financer le sport
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ENTREPRISE ROMANDE
9 janvier 2015
Le sponsoring sportif, une technique de marketing à part entière
dans la stratégie des entreprises
Les stratégies des clubs sportifs pour attirer de nouveaux partenaires
La joueuse de tennis helvétique Timea
Bacsinszki, actuellement 48e à l’ATP, est
devenue depuis le premier décembre
l’ambassadrice de la banque Cramer
& Cie SA. C’est pour son tempérament
ambitieux et son attitude dynamique,
ainsi qu’en raison d’autres valeurs telles
que l’indépendance, l’engagement ou
la créativité, que la banque a choisi
l’athlète suisse pour la représenter. Des
principes en parfaite harmonie avec la
stratégie que l’entreprise développe depuis plusieurs années. Cette
association permet à la banque de «franchir une étape importante» en ce
qui concerne son développement.
Si le sponsoring dans le milieu du sport a longtemps ressemblé à une activité
one-to-one
, avec une entreprise donnant de
l’argent en contrepartie d’une publicité pour acquérir de la visibilité, elle a aujourd’hui pris un autre tournant. Les entreprises
qui investissent dans le domaine du sport cherchent à utiliser une plate-forme leur permettant d’inviter leurs clients dans une
ambiance chaleureuse, en plus d’acquérir de la visibilité. En outre, l’aspect passionnel dominant, il y a une vingtaine d’année,
le sponsoring sportif a laissé place au concept de retour sur investissement, grâce à une professionnalisation accrue du
domaine.
un dossier réalisé par
Thomas arbesú
Pendant de nombreuses années,
les entreprises investissaient
dans le sport principalement
parce que le directeur était pas-
sionné par l’un d’eux et qu’il
donnait de l’argent pour le sou-
tenir sans réellement attendre
quelque chose en retour. Les
temps ont changé et, avec la
crise économique, notamment,
les entreprises ne peuvent plus
se permettre de donner leur
argent à tout-va. Les placements
sont désormais minutieuse-
ment réfléchis et les entreprises
deviennent de plus en plus exi-
geantes, cherchant avant tout à
obtenir un retour sur leurs inves-
tissements. Le sponsoring s’est
ainsi fortement professionnalisé.
S’il reste financièrement diffici-
lement mesurable, le sponsoring
sportif bénéficie d’une visibilité
immédiate et d’une mise en re-
lation importante qui convainc
de plus en plus d’entreprises à
devenir partenaire d’un club ou
d’un sportif individuel. De plus,
il est reconnu pour être moins
cher que la publicité tradition-
nelle (lire en page 7). Il n’est
donc pas étonnant de voir la
place prépondérante qu’il oc-
cupe actuellement: il est devenu
la première ressource du sport
au niveau mondial, avec qua-
rante-cinq milliards de dollars
investis. En Suisse, il représente
65% du sponsoring total
-
com-
prenant d’autres domaines,
comme la culture
-
avec vingt-
neuf millions de francs.
CE QUI POUSSE LES ENTREPRISES
À INVESTIR DANS LE SPORT
Les raisons pour lesquelles les
entreprises entreprennent une
action de sponsoring dans le
milieu sportif sont diverses.
Emmanuel Bayle, professeur de
gestion du sport à l’Université
de Lausanne, en évoque trois
types. «Il y a d’une part l’aspect
communicationnel lié à l’image
et à la notoriété de l’entreprise.
Il y a également le facteur com-
mercial lié à la vente d’un pro-
duit et, plus globalement, à la
fidélisation des clients et, enfin,
l’aspect lié au renforcement de
la culture d’entreprise en jouant
sur les relations humaines». L’ac-
tivité offre donc de nombreuses
possibilités à tous types d’entre-
prises, allant de la visibilité au
renforcement de la cohésion
interne.
Certaines entreprises, comme
Manor, avancent des raisons de
tradition et de philosophie d’en-
treprise, comme nous l’apprend
Elle Steinbrecher, sa porte-pa-
role: «Nos engagements en
matière de sponsoring dans les
domaines du sport, de la culture
et des œuvres sociales relèvent
d’une très ancienne tradition.
Ils font partie de la philosophie
d’entreprise de Manor, selon
laquelle le succès économique
sert également à promouvoir les
sphères de la culture, du sport,
du style ou de la vie associative.
Manor assume donc avec plaisir
ce devoir à l’égard de la société
helvétique».
D’autres, comme Philippe Ber-
tholet, responsable marketing au
GHI, explique que la visibilité est
la principale raison qui a poussé
son entreprise à devenir l’un des
sponsors du Servette FC: «Notre
but est de nous rapprocher des
Genevois en obtenant de la visi-
bilité avec un sport comme le
football, qui touche beaucoup
de monde. Nous cherchons à
attirer de la sympathie pour
notre marque et nous utilisons
également le sponsoring pour
inviter nos clients dans une am-
biance conviviale». Le concept
de plate-forme d’invitation est
partagé par presque toutes les
entreprises ayant une stratégie
de sponsoring sportif, à l’image
de la banque Raiffeisen. Phi-
lippe Thévoz, porte-parole du
groupe pour la Suisse romande,
explique: «Nous souhaitons que
nos partenariats permettent
d’offrir une plate-forme pour
inviter nos clients dans un
cadre privilégié. Dans la mesure
du possible, nous offrons à
nos sociétaires des conditions
préférentielles pour assister à
l’événement sportif sponsorisé».
Renforcer la cohésion interne
de l’entreprise est un facteur clé
du sponsoring sportif: il permet
de proposer, par exemple, des
billets aux collaborateurs ou
d’inviter certains sportifs dans
l’entreprise.
PRENDRE LE RISQUE
ET S’INVESTIR À 100%
La plupart des entreprises
n’osent pas prendre le risque
de se lancer et d’investir leur
argent dans le sport, comme
le raconte Emmanuel Bayle:
«Investir dans le domaine du
sport est risqué, car cet inves-
tissement est avant tout lié à
la performance sportive et à
certaines dérives qui peuvent y
être parfois associées: dopage,
corruption, violences. Cepen-
dant, cela peut être contrôlé
par ce que l’on appelle le spon-
soring citoyen, qui mise sur les
valeurs véhiculées par le sport,
comme l’éducation ou la santé,
par exemple.» Le sponsoring
sportif demande un fort inves-
tissement de l’entreprise: don-
ner de l’argent ne suffit plus,
il faut donner de son temps,
comme l’explique Nathalie Pre-
zio, responsable communica-
tion à SIG: «Il faut être présent,
et cela demande beaucoup de
travail. Nous avons besoin de
nombreux collaborateurs sur
place et pour organiser l’action
de sponsoring en amont. Cela
montre que l’activité s’est pro-
fessionnalisée.»
Le choix du sport est également
essentiel, puisqu’il doit être en
adéquation avec la stratégie de
l’entreprise. Emmanuel Bayle
avance que «les partenariats se
Les entreprises deviennent de plus en plus exigeantes lorsqu’il s’agit d’investir leur argent. Les clubs doivent donc développer une structure performante pour être en mesure de répondre aux
attentes. La professionnalisation du domaine devient presque obligatoire, sous peine de ne pas trouver de partenaires. Certains n’en ont pas les moyens et doivent se débrouiller autrement.
Tour d’horizon des stratégies mises en place par différents clubs genevois.
A Genève, comme en Suisse ro-
mande, trouver des partenaires
n’est pas chose aisée. La plu-
part des clubs sportifs doivent
travailler d’arrache-pied pour
tenter de convaincre une entre-
prise d’investir son argent. Avoir
quelqu’un au sein de son organi-
sation chargé de trouver de nou-
veaux partenaires devient une
nécessité, mais tous les clubs
ne peuvent pas se le permettre,
car cela coûte relativement cher.
C’est le cas du Genève Rink-
Hockey Club, où aucun membre
n’est officiellement nommé pour
remplir cette tâche: «Chacun de
son côté essaye de trouver des
sponsors, mais c’est surtout le
président du club qui, grâce à
ses nombreux contacts, attire le
plus facilement de nouveaux
partenaires», avoue Nathalie Wa-
ridel, secrétaire du club. Posséder
un réseau est essentiel, surtout à
l’heure de la crise, comme l’ex-
plique Jean-Christophe Sévelin,
responsable du marketing et de
la communication au Chênois
Genève Volleyball: «L’important
Nouvelle ambassadrice
pour la banque Cramer
est de bien connaître le terrain,
la ville et son environnement. Il
est nécessaire de s’imprégner de
la culture locale, mais pas forcé-
ment de posséder des diplômes
pour y arriver».
RÉSULTATS ET VALEURS
MIS EN AVANT
Différents éléments tels que
la tradition, la philosophie ou
encore les bons résultats ré-
cents ou historiques sont mis
en avant par les clubs sportifs
pour convaincre les futurs inves-
tisseurs. Les Lions de Genève,
équipe phare du basket genevois,
connaissent un développement
sans précédent ces dernières an-
nées. Son président, Imad Fattal,
explique la stratégie qui a aidé le
club à grandir: «Nous mettons en
avant notre tradition d’équipe
qui gagne et qui représente fière-
ment le canton de Genève. Nous
valorisons nos résultats, mais
également nos valeurs et notre
philosophie, notamment la pro-
motion de jeunes joueurs gene-
vois». Le Chênois Volleyball met
également l’accent sur son mou-
vement junior. «Nous insistons
sur le fait que sponsoriser notre
club, c’est aider plus de deux
cent cinquante enfants qui en
font partie. Nous mettons aussi
en avant la présence massive
de joueurs en première équipe,
qui sont issus de notre centre de
formation», explique Jean-Chris-
tophe Sévelin.
La plupart des équipes issues
de sports moins en vue peinent
à convaincre les entreprises
à investir. «Les entreprises, de
manière générale, refusent de
participer, car elles ont peur
de l’inconnu. C’est difficile de
sponsoriser quelque chose que
l’on ne connaît pas vraiment»,
avance Nathalie Waridel, avant
d’ajouter: «Nous avons peu
de moyen à notre disposition,
notre communication est peu
développée et notre site internet
démodé». Il est donc nécessaire
de miser sur certains aspects,
comme les résultats, pour tenter
d’attirer les partenaires. «Nous
jouons beaucoup sur la carte
du résultat», précise la secrétaire.
«Lorsque nous rencontrons
nos futurs sponsors, nous met-
tons en avant le fait que nous
sommes double champion en
titre (coupe et championnat)
et un des clubs les plus titrés de
Suisse.»
LE RÉSEAUTAGE,
ATOUT NUMÉRO UN
Créer un esprit de communauté
au sein des partenaires est ce
qui a notamment fait le succès
du Genève Servette Hockey
Club, un exemple en la matière.
Mal en point il y a une vingtaine
d’années, le club s’est fortement
développé à la suite de l’arrivée
du groupe Anschutz et de l’en-
traîneur Chris McSorley en 2001,
pour devenir une des valeurs
sûres de la ligue nationale de
hockey. Comptant aujourd’hui
plus de cent trente partenaires,
les «aigles» ont su trouver la for-
mule pour attirer de nombreuses
entreprises. «Nous avons mis en
place les infrastructures néces-
saires pour répondre aux at-
tentes de nos investisseurs, avec
notamment une nouvelle zone
VIP, qui facilite la rencontre entre
nos partenaires. Le concept de
communauté permet aux entre-
prises de renforcer leur contact
autour d’un show. Le réseautage
est un aspect essentiel lorsque
l’on parle de sponsoring», ex-
plique Christophe Stucki, direc-
teur général du club. Il ajoute que
les cadres et les joueurs doivent
s’investir à 100% pour que tout
fonctionne: «Nous organisons
plus de cent activités commu-
nautaires par saison visant à
créer un rapprochement avec
nos partenaires. Cela demande
aux joueurs un grand investisse-
ment en dehors de la glace, lors
de leur temps libre».
Le Servette FC, repris par Hugh
Quennec en 2012, essaye lui
aussi de développer ce même
esprit de communauté autour
du slogan «Une communauté,
un club. Ensemble nous sommes
Servette». Julian Jenkins, direc-
teur général du SFC, revient sur
la nouvelle stratégie du club:
«Nous voulons créer un club,
une marque synonyme de com-
munauté en mettant au cœur du
projet les relations entre les par-
tenaires. Cela requiert de mettre
en place une structure permet-
tant aux relations de se dévelop-
per. Il faut pouvoir répondre aux
attentes des partenaires et non
pas être là pour prendre leur
argent». Le directeur général se
dit être désormais prêt à déve-
lopper ces aspects en 2015, après
s’être avant tout occupé de cré-
dibiliser l’image du club, forte-
ment détériorée par son ancien
président, Majid Pyshiar n
LES SPONSORS BÉNÉFICIENT d’une visibilité immédiate. Le Genève Servette Hockey Club met pour sa part en avant quelques cent trente partenaires.