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Ce célèbre adage de la science économique émis par le père du
monétarisme, Milton Friedman, devrait donc se traduire aujourd’hui
par un taux d’in ation élevé. En e et, les banques centrales,
notamment la Réserve fédérale aux États-Unisi, ont inondé leurs
économies de liquidité. Et pourtant…
Et pourtant, comme nous l’a rappelé la « Fed » dans son communiqué
de décembre 2013ii , le taux d’in ation ne parvient pas à remonter vers
la cible qu’elle s’est donnée. Au Canada, le gouverneur de la banque
centrale, Stephen Poloz, s’inquiète aussi de l’obstination de l’in ation
à demeurer inférieure aux prévisions et à la cible. La banque centrale
des États-Unis, tout en annonçant la diminution de ses achats de
titres de plus long terme, précisait du même sou e que la teneur de la
politique monétaire demeurerait expansionniste bien après la  n des
achats de titres et le redressement de l’activité économiqueiii.
Les déterminants de l’in ation auraient-ils donc changé? Notre plus
récent article examine plus en profondeur cette questioniv et nous
vous en livrons un résumé dans ce premier numéro du Point de vue
en2014.
Janvier 2014
Point de vue
sur l’in ation
États-Unis - Taux d’in ation et base monétaire
L’in ation : partout et toujours un phénomène
monétaire… ou non ?
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Taux d'inflation
Base monétaire
(
$M
)
(%)
Source : U.S. Bureau of Economic Analysis, Federal Reserve
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Point de vue
Plutôt que de susciter l’in ation telle
que mesurée par l’indice des prix à la
consommation (IPC), les achats à grande échelle
de la Fed ont assez rapidement déclenché de
l’in ation dans le prix des actifs  nanciers. À
ce titre, le dictum de Milton Friedman s’est vite
avéré justev.
Pour que l’in ation, mesurée par l’IPC, puisse
prendre racine, la demande globale doit
manifester des signes de redressement soutenu.
Malgré l’amorce de redressement du secteur
immobilier résidentiel, il subsiste encore deux
faiblesses importantes dans les composantes de
la demande globale aux États-Unis. La première
provient des dépenses gouvernementales
en biens et services et la seconde a trait
à l’investissement des entreprises en
immobilisations.
L’impact des dépenses publiques sur la
croissance demeurera probablement inférieur à
ce qu’il a été dans la foulée de la crise  nancière.
Le climat d’orthodoxie budgétaire qui prévaut
laisse entrevoir peu d’incidence positive des
dépenses publiques sur la croissance au cours
des prochaines années. Quant aux dépenses
des entreprises, il faudra attendre que le
contexte d’o re excédentaire se résorbe et que
le climat politique et économique s’améliore
avant qu’elles ne dépensent davantage en
immobilisations productives.
Le modèle triangulaire de Gordon vi
Dans les années 70, l’économiste Robert Gordon
a proposé un modèle pour expliquer pourquoi
des taux élevés de chômage et d’in ation
pouvaient coexister. Il quali ait son modèle
de triangulaire parce qu’en plus du facteur
traditionnel de demande (taux de chômage), il
y ajoutait les facteurs d’o re globale et l’inertie
pour l’expliquer l’in ation. Le modèle dans sa
formulation optimale récemment mise à jour
explique l’in ation actuelle par (1) l’in ation
récente (l’inertie), (2) l’écart du taux de chômage
de courte durée par rapport à son niveau
d’équilibre (NAIRU) vii (facteur de demande), et
les trois facteurs d’o re que sont (3) la variation
des prix de l’énergie et des aliments, (4) le prix
relatif des importations autres que l’énergie et
les aliments et (5) le changement de tendance à
long terme de la productivité.
Le modèle con rme certaines intuitions, soit
que le gros de la variabilité à court terme de
l’in ation au cours des 50 dernières années
provient surtout de la volatilité des prix des
aliments et de l’énergie.
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Taux de chômage
Dégonfleur des dépenses de consommation
(%)
Source : U.S. Bureau of Labor Statistics
États-Unis - Taux de chômage et in ation des prix à la consommation
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Point de vue
Les prix des importations autres que l’énergie et
les aliments sont en grande partie responsables
de la période prolongée de désin ation,
témoignant ainsi de l’in uence de l’ouverture
au commerce international sur l’in ation
domestique. Plusieurs nomment ce phénomène
«l’e et Walmart».
Le modèle con rme aussi l’importance de
l’inertie de l’in ation dans la détermination
des taux d’in ation futurs. Ainsi, plus le taux
d’in ation demeure ancré à un niveau donné
pendant une longue période, plus il sera di cile
de l’en déloger.
Quant aux mesures de tensions du marché
du travail, soit l’écart du taux de chômage par
rapport à son taux d’équilibre, les travaux de
Gordon démontrent que c’est le chômage de
courte durée qui exerce l’in uence la plus
déterminante sur l’in ation plutôt que le taux
de chômage total. En e et, la réaction des
salaires sera plus forte selon les  uctuations du
taux de chômage de courte durée.
Notons en n que les divergences de
productivité peuvent contribuer à compenser
l’e et in ationniste d’un bas taux de chômage
comme ce fut le cas pendant la  n des années
1990 où les gains de productivité ont été
supérieurs à leur tendance de long terme.
Inversement, l’impact dé ationniste du haut
taux de chômage des années 2009 à 2012 a été
amoindri par la diminution de la productivité
sous sa tendance de long terme.
Perspectives pour l’in ation
Alors, que nous réserve l’avenir en termes
d’in ation? La quantité importante de liquidité
nira-t-elle par attiser le feu de l’in ation?
Notons que deux des trois facteurs d’o re
du modèle, soit les prix de l’énergie et
des aliments et les prix des importations
de produits autres que de ces deux biens
pourraient continuer de freiner l’in ation
alors que la baisse de la productivité pourrait
l’augmenter. Du côté de la demande, la
reprise de la croissance économique reste
modérée de sorte que l’excédent de capacité
ne diminue que lentement. Finalement les
caractéristiques d’inertie de la faible in ation
actuelle qui persiste depuis environ et an et
demi, militent pour prolonger la période de
bastauxd’in ation.
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Taux d’inflation simulé en fonction du taux
de chômage de courte durée
Inflation totale actuelle et simulée, 1996T4 fin période d’estimation
Taux de chômage total et de courte durée, 1987T1 à 2013T1
estimé simulé
Taux d’inflation simulé en fonction du taux
de chômage total
Taux d’inflation
Année
Source : Gordon, Robert J., The Phillips Curve is Alive and Well, graphique 7a
(%/an)
Le modèle triangulaire de l’in ation de Gordon : des résultats robustes
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Point de vue
i Pour une description détaillée des di érents programmes d’assouplissement quantitatif des principales banques centrales,
voir notre article précédent : « Les interventions des banques centrales: achats de titres et de temps » publié en septembre
2013.
ii « Le comité reconnaît que la persistance du taux d’in ation sous sa cible de 2 % représente des risques à la santé de
l’économie et qu’il suivra de près l’évolution de l’in ation pour y voir des signes que l’in ation retournera vers son objectif à
moyen terme. » http://www.federalreserve.gov/newsevents/press/monetary/20131218a.htm
iii Ibid.
iv Référence à l’article de fond qui sera publié sous peu sur notre site Internet.
v C’est cette manifestation de l’in ation dans les prix des actifs  nanciers et de l’immobilier résidentiel, qui  nit parfois
par prendre des proportions de bulles, qui préoccupe la Fed depuis mai dernier et l’amène, après cinq ans de stimulation
monétaire agressive, à réduire la cadence de ses achats de titres en début d’année 2014.vi Gordon, Robert J., The Phillips Curve
is Alive and Well: In ation and the NAIRU During the Slow Recovery, Working Paper 19390, NBER, August 2013, 54 pages.
vii Non-Accelerationist In ation Rate of Unemployment : taux de chômage où l’in ation salariale n’a tendance ni à accélérer ni
àralentir.
Quant au rôle de la création agressive de
base monétaire dans ce contexte, on doit
constater que son impact in ationniste est
resté con né au prix des actifs  nanciers et au
prix des actifs immobiliers, quoiqu’à un degré
moindre. C’est pourquoi les risques à ce jour
sont surtout du côté de la stabilité  nancière.
Tant que le comportement des ménages face à
l’endettement demeurera plus prudent qu’avant
la crise, il est peu probable que su samment
de demande excédentaire s’exprime pour
créer des pénuries et exacerber l’in ation.
Qui plus est, dans une économie mondialisée
où la disponibilité de main-d’œuvre est de
moins en moins contrainte par la disponibilité
locale et où le progrès technique continue de
motiver la substitution du travail par le capital,
la  n de course des pro ts et le retour de
balancier vers les salaires pourraient bien être
encorelointains.
Finalement, si malgré tous ces vents contraires,
il s’avérait que cette expérience monétaire
inédite  nisse par attiser l’in ation dans
l’économie réelle, les banques centrales des
pays développés se sentiront vite interpelées. La
génération actuelle de banquiers centraux, qui
a fait ses premières armes pendant la grande
in ation des années 70, remontera vite aux
barricades pour protéger les gains durement
acquis dans la bataille à l’in ation d’une époque
qui semble déjà lointaine mais dont les leçons
n’ont pas été oubliées.
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