Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège
© Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 25/05/2017
- 2 -
quelque sorte contrecarrer la logique formelle qui, d'après eux, oublie un certain nombre de préoccupations
considérées importantes par Aristote, telles les préoccupations rhétoriques ou dialectiques.
Et vous-même, comment vous situez-vous par rapport à sa pensée?
Il est clair que l'on ne peut pas comprendre un certain nombre de problèmes philosophiques contemporains
sans les rapporter à la manière dont les philosophes contemporains héritent de ceux des périodes
précédentes. Il est impossible de faire de la philosophie contemporaine sans s'intéresser à l'histoire de
la philosophie, sans tenir compte d'un certain nombre de figures historiques majeures dont on ne peut
passer sous silence les contributions. Sinon, c'est prendre le risque de trouver géniales des idées qui ont
déjà été commentées et critiquées. Moi-même, je suis obligé de me reconfronter régulièrement à Aristote
pour comprendre comment un certain nombre de problèmes sont arrivés jusqu'à la période contemporaine
sur laquelle je travaille et comment ils sont réactivés, transformés dans la pensée d'aujourd'hui. Il a eu
une influence d'autant plus majeure tout au long de l'histoire qu'il s'est prononcé sur tous les terrains de la
philosophie. À chaque fois, il a défendu ses positions en les confrontant à tout ce qui avait été dit avant lui
dans ces mêmes champs philosophiques. Il s'est positionné par rapport aux philosophes présocratiques et
par rapport à Platon. Il a confronté les arguments des uns et des autres avant de prendre lui-même position.
À cet égard-là, il reste un modèle. Aujourd'hui, on ne pourrait plus se positionner sur tous les terrains ou
refaire la synthèse de tout ce qui a été dit.
En quoi consiste la philosophie analytique que vous enseignez ?
À la fin du 19e siècle et au début du 20e, les philosophes se sont emparés des outils de la logique formelle
qui s'est développée à cette époque pour reformuler un certain nombre de problèmes philosophiques, pour
essayer de les regarder autrement, par l'analyse logique puis ensuite par celle du langage ordinaire. Selon
eux, plutôt que de répondre aux grandes questions philosophiques, par exemple «Qu'est-ce qui existe?», il
faut d'abord étudier le concept d'existence et voir comment il est utilisé dans le langage quotidien et quelle
place il pourrait prendre dans une analyse logique rigoureuse.
De manière générale, que diriez-vous de l'importance d'enseigner aujourd'hui la philosophie ?
Pour les étudiants qui, à côté de ceux qui ont choisi de suivre cette discipline pour elle-même, n'ont que
quelques heures de philosophie, l'objectif est double: offrir une dimension critique, susceptible de remettre
en question des évidences, de montrer comment elles ont été construites, de comprendre pourquoi nous
les croyons vraies. Mais aussi renforcer la capacité rationnelle et argumentative. Un discours philosophique
possède en effet des exigences rationnelles très fortes. La philosophie, ce n'est pas seulement exprimer
son point de vue mais le défendre, le discuter, le confronter aux arguments des autres. Et tirer toutes les
conséquences des thèses défendues pour évaluer toutes leurs implications et aller voir tous leurs enjeux
en s'imposant de tenir ainsi un discours cohérent. C'est une dimension formatrice pour celui qui suit une
formation universitaire ou d'enseignement supérieur imposant de se donner ce type d'exigence.