et par M. Riegel et alii). Je commencerai donc par revenir rapidement sur cette dernière
notion. Par « emploi absolu » d’un verbe, on entend des emplois où le complément du
verbe transitif, direct ou indirect, est absent, sans que cela implique que le verbe en
question ait globalement changé de sens : son sémantisme continue d’impliquer la
présence d’un « objet » sur lequel va porter l’action verbale, mais cet objet, s’il est
nécessairement existant dans l’univers de référence, est linguistiquement considéré
comme sans pertinence. Un peu de la même façon, mutatis mutandis, que, dans les phrases
passives, l’agent, bien que nécessairement à l’origine de l’action, peut figurer dans la
construction ou en être absent. Dans ce domaine, comme dans bien d’autres, la langue
construit son expression indépendamment de l’ordre des choses : agent et objet,
référentiellement nécessaires, sont linguistiquement facultatifs.
6 Je ne prétends pas toutefois qu’un tel traitement du verbe soit sans incidence aucune sur
ses conditions d’emploi, peut-être même cela a-t-il « nécessairement des implications
sémantiques », comme l’affirme D. Creissels (p. 237), mais il serait tout à fait contre-
intuitif de prétendre (hypothèse que cet auteur semble rejeter lui aussi) que ce n’est pas
vraiment au même verbe qu’on a affaire. J’hésiterais même pour ma part à parler
d’emploi « intransitif » dans de tels cas, et préfère m’en tenir à la dénomination d’emploi
absolu (je ferai appel également plus loin à l’idée de « vacance d’objet »).
7 Ces emplois absolus, donc, sont bien représentés en français, et sont possibles avec une
large majorité de verbes transitifs, mais avec des probabilités d’occurrences très
variables, selon le type lexical du verbe lui-même, et selon le contexte d’insertion. En
gros, l’objet peut être absent dans deux situations : ou bien cet objet n’est pas exprimé
parce qu’on se situe dans la représentation d’un procès habituel, et alors l’objet est frappé
d’indéfinition, comme lorsqu’on dit :
(1) Paul lit, écrit, fume, etc.
Lise chante, brode, dessine, etc.
8 pour dire que « Paul et Lise sont des gens qui ont l’habitude de lire, écrire, fumer,
chanter, broder, dessiner, etc ». Dans ce cas de figure, le verbe fonctionne comme « verbe
de propriété », (ce qu’on appellerait « state verb », dans la terminologie de Z. Vendler). Il
y a bien à chaque fois des objets lus, écrits, fumés, chantés, brodés, dessinés, etc., mais ce
point est considéré comme sans pertinence, puisque tout ce que l’on veut retenir, c’est
que Paul ou Lise se livrent de façon régulière (et donnée pour caractéristique de leur
comportement) à telle ou telle de ces activités.
9 A l’autre extrêmité, le même type de formulation peut intervenir dans des situations
spécifiques, où la prise en compte linguistique de l’objet est de même considérée comme
inutile. Ainsi, lorsque, à une requête concernant l’activité en cours de Paul ou de Lise, on
répond en disant ce que l’un ou l’autre est en train de faire :
(2) Paul lit, ne le dérange pas.
Lise va dessiner encore un quart d’heure, et ensuite, elle viendra te retrouver.
10 Le complément absent est forcément un objet de référence spécifique, au même titre que
l’activité décrite elle-même. On peut de façon naturelle, dans de tels contextes,
questionner l’interlocuteur pour lui demander ce que Paul lit, ou ce que Lise chante :
(3) Ah bon, il lit, et il lit quoi ?
Bien, et qu’est-ce qu’elle est en train de dessiner ?
11 Même avec les prédicats habituels, où l’objet semble pourtant moins facilement
restituable, on peut généralement poser le même type de question : ainsi après ceux de
(2) : « – Et il lit quoi ? – Eh bien il lit surtout des romans, plus rarement des essais. » ou
Le vide des choses
Cahiers de praxématique, 27 | 2014
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