Biographie de Jean Collé

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JEAN COLLÉ
Jean Collé - Avril 1942
Source : Bibliothèque d'Étude, Brest
Cote BMB : F COL 14-25
1
FAMILLE COLLÉ
La famille Collé est originaire de Montfort-sur-Meu, commune d'Ille-et-Vilaine. Le père,
Louis Collé, y est né le 26 août 1887. Son épouse, Marie-Ange Daniel, est née le 28 décembre
1884, à Talensac, commune voisine de Montfort. Ils se marient à Paimpont le 1 er juillet 1911.
De ce mariage, sept enfants naissent : Suzanne, en 1912 ; Louis qui décède prématurément à
l'âge de cinq ans ; un deuxième garçon mort-né pendant la guerre ; André le 13 décembre
1919 à Montfort. Trois autres enfants lui succèdent et naissent à Brest : Jean le 12 juillet 1921,
Marie-Antoinette le 1er septembre 1922 et Renée le 4 octobre 1925. Les parents veillent sur
l'éducation et l'instruction religieuse de leurs enfants.
La famille Collé s'établit à Brest à partir de 1914 où Louis exerce la profession de
garçon de café. Ils habitent alors rue Louis Pasteur. Mais comme tout homme valide, Louis est
mobilisé et rejoint son bataillon. Sa femme se rend au domicile familial de Montfort où elle
donne naissance à son deuxième enfant, André. En mai 1918, Louis Collé est fait prisonnier
par les Allemands à la forteresse de Pinon. Pendant ces quelques mois de captivité, ses
conditions de vie sont très difficiles. Il est libéré à l'Armistice et retourne à Brest avec le grade
de sergent.
A partir de la fin de l'année 1917, Brest vit au rythme de la présence des soldats
américains : « 105 transports de troupes débarquent 784 000 hommes. »1 Après l'Armistice, le
commerce commence à décliner. Les derniers soldats américains repartent en octobre 1919
et l'activité portuaire et militaire s'en ressentent : les commandes de navires et bateaux
diminuent et « l'arsenal est touché par les restrictions budgétaires et la perspective d'un
désarmement naval. »2
Malgré
un
contexte
morose
pour
le
commerce à Brest, Louis Collé se rend acquéreur, le
14 décembre 1920, du bar-restaurant Lombard,
situé face aux halles Saint-Louis et à l'angle des rues
du marché Pouliquen et de la Mairie.
Le Bar-restaurant Lombard, exploité par les
parents de Jean Collé avant le siège de Brest
Source : Paul Mouton, Un jeune serviteur de Dieu et
du prochain, Jean Collé, Montsûrs, Éditions Résiac,
1981, p. 12.
1 Marie-Thérèse Cloître (dir.), Histoire de Brest, Brest, CRBC-UBO, 2000, p. 205.
2 Ibid., p. 212.
2
ENFANCE ET ADOLESCENCE
Jean Marie René Collé naît à Brest le 12 juillet 1921. De
santé fragile, le jeune garçon est atteint dès son plus jeune âge
de diphtérie, dont il effectuera de nombreuses rechutes. Celle-ci
cause de nombreuses inquiétudes à ses parents et le jeune Collé
souffre d'effets secondaires – comme des éruptions cutanées et
la paralysie du voile du palais -, à cause d'une injection de sérum
mal dosée. Plein de bonne volonté, il réapprend à marcher et à
parler. Malgré tout, la reprise est difficile pour le garçon qui a dû
faire face à des problèmes de bégaiement provoquant les
moqueries de ses camarades. Il a pu compter sur le soutien de sa
soeur Marie-Antoinette : « elle veille sur lui et, [...] se dresse
Marie-Antoinette et Jean, enfants comme une petit maman pour le défendre, dès que quelque
Source : Claude Mouton, op. cit.,
p. 11.
camarade se moque de lui à cause de son bégaiement. »3 Dès
cette période, Nénette et Rintintin – diminutifs puisés dans les ouvrages réservés à la jeunesse
– sont très complices.
Du point de vue scolaire, Jean fréquente l'école maternelle Saint-Yves. À l'âge de six
ans, il est dirigé sur l'école Saint-Joseph. Jean Collé est un élève brillant. L'Abbé Pierre Madec,
dans le Bulletin des Anciens du Collège Saint-Louis décrit Jean comme un élève « pieux, sérieux,
intelligent, bon camarade, toujours souriant et serviable. »4 Ses professeurs le remarquent et
ses bulletins portent de très bonnes appréciations. Il occupe souvent le premier ou le
deuxième rang. Toutefois, en dépit de ses résultats excellents, il échoue au Certificat d'Études.
Il est tellement affecté qu'il n'ose rentrer chez lui. L'année suivante, il est reçu brillamment. En
octobre 1932, Jean est interne au Collège Saint-Louis. Mais, après sa quatrième, il abandonne
provisoirement sa scolarité pour aider ses parents à l'exploitation du commerce.
Son père détecte en lui de grands dons manuels : il excelle en bricolage et surtout en
peinture. Brillant en dessin et particulièrement adroit, il est un des élèves de Jim-Eugène
Sévellec à l'École des Beaux-Arts. Jean reçoit de chaleureux encouragements et réalise une
multitude de reproductions des oeuvres de son maître : '' Pardon de Sainte-Anne-la-Palud '',
'' Port de pêche de Camaret '', '' Sous-Bois de la forêt de Paimpont '', ' Battue aux sangliers '',
'' Marché de Quimper '', '' Foire aux porcs '', '' Jérusalem dans le crépuscule et le Christ
3 Claude Mouton, op. cit., p. 10.
4 Pierre Madec, Article sur Jean Collé pour le Bulletin des Anciens du Collège Saint Louis. Fait en juillet 1945.
Cotes : F COL 9-1 et F COL 9-1 (bis)
3
veillant '', un portrait du Révérend Père Ange Le Proust, fondateur des Augustines de Saint
Thomas de Villeneuve, '' Christ avec son troupeau de brebis '', ainsi que de nombreux dessins
humoristiques.
Jean Collé, son premier tableau
Date : 1935
Source : Bibliothèque d'Étude. Brest
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Deux ans plus tard, il entre à l'école professionnelle de Saint-Louis. Il réussit
pleinement tant à l'atelier que dans les différentes matières et notamment en dessin
industriel. En 1937, il adhère à la JOC (Jeunesse Ouvrière Chrétienne). Au terme de ses études,
il est admis à l'Arsenal de Brest, en qualité de dessinateur, en septembre 1939. Il est affecté au
Groupe Machines de la Salle de Dessin N (Constructions Navales). Ses travaux sont axés
notamment sur la construction du bâtiment Richelieu. Mais il ne reste pas longtemps à
l'Arsenal. En juillet 1940, Jean est licencié comme l'ensemble des ouvriers embauchés depuis
le 2 septembre 1939.
4
RÉACTIONS DE JEAN COLLÉ FACE À LA GUERRE
Depuis juillet 1940, Jean n'a plus
d'emploi : il a été remercié comme
beaucoup d'autres ouvriers par les
Allemands. Pendant quelques mois, il
apporte son aide au restaurant de son
père, sans grande conviction. Au cours
d'une de ses promenades, il retrouve
André Le Poutre, ancien camarade de
Saint-Louis et dessinateur à l'Arsenal,
qui s'est reconverti en artisan. Il a en
effet monté un atelier de bricolage,
dans le but de vendre des jouets et des
objets ménagers. Jean Collé le rejoint,
dans son atelier installé dans une
ruelle de Kérinou. Georges Bernard,
journaliste à Ouest-Éclair, écrit alors un
article sur la démarche de ces deux
jeunes hommes, paru en novembre ou
décembre
1940,
sous
le
titre
:
« '' Initiative '', Mot d'ordre des jeunes.
A Kérinou, deux jeunes Brestois au
chômage fabriquent des jouets. Ils
Article de presse écrit par Georges Bernard et paru dans OuestÉclair en novembre 1940
étaient dessinateurs à l'Arsenal : ils
Source : Bibliothèque d'Étude, Brest
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sont artisans. » L'affaire est un franc
succès : en neuf mois, les deux artisans ont vendu pour 55 000 francs d'objets. Au mois de mai
1941, les locaux de la ruelle de Kérinou s'avèrent trop étroits et la fabrique s'installe à
Argenton, à trente kilomètres de Brest. En juillet 1941, Jean décide de quitter l'entreprise
pour entrer comme surveillant au Collège Saint-Louis.
Autre activité que Jean Collé pratique : le sport. Très sportif, il parcourt la Bretagne à
bicyclette notamment pour rendre visite sa tante à Montfort-sur-Meu ou ses parents à Kerfily.
C'est un excellent footballeur : il a joué dans l'équipe première de l'Armoricaine aux côtés de
Jean Le Bras, André Salaun, Henri Ménez et Jean Roussin.
5
Jean Collé et son cousin René Daniel, à
l'issue d'un entraînement individuel
Source : Paul Coat, « Jean Collé, un
militant chrétien brestois », dans Les
Cahiers de l'Iroise, Brest, n°194, octobre
2002, p. 6.
Jean Collé dans l'équipe première de l'Armoricaine
Il se trouve au second rang, le deuxième à gauche
Source : Bibliothèque d'Étude. Brest
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« Nous nous connaissons surtout comme sportifs... Jean était un excellent
joueur de football... Tout en aimant un peu la vie mouvementée, les exercices
physiques, il connaissait trop la fragilité et la contingence de nos activités
humaines pour négliger l'essentiel. »5
Jean Collé est à Brest, lors du bombardement du 24 juillet 1941. En plein jour, pendant
deux heures, une centaine de bombardiers britanniques survolent Brest. Le bilan humain est
très lourd : 84 morts et 90 blessés dans la population civile. Dans une lettre du 26 août 1941
adressée à sa tante, il décrit ce bombardement qui l'a profondément marqué :
« Jeudi 24 juillet 1941. J'arrivais de bonne heure d'Argenton. La matinée était
calme, aucune reconnaissance. Vers les deux heures, un bruit confus de
moteurs. Les Brestois, habitués, n'y prennent garde. Quelques secondes... Un
sifflement aigu.... Boum ! La terre tremble, une bombe vient de tomber sans
avertissement de sirènes, sans intervention de la DCA. Panique dans les rues
remplies de monde ; c'est l'heure d'ouverture des magasins. La canon tonne et
d'autres engins explosifs tombent. Le coeur de la ville est touché à trois ou
quatre reprises. Les bombardiers passent en formation de combat. Il y en a
une trentaine, divisée en deux groupes. Quelques minutes et tout entre dans
l'ordre. Ce passage n'est qu'un avertissement pour la population. Vingt
minutes de calme et le tonnerre gronde à nouveau. Le ciel est rempli par les
barrages de flocons noirs, blancs et roses. De temps à autre, les mitrailleuses
5 Témoignage de Joseph Dastillung, écrit à Lyon le 19 mai 1948
Source : Bibliothèque d'Étude, Brest
Cote BMB : F COL 7-19
6
crépitent. Dominant cet enfer, les lugubres sifflements se font entendre à
intervalles très courts. Que ce bruit est terrible, le début est un miaulement, la
fin rapide, un hurlement suivi d'un épouvantable fracas : les toits sont crevés,
les charpentes voltigent, les murs soufflés s'écroulent. Tout ça suivi d'une
poussière et d'une fumée noire, épaisse et âcre. L'eau fuit, le gaz est coupé,
l'électricité manque. Et cela dure pendant plus de deux heures. Notre quartier
Saint-Louis a bien souffert. Depuis le début, il faut compter une trentaine de
points de chute. Ce jeudi 24, une bombe d'un chapelet de quatre est tombée
derrière le café voisin de chez nous. La maison est détruite, un mort, trois
blessés. Nous n'avons perdu que notre chat Négus et un carreau. La petite
Sainte Vierge en porcelaine scellée dans le mur nous protège. Ce fut ce jour-là
une attaque massive : trente-six bombardiers escortés d'une soixantaine de
chasseurs. Les assaillants ont perdu dans le ciel de la région environ trente
appareils, les défenseurs une vingtaine. Résultats sur la ville : près de deux
cent cinquante tués. »6
Kerfily, Avril 1942
Jean Collé, Monique Ravet, Marie
Madec et Marie-Antoinette Collé
(soeur de Jean)
Source : Bibliothèque d'Étude.
Brest
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Jean Collé. Avril 1942 à Kerfily
Source : Bibliothèque d'Étude. Brest
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Brest bombardée, les membres de la famille Collé trouvent refuge dans leur maison de
campagne, proche de la mer, appelée '' Ty an Discouitz '' (Maison du Repos), au village de
Kerfily sur la commune de Loc-Maria Plouzané, à quinze kilomètres de Brest.
Face aux Allemands, Jean a un caractère bien trempé et cela lui a valu quelques
déboires. En août 1942, à Brasparts, des Allemands prennent possession du hangar qu'il
6 Lettre de Jean Collé à sa tante, Soeur Saint Germain. Écrite à Brest le 26 août 1941.
Source : Bibliothèque d'Étude, Brest
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occupe avec plusieurs enfants d'une colonie de vacances. Les soldats veulent y entasser
chevaux et fourrages et ordonnent aux enfants de nettoyer le local. Jean s'y oppose. Les
Allemands, surpris et furieux, le mettent dos au mur et le menacent. Rien n'y fait. Finalement,
les Allemands cèdent. Dépités, ils saisissent des balais et nettoient eux-mêmes le hangar.
A Brest, Jean se met au service de la Croix-Rouge et de la Défense Passive. Peu avant de
s'inscrire à la Croix-Rouge, fin décembre 1942, il se présente à la Mère Supérieure de l'Hôpital
Civil de Brest, pour lui proposer son aide et « faire le ménage. » Il s'intéresse aux blessés. Il
assiste à des opérations chirurgicales. Il s'affermit et rend les plus grands services, en
s'initiant parfaitement aux soins des blessés. Les chirurgiens sont édifiés par son courage et
son dévouement. Jean Collé apprend aussi le secourisme et obtient son brevet en juin 1943.
Certificat du Docteur Velly
Source : Bibliothèque d'Étude. Brest
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La vie dans Brest bombardée s'organise. Étant fermé, à cause des bombardements, le
restaurant familial est occupé par Jean et Marie-Antoinette qui s'y sont néanmoins installés.
Ils interviennent avec la Croix-Rouge et le Secours National, qui les alertent en cas d'urgence.
À chaque alerte, il se rend avec Marie-Antoinette à l'Abri Suffren. Ils sont affectés, lui, au
brancard, elle, aux soins des bébés et des enfants. Le bar-restaurant sert aussi de refuge. Il
possède, en effet, une double cave voûtée. Jusqu'à la construction des abris, des commerçants
des halles s'y sont entassés pour échapper aux bombes.
8
UNE VOCATION RELIGIEUSE
« Moi aussi, un jour, je dirai ma messe. », dit Jean Collé à l'âge de onze ans, lors de sa
Communion Solennelle en la Chapelle Sainte Thérèse de l'enfant Jésus. Cette remarque flatte
sa mère qui remarque en lui des qualités pour entrer au Séminaire. Son père, quant à lui,
pense que son fils est fait pour autre chose, notamment le dessin et la peinture.
Quelques années plus tard, fin août 1941, au cours d'une promenade, près de Guissény,
Jean se pose la question '' Qu'est-ce qu'un prêtre ? '' en passant devant l'église. Grâce à sa
conversation avec l'Abbé Lespagnol, recteur de Guissény et ancien directeur du patronage des
Carmes, il décide de devenir prêtre. Il le dit dans une lettre adressée à sa tante le 26 août
1941 :
« En octobre je compte entrer au Collège Saint Louis comme surveillant
(décidément elle m'attire cette maison). Le sous-directeur m'a offert cette
place. '' Tu y seras bien, m'a-t-il dit, tout en surveillant tu pourras travailler et
préparer ainsi ton entrée au Séminaire. '' [...] Depuis bien longtemps j'y pense.
J'ai attendu mes vingt ans pour en parler. Cette attente m'a permis de voir et
d'étudier pas mal de choses. J'ai vu la jeunesse, ses occupations, j'ai vu
l'ouvrier, ses devoirs, et je vois maintenant le patron, ses responsabilités. Il y a
du travail dans chaque branche et chaque branche a besoin de remèdes. »7
C'est à l'apostolat parmi les jeunes et dans le monde du travail qu'il se sent poussé.
C'est dans ce but qu'il veut devenir prêtre.
Cette impulsion si brusque lui permet d'entrer à l'âge de vingt ans au Séminaire pour
Vocations Tardives de Saint-Jean, à Changis-sur-Marne, dans le diocèse de Meaux, en octobre
1941.
Séminaire de Saint-Jean, à Changis-sur-Marne, dans le diocèse de Meaux
Jean y entre en septembre-octobre 1941
Source : Claude Mouton, op. cit., p. 30.
7 Lettre de Jean Collé à sa tante, Soeur Saint Germain. Écrite à Brest le 26 août 1941.
Source : Bibliothèque d'Étude, Brest
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Son emploi du temps est très rigoureux : il
commence sa journée à 6 heures du matin pour
terminer à 22 h 15. Il s'adapte sans trop de
difficultés à sa nouvelle vie, qui est un
dépaysement important pour Jean. Mais à la fin
du mois d'octobre 1941, des meules de pailles ont
été incendiées sur le territoire de la commune de
Saint-Jean et de ce fait, les Allemands obligent
tous les hommes valides à monter la garde la nuit.
Jean n'y échappe pas. Les fermes à surveiller sont
à quatre ou cinq kilomètres du séminaire.
Film extrait du groupe de l'arrivée à l'école
apostolique de Changis
Jean se trouve au second rang, le deuxième à gauche
Source : Claude Mouton, op. cit., p. 51
Jean en soutane
Source : Claude Mouton, op.cit., p. 31
Son Supérieur, l'Abbé Gaillot, et ses anciens camarades de Saint-Jean gardent de bons
souvenirs de Jean. Tous parlent d'un garçon pieux, intelligent et très généreux. Il a toujours
une pensée et une délicatesse aux hommes qui souffrent et qui sont dans les camps. Il a
exécuté, par exemple, le programme pour la '' Journée du Prisonnier '', célébrée par le
séminaire en novembre 1941.
10
Jean en aube pour la Fête-Dieu
Photographie prise vraisemblablement en 1942
Source : Claude Mouton, op.cit., p. 32
Jean Collé Équipe des Chaudronniers
Source : Claude Mouton, op.cit., p. 31.
Il accomplit son pèlerinage à Neuilly et prie à Notre-Dame de Bonne Délivrance, en
juillet ou août 1942. Il revient à Changis-sur-Marne pour la rentrée de septembre. Sa
deuxième année ne dure que quelques mois. En effet, le chanoine Gaillot décide de fermer le
séminaire, à cause des difficultés de ravitaillement, des privations et la réquisition des jeunes
hommes pour le travail obligatoire en Allemagne.
PARTIR EN ALLEMAGNE A LA PLACE D'UN AUTRE... POUR LES AUTRES : LE STO
VU PAR JEAN COLLÉ
En février 1943, sous la pression du gauleiter allemand Sauckel, le gouvernement de
Vichy institue le Service du Travail Obligatoire (STO) : tous les hommes de dix-huit à
cinquante ans et toutes les femmes célibataires de vingt-et-un à vingt-cinq ans sont mobilisés
et envoyés en Allemagne. Jean Collé n'y échappe pas : il reçoit l'ordre de se tenir à la
disposition des autorités occupantes. Pourtant, il n'est pas obligé d'y aller : il a de nombreuses
relations dans la police et les policiers résistants lui obtiennent de faux papiers. Il aurait pu
aussi embarquer pour l'Angleterre, mais sa charité et sa générosité l'en empêchent : il décide
de partir en Allemagne à la place d'un autre :
« Je compte sur vous. Un de mes camarades, marié, père de famille, est sur la
liste des partants du STO. Faites-moi inscrire à sa place et veuillez à ce qu'il ne
soit pas inquiété. »8
8 Claude Mouton, op. cit., p. 67.
11
« Sous l'impulsion de l'Abbé Rhodain, l'Église invite ses représentants à s'investir dans
des actions d'apostolat auprès des travailleurs contraints et forcés de s'exiler sur une terre
inhospitalière. »9 Jean Collé décide donc de faire part au Chanoine Gaillot, dans sa lettre du 8
mars 1943 de sa volonté de partir pour l'Allemagne.
Lettre de Jean Collé au Chanoine Gaillot (page 1)
Écrite à Brest le 8 mars 1943
Source : Bibliothèque d'Étude, Brest
Cote BMB : F COL 2-14
Lettre de Jean Collé au Chanoine Gaillot (page 2)
Écrite à Brest le 8 mars 1943
Source : Bibliothèque d'Étude, Brest
Cote BMB : F COL 2-14
« À l'appel de ma classe, en acceptant par avance tout ce que pouvait
comporter une telle décision, je me suis fait recenser comme dessinateurmécanicien. »10
Le Chanoine Courtet explique les raisons qui ont poussé Jean Collé à partir en
Allemagne :
« Jean est venu me faire une visite au presbytère en 1943, avant son départ
pour l'Allemagne. J'avais déjà appris par Monsieur Belbéoc'h, son intention de
partir et le motif de son départ. Comme je l'engageais à rester : '' Non, m'a-t-il
répondu, ma décision est prise. Je pars demain. Notre place, à nous, Jocistes,
c'est d'être au milieu des ouvriers. Ils auront plus que jamais besoin de nous
là-bas. C'est là que nous pouvons faire le plus de bien. Voilà pourquoi il faut
que je parte. '' [...] Il n'avait qu'une ambition : être prêtre pour faire connaître
9 Paul Coat, op. cit., p. 8.
10 Lettre de Jean Collé au Chanoine Gaillot (page 1). Écrite à Brest le 8 mars 1943
Source : Bibliothèque d'Étude, Brest
Cote BMB : F COL 2-14
12
le Christ et lui gagner des âmes. Il vibrait à la pensée du magnifique travail
qu'il allait faire parmi ces ouvriers contraints de partir pour l'Allemagne. »11
Malgré des avis opposés, Jean quitte Paris pour l'Allemagne le 23 juin 1943. Arrivé à
Dresde, il est désigné pour la Kamera Beier, où il travaille comme tourneur-fraiseur. Il habite à
Freital, ville de 40 000 habitants, située à dix kilomètres de Dresde.
Jean se rend compte du travail qu'il doit faire envers ses camarades déportés. Quelques
mois après son arrivée, il réussit à aller à Dresde où il peut prier et communier. Il y rencontre
Monseigneur Wienken et un prêtre français, l'Abbé Pierre de Porcaro. Ce dernier est entouré
d'une véritable équipe de prêtres et séminaristes français, qui ont été déportés en Allemagne
et qui, dès lors, s'efforcent d'oeuvrer dans la clandestinité. Jean Collé met en place une section
jociste et tient une réunion deux fois par mois dans sa chambre à Freital. Chaque dimanche
près de la gare de Dresde, il retrouve d'autres séminaristes. Mais le groupe se réduit, car
certains des participants sont arrêtés par la Gestapo.
C'est
principalement
en
direction
des
malades que Jean dirige son action. Il développe
notamment le service d'Entraide, démarré par
Georges Hénaut. Ainsi, pendant deux ans, les
Français
hospitalisés
ont
été
soutenus
moralement et matériellement. Jean Collé et ses
camarades leur apportent du réconfort et leur
donnent des petits présents, tels des douceurs,
des livres, des journaux et un peu d'argent. Avec
Georges Hénaut, il a aussi pris en charge
l'entretien des cimetières où reposent les
Français décédés dans les hôpitaux ou tués sous
les bombardements.
Jean Collé, à Dresde en visite dans les hôpitaux avec
ses équipes
Source : Claude Mouton, op.cit., p. 87.
11 Témoignage de Bernard Courtet. Écrit à Quimper le 10 juin 1948
Source : Bibliothèque d'Étude, Brest
Cote BMB : F COL 7-25
13
Il fonde un tract clandestin, La France : personnage vivant... et le répand Outre-Rhin
pour faire comprendre l'idée qu'il avait de la France. Il diffuse aussi une presse clandestine
écrite entre octobre et décembre 1943 à l'usage des prêtres et séminaristes déportés : Le
Trait d'Union d'Outre Rhin. Après un texte à caractère religieux, celle-ci donne des
informations sur l'état des prisonniers, sur leurs besoins et leurs droits.
Le Trait d'Union d'Outre-Rhin, octobre 1943
Source : Bibliothèque d'Étude, Brest
Cote BMB : F COL 3-1
Mais, en juillet 1944, Jean commence à avoir des problèmes avec les autorités
allemandes. Avant de partir pour l'Allemagne, il a établi, à l'aide d'un petit dictionnaire, un
code pour pouvoir correspondre à mots couverts quand cela était nécessaire. Les chiffres
indiquent que ce qu'il va raconter sous forme de rêve doit être pris au sérieux. Il nous le décrit
dans une lettre du 8 juillet 1944 adressée à sa tante :
14
« 8 juillet 1944. Bien chers Tous. - Je viens de rencontrer Mimil et Rintintin et
ils m'ont de nouveau charmé par le récit de leur rêve. Je laisse la parole au
premier, le plus bavard. '' Un midi, un monsieur très bien mis venait me
prendre au travail et m'annonçait une perquisition dans ma chambre. J'y
assistais et répondais à l'interrogatoire. Éclairé par le sens des questions je
comprenais le but de cette visite : propagande religieuse. Le vide ayant été fait
par précaution auparavant, le butin s'annonça faible. L'affaire suivait son
cours et prenait les jours suivants une toute autre orientation ''. - Voici
maintenant le rêve de Rintintin '' C'est curieux, moi aussi cette nuit j'ai été
mêlé dans une semblable affaire. Renseigné en douce par une dactylo de
l'usine je suivais son évolution et apprenais, un peu avec surprise, certaines
mesures prises à mon égard : contrôle de correspondance, surveillance au
boulot. De mon côté, j'alertais le consulat et prenais certaines décisions. J'en
étais là quand la sonnette de mon réveil me sortait du lit... '' - Laissons nos
deux compères avec leur rêve et parlons sérieusement. Voici la somme
promise à Antoinette pour les petits livres rouges : 582,20. Elle est d'ailleurs
fausse et ce n'est qu'une erreur. Au fond, c'est compréhensible : quand ça
commence à sentir le brûlé dans la cuisine la cuisinière est affolée mais le petit
mitron reste stoïque ! »12
Dans cette lettre, Jean Collé raconte de manière sous-entendue la perquisition de sa
chambre par la Gestapo. Il a été arrêté une première fois, mais la police allemande le relâche
presqu'aussitôt, faute de preuves. Mais, d'un commun accord avec Georges Hainaut, il décide
de se dénoncer. Jean est incarcéré pendant trois jours dans une cellule, sans nourriture. Il
subit un interrogatoire musclé. La Gestapo fait tout ce qu'elle peut pour envoyer Jean,
considéré comme un '' homme dangereux '' dans un camp de concentration. Finalement, elle
le traite en '' indésirable '' et l'expulse. Ce départ plonge les déportés du STO dans la tristesse.
DU RETOUR A BREST À L'ABRI SADI CARNOT
Jean arrive à Paris le 23 juillet 1944. Il rend visite à sa soeur, Suzanne Ravet. Il prend
ensuite la direction de Brest et y arrive quatre jours plus tard. A peine arrivé, Jean et sa soeur,
Marie-Antoinette Collé, se mettent au service de la Croix-Rouge.
Mais le 14 août, les autorités allemandes décrètent l'ordre d'évacuation totale de la
ville par les populations civiles. En quelques heures, tous les habitants doivent avoir déserté
Brest. Mais il y a des récalcitrants - ceux qui préfèrent mourir sur place que d'abandonner leur
maison -, des malades, des infirmes, des impotents qui ne peuvent partir, des grands blessés
qu'il faut opérer, des agonisants, des ensevelis sous les décombres : c'est vers ceux-là que Jean
et Marie-Antoinette se portent spontanément.
12 Lettre de Jean Collé à Mère Saint Germain (sa tante). Écrite à Freital le 8 juillet 1944
Source : Bibliothèque d'Étude, Brest
Cote : F COL 2-47
15
Place
Sadi-Carnot,
Place
Wilson, Hôpital Ponchelet, Hôpital
Maritime sont quelques-uns des
abris de Brest, les deux premiers
étant réservés aux civils. Ainsi, à
chaque
alerte,
Jean
et
Marie-
Antoinette rejoignent l'Abri de la rue
Suffren,
mais
celui-ci
est
brusquement réquisitionné par les
La Défense Passive, entre le 15 août et le 20 août 1944
Source : http://www.wikibrest.net/index.php/Souvenirs_de_résidents_du_Foyer_ker_Digeme
r
Consulté le 2 septembre 2008
Allemands. Ils rejoignent la CroixRouge et la Défense Passive dans
l'Abri Sadi-Carnot, où des centaines
de personnes s'entassent.
Jean Collé est brancardier et fait équipe avec le Révérend-Père Ricard. Il lui sert chaque
matin la messe dans l'Abri Sadi-Carnot.
Un jour, un agent de police s'écroule devant l'Abri Sadi-Carnot. Jean s'élance, mais une
sentinelle allemande lui interdit d'approcher, alors que Jean porte sur la poitrine une grande
croix rouge sur fond blanc. Le soldat allemand ne veut rien savoir. Jean Collé avance tout de
même, tout en restant sur ses gardes. Mais l'Allemand épaule et tire. Jean plonge à plat-ventre.
Indemne, souriant et calme, il ramasse son blessé et le confie aux sanitaires.
Le 25 août 1944, l'Amiral Négadelle, préfet maritime, est mortellement blessé par une
bombe près du Bar de l'Aviation, en haut des escaliers de la rue Tourville. Prévenue, l'équipe
Ricard-Collé, en dépit de la distance et du danger, court avec le brancard et dégage l'officier.
Jean et Marie-Antoinette Collé forcent l'admiration de tous les occupants de l'Abri par
leur courage, leur sourire et leur disponibilité.
La vie dans l'Abri Sadi-Carnot se dégrade au fur et à mesure de l'évolution du siège de
Brest. Les Allemands, qui occupent une partie de l'Abri, ont entassé des caisses de munitions
et des fûts d'essence.
Malgré les conseils de leurs proches et amis, Jean et Marie-Antoinette restent dans
l'Abri Sadi-Carnot, même s'ils ont encore la possibilité de quitter les lieux pour se mettre en
sûreté. Le 8 septembre 1944, Daniel Guirriec rencontre Jean Collé et lui propose :
« - Cet abri présente trop de danger. Il vaut mieux partir. Venez avec moi. A
l'arrière, il y a beaucoup à faire aussi avec tous ceux qui ont dû quitter leur
maison, ils ont besoin d'aide et de dévouement.
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Jean répondit :
- Tant qu'il y aura quelqu'un dans l'abri, je reste. Notre tâche ici n'est pas
terminée. »13
Le 9 septembre 1944,
une
violente
altercation
entre des parachutistes et
des
ouvriers
de
l'Organisation Todt a lieu
dans l'Abri. Jean, qui ne dort
pas, réveille sa soeur et tous
ceux qui se trouvent sur son
passage en leur expliquant le
danger. Trente à quarante
personnes s'enfuient comme
elles le peuvent vers la
Les ruines de l'Abri Sadi-Carnot et de la salle des Fêtes
Source : http://www.wikibrest.net/index.php/Souvenirs_de_résidents_du_Foyer_ker_Digemer
Consulté le 2 septembre 2008
sortie. Voyant un enfant, Jean
Collé le prend dans ses bras,
tandis que la mère le suit de
près. Marie-Antoinette arrive à la hauteur de Jean, mais elle a oublié sa mallette de la CroixRouge et retourne sur ses pas. Jean est pratiquement sur la dernière marche, place SadiCarnot, quand une première explosion le projette à terre avec plusieurs rescapés. Il ne lâche
pas l'enfant et, se relevant, le rend à sa mère.
A cet instant, Jean Merrien, employé de l'hôtel de ville, et Monsieur Poulain, agent de
police, le voient encore :
« Jean se retourne et, tête baissée, tandis que la lumière s'est éteinte,
redescend dans le trou noir pour essayer de sauver sa soeur et les autres. »14
13 Claude Mouton, op. cit., p. 136.
14 Ibid., p. 140.
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Mais la grille se referme derrière lui. De fortes
explosions et des flammes d'une vingtaine de mètres
jaillissent sur la place. Après la catastrophe, des corps
carbonisés et méconnaissables sont sur les marches en
ciment. Il a fallu attendre plusieurs jours afin de pouvoir
descendre dans l'abri, à cause des explosions. Les
recherches n'ont pas permis de retrouver les corps des
jeunes Collé : seule la montre en or de Marie-Antoinette
a été reconnue, les aiguilles arrêtées à 3 h 11.
Abri Sadi-Carnot
Photographie prise le 19 septembre 1944
Source : Henri Floch, Alain Le Berre, L'Enfer
de Brest, Bayeux, Editions Heimdal, 2001,
p. 203
CONCLUSION ET INTÉRÊTS
Le 9 septembre 1944, une gigantesque explosion ayant
ravagé l'Abri Sadi-Carnot a fait 373 victimes civiles, dont Jean et
Marie-Antoinette Collé, le Révérend-Père Ricard et le président
de la délégation spéciale de Brest, Victor Eusen. Des cérémonies
commémoratives rappellent chaque année le sacrifice et la mort
des civils dans l'explosion de cet Abri. Une stèle rappelant les
victimes civiles décédées dans l'explosion de l'Abri Sadi-Carnot
est présente à Kerfautras.
Plaque commémorative
Source : http://www.wikibrest.net/index.php/Abri_Sadi_Ca
rnot
Consulté le 2 septembre 2008
Une plaque rappelle la fin héroïque de Jean et MarieAntoinette Collé. Celle-ci se trouve sur la tombe de laPlaque de marbre à la mémoire de Jean et
Marie-Antoinette Collé
Source : Paul Coat, op. cit., p. 10.
famille Collé au cimetière de Kerfautras.
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SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE
Archives municipales et communautaires de Brest.
> 41S : Fonds Jean Collé.
> BIO : Fiche Biographique sur Jean Collé.
Service Historique de la Marine – Antenne de Brest.
> 1S11 : Copie de l'enquête sur Jean Collé.
Bibliographie.
> CLOÎTRE, Marie-Thérèse (dir.), Histoire de Brest, Brest, CRBC-UBO, 2000, 303 pages.
> COAT, Paul, « Jean Collé, un militant chrétien brestois », dans Les Cahiers de l'Iroise, Brest,
n°194, octobre 2002, p. 2-9.
> FLOCH, Henri, LE BERRE, Alain, Album historique, L'Enfer de Brest, Brest - Presqu'île de
Crozon, 25 août – 19 septembre 1944, Bayeux, Éditions Heimdal, 2001, 304 pages.
> MONTFORT, Myriam (pseudonyme), Jean Collé, Un militant brestois, 1921-1944, Paris,
Éditions P. Lethielleux, 1950, 172 pages.
> MOUTON-RAIMBAULT, Claude, Un jeune serviteur de Dieu et du prochain, Jean Collé,
Montsûrs, Éditions Résiac, 1981, 161 pages.
> POTTIER, Joël, Christen im Widerstand gegen das Dritte Reich, Stuttgart/Bonn, Burg Verlag,
1988. Note en allemand sur Jean Collé, p. 194-195.
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