religieuse -, dans sa forme la plus rigoriste, n’a pas prévues. Un exemple : quand une femme a divorcé, cette
charia prévoyait qu’elle garde les enfants, qu’elle reste à la maison. Or le Code de la famille ne lui a pas
octroyé la garde des enfants ni le logement, ce qui est inique ! Récemment, on est donc revenu sur ces cas
graves, mais à mon avis on est encore très en deçà de ce qu’il faudrait dire et faire pour simplement avoir un
Code civil, pour les questions matrimoniales, qui respecte la dignité humaine dans sa composante féminine,
comme dans sa composante masculine.
Que répondez-vous à ceux qui prétendent s’appuyer sur les textes sacrés, la tradition islamique, pour
dire que la femme n’est pas l’égale de l’homme ? Ou bien qu’elle « doit obéir à l’homme » ?
Ghaleb Bencheikh. Obéir à quoi et pour quoi ? ! Pourquoi voudrait-on qu’il y ait au sein du couple une
relation de dominant à dominé, un donneur d’ordres et quelqu’un qui doive obéir ? Ça n’a pas de sens ! C’est
même en contradiction avec la Constitution algérienne qui prévoit qu’une citoyenne peut postuler à la
magistrature suprême. Alors, comment voudrait-on que le plus haut magistrat du pays, le chef des armées,
celui qui incarne la nation et l’État, doive obéir, dans les considérations privées et familiales, à un de ses
administrés ? Ce n’est pas sérieux. Quant aux textes sur lesquels on se fonde, au niveau ontologique, de
l’égalité foncière, véritable, il n’y a pas de différence entre l’homme et la femme. On ne trouve pas dans le
Coran que la femme est née de la côte flottante de l’homme, on ne trouve pas qu’elle est tentée, tentatrice à
son tour, et on ne trouve pas une théologie qui fait de la femme la cause de tous nos péchés, tous nos maux,
etc. En revanche, au niveau statutaire, il y a des passages qui affirment, hélas !, une prééminence de
l’homme par rapport à la femme sur certains points : le témoignage, que j’évoquais tout à l’heure, la
polygamie, l’héritage, et ces histoires de voile. Mais là aussi, il faudrait savoir les relativiser à leur contexte,
expliquer pourquoi ils ont été révélés pour leur époque. Ce sont ces passages-là dont, de nos jours, les
jurisconsultes machos, sexistes, phallocrates, misogynes, ont pris prétexte pour justifier cette sujétion de la
femme. Mais cette façon de plier le religieux pour des considérations psychologiques, personnelles,
politiques, sociales n'a pas de fondement légitime au niveau de l’exégèse, de l’interprétation.
Prenons l’héritage. Il est vrai qu’il est dit que la femme a la moitié de ce qui revient à l’homme. Mais, et le
« mais » est de taille, d’abord, elle n’héritait pas avant : le fait de lui donner une part d’héritage, c’est déjà la
reconnaître comme un sujet, acteur de son destin, alors qu’avant elle faisait partie du patrimoine allégué, du
bien transmissible. Certes, elle n’a que la moitié de l’héritage, mais elle n’est pas tenue, religieusement, de
subvenir aux besoins de la famille ; à l’époque, c’est le mari qui en a le devoir. De nos jours, la situation a
changé, l’homme et la femme subviennent ensemble aux besoins de leur foyer. Du coup, les raisons qui
faisaient qu’on donnait la moitié de l’héritage à la femme ne sont plus valables. Dès lors, les conséquences
ne doivent plus non plus être valables.
Vous rappelez les croyants au devoir permanent d’interprétation des textes...
Ghaleb Bencheikh. Le Coran dit en effet qu’il faut exercer la raison, l’intelligence. Il y a mieux que ça. Dans
le Coran, un passage dit : « Et leurs affaires sont objet de consultations entre eux. » Donc, ça fait partie de
nos affaires, à nous musulmans, au début du XXIe siècle. En Algérie, c’est déjà gravissime d’avoir mis dans
la Constitution que l’islam est religion d’État. L’État ne doit pas avoir de religion en principe. L’État est le
garant du libre exercice des cultes. Si on se veut moderne, on doit se doter d’institutions modernes, respecter
toutes les traditions religieuses et laisser la gestion du culte islamique à un organisme autonome,
indépendant. De nos jours, on devrait donc dire qu’il n’y a aucune raison en matière de considération
matrimoniale, ou de dévolution successorale, ou de Code civil, d’aller se référer au Coran. D’autant plus que
ce Coran-là a donné lieu à travers l’histoire à moult interprétations. Je ne vois pas pourquoi aujourd’hui on en
privilégierait une sur une autre. Et comme par hasard on privilégie la plus drastique.
L’opposition des islamistes à la réforme du Code de la famille se focalise surtout sur la suppression
du tutorat sur la femme pour le mariage, qu’ils considèrent comme « une protection ». Qu’en pensez-
vous ?
Ghaleb Bencheikh. C’est une ineptie. Cela part de l’idée que la femme est une mineure à vie. Considérer
que c’est une protection, c’est la confiner dans un rôle infériorisant, et dans un statut qui n’est pas digne de sa
condition d’être humain. Il est vrai qu’à travers lla jeune fille encore vierge avait besoin de l’avis de son père,