d'autres espèces au simple motif de notre appartenance à l'espère
humaine1.
Une des revendications principales de ce courant est l'arrêt de la
consommation alimentaire de viande (ainsi que l'arrêt de l'utilisation des
autres espèces2 dans nos activités : expérimentation, chasse, etc.). Cette
revendication soulève souvent la question suivante : pourquoi les
humains devraient-ils s'abstenir de manger d'autres espèces alors que les
animaux carnivores le font ? À ceci, le mouvement antispéciste répond
par l'argument suivant : c'est justement parce qu'en tant qu'humains,
nous disposons d'une capacité morale dont ne disposent pas forcément
les autres espèces, que nous devons nous abstenir de les manger, alors
qu'elles-mêmes ne s'en privent pas.
Ainsi, loin de nier toute différence entre l'espèce humaine et les
autres, le discours antispéciste s'appuie sur cette différence comme clé
de voûte de son argumentation. Il est alors intéressant d'étudier les
processus discursifs par lesquels ce courant parvient à concilier l'utili-
sation de cette différenciation avec la demande d'une prise en compte
égale des intérêts entre les différentes espèces. Pour parvenir à montrer
que les deux dimensions ne sont pas contradictoires, nous devrons
distinguer entre les différentes logiques à l'œuvre dans ces opérations,
notamment celle, logique, de la question de l'identité et de la différence
entre les espèces, celle, sociale, de la revendication d'une prise en
compte égale des intérêts, et celle, axiologique, de savoir qui doit faire
preuve d'une obligation morale. Cette distinction entre différents plans
d'analyse reposera sur le modèle théorique de Gagnepain et Sabouraud
(Gagnepain, 1990).
Dans cet article, nous travaillerons principalement à partir d'un
corpus tiré de la revue lyonnaise Les Cahiers Antispécistes
(http://www.cahiers-antispecistes.org), qui a publié 37 numéros depuis
1991, et qui se propose d'offrir une présentation argumentée, rationnelle,
et rigoureuse, des thèses antispécistes. Par les traductions qu'elle a
proposé, dans les années 1990, de nombreux textes devenus des
"classiques" de l'antispécisme, elle a joué en France un rôle fondateur
1 En conformité avec des réflexions actuelles concernant la restitution des
données de recherche aux personnes concernées, j'ai soumis une première
version de cet article, pour avis et révision, à des membres du mouvement
antispéciste, notamment de la revue étudiée. Merci à Estiva Reus qui m'a
suggéré d'utiles précisions que j'ai tenté de prendre en compte. Les éventuelles
erreurs, affirmations discutables, et raccourcis de cet article restent néanmoins
de mon entière responsabilité.
2 Nous utiliserons dans cet article les expressions suivantes : "humain" au lieu
d' "homme" pour éviter une métonymie réduisant l'espèce à ses seuls
représentants hommes, et "les autres animaux" ou "autres espèces" plutôt que
"les animaux" pour éviter de sous-entendre que les humains en sont exclus.