PARAS ITI SME ET ORGANISATION DES PEUPLEMENTS D ' H ÔTES : SYNTHÈ SE François THOMAS * , FranGk CEZILLY** & François RENAUD* INTRODUCTION Analyser les mécanismes qui président à l' organisation des peuplements est depuis longtemps un thème central en écologie. De nombreux facteurs affectent la structure et la diversité des assemblages d'espèces. Les caractéristiques physiques de l ' espace ont depuis longtemps été identifiées comme des variables décisives : d' une façon générale, la richesse et la diversité des espèces sont corrélées positivement avec la complexité structurale des biotopes (MacArthur et al., 1 966 ; B londel et al., 1 973 ; Cody, 1 975 ; Barbault, 1 98 1 ) . Cependant, si les caractéris­ tiques du milieu ont une influence majeure sur l' organisation des peuplements, elles sont aussi le support physique où interviennent d' autres phénomènes d ' importance tout aussi majeure, tels que les perturbations, la variabilité des ressources disponibles, les processus d' extinction/colonisation, et les interactions entre espèces (compétition, prédation, parasitisme, mutualisme . . . ). L' interaction entre deux populations ou deux espèces peut souvent être influencée par une troisième espèce. Comparés aux organismes libres, les parasites ont été, proba­ blement en raison de leur petite taille qui les rend souvent invisibles, moins souvent considérés dans le rôle de cette troisième espèce. La proximité écologique et/ou taxinomique des espèces hôtes d' une guilde peut se traduire pour les parasites par une certaine ouverture des filtres de rencontre (rencontre physique entre hôtes et parasites) et de compatibilité (installation et développement du parasite) avec ces espèces hôtes (Combes, 1 995). Il est cependant rare que les degrés d' ouverture des deux filtres soient identiques entre deux espèces. Ce phénomène et ses conséquences, lorsqu' ils sont à l ' origine de régulations différentielles des populations hôtes et/ou lorsqu' ils interfèrent avec la compétition interspécifique et/ou la prédation, affectent la structure de ces peuplements d'espèces proches. C ' est vers la fin des années 1 940 que le parasitisme a été considéré pour la première fois comme un agent déterminant la structure des peuplements (Park, 1 948). Depuis, des résultats obtenus à partir d' analyses empiriques, expérimentales et théoriques en font un fait établi et reconnu comme fréquent par les écologistes (Dobson & Hudson, 1986 ; Priee et al., 1 986 ; * Laboratoire de Parasitologie Comparée (UMR 5555, CNRS) Université Montpellier II, Place Eugène Bataillon, 34095 Montpellier Cedex. France. ** Université de Bourgogne, 2 1 004 Dijon Cedex, France. Rev. Ecot. (Terre Vie), vol. 52, 1 997. 193 Minchella & Scott, 1 99 1 ; Blondel, 1 995). Dans cet article, nous proposons une synthèse illustrée des différents mécanismes par lesquels les parasites affectent les assemblages d' espèces à une échelle locale. Nous envisagerons plus précisément le rôle potentiel des parasites sur la structure des communautés hôtes au travers de leurs interactions avec la compétition interspécifique, la prédation et les phéno­ mènes de colonisation. Nous discuterons également l ' influence possible des parasites manipulateurs de comportement sur la communauté des prédateurs. PARASITISME ET COMPÉTITION INTERSP ÉCIFIQUE Il y a compétition interspécifique lorsque plusieurs organismes utilisent des ressources communes présentes en quantité limitée (compétition par exploitation) ; le taux de croissance d' une ou plusieurs espèces est diminué par suite de l' exploitation d' une même ressource limitée par une ou plusieurs autres espèces (Blondel, corn. pers.). Lorsque les ressources communes ne sont pas en quantité limitante, les organismes en concurrence se nuisent (compétition par interférence, e.g. Jarvis et al., 1 98 1 ) (Birch 1 957) ; il y a alors exclusion active d' une espèce par une autre (Blondel, corn. pers.). Lorsque deux espèces, A et B, sont en compétition pour les mêmes ressources de l'écosystème et qu' un parasite affecte principale­ ment la valeur sélective de l ' espèce A, cette dernière est désavantagée par rapport à l'espèce B . Lorsque l' espèce B est réfractaire à l ' infestation, la régulation différentielle par le parasite donne un avantage à B par rapport à A dans la compétition par exploitation. Lorsque l' espèce B est tolérante (i. e. héberge le parasite en subissant des dommages moins accentués que l'espèce A), la compé­ tition peut être aussi considérée par interférence : l'espèce B nuit à l' espèce A soit directement en lui transmettant la maladie (parasite contagieux), soit indirectement en favorisant la réalisation d'un cycle parasitaire dont les formes infestantes rencontreront tôt ou tard des individus de l ' espèce A. En fonction du rapport de forces initial (i. e. en l' absence de parasite) entre les espèces concurrentes, et de l' intensité de la variance dans la susceptibilité au parasite (inégalité devant la parasitose), il est possible de rencontrer toutes les situations : exclusion de 1' espèce dominante ou dominée ou coexistence des deux taxons . La première expérience illustrant les interactions entre parasitisme et compétition interspécifique a été réalisée par Park ( 1 948). Cet auteur a montré expérimentalement que dans des élevages monospécifiques des Coléoptères Tribolium castaneum et T. confusum, la présence du Sporozoaire Adelina tribolii diminue, seulement chez T. castaneum, l' effectif de la population à l' équilibre (d'un facteur de trois environ). En sympatrie, en fonction de la présence ou de l ' absence du parasite, l' équilibre compétitif est inversé entre T. castaneum (espèce dominante en absence du parasite) et T. confusum. La présence de A. tribolii modifie donc l ' issue de la compétition et permet à T. confusum d' exploiter davantage les ressources du milieu au détriment de T. castaneum. Le mécanisme intervenant ici est une mortalité différentielle entre les deux espèces hôtes. Des résultats comparables (i.e. inversion de l' équilibre compétitif) peuvent être obtenus lorsque le mécanisme de régulation différentielle se situe au niveau de la fécondité de l ' hôte. Le Nématode Howardula aoronymphium réduit à zéro la fécondité de Drosophila putrida et de 5 0 % celle de D. falleni (Jaenike, 1 992). Dans des élevages mixtes, l ' issue de la compétition est inversée en présence du Nématode (Jaenike, 1 995). Les expérien­ ces de Boulétreau et al. ( 1 99 1 ) montrent ·que la coexistence des drosophiles 194 D. melanogaster et D. simulans dans des cages à populations, normalement impossible (D. melanogaster élimine rapidement D. simulans), devient possible et stable en présence du parasitoïde Leptopilina boulardi (Cynipide). Une légère préférence du parasitoïde pour D. melanogaster semble responsable de ce phéno­ mène (Boulétreau et al. , 1 99 1 ). Un exemple d' influence des parasites dans la compétition par interférence pourrait être apporté par les travaux de Richner et al. ( 1 993). La Mésange bleue (Parus caeruleus) serait la source hôte principale de la puce Ceratophyllus gallinae, un parasite capable d'infester aussi la Mésange charbonnière. La diminution du succès reproducteur des Mésanges charbonnières lorsque la population de Mésanges bleues s ' accroît pourrait alors être imputé à l' augmenta­ tion de la densité des puces. En milieu naturel, le parasitisme peut influencer la structure génétique des assemblages d' espèces dans l ' espace. Les travaux de Coustau et al. ( 1 99 1 ) à partir de l' association entre un Trématode (Prosorhynchus squamatus) et deux semi­ espèces de Bivalves marins Mytilus edulis et M. galloprovincialis illustrent ce phénomène. Les preferenda écologiques de ces deux taxons de moules sont différents puisque M. edulis vit plutôt dans les stations abritées et devient rare dans les stations battues, où elle est remplacée par M. galloprovincialis. Dans les secteurs intermédiaires, les deux taxons de moules sont susceptibles de s' hybrider. Le Trématode P squamatus est un parasite qui présente une spécificité stricte pour M. edulis. Les conséquences de l' infestation sont une castration et une diminution de survie. Dans les zones de contact entre les deux moules, P squamatus peut entraîner une contre sélection des génotypes edulis en faveur des génotypes galloprovincialis qui pourrait alors s' étendre jusqu' aux limites de leur preferen­ dum écologique (Renaud et al. , 1 992). La répercussion du parasitisme sur l' écosystème est d' autant plus importante que l' espèce cible du parasite joue elle même un rôle clef dans l ' écosystème (Combes, 1 995). De façon comparable aux perturbations physiques (vent, feu, chablis . . . ) ou à la prédation (Paine, 1 966), le parasitisme peut contribuer à maintenir une plus grande diversité dans les écosystèmes en affectant préféren­ tiellement les espèces dominantes. Ce rôle 'stabilisant' sur la diversité est favorisé par au moins deux facteurs : (i) la préférence de certains parasites pour les espèces abondantes qui, en termes de ressources, valent probablement mieux que plusieurs espèces rares (Combes, 1 995) et (ii) la transmission (Freeland, 1 976 ; Com­ bes, 1 995) et/ou les signes pathologiques (Yan & Stevens, 1 995) sont souvent corrélés positivement avec la densité de la population hôte. Les travaux de Ayling ( 1 98 1 ) en zone intertidale illustrent l' influence des parasites sur la richesse de la communauté d' invertébrés qui colonise les substrats rocheux. Ayling ( 1 98 1 ) constate l a présence d' une éponge dont le développement extrême aboutit, par recouvrement progressif, à une élimination complète des autres espèces d' inver­ tébrés vivant dans ce biotope. En présence d'un champignon pathogène et spécifique de cette éponge, le couvert monospécifique initial est transformé en une mosaïque de parcelles où l' éponge est morte, et où plusieurs espèces d' invertébrés s ' installent de nouveau. CONS É QUENCES INDIRECTES : LE RISQUE DE PRÉDATION L' organisation d' une guilde située à un niveau trophique donné peut dépendre de la pression exercée par des espèces appartenant à l' étage trophique supérieur, 1 95 tel que des prédateurs (Paine, 1 966 ; B arbault, 1 9 8 1 ) . Par leurs effets pathogènes, les parasites peuvent modifier les probabilités de prédation d'un hôte et avoir, par cette voie, une influence indirecte sur la structure du peuplement. C ONS É QUENCES NON ADAPTATIVES DE LA PATHOLOGIE Dans de nombreuses associations hôtes-parasites, la pathologie liée à l' in­ fection se traduit par un affaiblissement général des individus parasités (Priee, 1 980 ; Lefcort & Blaustein ; 1 995). Dès lors que les prédateurs exploitent en partie les individus malades (Blondel, 1 967 ; B arbault, 1 98 1 ), une susceptibilité diffé­ rentielle entre deux espèces hôtes peut alors conduire à une prédation préférentielle sur l' espèce sensible. Les travaux d' Anderson ( 1 972) ont montré que le Nématode Protostrongylus tenuis était à l' origine de graves troubles neurologiques chez de nombreux Ongulés à 1' exception du Cerf de Virginie. Le déclin important des populations d' Ongulés sensibles à ce Nématode a été attribué d' une part aux conséquences directes de la pathologie et d' autre part à une prédation plus élevée sur les populations (Priee, 1 980). En absence de signes pathologiques prononcés, le parasitisme impose toujours (par définition) un coût, aussi minime soit-il, à son hôte (« coût incompressible des parasites », Combes, 1 995). Une conséquence fréquemment observée chez les hôtes parasités est une augmentation des besoins alimentaires par carence alimentaire due aux parasites. Un exemple de ce phénomène semble être parfaitement illustré par les résultats d' analyse des rythmes alimentaires chez la Mésange bleue. En effet, dans les nichées parasitées par des Protocalliphora (Diptères dont les larves sont des parasites hématophages de poussins d'Oiseaux), les rythmes d' alimentation parentaux sont significative­ ment supérieurs à ceux observés dans les nichées non parasitées (Hurtrez-Boussès, corn. pers.). Ce phénomène peut suffire à entraîner une prédation supérieure, initiée par une prise de risques supplémentaires de l ' hôte dans la recherche de sa nourriture (Milinski, 1 990) . LES HÔTES MANIPULÉ S Depuis les travaux pionniers de Holmes & B ethel ( 1 972), il existe de nombreux exemples démontrant que certains parasites à cycle complexe sont capables de modifier le comportement de leur hôte intermédiaire dans un sens qui favorise leur prédation par l' hôte définitif (Hindsbo, 1 97 2 ; Camp & Huizinga, 1 979 ; Crowden & Broom, 1 980 ; Moore, 1 98 1 ; Giles, 1 983 ; Hoogenboom & Dijkstra, 1 987 ; LoBue & Bell, 1 993). Cette 'pathologie adaptative' s ' inscrit parmi les nombreux phénomènes dits de 'favorisation' (Combes, 1 99 1 ) mis en place au cours de l' évolution des parasites et permettant d' augmenter les probabilités de transmission dans les cycles parasitaires . Les travaux de Helluy ( 1 9 8 1 ) ont montré que chez le Crustacé Amphipode Gammarus insensibilis, les métacercaires cérébrales du Trématode Microphallus papillorobustus sont responsables de profondes modifications du comportement qui facilitent la prédation du Crustacé par les Oiseaux hôtes définitifs. Chez l ' Amphipode Gammarus aequicauda, ces modifications comportementales à l' origine du 'suicide' de l ' hôte intermédiaire sont moins fréquentes puisqu' elles ne surviennent que si l' infestation a lieu à un stade juvénile de 1 ' hôte (Helluy, 1 98 1 ) . Thomas et al. ( 1 995) ont montré que cette susceptibilité différentielle avaient des conséquences importantes sur la démogra- 1 96 - phie des deux populations d' Amphipodes. En effet, seui l' espèce G. insensibilis est profondément régulée par M. papillorobustus. Sur la base de modèles théoriques (Rousset et al., 1 996), cette mortalité différentielle pourrait résulter de la prédation par les hôtes définitifs. Les deux espèces G. insensibilis et G. aequicauda vivent en sympatrie dans de nombreuses lagunes du sud de la France (Brun, 1 97 1 ; Janssen et al. , 1 979, Helluy, 1 98 1 ) . Selon Janssen et al. ( 1 979), G. insensibilis présente un succès reproducteur supérieur à celui de G. aequicauda. Il est possible que M. papillorobustus, en freinant la démographie de G. insensibilis par une prédation supérieure, maintienne les populations des deux Amphipodes au dessous du seuil de compétition effective et permette leur coexistence (Thomas et al., 1 995). INFLUENCE DU PARASITISME DANS LES PROCES SUS DE C OLONISATION-EXTINCTION-RECOLONISATION L'immigration d'espèces hôtes dans un nouvel écosystème, ou dans une nouvelle zone biogéographique, s ' accompagne d' une augmentation de niches écologiques potentielles pour les parasites (immigrants comme résidents) ; de nouvelles associations hôtes- parasites sont susceptibles de s' établir à la faveur de transferts horizontaux entre taxons hôtes (Combes, 1 995) . Entre ces associations récentes et anciennes, il existe souvent une forte variabilité de susceptibilité qui peut empêcher, ou au contraire favoriser, les phénomènes de colonisation. Ces situations qualifiées de « choc d' hôtes » (Combes, 1 995) peuvent survenir même lorsque les espèces hôtes ne sont pas en compétition (Warner, 1 968). L E PARASITISME COMME B ARRI ÈRE À LA COLONISATION Les nouveaux parasites Les faunes parasitaires peuvent jouer le rôle de barrière à la colonisation pour de nouvelles espèces lorsque le « choc d' hôtes » est défavorable aux immigrants. La « non-expérience » de l ' espèce immigrante à un pathogène nouveau et la non-sélection d' une résistance (par flux régulier d' immigrants) sont des facteurs pouvant expliquer une susceptibilité supérieure des immigrants aux parasites des espèces résidentes (Combes, 1 995). Selon Freeland ( 1 983), un parasite est d' autant plus susceptible d' influencer négativement les processus de colonisation que sa spécificité est plus large. En théorie, ces phénomènes devraient jouer un rôle important dans les îles . En effet, dans les milieux insulaires où les populations sont généralement de plus petite taille et plus souvent soumises à des extinctions (Blondel, 1 995), la sélection naturelle devrait favoriser les parasites qui ont, ou qui évoluent vers, une moindre spécificité (Mas-Coma & Montoliu, 1 978, 1 987 ; Freeland, 1 983 ; Holmes, 1 990). De tels parasites généralistes, nouveaux pour des espèces immigrantes peuvent être associés à des conséquences pathologiques graves qui limiteront les risques d' invasion (Combes, 1 995). Le changement de fréquence parasitaire Une espèce immigrante peut également échouer lors d' une colonisation si l ' un de ses parasites est présent en fréquence différente dans le milieu colonisé 197 - (Freeland, 1 983 ) . Les travaux de Lafferty ( 1 993) sur le parasitisme du Gastéropode Cerithidia californica par des larves de Trématodes peuvent apporter, au moins en partie, une explication à ce phénomène. La reproduction asexuée de ces parasites aboutit le plus souvent à une castration du Mollusque hôte (Kuris, 1 973). Dans les lagunes où le parasitisme et le risque de castration sont élevés, les Gastéropodes ont une maturité sexuelle plus précoce. Ils présentent alors une plus petite taille (Lafferty, 1 993). Des transplantations réciproques entre sites ont montré que cette adaptation face au parasitisme est génétiquement déterminée, et a été probable­ ment sélectionnée en réponse aux pressions parasitaires locales (voir aussi Jokela & Lively, 1 995). Nous pouvons donc supposer que des immigrants issus de populations soumises à une faible pression parasitaire (i. e. maturité sexuelle tardive), seraient contre-selectionnés par une castration précoce s ' ils immigraient dans un biotope à forte pression parasitaire. A l ' inverse, des immigrants issus de populations fortement parasitées (i. e. maturité sexuelle précoce) poulTaient être contre-sélectionnés dans un milieu à faible pression parasitaire, par exemple si la maturité sexuelle plus tardive des résidents s ' accompagne d' une plus forte fécondité. Ainsi, les adaptations locales aux contraintes parasitaires, au même titre que les adaptations à d' autres variables du milieu (voir Blondel, 1 995 ; Dias & Blondel, 1 996), peuvent rendre les individus de différentes populations 'non­ interchangeables' On s' aperçoit dans ce schéma que si des parasites différents ont des effets similaires sur la valeur sélective de plusieurs espèces hôtes (e.g. les Trématodes ont par exemple la conséquence commune de castrer leurs Mollusques hôtes), un changement de fréquence parasitaire pour un immigrant peut être tout aussi néfaste à la colonisation qu'un changement d' espèces de parasites. Il serait peut être possible de parler de « chocs d' habitats » pour décrire ce cas particulier. L 'éthologie des résidents L' influence des parasites comme barrière à la colonisation peut aussi être éthologique, en s'exprimant au travers des comportements des espèces résidentes. Il existe de nombreux exemples de comportements sélectionnés chez les hôtes pour limiter les risques d' infestation (voir Hart, 1 994 et Combes, 1 995 pour synthèse). Dans la mesure où, d' une part l ' infestation par un pathogène non familier peut avoir de graves conséquences sur la valeur sélective d 'un hôte, et d' autre part tout immigrant est potentiellement porteur de pathogènes nouveaux, Loehle ( 1 995) a émis l' hypothèse selon laquelle chez certains primates, des comportements agressifs des individus locaux qui ont pour but d' éviter le contact avec les immigrants, pourraient s' expliquer par le risque parasitaire. LE PARASITISME FAVORISANT LA COLONISATION Les nouveaux parasites Ce phénomène est rencontré lorsque le « choc d' hôtes » est favorable aux immigrants, par exemple lorsqu'ils hébergent un parasite auquel les espèces résidentes sont sensibles. Il existe des exemples spectaculaires d' extinction provoqués par l'introduction de nouveaux parasites par, ou avec, les espèces immigrantes. Ainsi l ' essentiel des espèces endémiques de la famille des Drépani­ didés des îles Hawaii a disparu à la suite de l' introduction pratiquement simultanée 198 de nouvelles espèces d' Oiseaux, du pathogène Plasmodium relictum capistranoae et de son vecteur, le moustique Culex quinquefasciatus. L' aire de distribution de l' avifaune endémique s ' est alors réduite aux zones d' altitude où le vecteur est rarement présent (Warner, 1 968 ; Dobson & Hudson, 1 986). L' adaptation progres­ sive du vecteur aux zones d' altitude compromet l' avenir des dernières espèces endémiques (Blondel, 1 995). A mp lification démographique du parasite local au travers de l 'espèce immigrante Settle & Wilson ( 1 990) ont rapporté un exemple original de colonisation chez un Homoptère favorisée par un parasitoïde. Initialement (i. e. en allopatrie) les deux Homoptères Erythroneura variabilis et E. elegantula sont parasités par l ' Hyménoptère Anagrus epos. Cependant, les filtres de rencontre entre le parasi­ toïde et les deux Homoptères sont différents. E. variabilis dépose ses œufs plus profondément dans le parenchyme foliaire que E. elegantula, et est de ce fait moins susceptible au parasitisme. Lorsque E. variabilis est arrivé dans l' habitat de E. elegantula, la différence de susceptibilité a donné un avantage à l' immigrant E. variabilis et sa démographie s ' est immédiatement accrue. Même siE. variabilis est moins touché par A. epos, 1' augmentation de la population de E. variabilis a influencé positivement celle du parasitoïde. Ce phénomène, couplé à la plus grande vulnérabilité de l ' Homoptère résident, a contribué secondairement au déclin de sa population. Maintien de la colonisation Si les parasites peuvent favoriser la colonisation de nouveaux espaces par leurs hôtes, ils peuvent également contribuer à maintenir 1' occupation des nouveaux secteurs colonisés par ces derniers. Dans l' exemple d' Anderson ( 1 972), le Nématode Protostrongylus tenuis a favorisé la colonisation de vastes espaces par le Cerf de Virginie (tolérant au parasite), au détriment de plusieurs autres espèces d' Ongulés plus sensibles à l' infection. Les tentatives de réintroduction des espèces sensibles se sont avérées infructueuses tant que les habitats occupés par le Cerf de Virginie demeuraient des zones d' endémie parasitaire (Priee, 1 980) . PARASITISME ET COMMUNAUTÉ DE PRÉDATEURS : PERSPECTIVES Dans de nombreux cycles parasitaires complexes qui s ' incorporent dans une chaîne alimentaire hôte, il est démontré que les parasites modifient le phénotype de leur hôte intermédiaire en augmentant le risque de prédation de ce dernier par l' hôte définitif (phénomène de facilitation, voir Combes, 1 99 1 pour synthèse). Si les exemples d ' un tel phénomène sont nombreux, on a cependant peu d'informa­ tions sur les conséquences écologiques de ces manipulations parasitaires dans les écosystèmes. Cette méconnaissance est essentiellement due à un manque d' infor­ mations sur (i) la fréquence de ces parasites dans les écosystèmes, (ii) leur impact démographique sur les populations hôtes et (iii) leur influence sur le comportement des prédateurs. Les proies dont le comportement est modifié par les parasites sont souvent plus visibles et/ou présentent des comportements de fuite moins rapides 1 99 - pour les prédateurs. De ce fait, elles leur sont certainement accessibles à un moindre coût de recherche et/ou de capture. Déterminer si les prédateurs devraient éviter ou non ces proies parasitées, et ainsi bénéficier ou non des parasites, dépend du coût associé à leur propre infestation. Plusieurs auteurs (Bailey, 1 975 ; Moore, 1 9 8 1 ; Freedman, 1990 ; Lafferty, 1 992) ont suggéré que les parasites manipula­ teurs de comportement (PMC) ne pouvaient pas être réellement pathogènes pour les hôtes définitifs qui auraient, dans le cas contraire, développé plus ou moins rapidement des comportements d'évitement des proies modifiées. Il est donc possible d' envisager que dans le compromis entre coût à être parasité et bénéfice d' une prédation plus facile, le bénéfice alimentaire soit supérieur au coût (Lafferty, 1 992 ; voir cependant Connors & Nickel, 1 99 1 et Wedekind & Milinski, 1 996). De nombreux travaux ont montré que les prédateurs choisissaient les proies les plus profitables (Connel, 1 9 6 1 ; Davies, 1 977 ; B arbault, 1 9 8 1 ; Blondel, 1 995), et qu' ils concentraient leur effort de chasse là où les proies étaient les plus abondantes (Iwasa et al., 1 9 8 1 ; Brown & Morgan, 1 995), conformément aux prédictions de l' optimal foraging (Werner & Mittelbach, 1 9 8 1 ; Stephens & Krebs, 1 986). Compte tenu de la fréquence potentiellement élevée des PMC dans les écosystèmes (Bartoli, 1 974 ; Maillard, 1 976), et du bénéfice alimentaire qu' ils peuvent procurer aux prédateurs, il pourrait exister une relation positive entre densité/diversité des espèces prédatrices et la prévalence de certains PMC. Dans le cas de M. papillorobustus, les travaux de Rebecq ( 1 964) montrent qu' au moins 19 espèces de Limicoles et 4 espèces de Laridés bénéficient des Amphipodes à comportement modifié. Le parasitisme par M. papillorobustus pourrait donc agir en augmentant le potentiel trophique des lagunes pour les prédateurs (en terme d' accessibilité aux proies) sans représenter une menace véritable pour les populations d' Amphipodes. Il n' existe pas à l' heure actuelle d' étude prenant en considération l' ensemble des PMC et leurs conséquences sur l ' équilibre et 1 ' évolution des écosystèmes. Plus précisément, ces recherches permettraient de savoir : (i) s ' il existe une relation entre le parasitisme et le taux d ' exploitation des habitats par les prédateurs ; (ii) si une augmentation du potentiel trophique liée aux PMC s ' accompagne d'un relâchement de la compétition interspécifique influen­ çant positivement la diversité locale (diversité alpha) en espèces prédatrices et (iii) si la présence/absence de PMC influence la composition d 'un peuplement d 'un site à l ' autre (et dans le temps) au sein d'un habitat homogène. Ces questions relatives à la composante stochastique des assemblages d'espèces attirent un intérêt croissant en écologie (Blondel, 1 995). En pratique, même s ' il existe souvent de fortes variations de prévalence parasitaire entre sites, il est rare que les écologistes prennent en considération le parasitisme dans la définition d' habitats homogènes. Si les PMC influencent la densité/diversité des prédateurs, il est possible qu' une partie de la stochasticité des assemblages d' espèces ne soit qu' apparente. D ' un point de vue appliqué, les réponses à ces questions pourraient amener à prendre en considération le parasitisme dans les programmes de conservation, par exemple au travers d' une gestion compatible avec le maintien de différentes espèces impli­ quées en tant qu' hôte intermédiaire dans le cycle d ' un parasite jugé 'utile' . RÉFLEXIONS ET CONCLUSION Depuis les travaux pionniers de Park en 1 948, de nombreux exemples ont illustré le rôle déterminant des parasites sur les processus qui régissent l' organi- - 200 - sation des communautés à une échelle locale, ou régionale, et sur des pas de temps courts. Cependant, si certains mécanismes ont été identifiés, l' influence des 'arbitrages parasitaires ' sur l' organisation des peuplements reste largement à explorer. Comprendre l ' influence du parasitisme dans la structure et l' organisation des peuplements nécessite également que l ' on prenne en considération l' interdé­ pendance des différentes échelles spatiales. En effet, à la faveur du phénomène de contagion, un événement local, telle une arrivée de migrants, peut en théorie avoir des conséquences plus ou moins rapides à une échelle continentale. Certains auteurs considèrent à ce titre que des extinctions massives d' espèces auraient pu résulter des conséquences liées aux « chocs d' hôtes » (Priee et al. , 1 986 ; Combes, 1 995). Parallèlement, des parasites très pathogènes, qui affectent localement les assemblages d'espèces, ne peuvent parfois se maintenir qu' à une échelle régionale ou continentale (Priee et al., 1 988). Il existe aussi à ces échelles des exemples suggérant que le parasitisme puisse déterminer les répartitions géographiques des espèces hôtes (i. e. Wheatley, 1 980 ; Jaenike, 1 995). Sur des pas de temps plus longs (échelles de temps historiques), le parasitisme a pu influencer les richesses spécifiques en favorisant les phénomènes de spéciation chez les hôtes (Wheatley, 1 980) . Cette influence est très probable puisque les parasites sont capables d' influencer les processus de sélection sexuelle qui sont potentiellement généra­ teurs de spéciation (Schluter & Priee, 1 993 ; Andersson, 1 994 ; B arraclough et al., 1 995) . E n conclusion, o n sous-estime très probablement l e rôle de l' arbitrage parasitaire au cours de l' histoire des faunes. L' influence des parasites sur l ' organisation des peuplements d ' espèces hôtes doit être analysée à toutes les échelles spatiales et temporelles. La connaissance (in fine) de ces mécanismes devrait constituer un point central de l' écologie et particulièrement en biologie de la conservation. Quelles fonctions ou propriétés disparaîtraient dans l' écosystème si certains parasites disparaissaient ? Quelles sont les conséquences du parasitisme dans les situations insulaires continentales résultant de la fragmentation des habitats ? Pour répondre à ces questions, de nouvelles recherches, si possibles basées sur une démarche expérimentale, sont nécessaires. REMERCIEMENTS Les auteurs remercient vivement le Dr Jacques Blondel ainsi qu 'un lecteur anonyme pour leurs judicieux conseils concernant une version antérieure de ce manuscrit. Ce travail a été financé par le Ministère de l' environnement (Ecologie et Gestion du Patrimoine Naturel) . RÉ SUMÉ De nombreuses études ont illustré le rôle déterminant des parasites sur les processus qui régissent l ' organisation des peuplements. Dans cet article, nous proposons une synthèse des principaux mécanismes par lesquels les parasites influencent les assemblages d' espèces. Leurs rôles dans la compétition interspé­ cifique, la prédation et les processus de colonisation sont successivement abordés. Afin d' apporter des éléments d' information sur le rôle que tiennent les parasites - 20 1 dans l' équilibre et l' évolution des écosystèmes, nous proposons des thèmes de recherches à partir des interactions entre parasites manipulateurs du comportement de leurs hôtes et la communauté des prédateurs. SUMMARY Numerous works have illustrated the main role of parasitism in the ecology of host species. In this paper, we overview the maj or mechanisms by which parasites influence the community structure of host species. Their roles in interspecific competition, predation and colonization processes are envisaged respectively. In order to bring new informations on the prominent role of parasites in the evolution of ecos ystems, we propose fields of investigation from interactions between debilitating parasites and predator communities. RÉFÉRENCES ANDERSON, R.C. ( 1 972). - The ecological relationships of meningeal worm and native cervids in North America. J. Wildl. Dis. , 8 : 304-3 1 O. 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