tempête révolutionnaire, qui, au dire de l'impiété, devait anéantir l'Église, n'a donc été dans les desseins de Dieu qu'un vent
favorable dont le souffle a transporté le bon grain dans vingt contrées nouvelles où il ne cesse de produire au centuple.
Depuis un siècle l'action de la Providence tend visiblement à faire de tous les peuples comme une masse homogène,
comme un seul corps qu'un seul esprit doit bientôt animer. Car, disait il y a douze ans l'illustre comte de Maistre, «la
Providence ne tâtonne jamais ; ce n'est pas en vain qu'elle agite le monde ; tout annonce que nous marchons vers une
grande unité que nous devons saluer de loin, pour me servir d'une tournure religieuse. Nous sommes douloureusement
broyés ; mais si de misérables yeux tels que les miens sont dignes d'entrevoir les secrets divins, nous ne sommes broyés
que pour être mêlés ! » (Soirées, etc., t. I, p. 77).
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES. - DÉFINITION DE L'ÉDUCATION. - CARACTÈRES QU'ELLE DOIT REVÊTIR
Pas plus qu'une constitution politique, un bon système d'éducation ne peut être fait à priori ; il doit être l'œuvre du
temps, le résumé des enseignements du passé, l'expression des besoins du présent, et la loi organique des
desseins de la Providence sur l'avenir. C'est pour cela qu'avant d'expliquer ce que doit être l'éducation dans les
circonstances actuelles, nous avons essayé de caractériser notre époque, en signalant les causes générales qui l'ont
préparée et les principaux phénomènes qui la distinguent. Convaincus que nous marchons vers une grande unité, nous
disons que, sous peine d'entraver l'action divine sur le monde et de fausser la mission des générations naissantes,
l'éducation actuelle doit prendre un caractère éminent de catholicité.
Mais d'abord qu'est-ce que l'éducation ? Pour répondre à cette question fondamentale, il est indispensable de connaître
et la nature de l'homme et la condition de l'humanité sur la terre. Cette connaissance préalable est d'autant plus nécessaire
aujourd'hui, que, de toutes les notions, celle que les erreurs modernes ont le plus altérée, est la notion de l'éducation. Qui
ne voit combien cette altération a été profonde, puisqu'elle est parvenue à modifier le langage même ? Ainsi, par un abus
énorme, au mot éducation, presque effacé du langage, on substitue généralement celui d'instruction. Cependant
l'instruction n'est qu'une partie, et même une partie secondaire du développement humain1.
Au reste, ce point important ressortira clairement de tout ce que nous allons dire.
L'homme est tout à la fois corps, esprit et cœur. Chacune de ces trois choses a une vitalité distincte, une vie propre.
Quelle que soit la vitalité du corps, la vie de l'organisme est le mouvement ou l'action. Dieu, considéré comme vérité,
comme objet de perception, est le principe vital de l'esprit : vivre pour l'esprit, c'est connaître. Dieu, considéré comme bien,
comme objet d'amour, est le principe vital du cœur : vivre pour le cœur, c'est aimer. Or, ces parties intégrantes du même
être, le corps, l'esprit et le cœur, sont entre elles, ainsi qu'avec Dieu et avec l'univers, dans des rapports hiérarchiques, dont
le maintien, le développement, la perfection constituent l'existence, le développement, la perfection de l'ordre.
Point d'union entre le monde invisible et le monde visible, le corps est, d'une part, en relation de supériorité avec les
êtres matériels ; et, d'autre part, en relation d'infériorité avec les êtres spirituels. Par ses cinq sens analogues aux êtres et
aux propriétés spécifiques des êtres dont l'infinie variété compose la nature, l'homme physique règne sur le monde des
corps, les attire à lui, se les approprie, et, de leur vie qu'il absorbe, entretient et accroît la sienne2. La perfection de ces cinq
puissances constitue la perfection de l'homme organique, et lui assure un plein domaine sur la création matérielle qu'il
résume en lui.
Mais si le corps est roi, il est aussi vassal. Supérieur par sa nature, l'esprit domine le corps et par le corps le monde
physique. C'est par l'esprit et pour l'esprit que l'œil voit, que la main touche, que l'ouïe, le goût et l'odorat distinguent et
apprécient les sons, les saveurs et les odeurs ; en d'autres termes, c'est par les sens, organes de son action, que l'esprit se
met en rapport avec la vérité répandue et gravée en mille caractères divers dans les merveilles de la nature ; comme c'est
par la parole qu'il se met en rapport avec la vérité révélée dans le monde des intelligences. De même donc que notre corps
résume en lui le monde matériel, notre esprit résume le monde immatériel. Mais aussi, comme les opérations du corps
se rapportent à l'esprit, de même les investigations de l'esprit se font pour le cœur ; car, dans l'homme ainsi qu'en
Dieu, l'amour est le complément, le terme de l'action.
Rendue présente dans l'intelligence, la vérité devient donc le noble aliment du cœur ; il l'aime, il se l'assimile, et par une
loi de gravitation, type sacré de celle qui régit les corps célestes, il l'aime avec d'autant plus d'intensité qu'il s'identifie de
1 «C'est une erreur grossière de confondre l'éducation avec l'instruction, et de croire avoir élevé un enfant, quand on a cultivé son
esprit sans avoir rien fait pour son cœur. Quel est en effet le but de l'éducation ? Ce n'est pas seulement d'apprendre aux jeunes gens
du grec et du latin, de leur enseigner les belles-lettres, de les former aux beaux-arts, de charger leur mémoire de connaissances
géographiques, de faits et de dates historiques ; de les avancer dans l'étude de la géométrie, de l'algèbre, des mathématiques, de la
chimie, etc. Ces connaissances, j'en conviens, sont utiles et estimables... Cependant ces connaissances ne doivent être considérées
que comme moyens et non comme fin ; généralement elles sont destinées à nous rendre bons et utiles à la société ; mais elles
n'atteignent ce but que lorsqu'elles sont soutenues de bonnes mœurs et dirigées par la vertu. Quel cas ferons-nous d'un savant qui ne
fait servir la science qu'à l'orgueil, à la cupidité, à toutes les passions, au scandale des mœurs et au bouleversement de la société ?
Ce n'est que par les qualités du cœur que nous appartenons véritablement à nos familles, à nos concitoyens, à la société : la science
sans la vertu n'est qu'un instrument dangereux, et la vertu n'a de base que dans la religion. Le but des maîtres, encore plus que tout
cela, dit M. Rollin, après avoir parlé de la partie de l'instruction, est de former le cœur des jeunes gens, de mettre leur innocence à
couvert, de leur inspirer des principes d'honneur et de probité, de corriger et de vaincre en eux les mauvaises inclinations qu'on y
remarque. Étrennes religieuses, 1807, page 101.
Un homme ainsi élevé, c'est-à-dire pour qui on a soigné les études de l'esprit et négligé l'éducation du cœur, n'est
pas un homme, c'est un plâtre. Pensée du baron d’Ekstein
2 Toutes les créatures tendent à se perfectionner, c'est-à-dire à passer à une vie plus noble ; mais il faut pour cela qu'elles perdent
leur vie propre. Ainsi les corps inorganiques, servant de nourriture aux corps organiques, prennent par là la vie de l'être qui se les
assimile ; le végétal, à son tour, est absorbé par l'animal qui lui communique sa vie ; le végétal, l'animal, tous les règnes le sont pour
l'homme, qui, en se les assimilant, leur communique sa vie. Dieu à son tour attire l'homme à Lui, se l'assimile, et Lui communique Sa
vie divine et immortelle, et l'homme peut dire : Ce n'est plus moi qui vis : c'est Dieu qui vit en moi. Qui n'adorerait ici, muet d'amour et
d'admiration, le mystère où s'accomplit cette transformation sublime, qui ramène l'univers à l'unité !