Il faut souligner que, malgré toutes les divergences, le stéréotype à travers toutes les définitions a conservé un noyau
que Amossy (1991 : 30) résume ainsi : « en effet il est toujours présenté comme relevant du préconçu et du préconstruit,
lui-même enraciné dans la collectivité (le groupe, la société, la culture) ». En plus, il est souvent caractérisé par trois
aspects – l’association, l’obligation et la répétition.
Le stéréotype est d’abord une association d’éléments. Il désigne une idée conventionnelle associée à un objet, à une
notion, à une idée ou à une construction (en linguistique). Dans son sens originaire lié à l’activité typographique la
notion de stéréotype évoque toujours l’idée d’un phénomène qui se reproduit à une multitude d’exemplaires, c’est-à-
dire l’idée de répétition. Il en suit que le stéréotype est une association d’éléments figée et solide qui est répétable. En
plus le stéréotype cherche toujours à contraindre. Il oblige à faire des « automatismes » qui sont destinés à la répétition.
C’est le troisième aspect, l’obligation, qui ressort de là.
Pour que l’emploi absolu d’un verbe donné soit stéréotypique, il faut que cet emploi possède aussi trois aspects
principaux du stéréotype – l’association, l’obligation et la répétition. Aucun d’entre eux ne peut manquer. Pour
expliquer cette idée prenons l’emploi absolu du verbe boire:
(1.) Un homme qui boit.
Dans cet exemple le verbe boire, normalement transitif, est en emploi absolu. Donc, employé sans objet. Cet emploi du
verbe boire est associé au sens spécifique ’boire souvent des boissons alcoolisées’. Il s’agit d’une association nouvelle,
distincte de celle à l’origine (boire qc dans le sens 'se désaltérer'). Cette nouvelle association de boire mentionnée ci-
dessus est transmise de génération en génération sans se demander pourquoi l’objet n’est pas exprimé. (On parle de
sujets parlants qui ne sont que des utilisateurs de la langue, il ne s’agit pas de linguistes).
L’obligation peut être comprise aussi comme « une déviation » de règles linguistiques qui forme une construction
nouvelle mais régulièrement utilisée et tout à fait correcte pour toute la société donnée ou pour sa partie (bien que du
point de vue linguistique l’objet non-exprimé soit attendu). Dans ce cas-là, il s’agit de l’emploi du verbe transitif boire
sans objet.
L’association et l’obligation ne suffisent pas pour constater qu’il s’agit d’un stéréotype. Il faut que cette nouvelle
construction avec le sens nouveau soit répétable. Sur le plan linguistique ce sont justement des ouvrages
lexicographiques, des dictionnaires, qui attestent que des associations nouvelles sont employées dans une communauté
linguistique d’une manière régulière.
Verbes à objet spécialisé
Le plus haut degré de la stéréotypie selon Marello (1997 : 305) est présenté par les verbes à « objet spécialisé ». Il s’agit
d’emploi absolu de verbes transitifs où le référent implicite est lié à un lexique spécialisé. Ce référent est bien connu par
la communauté entière ou par sa partie.
Prenons l’exemple du verbe tasser :
(2.) Il faut tasser.
La phrase telle qu'elle est présentée sous l’exemple (2) n'est pas claire pour chacun. Seulement ceux qui s’intéressent au
sport savent que le sens du verbe tasser dans cet emploi est ‘bloquer le joueur’. Or le référent implicite du verbe tasser
est un joueur (le plus souvent un adversaire).
On voit que la perte de l’objet se fige souvent dans un cadre bien déterminé. C’est la connaissance de ce cadre qui
facilite son interprétation et réduit les significations possibles à un sens particulier, conforme à ce cadre.
L’emploi des verbes similaire à celui du verbe tasser est très étroitement lié à l’hypothèse de H. Putnam (1975)
concernant « la division du travail linguistique » qui est, selon Hilary Putnam, pareille à la division du travail réel.
Putnam caractérise son hypothèse concernant « la division du travail linguistique » ainsi :
Every linguistic community exemplifies the sort of division of linguistic labor as : possesses at least
some terms whose associated ‘criteria’ are known only to a subset of the speakers who acquire the
terms, and whose use by the other speakers depends upon a structured cooperation between them and
the speakers in the relevant subsets. (Hilary Putnam, 1975 : 228)
Il en suit que la compétence sémantique est distribuée de façon non homogène dans une communauté linguistique.