L`assurance et le financement de l`économie

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ACTUASSURANCE – LA REVUE NUMERIQUE EN DROIT DES ASSURANCES
Publication n° 32 SEPT - OCT 2013
L’assurance et le financement de l’économie tunisienne : peut mieux faire !
Nabil Ben Azzouz
D.U en Droit des assurances de l’IAL
Etudiant en Master 2 Droit des assurances à l’IAL
Economie et assurance
Dans une conjoncture économique particulièrement difficile, tant à l’échelle internationale
que nationale, où les principaux indicateurs tel que le taux de croissance du PIB, le taux
d’inflation, le taux de chômage et la balance commerciale sont en déclin ou en fluctuation,
notre économie tunisienne tarde à trouver sa relance, surtout après une première année postrévolution marquée par une situation d’instabilité au niveau sécuritaire, social et politique, ce
qui a engendré un impact négatif sur tous les secteurs.
Pour le premier trimestre 2013, selon les données fournis par l’observatoire de la conjoncture
économique de l’Institut National de la Statistique (INS), le taux de chômage est de 16.5%,
l’indice des prix à la consommation est en hausse (jusqu’à 6.5%) et la balance du commerce
extérieur est déficitaire (- 2.419 MD).
Une croissance du PIB aux prix constants, au premier trimestre 2013, égale à 2.7% par
rapport à la même période en 2012 n’a pas suffi pour remédier aux problèmes précités et
permettre un retour à la croissance et à l’emploi dans notre pays, sachant que ce même PIB
représente un recul de 0.3% par rapport au quatrième trimestre de 2012.
Dans ce contexte, où les parties concernées sont focalisées sur la détermination des moyens
indispensables à mettre en place une politique économique adéquate afin de sortir le pays de
cette situation, une des problématiques essentielles à résoudre est celle relative au
financement de l’économie et à la détermination des moyens nécessaires permettant
d’atteindre un niveau de financement corrélé à une politique économique audacieuse,
capables tous les deux de relancer notre économie et d’enclencher une dynamique de
développement durable tant souhaité par tous.
Dans ce contexte et parmi les secteurs institutionnels qui sont censés jouer un rôle essentiel
dans le financement de l’économie et la limitation du recours à l’endettement extérieur, le
secteur de l’assurance est supposé faire preuve d’un rôle essentiel quant au financement de
l’Etat d’une part, et des agents économiques d’autre part. Une question s’avère donc
inéluctable aujourd’hui, celle qui consiste à savoir si l’assurance assume aujourd’hui
pleinement sa mission de moteur de la croissance, dans un environnement économique
difficile.
Rappelons que l’une des missions principales de l’assurance, en plus de la protection du
pouvoir d’achat de l’assuré ainsi que celle de la valeur du patrimoine des ménages et des
entreprises, a trait au soutien qu’elle doit apporter au financement de l’économie nationale.
En effet, l’assurance concourt au bien être social par la protection du pouvoir d’achat des
ménages grâce, d’une part, aux prestations et capitaux versées par les assureurs en faveur des
assurés au titre de leur contrats d’assurance maladie et de prévoyance (décès et retraite) et
d’autre part, aux indemnités versées aux victimes d’accidents en tant que réparation de leur
préjudices corporels et matériels au titre des contrats accidents, responsabilité civile et
dommages aux biens.
Les assureurs protègent aussi le patrimoine des entreprises en prenant en charge, en
contrepartie d’une prime d’assurance payée par l’assuré, la réparation du préjudice matériel et
les conséquences pécuniaires qui en résultent, suites aux dommages matériels affectant leurs
biens immobiliers, matériels et équipements et leurs stocks. Les assureurs couvrent aussi les
professionnels contre les conséquences pécuniaires de leur responsabilité civile (qui
représente une dette au tiers) causées par les risques d’exploitation et de production auxquels
ils sont exposés au cours de l’exercice de leurs opérations. Sur cette base, les assureurs sont
qualifiés de partenaires de long terme des entrepreneurs et des bailleurs de fonds puisqu’ils les
accompagnent tout au long de leur aventure d’investissement dans les domaines industriel,
agricole et de service et amortissent leur exposition aux aléas.
Outre ce rôle, les assureurs investissent aussi la majeure partie des cotisations qui leur sont
confiées et qui sont mises de côté sous forme de provisions, dans des placements et
d’investissements via les marchés financier et immobilier et ce à travers des actions et des
titres de créance tel que les obligations d’entreprises en particulier et de façon moindre,
auprès des entreprises non cotées, permettant ainsi le financement de nouveaux projets
porteurs de croissance et créateurs d’emploi. A l’évidence, les investissements des assureurs
jouent un rôle considérable dans l’économie nationale. En plus, les assureurs détiennent une
partie de la dette domestique de l’Etat qui sert au financement d’une partie des besoins
publics, particulièrement ceux relatifs aux mesures de relance et ce à travers des emprunts
obligataires.
Néanmoins, il est essentiel de rappeler que les assureurs qui sont appelés à honorer leur rôle
d’investisseur et de financeur de l’économie, doivent le faire avec prudence et sous le contrôle
des organismes de tutelle, puisque les sommes investies sont gérées pour le compte des
assurés. Par conséquent, les assureurs ont une contrainte de gestion de leur actif puisqu’ils
doivent maintenir leur marge de solvabilité à un niveau minimum règlementé, afin de pouvoir
honorer leurs engagements envers les assurés.
L’assureur investisseur institutionnel :
Le chiffre d’affaires global du marché tunisien de l’assurance exprimé par le montant total de
primes émises en 2011 a atteint 1.177,9 millions de dinars, soit un accroissement de 5,14%
par rapport à 2010, selon le dernier rapport de la Fédération Tunisienne de Sociétés
d’Assurances (FTUSA). Les provisions techniques en 2011 ont atteint 2.638,44 millions de
dinars alors que le montant des placements cumulés effectués par le secteur de l’assurance
s’est élevé à 2.868,10 millions de dinars.
Ces placements tel que présentés par le rapport du Comité Général des Assurances (CGA) sur
le marché tunisien des assurances en 2011, sont inscrits aux actifs des bilans des assureurs et
sont répartis à hauteur de 53,4% de placements en titres à revenus fixes tels les titres émis par
l’Etat ou jouissant de sa garantie (40,4%), les emprunts obligataires (13%) et 20,3% des
placements en actions tels que des actions de sociétés cotées en BVMT (9,1%), des parts et
actions dans les OPCVM (5,4%), des parts dans les SICAR (1,6%) et d’autres actions et
valeurs mobilières, y compris les actions des sociétés d’assurances et de réassurances
étrangères (4,2%). Le reste, soit 26,3% représente les autres types de placements.
Il faut noter que ces placements sont effectués conformément aux normes imposées par la
réglementation en vigueur, en l’occurrence l’article 59 du Code des Assurances tunisien et
l’arrêté du ministre des Finances du 27 février 2001 fixant la liste, le mode de calcul des
provisions techniques et les conditions de leur représentation.
Ces placements proviennent des provisions techniques de l’assurance non vie à hauteur de
80%, soit 2.298,8 millions de dinars et des provisions techniques de l’assurance vie à hauteur
de 20%, soit 569,3 millions de dinars. Ceci est évident, puisque le chiffre d’affaires total du
secteur de l’assurance se répartit en assurance non vie (85%) et assurance vie (15%).
Le total des placements en actions effectués par les assureurs en 2011 a été de 583,2 millions
de dinars, soit 20,3% du total des placements. Ces placements se répartissent en des actions
de société cotée en BVMT (259,7 MD), des parts et actions sur les OPCVM (155,5MD), des
parts dans des SICAR (45,9 MD), des actions des sociétés d’assurances et de réassurances
étrangères (9,3 MD) et d’autres actions et valeurs mobilières (112,8 MD). La capitalisation
boursière détenue par les assureurs en 2011 de 259,7 millions de dinars représente moins de
2% de la capitalisation totale du marché boursier égale à 14.452 millions de dinars, selon le
rapport d’activité de la BVMT de 2011.
Cette participation est modeste, si on la compare avec celle des assureurs français en guise
d’exemple, dont les placements durant l’année 2012 en actions représente 25% des actions de
sociétés cotées détenues par des résidents français selon le bilan de l’assurance française
publié par la Fédération Française des Sociétés d’Assurances (FFSA) en 2012.
Il est important de signaler, dans ce cadre, que selon l’article 31 de l’arrêté précité, le
placement dans des titres de sociétés cotées en BVMT et des OPCVM d’une même société ne
doit pas excéder 10% du montant total des provisions techniques et 30% du capital social de
la société émettrice des actions. Par ailleurs, les placements dans des SICAR sont limités à
5% du montant total des provisions techniques pour une même société alors que le montant
total des placements dans ces titres ne doit pas excéder 10% des provisions techniques.
Néanmoins, ce même article 31 autorise chaque assureur à placer jusqu’à 50% du montant
total de ses provisions techniques dans des actions de sociétés cotées en BVMT et dans des
OPCVM. Cette limite maximale autorisée par le ministère des Finances est loin d’être remplie
par les assureurs tunisiens, qui optent généralement pour une politique de placement financier
très prudente.
Cette règlementation, qui a pour objectif primordial la protection des intérêts des assurés
auprès des assureurs, prouve l’attitude prudentielle des assureurs quant aux placements
financiers à risque, notamment dans les actions, les OPCVM et les SICAR. Ces titres
représentent un risque potentiel de dévalorisation et, par conséquent, créent un risque
d’investissement ou d’actif pour les assureurs, qui se traduit par la non-équivalence des actifs
financiers avec les provisions techniques.
La participation à l’endettement de l’Etat :
Selon le rapport du Comité Général des Assurances (CGA) sur le marché tunisien des
assurances en 2011, les placements des assureurs tunisiens dans des titres émis par l’Etat ou
jouissant de sa garantie ont atteint 1.157,7 millions de dinars, soit 40,4% du total des
placements. Ce montant représente le double de la limite minimale imposée par le régulateur
par l’arrêté sus-indiqué du ministre des Finances du 27 février 2001 qui stipule que le
placement dans ces titres ne peut être inférieur à 20% du montant total des provisions
techniques.
Bien que les assureurs se conforment largement à la limite minimale exigée, ce montant ne
représente qu’un peu plus que 5% de l’endettement total de l’Etat qui est égal à 28.666
millions de dinars, selon le 53ème rapport annuel de la BCT et presque 13% de l’endettement
intérieur de l’Etat qui est détenu par les résidents et égal à 11.967 millions de dinars selon le
même rapport.
En France et selon le bilan de l’assurance française publié par la Fédération Française des
Sociétés d’Assurances en 2012, les assureurs français détiennent 41% de la dette publique
française détenue par les résidents. Cette forte contribution s’explique par l’apport très
significatif de l’assurance de personnes en France, puisque le chiffre d’affaires du marché
français qui a été de 189,5 milliards d’euros en 2011, provient essentiellement des assurances
de personnes avec 75% et 25% des assurances de biens et de responsabilité.
Une contribution optimale du secteur de l’assurance au financement de l’économie tunisienne
demeure donc entravée en quelque sorte par le taux de pénétration très faible de l’assurance
vie dans notre pays par rapport à celui de la France et des autres pays européens. Les contrats
d’assurance vie en France, que ce soit en euros ou en unités de compte, restent la forme
d’épargne préférée pour les Français, puisqu’ils sont dotés d’avantages fiscaux et génèrent
une rentabilité plus intéressante, mais qui ne sont pas sans risque.
Ceci dit, les assureurs en Tunisie peuvent compter sur la marge de développement très
importante dont ils disposent pour multiplier leur chiffre d’affaires en assurances de
personnes, notamment en assurance vie et ce en focalisant leur politique de promotion et de
distribution sur ce volet qui reste d’un potentiel énorme pour tous les acteurs du secteurs, en
l’occurrence les assureurs, les intermédiaires d’assurance ainsi que les réassureurs locaux ou
étrangers.
Il est évident que sur la base d’une obligation de résultat envers ses actionnaires, chaque
assureur doit, en plus de son résultat technique généré par sa performance de souscription
(acceptation des risques) et exposé à la volatilité de la sinistralité, compter aussi sur ses
revenues d’investissements générés les placements qu’il effectue. De leur côté, les placements
au marché financier sont exposés à la fluctuation et encourent un risque de dévalorisation;
c’est ce facteur qui crée une pression sur l’assureur et oriente sa décision d’investir vers les
titres émis par l’Etat et bénéficiant de sa garantie plutôt que dans des actifs financiers
aléatoires, mais dont l’effet sur la croissance et la création de nouveaux emplois est plus
important.
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