Cahiers de praxématique
27 | 1996
Syntaxe et figuration du monde
Le vide des choses
The emptyness of things
Michèle Noailly
Édition électronique
URL : http://praxematique.revues.org/2999
ISSN : 2111-5044
Éditeur
Presses universitaires de la Méditerranée
Édition imprimée
Date de publication : 2 janvier 1996
Pagination : 73-90
ISSN : 0765-4944
Référence électronique
Michèle Noailly, « Le vide des choses », Cahiers de praxématique [En ligne], 27 | 1996, document 4, mis
en ligne le 01 janvier 2015, consulté le 05 octobre 2016. URL : http://praxematique.revues.org/2999
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Le vide des choses
The emptyness of things
Michèle Noailly
1 Les travaux de linguistique générale qui abordent les problèmes fondamentaux de la
transitivi (Hopper et Thomson, Lazard, Creissels par exemple) proposent tous une
conception scalaire de ce phénomène. Selon ces études, il y a un objet prototypique, et il
est humain, défini, référentiel, pleinement affec. Un objet non individué et non
référentiel, dans le cadre d’un pros habituel, tendra en revanche « à entrer en
coalescence avec le verbe » (Lazard, p. 246). Les langues crites dans ces travaux sont
assez différentes du fraais, mais on peut observer en fraais même des faits
syntaxiques qui restituent quelque chose de ces grands principes.
2 Je voudrais parler ici de la représentation ro (désormais ø), dans le système
anaphorique. A. Zribi-Hertz dans le chapitre XIV de sa thèse a déjà traité de façon
taillée des séquences ø de certaines prépositions (dites alors « ppositions
orphelines »), montrant que ce traitement affectait de manière exclusive le monde des
choses1. Un exemple donnera une illustration succincte de la question, et permettra de
mesurer la différence d’acceptabilité entre :
a) Paul est arrivé avec son parapluie, mais il est reparti sans.
3 et
b) ? Paul est arrivé avec sa sœur, mais il est reparti sans. (vs. : sans elle).
4 On peut parler à ce propos du « vide des choses ». Je ne reprendrai pas ici le probme
dans son ensemble, mais me limiterai à quelques observations sur les représentations ø
de l’objet du verbe transitif.
1. Lemploi absolu
5 L’existence d’anaphores ø dans la complémentation du verbe transitif est maintenant
admise de façon générale, mais le principe n’est pas toujours assez soigneusement
distingué de celui d’« emploi absolu » (la distinction étant jugée délicate par P. Le Goffic,
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1
et par M. Riegel et alii). Je commencerai donc par revenir rapidement sur cette dernière
notion. Par « emploi absolu » d’un verbe, on entend des emplois le complément du
verbe transitif, direct ou indirect, est absent, sans que cela implique que le verbe en
question ait globalement chan de sens : son sémantisme continue d’impliquer la
présence d’un « objet » sur lequel va porter l’action verbale, mais cet objet, s’il est
cessairement existant dans l’univers de référence, est linguistiquement considé
comme sans pertinence. Un peu de la même façon, mutatis mutandis, que, dans les phrases
passives, l’agent, bien que nécessairement à l’origine de l’action, peut figurer dans la
construction ou en être absent. Dans ce domaine, comme dans bien d’autres, la langue
construit son expression indépendamment de l’ordre des choses : agent et objet,
référentiellement cessaires, sont linguistiquement facultatifs.
6 Je ne prétends pas toutefois qu’un tel traitement du verbe soit sans incidence aucune sur
ses conditions d’emploi, peut-être me cela a-t-il « nécessairement des implications
sémantiques », comme l’affirme D. Creissels (p. 237), mais il serait tout à fait contre-
intuitif de prétendre (hypothèse que cet auteur semble rejeter lui aussi) que ce n’est pas
vraiment au me verbe qu’on a affaire. J’hésiterais me pour ma part à parler
d’emploi « intransitif » dans de tels cas, et préfère m’en tenir à la dénomination d’emploi
absolu (je ferai appel également plus loin à l’idée de « vacance d’objet »).
7 Ces emplois absolus, donc, sont bien représentés en français, et sont possibles avec une
large majorité de verbes transitifs, mais avec des probabilités d’occurrences très
variables, selon le type lexical du verbe lui-même, et selon le contexte d’insertion. En
gros, l’objet peut être absent dans deux situations : ou bien cet objet n’est pas exprimé
parce qu’on se situe dans la représentation d’un procès habituel, et alors l’objet est frappé
d’indéfinition, comme lorsqu’on dit :
(1) Paul lit, écrit, fume, etc.
Lise chante, brode, dessine, etc.
8 pour dire que « Paul et Lise sont des gens qui ont l’habitude de lire, écrire, fumer,
chanter, broder, dessiner, etc ». Dans ce cas de figure, le verbe fonctionne comme « verbe
de propriété », (ce qu’on appellerait « state verb », dans la terminologie de Z. Vendler). Il
y a bien à chaque fois des objets lus, écrits, fumés, chantés, bros, dessinés, etc., mais ce
point est considéré comme sans pertinence, puisque tout ce que l’on veut retenir, c’est
que Paul ou Lise se livrent de façon régulière (et donnée pour caractéristique de leur
comportement) à telle ou telle de ces activités.
9 A l’autre extrêmité, le même type de formulation peut intervenir dans des situations
spécifiques, la prise en compte linguistique de l’objet est de me considérée comme
inutile. Ainsi, lorsque, à une reqte concernant l’activité en cours de Paul ou de Lise, on
répond en disant ce que l’un ou l’autre est en train de faire :
(2) Paul lit, ne le dérange pas.
Lise va dessiner encore un quart d’heure, et ensuite, elle viendra te retrouver.
10 Le complément absent est forcément un objet de référence spécifique, au même titre que
l’activité crite elle-même. On peut de façon naturelle, dans de tels contextes,
questionner l’interlocuteur pour lui demander ce que Paul lit, ou ce que Lise chante :
(3) Ah bon, il lit, et il lit quoi ?
Bien, et qu’est-ce qu’elle est en train de dessiner ?
11 me avec les prédicats habituels, où l’objet semble pourtant moins facilement
restituable, on peut généralement poser le même type de question : ainsi après ceux de
(2) : « – Et il lit quoi ? Eh bien il lit surtout des romans, plus rarement des essais. » ou
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bien : « Elle dessine quoi ? – Elle a un penchant pour les portraits »2. Mais cette demande
de précision peut aussi se révéler, au moins communicativement, sans pertinence,
puisque les assertions qui précèdent ces éventuelles questions s’intéressent à l’activité en
tant que telle, et non à l’« objet » sur lequel elle s’exerce.
12 En règle générale, l’emploi absolu semble plus aisé, plus naturel et plus fréquent dans les
contextes habituels que dans les contextes spécifiques. Cela est assez logique : c’est dans
l’expression de ces vérités durables que l’activiconsidérée a de bonnes chances d’être
prise en elle-même, indépendamment des objets divers aups desquels elle trouve un
domaine d’application. Ainsi nous relevons de nombreux exemples dans des
« chroniques » radiophoniques fustigeant sur le mode ironique les travers coutumiers de
telle ou telle population :
(4) Nos compatriotes ne vissent qu’avec modération. En revanche, ils font grand
usage de la ponceuse vibrante. La ponceuse vibrante sert à poncer, c’est-à-dire à
lisser et décaper…
Le Français broie, et que broie-t-il ? Le Français broie du noir. Il ponce, c’est un
maître à poncer. Quand les Français se décident à montrer leur façon de poncer, il ne
fait pas bon s’y frotter (France-Culture, 8h, 1/12/95, Chronique matinale de Jean-
Louis Ezine).
13 Le statut lexical du verbe joue un rôle également. On peut remarquer que les verbes
d’achèvement s’accommodent en néral moins bien de la construction absolue que les
verbes d’accomplissement, surtout en contexte spécifique : si l’on peut rencontrer « Moi,
je casse ! », au sens de « Moi, je suis maladroite ! » (interprétation habituelle), il semble
difficile de produire un énoncé comme « Ce matin, j’ai cassé ». De même pour épouser : de
Don Juan, « épouseur à toutes mains » comme dit Molière, on peut dire qu’il « épouse
facilement », exprimant une prédication habituelle, ou présumée telle par Sganarelle.
On dira très difficilement en revanche « Lise a épou l’année dernière »3.
14 Au-delà, on trouve des verbes d’achèvement, comme franchir, qui semblent rebelles à
toute forme d’emploi absolu, quel que soit le type de contexte : « *Paul sait franchir »,
« *Paul a franchi ce matin ». Le type d’action que décrivent les verbes d’acvement
n’étant réalisé que si le processus atteint son terme, on comprend que l’objet qui indique
ce terme ait une importance particulière dans la construction du sens. Des pnones
de ce type ont été rerés par Lazard et par Hopper et Thomson également.
15 Quoi qu’il en soit, l’aperçu très simple que je viens de donner suffit à faire apparaître que,
dans le cadre de ce type de prédication, on choisit un mode de production du sens qui
glige toute identification de l’objet, ce dernier étant postulé néanmoins par le
sémantisme verbal. Cela n’empêche pas que cet objet-de-fait puisse être présent ailleurs,
quelque part dans le contexte proche, avant ou après, indifféremment, et de façon tout à
fait facultative ce qui montre bien qu’on n’est pas dans une situation de reprise
anaphorique. On peut en juger par ces exemples empruntés aux Misérables, col. Folio :
(5) Il s’aperçut alors que jusqu’à ce moment il n’avait pas plus compris son pays
qu’il n’avait compris son père. Il n’avait connu ni l’un ni l’autre, et il avait eu une
sorte de nuit volontaire sur les yeux. Il voyait maintenant ; et d’un côté il admirait,
de l’autre il adorait (Hugo, Tome II, p. 209).
(5 bis) Fantine …vit M. Madeleine debout qui regardait quelque chose audessus de
sa tête. Ce regard était plein de pitié et d’angoisse et suppliait (Hugo, Tome I, p. 27).
16 Il s’agit dans les deux cas de constructions absolues, mais dans des contextesfigurent
de façon précise (son pays, son père) ou approximative (quelque chose) l’indication préalable
de l’« objet ». Par un effet à la fois hardi et habile, Hugo choisit de dissocier l’action de son
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objet et de séparer énonciativement les deux opérations, pour mettre en valeur
l’« absolu » du sémantisme verbal, indépendamment de la spécificide ses applications.
On verra plus loin d’autres exemples où, à l’inverse, l’information sur l’« objet » concerné,
au lieu d’être done préalablement, est reportée à une phrase ultérieure (cf. ex. 18 bis).
17 Les exemples (5) et (5 bis) – autre différence avec ceux qui les précèdent – font intervenir
des verbes qui peuvent avoir (admirer, adorer) ou ont nécessairement (supplier) un objet ( +
HUM). Cette restriction sur l’objet n’a aucune incidence, semble-t-il, sur la construction.
Dans une autre série de verbes à objet [ + HUM], ceux que l’on appelle ordinairement les
verbes « psychologiques », l’emploi absolu se rencontre aussi très régulièrement, en
particulier bien sûr chez les moralistes classiques, Chamfort par exemple :
(6) En général, si la société n’était pas une composition factice, tout sentiment
simple et vrai ne produirait pas le grand effet qu’il produit : il plairait sans étonner.
Mais il étonne et il plaît… (Chamfort, Maximes et Pensées, Folio, p. 24).
18 mais aussi tous les autres (par exemple Pascal, cf.but de la citation (12 bis) ci-dessous.
19 D’autres verbes viennent confirmer les mêmes possibilités, verbes qui relèvent de
catégories sémantiques par ailleurs fort diverses4. Le propos n’est pas ici developper ce
point, mais seulement de montrer que la nature sémantique de l’objet n’est pas un critère
pertinent pour justifier de la probabilité, pour un verbe donné, d’emplois absolus. Ce sont
des terminations tout à fait différentes qui font l’acceptabilité meilleure ou moindre,
comme l’aspect lexical du verbe, ou le caractère habituel ou non du procès, etc. Le
problème de l’anaphore ø se pose très différemment, c’est ce qu’on va voir maintenant.
2. Lanaphore zéro
20 Dans les cas que je vais considérer désormais, la construction est pleinement transitive et
saturée ; seulement le complément, au lieu d’être représenté par un pronom anaphorique
de forme pleine, est anaphorisé par une proforme vide. Quels sont les verbes susceptibles
de proposer ou d’imposer ce modèle curieux de représentation pronominale, et quels sont
les contenus des antécédents qui déclenchent ce genre de reprise ? Ce sont tout d’abord,
outre savoir, les verbes d’opinion : penser, croire, imaginer, supposer, espérer, et aussi trouver,
quoique de façon un peu différente. Ces verbes, dans des schémas d’enchaînement
imdiat, de deux propositions (type principale / subordonnée) ou de deux phrases (type
question / réponse), admettent l’anaphorisation d’un contenu antérieur par le pronom le
neutre, ou par ø :
(7) Est-ce que Paul est là ?
– Je ne le sais pas / Je ne sais pas.
– Je le pense / Je pense.
– Je le crois / Je crois.
– Je l’imagine / J’imagine.
– Je le suppose / Je suppose.
– Je l’espère / J’espère.
Tu ne trouves pas que Paul a bonne mine ? – Si, je trouve5.
21 La solution anaphorique ø s’exerce, il est vrai, avec des restrictions curieuses de temps et
de personne, comme le signale L. Tasmowski-de Ryck, mais je ne prendrai pas en
considération ce point, le schéma présen ici étant, quoi qu’il en soit, extrêmement
courant. Par ailleurs, et bien que ce problème ne soit pas au centre de mon propos, on
remarque que ce ne sont pas tous les verbes d’opinion qui se prêtent à la double solution
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