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surtout l'inspecteur Caspar Neumann, méprisaient paradoxalement la scolastique qu'ils
devaient enseigner. Wolff signale notamment que Gryphius "ne pouvait souffrir la
philosophie scolastique5." Il est évident que ce hiatus a posé le problème de départ, a
contribué à former le jugement critique de Wolff et l'a poussé à vouloir dépasser cette
opposition par le recours à une nouvelle façon de penser. Il étudia le syllogisme très tôt au
contact des jésuites de Breslau qu'il visitait souvent pour discuter avec eux6, puis, de manière
plus détaillée, avec l'étude des traités de Johannes Scharf et de Rudolf Agricola, qui
perpétuaient, avec des variantes de détail, la scolastique de Philippe Melanchthon. Il se
montra particulièrement assidu à l'étude des mathématiques, surtout l'algèbre, cela sans
négliger pour autant l'ensemble des matières, qui étaient enseignées dans un souci
encyclopédique. Néanmoins, il faut souligner que le fait de creuser plus avant l'étude des
mathématiques était chez lui le résultat d'un effort personnel, car le travail au collège était
généraliste et évidemment dominé par la théologie. En ce domaine, les historiens s'accordent
à dire que Caspar Neumann contribua beaucoup à former sa pensée, dans la mesure où les
disputes incessantes entre catholiques et protestants, et dans lesquelles il prenait souvent part
lui-même, ne pouvaient être résolues, selon lui, ancien élève et disciple de Weigel, sans une
nouvelle méthode de démonstration plus rigoureuse et plus convaincante, non plus inspirée de
syllogismes supposés stériles, mais seulement conduits par les mathématiques et la certitude
apodictique qu'elles permettent. Le rejet du syllogisme le poussait donc à chercher du côté des
mathématiques une méthode d'exposition parfaite7 de la pensée théologique, ainsi qu'une
manière de découvrir de nouvelles vérités, thème qui le préoccupait beaucoup. Il ne faut donc
pas croire que le Gymnase fut pour lui l'occasion d'approfondir beaucoup ses connaissances
dans ce domaine. Il s'en plaindra d'ailleurs ouvertement dans le Ratio praelectionum, où il
montre que, finalement, les seuls ouvrages accessibles étaient ceux, déjà anciens, de Ch.
Clavius :
§ 13) Il n'y avait pas dans la patrie de quoi assouvir mon désir. En effet, les mathématiques que l'on enseignait
dans le Gymnase de la patrie n'allaient pas au delà de l'explication des termes et de la description des figures. Et
quoique j'eusse décidé de continuer avec mes propres forces vers d'autres connaissances, il se présentait
cependant différents obstacles qui retardaient le progrès. Je rencontrais les Eléments d'Euclide, édité et
commenté par Clavius, que je regrettais pour la prolixité excessive, (...). En ce qui concerne l'algèbre, il ne
5 EL, p. 115.
6 "Vers la fin du XVIIème siècle, la situation religieuse de Breslau est caractérisée par un accès de rivalité entre
l'élément protestant et catholique, de force presque égale. Particulièrement énergique était l'action déroulée dans
le camp catholique par les jésuites qui, arrivés à Breslau en 1638, y fondèrent un collège en 1657. La rivalité
entre les deux partis conduisit à des discussions interminables, auxquelles Wolff, dans le temps où il fréquentait
le Gymnase, participa activement avec son professeur, le théologien Neumann. Wolff lui-même relate de telles
controverses dans le Ratio [Praelectionum], dans lequel il raconte que, adolescent, il débattait avec quelques
moines, avec lesquels il était dans une grande familiarité. Ces discussions, conduites avec des argumentations
syllogistiques, exercèrent une profonde influence sur l'orientation de la pensée wolffienne" (R. Ciafardone, op.
cit. , pp. 55-56. [Nous traduisons]. Voir RP, sect. II, ch. II, §§ 5-8, pp. 120-121.
7 Le Discours préliminaire sur l'art d'enseigner les mathématiques, qui commence le premier volume des
Elementa matheseos universae de 1710, donne un bon aperçu des principes de cette méthode mathématique.