Enseignement catholique Dieu par le bas

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Enseignement catholique
Dieu par le bas
Un tableau noir en classe, une main vient d’écrire à la craie « Ecole catholique. ET DIEU
» . C’est la couverture récente d’un hebdomadaire familial catholique1. Passons
sur ce titre assaisonné d’une pointe de mépris, pour nous intéresser au contenu : un éditorial
du directeur de la rédaction « Ouvrir les portes au Christ » et surtout un interview de
l’archevêque d’Avignon « Enseignement catholique. Réformer par le haut ».
DANS TOUT ÇA
Des formules vigoureuses, à l’emporte pièce : « dénaturation ou édulcoration du caractère
propre de nos établissements catholiques », « abus des valeurs de solidarité et d’ouverture à
tous », une proposition d’éducation à la foi, passant par « une remise en cause radicale de nos
conditionnements », « une catéchèse qui doit être complètement renouvelée ».
Une seule chose importe vraiment: annoncer le Christ. Et en conséquence, dans son
diocèse l’archevêque usera de son droit d'enlever le « label catholique » à tout établissement,
fût-il performant, dont le projet éducatif aurait relégué l'Évangile aux oubliettes.2
Voilà qui n’est pas ambigu et me rappellerait dans les conséquences prévisibles d’une telle
charte, mon éducation chrétienne dans un collège catholique dans les années trente, et sur
laquelle je pourrai être intarissable et narrer nombre de savoureuses, mais tristes, situations
vécues, d’un autre temps .
J’ai passé les cinquante années actives de ma vie de prêtre dans des établissements
d’enseignement catholique3. Pour l’essentiel comme Directeur après quelques années comme
professeur de philosophie et cadre éducatif. Je n’ai fait de catéchèse qu’occasionnellement. Et
à la lecture des propos cités je devrais être amené à me demander si je ne suis pas passé à côté
de ce qui aurait du être l’exercice de mon sacerdoce.
En fait j’ai la certitude d’avoir été pleinement prêtre, un prêtre heureux, d’avoir annoncé
l’évangile à ces milliers d’enfants et leurs parents qui les ont inscrits pour des raisons diverses
dans des établissements catholiques. Probablement à la manière de ces missionnaires qui en
blues jeans apprennent aux noirs d’Afrique à creuser un puits, à faire de la culture en ligne, à
fonder une coopérative, ce qui est aussi une façon d’annoncer Jésus Christ en aidant l’homme
à s’élever, à prendre conscience de sa dignité. Ce n’est probablement pas à ce type de
missionnaire que se réfère l’archevêque d’Avignon lorsqu’il nous dit : « J’ai passé quinze ans
de ma vie en Afrique à annoncer Jésus-Christ. Je ne vois pas pourquoi, maintenant que je
suis à Avignon, je ferais autrement. »
« Pour un certain nombre d'établissements, être chrétien se limite à faire de
l'humanitaire »
En lisant les propos de Mgr Cattenoz et les citations relevées par « La Croix » au sujet
de la charte qu’il vient de publier – « Ce que nous avons voulu faire avec notre charte
diocésaine : redéfinir la caractère propre de l’Enseignement catholique et ce par le haut,
non par le bas » - j’ai vu se lever, s’éveiller en moi nombre et nombre de visages, de
1
2
« Famille chrétienne » n°1498 du 30 Septembre au 6 Octobre 2006
« Recentrer l’enseignement catholique » La Croix 27.09.2006
3
Je devrais dire « établissements catholiques d’enseignement » puisque d’obscures raisons relevant du droit
canon, nous a-t-on dit, amenaient à rectifier la dénomination précédente. Les interprétations n’ont pas manqué.
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regards d’enfants, d’éducateurs, d’enseignants qui ont traversé ma vie et auxquels je
voudrais rendre hommage et honneur aujourd’hui.
Tous ils ont accompagné les démarches de ces enfants, ils ont cheminé avec eux. A
l’image de Dieu, ils ont été de ceux qui les ont accompagnés sur le chemin de leurs vies,
accommodant le rythme de leurs pas à celui du leur, soucieux de leurs itinéraires et
respectant , comme sur le chemin d'Emmaüs, les méandres et les courbes, et aussi les chemins
de traverse, ces itinéraires compliqués de toute vie. Agissant ainsi comme Dieu qui n’est pas
un Dieu immobile qui surveille et surplombe l’histoire des hommes et des petits d’homme,
un Dieu qui nous vient « par le haut » mais qui est un Dieu d'histoire venu tisser sa vie avec
la mienne, un Dieu qui a voulu que l'histoire des hommes soit aussi son histoire, que le
chemin des hommes soit aussi son chemin.
Tout prosélytisme se trouve donc ainsi écarté. Mais la « visibilité de l’Eglise » qui est
aujourd’hui tellement prônée, est-elle bien le signe de l’identité chrétienne ?
« La lumière du monde, ce n'est pas une lumière comme dans les grandes représentations,
mais celle qui vient de la foi, de l'espérance, de la charité et du pardon, de l'humilité. C'est
cela la visibilité de l'Église. (…) J'ai toujours pensé que la visibilité la meilleure est celle qui
découle de l'Évangile vécu. (…) Evangéliser, ce n'est pas seulement proclamer, c'est aussi
vivre l'Évangile. Et le faire circuler comme par contagion... » (Cardinal MARTINI).
Même celui qui n’est pas chrétien peut vivre l’Evangile, vivre la charte du « Sermon sur la
montagne ». J’en ai connu de ces enseignants qui portaient en eux les grandes interrogations
de l’existence, et qui par osmose les faisaient se lever chez les enfants, mieux, bien souvent,
que des chrétiens affichés.
« Pour un certain nombre d’établissements être chrétien se limite à faire de
l’humanitaire » , l’on est tombé dans un « humanitarisme bon teint » nous dit Monseigneur
Cattenoz. L’évangile est pourtant rempli des récits de l’humanitarisme de Jésus : il n’est que
de voir la place qu'y occupent les guérisons de paralytiques, d’aveugles, de boiteux, de
muets : « Il rendait la santé à tous ceux qui avaient besoin de guérison » (Lc. 9.11) ; sans parler
des résurrections, et du souci de donner du pain à ceux qui ont faim : « Il fut ému de
pitié pour eux » (Mc.6.34)
C’est tout à l’honneur de l’Enseignement catholique d’être humanitaire, de se pencher
comme le samaritain – le prêtre et le lévite ayant passé leur chemin – sur les blessés de la vie.
Et les blessures aujourd’hui ne sont pas que matérielles.
Il est vrai que l’on entend de plus en plus dans certains milieux ecclésiastiques et de laïcs
chrétiens parler avec un certain dédain d’un « humanisme généreux » qui aurait fait perdre de
vue la mission de l’enseignement catholique. Mais celui-ci à ses origines, même s’il a parfois
oublié l’esprit de ses fondateurs, a toujours été humaniste : par l’enseignement, la culture, une
« pédagogie de l’intelligence ». Il a toujours eu le souci d’élever à tous les sens du mot les
enfants, de les appeler à se mettre en marche, à aller de l’avant dans la découverte de leur
humanité, parce que il sait depuis longtemps que l’interpellation de Dieu se fait au niveau de
l’homme en croissance, en progrès, en devenir, que c’est cela la pratique de Dieu envers
l’homme.
Nous est dessiné dans cette charte le programme qui sera mis en place en sixième. Des
étapes, à marches forcées, datées au long de l’année scolaire, au contenu précis; des enfants
de milieux, de niveaux scolaires, culturels et religieux très divers. Un programme qui, au
dernier trimestre, devrait aboutir à « ce que l’Esprit saint a fait faire aux premiers chrétiens au
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matin de la Pentecôte : « Proclamer les merveilles de Dieu, proclamer que Jésus a transformé
leur vie ».
Tout enseignant sait bien que « finir le programme » est une hantise qui stérilise la
pédagogie, tout éducateur sait bien que nos hâtes éducatives sont souvent le fruit de nos
inquiétudes quant à la transmission de notre religion comme de nos certitudes apostoliques
autant que de nos projets évangéliques, tendant ainsi, sans le vouloir, à « formater » des
chrétiens, parce que nous avons mis à l’écart la seule médiation qui soit, l’enfant lui-même.
On ne peut s’empêcher de craindre aussi que cette méthode relève d’un souci de recruter,
des cohortes de chrétiens rangés comme des croisés sous la bannière du Christ. J’ai connu
cela à l’école dans mon enfance. J’ai aussi connu beaucoup de déserteurs par la suite.
Quand apprendrons-nous enfin que « l’éducation n’est pas chrétienne parce qu’elle
concerne des baptisés ou privilégie les occasions d’enseignement religieux. Elle l’est d’abord
parce qu’elle se veut et se rend attentive et accueillante à cette vocation entière de l’homme
que Dieu appelle par son nom. » 4
Ce qui relève de l’alpinisme spirituel, du volontarisme spirituel sur un chemin par trop
balisé, est suspect parce que nous savons bien que nous ne pouvons pas appréhender Dieu, à
moins que nous ne soyons des pharisiens, qui se réfèrent à un Dieu d’en haut, un Dieu
surplombant, un « Dieu du regard » devant lequel ils pensent pouvoir se justifier par leurs
mérites bien davantage que par la foi. Ce spiritualisme pourrait friser le déisme et semble
plus platonicien que chrétien et évangélique. La lecture de la parabole du pharisien et du
publicain trouverait sa place ici. Mais peut-on être rejoint par la vérité de Dieu lorsqu’on est
enfermé dans sa propre et unique vérité ?
Pédagogie d’un Dieu d’en bas.
L’enseignant et l’éducateur s’ils le sont par tout eux-mêmes, coïncident dans leur travail
quotidien avec cette pédagogie de Dieu à notre endroit.
Une pédagogie de l’attente. Une attente de l’avenir, d’un bien encore indéterminé, des
promesses en devenir, en travail de germination au cœur de chaque enfant. Attendre en
suscitant, en privilégiant chez l’enfant la découverte et l’écoute de la conscience, cette fidélité
à l’Esprit qui, seule, peut éclairer la conduite morale.
Cette attente est espérance, elle est vigilance inaltérable, elle attend Dieu de Dieu luimême. Elle est l’attente même que Dieu, en parfait éducateur, pratique envers nous avec tant
de patience.
Ainsi va l’enseignant, qui cultive la même patience que celle de Dieu, la patience de
l'agriculteur qui, ayant semé, guette la lente germination de la plante et se tient tout proche
d'elle comme le tuteur pour accompagner la maturation du fruit.
La montée de la sève est sans bruit dans les arbres, et on n’épanouit pas une rose en tirant
sur ses pétales.
Ce sont les enfants eux-mêmes qui nous apprennent l’infinie patience du Seigneur et
surtout lorsque les voyant comme des puits comblés et desséchés, nous soulevons pierre à
pierre pour dévoiler la source qui était cachée à leurs propres yeux. Nous sommes les
sourciers de l’eau vive qui dort en eux, - nous n’avons pas à remonter à la source : elle est là
4
Marguerite LENA « L’esprit de l’éducation » :chapitre : « Une éducation fondée en Christ » p. 34
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en eux - nous sommes appelés à les aider à déchiffrer dans les couches de leur âme les
souffles et les silences de la vie, le mystère qui les habite, les desseins mêmes de Dieu. Ce
Dieu qui, comme le potier, affine l’ébauche de leur devenir appelé à s’ouvrir à l’inédit de son
nom.
Il faut respecter la lenteur des maturations, des éclosions. Il nous faut retrouver le temps
de l’esprit : celui de l’intelligence et celui de l’Esprit Saint et nous souvenir que
l’évangélisation passe par les médiations humaines et donc en ce qui nous concerne par
l’enseignement et la culture
Nous sommes une religion de l’incarnation. Trop souvent l’évangélisation l’a oublié au
nom d’une distinction du temporel et du spirituel, d’un « sur-naturel » qui nous survient par le
haut.
C’est l’honneur de l’Enseignement catholique que d’être fidèle à sa mission qui est de
travailler le terrain culturel pour le rendre accessible à une parole d’évangélisation. Et ce
travail ne dure pas seulement de fin Octobre jusqu’en Mars comme il est prévu dans le
programme catéchétique d’Avignon.
L’évangélisation ne commence pas avec la catéchèse si surtout elle est une spécialité et
pire encore, une discipline scolaire. Elle commence bien en aval, dans une culture et dans le
savoir qu'on transmet aux enfants et dans lesquels il peuvent être éveillés à pressentir qu’il y
a un au delà du réel et qu’une parole nous vient d’ailleurs.
« Il nous faut ouvrir les hommes à Dieu avant de révéler Dieu au monde » (Mgr.Matagrin)
On ne rejoint pas Dieu par des normes et des définitions, mais par un éveil.
La loi Debré
C’est peut-être ce qui nous distingue, nous de l’enseignement catholique, de ceux qui font
descendre la pastorale par le haut : la passion de l’histoire de tous les hommes qui continue à
s’écrire. A l’école déjà, derrière ces visages chiffonnés, lisses, ou ceux dont le sourire dit le
cœur, derrière ces yeux vides, fuyants, ou ce regard pétillant d’étoiles nous apprenons Dieu.
L’évangélisation s’inscrit dans le fil des histoires humaines même celles qui sont glauques
et il nous est donné, à nous éducateurs et enseignants de découvrir Dieu toujours en travail
d’accompagnement des petits d’homme sur leur chemin d’Emmaüs.
Avec la loi Debré, qui faisait obligation d’accueillir tous les enfants sans aucune
distinction ce ne fut plus seulement des enfants de chrétiens qui fréquentèrent ce qui était
alors des « écoles de chrétienté » mais le « tout venant » comme on osa le dire. Oui tous, les
enfants de Dieu !
Des visages d’enfants au visage de Dieu voilà ce que nous a apporté, pour un bon nombre
d’entre nous, la rencontre de jeunes qui pour beaucoup vivent aux marges de l’Eglise, loin de
la religion pratiquante mais – peut-être à cause de cela – sont souvent plus disponibles à
l’interrogation religieuse.
« Je crois que la loi Debré de 1959 qui avait pour but d’intégrer progressivement les
écoles catholiques dans l’Enseignement public (sic), est arrivée à ses fins » déclare
l’archevêque d’Avignon, récupérant au passage une parole que lui aurait dite un jour le Père
Cloupet5 qualifié de « directeur national de l’Enseignement catholique » .
5
Le Père Max Cloupet décédé en 2005 à son retour de Rome où il avait été Recteur de Saint Louis des Français,
aurait confié un jour (à quelle date ?) à Monseigneur Cattenoz: « Aujourd’hui il faudrait fermer de 60 à 70 %
des établissements qui ne sont plus que des établissements libres »
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En fait lors de son discours d’adieu en quittant son poste de « Secrétaire Général de
l’Enseignement catholique », le Père Cloupet déclarait : « La loi du 31 Décembre 1959, dite
loi Debré, si elle a bousculé – fort heureusement à mes yeux – notre pastorale scolaire, a fait
faire bien des pas en avant aux responsables de notre système éducatif ». Et encore : « A
celle-ci [l’Eglise] l’Enseignement Catholique donne des chances et fait courir des risques. Des
chances parce qu’elle lui permet de rencontrer le monde de l’école, pas seulement par des
déclarations prédicantes qui pourraient lui permettre d’être intemporelle et sans ride, mais en
acceptant de n’avoir comme certitude que celle de devoir rejoindre sans cesse les exigences
de l’Evangile »6.
L’agrément donné à une école catholique
Pour moi, cet agrément, que l’archevêque d’Avignon est prêt à enlever à certains
établissements de son diocèse, du fait que « beaucoup d’établissements catholiques n’ont plus
de catholique que le nom » je le trouve dans ces paroles du Cardinal MARTINI :
« L'envoi de Jésus dans l'évangile de Matthieu: "Allez donc, de toutes les nations faites
des disciples [...] leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit " (Mt 28, 19-20).
Faites qu'ils vivent comme moi, qu'ils vivent le discours sur la Montagne qui leur enseigne la
vraie liberté du cœur dont tous les hommes ont besoin, qu'ils soient baptisés ou non,
pratiquants ou non, juifs ou musulmans, bouddhistes ou athées, agnostiques progressistes ou
conservateurs, voire indifférents. Parce que tous les hommes sont appelés à entrer dans la
liberté du Christ. (…) Voilà un aspect de la mission d'évangélisation, une façon d’aider qui
peut être proposée à n'importe qui, en faisant abstraction de son appartenance religieuse et de
sa foi. (…)
Cette vie de disciple à l'école du discours sur la Montagne semble plus acceptable,
aujourd'hui, c'est un fait, que le baptême lui-même dans bien des milieux européens et
asiatiques surtout. Il nous faut nous en rendre compte pour éviter de faire de la nouvelle
évangélisation un simple prosélytisme confessionnel qui se heurte à des murs et se voit donc
refusé. »7
P.Jacques Maréchal s.j
19 Octobre 2006
6
7
P.Max CLOUPET Discours lors de la cérémonie de son départ du Secrétariat Général. 21Octobre 1994
Cardinal MARTINI «Mets de l'ordre dans ta vie» pp.108-109.
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