapprocher les Églises entre elles et poursuivre ensemble
le travail de rapprochement et de compréhension mutuelle avec les meilleurs éléments des
grandes religions du monde. On doit développer et vivre une éthique commune en fonction
du bien commun.
(Les propos ont été recueillis par Élisabeth Garant)
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