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dossier
INÉGAUX
FACE AU CANCER
LES FRANÇAIS
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Les Français ne seraient pas socia-
lement égaux face au fléau sani-
taire qu’est le cancer ! Aussi inat-
tendu que cela puisse paraître, le
cancer est aussi un phénomène d’essence
sociologique. Les inégalités sociales face
à cette maladie sont devenues de vrais
objets de recherches scientifiques, d’ar-
ticles, de livres et de colloques. La fameuse
fracture sociale se répercuterait-elle sur
le terrain du cancer à tel point que l’inci-
dence de ce dernier puisse se traduire par
de fortes disparités territoriales ? Oncolo-
gie, la revue francophone de référence pour
la formation continue des oncologues, s’en
est fait récemment l’écho dans un article(1)
paru en décembre 2004.
« La France, constatent les auteurs, est glo-
balement partagée en deux sous-ensembles
de fortes et faibles incidences de part et
d’autre d’une ligne Le Havre-Marseille. »
Autrement dit, le cancer frappe plus sou-
vent au nord et à l’est qu’au sud et à l’ouest.
Dans cet ensemble de plus faible incidence,
il a été constaté que « les zones industrialo-
portuaires de la façade atlantique […] se
distinguent par des taux beaucoup plus
élevés, notamment pour les hommes. »
Pour l’ensemble des cancers et d’un coin
à l’autre du pays, les chercheurs notent des
disparités régionales d’incidence de 1 à 2
pour les hommes et de 1 à 1,7 pour les
femmes. Plus spécifiquement, cet écart
peut varier de 1 à 6 pour le cancer du col de
l’utérus. Ces chiffres mis en évidence par
des cartes et des graphiques traduisent des
causes multiples de disparités : gènes,
hygiène de vie, habitudes alimentaires,
tabagisme, alcoolisme, contexte profes-
sionnel, environnement, disparités sociales,
culturelles, d’accès à l’information, à la
prévention, au dépistage… Cette litanie,
si un cancer survient, se prolonge encore
avec les inégalités d’accès aux soins et à la
réinsertion. Prendre la mesure de ces inéga-
lités, c’est déjà s’inscrire dans une action
pour que cela change. Etat des lieux.
(1)
Rican (S.), Salem (G.),
Roudier-Daval (C.) et Weill (A.),
« Géographie de l’incidence des cancers en France »
in Oncologie, n° 8, décembre 2004, p. 540-547.
UX
Les causes de disparités face
au cancer sont multiples
et interdépendantes. Elles
peuvent être un préalable à la
maladie, se manifester sur le
parcours de soins mais aussi
lors de l’après-maladie.
Elles concernent aussi bien
la personne malade que
ses proches. Mieux connaître
leurs causes, c’est déjà les
combattre plus efficacement.
Inventaire de ces inégalités.
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PRÉDISPOSITIONS GÉNÉTIQUES
Les familles
à risque, ça existe !
dossier Les Français inégaux face au cancer
gir au-delà du cercle familial. En effet,
chez certains groupes ethniques, la
fréquence d’une telle propension
héréditaire peut s’avérer plus impor-
tante qu’ailleurs. Ainsi, 2,5 % des
populations juives ashkénazes
seraient porteuses de trois mutations
particulières de BRCA1 et de BRCA2.
En Islande, où le champ d’étude est
exemplaire du fait du peu d’échange
avec l’extérieur lié à l’insularité du
pays, une mutation du gène BRCA2
(le BRCA2 « 999del5 ») est à l’ori-
gine de la majorité des cancers du sein
familiaux. Mais le sein et l’ovaire ne
sont pas les seules localisations
concernées par de telles prédisposi-
tions génétiques. « On a aujourd’hui
identifié plus de quarante gènes chez
lesquels des mutations prédisposent
à toutes sortes de cancers, précise
Dominique Stoppa-Lyonnet. Certains
sont assez fréquents, comme les can-
cers colorectaux, d’autres plus rares
comme la polypose familiale ou le méla-
nome familial. Nous ne voyons actuel-
lement que la partie émergée de l’ice-
berg,poursuit-elle, car nous ne com-
prenons que des relations simples entre
un gène et un cancer. Demain, nous
espérons élucider des mécanismes plus
complexes, impliquant plusieurs gènes,
donc moins visibles parce que de nature
moins familiale. »
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Les inégalités devant le cancer
n’attendent pas le nombre des
années. Elles peuvent survenir
dès la fécondation, quand la loterie
de l’hérédité constitue notre bagage
génétique en piochant dans celui
de papa et celui de maman. Comme
de nombreuses autres maladies, cer-
tains cancers (sein, ovaire, côlon, mais
aussi des plus rares comme le réti-
noblastome) ont depuis longtemps
la réputation de s’acharner sur cer-
tains arbres généalogiques, suggé-
rant l’existence de familles dites à
risque. On parle alors de « prédispo-
sition génétique ».
Repérer les mutations
génétiques
Dans les années quatre-vingt-dix,
aux Etats-Unis, des chercheurs ont
isolé deux gènes, appelés BRCA1 et
BRCA2 (pour Breast Cancer, « can-
cer du sein »), sur lesquels est sou-
vent constatée une mutation chez les
membres de familles où l’on déplore
de nombreux cancers du sein ou de
l’ovaire. Si cette anomalie sur un gène
ne suffit pas à déclencher automa-
tiquement un cancer, elle indique
néanmoins une cancérisation poten-
tielle. « La probabilité d’apparition
d’un cancer du sein avant l’âge de 70
ans est par exemple de 70 % dans le cas
d’une mutation sur le gène BRCA1 et
de 50 % s’il s’agit du gène BRCA2,
affirme Dominique Stoppa-Lyonnet,
chef du service de génétique oncolo-
gique à l’Institut Curie. Une femme
sur 400 environ est porteuse d’une telle
mutation. » Dans certains cas, cette
prédisposition génétique peut s’élar-
Chaque individu naît
avec ses propres risques
de développer tel ou tel
cancer.
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RENFORÇONS
LES MOYENS DE
LA CONSULTATION
D’ONCOGÉNÉTIQUE
Certaines personnes se sentent
menacées par le nombre
de cancers recensés dans leur
famille. La consultation
d’oncogénétique s’adresse
plus particulièrement à elles.
Elle étudiera leur arbre
généalogique et le cas échéant,
recherchera une éventuelle
mutation génétique.
« La Ligue défend depuis
longtemps l’oncogénétique,
assure Jacqueline Godet,
vice-présidente de la Ligue
nationale contre le cancer,
chargée de la recherche. Il existe
environ 35 consultations*,
mais ce n’est pas encore assez
et elles ne disposent pas d’assez
de moyens. En particulier,
elles ont besoin de psychologues
et d’une base de données
nationales. »
*Ces consultations ont lieu
notamment dans les Centres de lutte
contre le cancer et les Centres
hospitaliers universitaires.
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CERTAINS
CANCERS ONT
DEPUIS
LONGTEMPS LA
RÉPUTATION DE
S’ACHARNER SUR
CERTAINS ARBRES
GÉNÉALOGIQUES.
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dossier Les Français inégaux face au cancer
L’héritage ne renvoie pas seu-
lement à la génétique. Il n’est
pas exclusivement inné. C’est
aussi un processus d’apprentissage
qui permet d’acquérir les modèles cul-
turels de la société dans laquelle nous
vivons. Il est à la fois une contrainte
imposée par certains agents sociaux
et une interaction entre l’individu
et son environnement. Autrement
dit, nous sommes les légataires d’une
famille et d’un milieu socioculturel
(l’école, le milieu professionnel, les
amis, etc.), lesquels sont à l’origine
de nos pratiques et modifications com-
portementales à risque comme celles
de boire et/ou de fumer, de nos habi-
tudes ou influences alimentaires, mais
aussi de nos savoirs, de nos aptitudes,
de nos attitudes, de nos valeurs, de
nos idéaux, sans oublier de nos res-
sources financières. Si nous naissons
tous libres et égaux – c’est écrit dans
la Déclaration universelle –, nous
sommes aussi tributaires d’une édu-
cation, d’une culture et plus généra-
lement d’une classe sociale. La repro-
duction sociale chère au sociologue
français Pierre Bourdieu serait-elle
déclinable sur le terrain du cancer ?
Plus simplement, l’appartenance à
une catégorie socioprofessionelle
favorise-t-elle la survenue du cancer ?
A chaque milieu, son cancer ?
L’ascendance sociale ne place pas
les hommes à égalité face au cancer.
Guy Launoy, président du réseau
Francim des registres de cancer et
directeur de l’équipe « Cancers &
Populations » à l’Inserm, a publié
plusieurs articles qui l’affirment.
« La mortalité par cancer varie beau-
coup selon les classes sociales. C’est
vrai partout, mais la France est le
pays d’Europe où le gradient social
est le plus élevé », assure-t-il. Chez
un individu, la provenance sociale
exerce une influence avant et après
l’apparition d’un cancer. « Une fois le
cancer déclaré, affirme Guy Launoy,
le pronostic est invariablement plus
sombre dans les classes les plus défa-
vorisées. »Cependant, il y a des can-
cers que l’on contracte plus souvent
dans les milieux aisés. « Dans cer-
tains cas, on l’explique assez bien,
précise Guy Launoy. Ainsi, le risque
de cancer du sein est minimisé par
les grossesses précoces et nom-
breuses, peu conciliables avec des
études longues. » Observations qui,
du moins dans un passé récent, ne
caractérisaient guère les milieux
les plus favorisés. Dans un autre
registre, il y a des cancers des villes
comme les tumeurs colorectales qui
sont aussi plus fréquentes dans
les milieux aisés.
Mais d’autres cancers, comme celui
Les inégalités
socioculturelles devant le
cancer sont évidentes.
du poumon, sont plus fréquents dans
les milieux paupérisés. Certes, on y
fume plus, mais pour quelles rai-
sons ? Par manque d’information ?
Parce que fumer est un plaisir plus
accessible que le caviar ou le golf ?
Parce qu’au fond, quand on est fau-
ché, l’hypothèse d’un cancer ne pèse
pas lourd face aux tracas du quoti-
MILIEU SOCIOCULTUREL
Le cancer, « produit »
d’une classe sociale?
NOUS SOMMES
LES LÉGATAIRES
D’UNE FAMILLE ET
D’UN MILIEU
SOCIOCULTUREL.
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