Cette recombinaison virale a pu avoir lieu lors d’une surin-
fection probablement chez le chimpanzé, carnivore de
petits singes, et a donné lieu à l’actuelle lignée de SIVcpz.
Les chimpanzés ont ensuite pu transmettre leur virus à
des gorilles [31, 32].
Les coévolutions virus-hôtes, les transmissions interespèces,
les surinfections, ou les recombinaisons virales sont parmi
les nombreuses caractéristiques évolutives des SIV qui
rendent leur histoire si complexe à résoudre.
Des contacts avec du sang, des sécrétions ou des tissus
infectés entre les PNH de différentes espèces peuvent
avoir lieu lors de combats, d’infanticides, d’associations
polyspécifiques, ou pendant la chasse et la consommation
de petits singes comme pour les chimpanzés. Les transmis-
sions interespèces présentées précédemment seraient donc
possibles lors de tels contacts avec un animal infecté. Si des
transmissions interespèces ont pu être observées entre les
PNH, les virus SIVont aussi pu franchir à plusieurs reprises
la barrière d’espèce lors de transmissions virales de singes à
l’Homme, comme détaillées dans les prochaines sections.
Le sida, dont l’agent étiologique est le VIH, peut donc être
considéré comme une zoonose [33]. Les SIV les plus
proches du VIH-1 sont le SIVcpz et le SIVgor qui infectent
naturellement les chimpanzés (P. t. troglodytes) et les
gorilles (Gorilla gorilla gorilla)d’Afrique équatoriale de
l’Ouest. Les SIVsmm retrouvés chez les mangabeys
enfumés (Cercocebus atys)d’Afrique de l’Ouest sont les
plus proches du VIH-2.
Les SIV chez les grands singes d’Afrique
sont à l’origine du VIH-1
Le VIH-1 infectant l’Homme est maintenant connu pour
être composé de quatre groupes : le groupe M pour
« Major », découvert en 1983 [1] et responsable de la
pandémie actuelle de sida ; le groupe O ou « Outlier »
découvert en 1990 [34] ; le groupe N, pour « Non-M
Non-O », identifié en 1998 [35] ; et depuis août 2009,
un virus d’un nouveau groupe a été caractérisé chez
deux personnes d’origine camerounaise, en France et au
Cameroun, et ce groupe a été appelé VIH-1 groupe P [36]
(Brennan et al., Oral #25, CROI 2010) (figure 1). Chaque
groupe du VIH-1 résulte d’une transmission interespèces
de SIV de grands singes à l’Homme.
Les questions sur l’origine du VIH-1 sont de plusieurs
ordres : quels sont les réservoirs à l’origine du VIH-1
retrouvé chez l’Homme ? Combien d’événements de trans-
mission sont impliqués ? Où ces transmissions interespèces
se sont-elles déroulées ? Quand et comment ont-elles
eu lieu ?
Les SIV des chimpanzés et des gorilles sont
àl’origine du VIH-1 chez l’Homme
L’hypothèse selon laquelle les chimpanzés puissent être
les réservoirs du VIH-1 fut établie en 1989 lorsque des
infections lentivirales par des SIV isogéniques et proches
phylogénétiquement du VIH-1 furent caractérisées chez
deux chimpanzés nés dans la nature et captifs au Gabon
(Gab1 et Gab2) [37, 38]. La caractérisation d’un troisième
SIVcpz (SIVcpzANT) infectant un chimpanzé de RDC et
saisi en Belgique par les douanes révéla une très grande
et inattendue diversité génétique entre l’ensemble des sou-
ches SIVcpz caractérisées [39]. Néanmoins, cette grande
diversité a pu être expliquée lorsque la phylogénie des
SIVcpz fut analysée en prenant en compte les différentes
sous-espèces de chimpanzés [40]. Ainsi, il a pu être mis en
évidence que les chimpanzés P. t. troglodytes dans la partie
ouest d’Afrique équatoriale et les P. t. schweinfurthii en
Afrique équatoriale de l’Est étaient chacun infectés
par des SIVcpz spécifiques des sous-espèces, et que
les SIVcpzPtt étaient les plus proches virus du VIH-1
(figure 3). Si ces données suggéraient fortement que les
chimpanzés d’Afrique équatoriale de l’Ouest étaient la
source du VIH-1, la mise en évidence du réservoir de
façon définitive imposait de pouvoir étudier un nombre
plus important de chimpanzés vivant dans la nature. C’est
la mise au point, en 2002, de méthodes non invasives pour
ces espèces protégées qui a permis la caractérisation
des SIV infectant les grands singes sauvages à partir
d’échantillons fécaux [41, 42]. Par cette méthode, de
nouvelles souches de SIVcpz provenant de chimpanzés
sauvages vivant en Tanzanie et en RDC, et appartenant
à la sous-espèce P. t. schweinfurthii ont été caractérisées
[43] (Li et al., Poster #440, CROI 2010). Toutes ces
nouvelles souches SIVcpzPts forment une lignée proche
du SIVcpzANT et distincte de celle du VIH-1, confirmant
que ces variants ne sont pas à l’origine des virus infectant
l’Homme [44]. En revanche, les études d’épidémiologie
moléculaire des SIVcpz infectant les chimpanzés du
Cameroun ont permis d’identifier en 2006 les réservoirs
des virus humains pandémiques (VIH-1 M) et non pandé-
miques (VIH-1 N) [45]. En effet, cette étude montre que les
souches virales ancêtres du VIH-1 M appartiennent à une
lignée de SIVcpzPtt qui persiste aujourd’hui chez des
groupes de chimpanzés sauvages, de la sous-espèce
troglodytes, vivant dans l’extrême sud-est du Cameroun
(figure 3). De plus, il est apparu que le VIH-1 groupe N
a pour origine une autre lignée de SIVcpzPtt infectant
des animaux du centre du Cameroun (figure 3). Au total,
la distribution des SIVcpzPtt chez les chimpanzés
d’Afrique équatoriale de l’Ouest est étendue mais
inégale [46]. Aussi, dans l’arbre évolutif, ces virus se
regroupent selon leur site d’origine de collecte, phénomène
appelé regroupement phylogéographique. Depuis 2003,
revue
Virologie, Vol. 14, n
o
3, mai-juin 2010 175
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