demandé à plus de cinq mille personnes qui avaient visité l'exposition de répondre à un questionnaire. Une des réponses obtenues semble
spécialement intéressante: à la question " Êtes-vous partisans que l'on pratique sur votre personne des tests génétiques, même s'ils ne
permettent pas d'améliorer votre santé ? ", 90% des personnes répondirent positivement. Même si le test génétique n'a pas d'incidence
préventive ou thérapeutique, neuf personnes sur dix déclarent qu'elles veulent savoir. Si bien qu'il est hautement probable que, demain, les
gens connaîtront de mieux en mieux certains des déterminants de leur avenir biologique, de leur susceptibilité aux maladies. Or, ce savoir-là,
quand bien même il n'a pas de conséquences médicales, peut avoir d'immenses implications d'un point de vue économique, dans des
systèmes de prêts bancaires, d'assurances privées ou de sélections à l'embauche. Demain nous serons dans des sociétés où des intérêts
économiques puissants pourront tirer profit de la connaissance des prédispositions génétiques des personnes, alors que l'immense majorité
des individus affirme vouloir connaître leur avenir génétique. Rien n'est vraisemblablement plus difficile à conserver que l'intimité génétique.
Des circuits existent, des fichiers, entre lesquels je ne crois pas qu'il soit vraiment possible d'empêcher les intercroisements. De la sorte, les
risques sont grands que les agents économiques concernés aient accès aux informations génétiques pertinentes des gens. Ce danger est réel
et, si on ne prend pas garde, des mécanismes implacables aboutiraient à ce que la liberté qu'ont les personnes au sein de la Cité, en principe
fondée sur leur commune humanité, ne soit sévèrement limitée en fonction de leurs déterminants biologiques. L'article de la Déclaration des
Droits de l'Homme selon lequel " Tous les hommes naissent et demeurent égaux en dignité et en droit " ferait place à la modulation de leurs
droits en fonction de leurs gènes. En d'autre terme, c'est au remplacement du principe des droits de l'homme par celui du droit des gènes que
l'on assisterait. Une régression funeste. Il faut le savoir pour pouvoir l'éviter. C'est possible, sans doute, mais encore faut-il en avoir conscience.
Le gène, une matière première
Les programmes génomes véhiculent, outre leur aspect purement scientifique, de considérables enjeux économiques. Le marché potentiel des
biotechnologies utilisant le génie génétique pèse, je l'ai dit, plusieurs centaines de milliards de dollars. La matière première de cette activité, est
le gène. On a donc vu se mettre progressivement en place toute une série de stratégies de prises de position autour du gène, qui miment
exactement ce qu'étaient les stratégies industrielles et politiques pour s'assurer un accès privilégié à d'autres matières premières, qu'il s'agisse
du pétrole, de l'uranium, du diamant etc. Des sociétés de biotechnologies privées ont mené des négociations avec des états démocratiques
afin de s'assurer une exclusivité de prospection, non point des sous-sols des pays concernés, mais de la diversité génétique et des dossiers
médicaux de toute une population. De tels accords ont été passés en Islande et aux Iles Tonga. Ramener la diversité génétique d'un peuple à
un minerai pour la prospection duquel on se voit concéder des avantages : n'y a-t-il pas là quelque chose de régressif, d'incompatible avec la
dignité et la spécificité de l'humain ? D'autre part, si le gène a une telle valeur marchande, il vaut mieux éviter que les concurrents y aient alors
accès, même s'il n'y a pas eu de négociation pour obtenir des droits exclusifs de prospection. C'est pourquoi on assiste à un processus
d'assimilation du gène à un produit brevetable. Or, le gène n'est qu'une connaissance du monde naturel, une molécule qui a le pouvoir de
coder certaines des propriétés biologiques des individus. Il ne peut, en aucun cas, être considéré comme une invention. On peut utiliser le
gène pour réaliser une invention, c'est un autre problème, mais le gène n'en est lui-même pas une. Or, parce qu'il y a un intérêt économique à
considérer que le gène est un produit inventé, la prise des brevets sur les gènes s'est développée non seulement aux Etats-Unis, mais aussi
partout dans le monde.
Pour la première fois au monde, une directive européenne impose même aux quinze états membres d'inscrire dans leur droit national le
principe de la brevetabilité des gènes.
La thérapie cellulaire et la recherche sur l'embryon
On parle, parmi les grands progrès médicaux de demain, d'une part, des retombées de la génétique, du décryptage des génomes ; d'autre
part, de la médecine régénératrice. Il s'agit là du concept d'une médecine qui se fixerait pour but de soigner de très nombreuses maladies,
notamment liées à ce que des cellules âgées ont des fonctions altérées ou dégénèrent, par des cellules jeunes, pleinement fonctionnelles,
tolérées par la personne soignée. En principe, ces cellules pourraient provenir de deux sources : de l'embryon et des tissus différenciés.
Commençons par ces derniers. Dans tous les tissus différenciés, qu'il s'agisse d'un enfant nouveau- né, d'un fœtus, ou bien d'un adulte, et
même s'il est assez âgé, il persiste, au cœur des tissus, des cellules qui sont aptes à les régénérer. Depuis trois ou quatre ans, on sait qu'en
réalité ces cellules régénératrices font plus que réparer simplement les tissus auxquels elles appartiennent. Ainsi, une cellule progénitrice de la
peau peut non seulement être à l'origine de peau, mais également de neurones, grâce auxquels, on pourrait peut-être, dans le futur, traiter des
maladies neurodégénératives, telles la maladie de Parkinson ou d'Alzheimer. Dans la moelle osseuse, on trouve non seulement des cellules
capables de réparer le sang en fabriquant des globules rouges et des globules blancs, mais aussi des cellules qui pourraient régénérer du
cœur, de l'os, des tendons, du foie, des tissus nerveux et, peut- être, de n'importe quel autre type. Il reste certes encore beaucoup de travail à
faire pour transformer cette possibilité théorique en réalité thérapeutique, mais il y a là un espoir authentique, d'autant plus que ne se pose ici
aucun problème éthique.
Deuxième source de cellules : les embryons. Les embryons de mammifères, quels qu'ils soient, se développent jusqu'à un stade où ils ont la
forme d'une cavité creuse au cœur de laquelle se trouve un petit amas de cellules appelée masse cellulaire interne, au dépend de laquelle
l'embryon proprement dit se développera. Le reste de l'œuf contribuera au placenta et aux membranes. Si on prélève, en détruisant l'embryon,
ces cellules souches embryonnaires, on est capable de les multiplier et de les cultiver durant très longtemps. Dans certaines conditions de
culture, cependant, ces cellules ont la capacité de donner tous les tissus de l'organisme. Elles peuvent se transformer en cellules sécrétrices
d'insuline, qui permettraient de soigner un diabétique ; en cellules sécrétrices de dopamine, dont la greffe serait indiquée pour améliorer des
personnes atteintes de la maladie de Parkinson ; en cellules du cœur, ayant le potentiel de renforcer un cœur affaibli par un infarctus du
myocarde, etc. Si bien qu'aujourd'hui des recherches parallèles sont menées pour essayer de transformer ces possibilités en réalités. Il y a
encore beaucoup de travail à réaliser, avec l'une ou l'autre de ces stratégies. Les cellules souches dites " adultes " sont probablement en petit
nombre, on ne sait pas bien les reconnaître, elles sont parfois difficiles à cultiver, leur nombre pourrait décroître avec l'âge ; quant aux cellules
souches embryonnaires, elles ont une propension, lorsqu'elles ne sont pas différenciées, à donner un type de cancer, un tératome. La
transplantation de telles cellules embryonnaires indifférenciées à une personne, non seulement ne la guérira pas, mais déclenchera l'apparition
d'une tumeur embryonnaire. D'autre part, on est encore bien loin de savoir maîtriser, suivant la maladie qu'il s'agit de soigner, la différenciation
en masse des cellules embryonnaires en un type donné de cellules secrétant par exemple de l'insuline pour le diabète, en cardiomyocytes pou
l'infarctus du myocarde, en neurones dopaminergiques pour la maladie de Parkinson, etc….
Génome et société Page 4 sur 6
http://www.infobiogen.fr/services/chromcancer/IntroItems/EthicFrID30057FS.html 01/02/2006