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Hegel Vol. 6N°2-2016
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donnénaissance àla notion de champ inventéepar Maxwell vers 1850. La genèse de la théorie a
procédéd’unedémarche par essai et erreur,comme il en va toujours en physique oùla cléde voûte
méthodologique est une confrontation systématique entre expérience et théorie, conduisant peu àpeu
àun cadre logiquement cohérent permettant de comprendre l’ensemble des observations et d’en rendre
compte par les mathématiques —et, lorsqu’il s’agit du monde quantique, les mathématiques sont le seul
langage approprié.Sil’enfantement fut dif®cile, s’étendantsur plus de deux décennies après l’hypothèse
fracassante de Planck (14 décembre 1900), l’instant crucial fut la charnière 1925-1926 avecles articles
fondateursdeHeisenberg et de Schrödinger.Depuis cette date, des armées de physiciens avecleur
cohortes de prix Nobel et leurs régiments de fantassins ont utiliséce cadre théorique, cherchant même
parfois àle torturer ;àce jour,aucune expériencen’a invalidéla théorie, ycompris dans ses prévisions
les plus surprenantes, quand elles ne sont pas tout simplement incompréhensibles pour le sens commun
puisqu’elles ne peuvent justement s’exprimer que dans le langage avancédes mathématiques, toute
tentativededescription avec les mots ordinaires étant vouéeàl’échec, la contradiction ou l’absurdité—
quand elle ne conduit pas àdes délires intellectuels constituant le triste univers des pseudo-sciences2.
Dans le domaine quantique, plus que partout ailleurs, Galiléearaison3.
On ne peut mieux résumer le statut actuel de cette théorie qu’en citant Roger Penrose pour qui la TQ est
«laplus exacte et la plus mystérieuse de toutes les théories physiques »[1]. En effet, pourvu que l’on
s’arrête en deçà du mur de Planck4—qui est aujourd’hui l’horizon du physicien —,cette théorie fournit
une explication aujourd’hui irréfutable du monde observable, du noyauatomique aux étoiles àneutrons,
et ce, avecune précision diabolique jamais atteinte dans l’histoire des sciences. La TQ accomplit ainsi
intégralement le programme dévolu àtoute théorie physique —être douéedecohérence interne, rendre
compte des expériences effectuées,etprévoir de nouveaux phénomènes non encore observés;ce
succès presque vertigineux justi®ed’adhérer pleinement àla révolution conceptuelle qu’elle impose.
Mais c’est aussi ce succèsetles mystères qui l’accompagnent qui, en en faisant l’attrait et la séduction,
sont aussi son talon d’Achille pour prêter le ªanc àdes récupérations saugrenues voire burlesques dont
je citerai certaines dans la dernière partie de cet article.
La plus mystérieuse en effet, car la TQ remet radicalement en cause quelques dogmes héritésde
siècles d’observations des lois naturelles, observations ayant toutes en commund’être un regard sur
le monde tel que les sens humains peuvent l’appréhender directement —éventuellement au moyen
d’instruments —,qu’il s’agisse du mouvement des particules browniennes ou des irrégularitésdel’orbite
d’Uranus, dogmes qui, soit dit en passant, avaient —et ont d’ailleurs toujours —leur raison d’être et
leur (désormais exclusif)domaine de validité,celui du monde macroscopique.Car c’est au moment où
la question de la nature de l’inÒniment petit (comme on dit) avraiment commencéàse poser sur des
bases expérimentales que ces dogmes ont révéléleurs limites et se sont littéralement effondrésquand,
tout naturellement, on aentrepris de les exporter dans un monde jusque-làinconnu car inobservable. Il
convient d’en citer quelques uns car ce sont précisément ceux-làqui, invoquésàtort et àtravers, sont
brandis en étendards par les tenants de pseudo-sciences.
La première notion qui disparaîtdans le domaine quantique est celle de trajectoire, c’est-à-dire de
la ligne parcourue dans l’espace par un mobile, qu’il soit petit ou grand, qu’il s’agisse d’un grain de
poussière, d’un obus de canon ou d’une étoile. L’expérience des fentes d’Young démontre àl’évidence
que dèslors qu’il s’agit d’un trèspetit objet (un électron, un atome, une grosse molécule comme un
fullerène...), la trajectoire au sens de la penséeclassique n’existe pas, tout simplement. Sa traduction la
plus élémentaire est ce qui fut historiquement appeléle Principe d’incertitude de Heisenberg,expression
n’ayant de valeur que dans le contexte de l’époque oùelle a étéforgéemais àlaquelle aucun physicien,
aujourd’hui, n’attribue plus un sens littéral:iln’y aniincertitude, ni principe au contraire de ce que
croient ceux qui convoquent àtort et àtravers ce «principe »qui n’en est plus un. Il en va d’ailleurs
de même pour la relation de de Broglie que l’on voit manipuléesans vergogne avecpour seul effet de
révéler l’ignorance de ceux qui croient pouvoir en faire la pierre angulaire de leurs divagations ;c’est
cette relation qui afondél’énigmatique dualitéonde-corpuscule,mais cette dualitén’existe pas puisque
les petits objets ne sont ni des ondes ni des corpuscules. Cela n’empêchepas certains [2, 3] d’établir
2. Le terme pseudo-science désigne des «théories »et des doctrines qui, en utilisant un langage savant, se
donnent un air de science sans cependant satisfaire les standards de la scienti®cité.
3. «Illibro della natura e’ scritto coi caratteri della Geometria. »
4. Al’heure actuelle, on ne sait pas comment réunir dans un même corpus théorique la TQ et la relativitégé-
nérale (RG) d’Einstein (théorie de la gravitation). Cette impossibilitéinterdit de décrire des phénomènesoùles effets
quantiques et les effets gravitationnels sont comparables ;lecritère correspondant conduit aux échelles de Planck
(longueur,temps, et énergie) qui dé®nissent une sorte de barrière infranchissable vers un monde dont la description
exige une théorie qui aujourd’hui n’est pas disponible. La longueur de Planck vaut 2x10-35 m, le temps de Planck est
voisin de 5x10-44 s, l’énergie de Planck est àpeu près5x1019 GeV.