NOTES BIBLIOGRAPHIQUES ÉTUDES BIBLIQUES La littérature johannique en langue française s'est enrichie ces derniers temps de trois nouveaux ouvrages, visant tous un public cultivé assez large mais se complétant mutuellement par leur méthode particulière d'aborder la pensée de saint Jean. Le Quatrième Évangile du R. P . Bouyer est un commentaire bref et ramassé de l'écrit johannique tout entier 1. L'auteur évite tout apparat scientifique, toute discussion d'opinions qui aurait pu gêner un effort de pénétration calme et sereine de la pensée si hautement spirituelle de saint Jean. Il n 'hésite pas à s'arrêter plus longuement à des passages clefs, quitte à se contenter ailleurs de réflexions succinctes ou même d'une simple paraphrase du texte. C'est donc essentiellement une lecture méditée du quatrième évangile que le P. Bouyer offre aux chrétiens; un commentaire qualifié certes au point de vue exégétique, dégageant bien le sens général du texte, mais sans aller jusqu'à en montrer toutes les implications plus difficilement saisissables. Quelques réflexions préalables introduisent ce commentaire: l'originalité du quatrième évangile; son auteur; l'idée johannique de l'histoire ; les caractères littéraires, le plan et le contenu de l'ouvrage. Le R. P . Boismard, nous le savions déjà par son travail sur le Prologue, n'hésite pas à entraîner ses lecteurs dans les dédales de l'exégèse. Persuadé qu'il faut peiner sur les difficultés d'un texte pour pouvoir en saisir le sens et les moindres nuances, il commente maintenant Jo. l, I9-II, II, Du Baptême à Cana 2, étudiant patiemment l'arrière-fond vétéro-testamentaire et judaïque du texte, éclairant chaque passage à l'aide des lieux parallèles johanniques, développant assez longuement le détail de certaines discussions, mais tout cela dans un langage simple et accessible et avec une clarté vraiment remarquable. Excellente méthode, nous semble-t-il, qui aide à pénétrer profondément dans l 'évangile, à en expérimenter vivement les dimensions éternelles. Saint Jean en effet suggère les choses plus qu'il ne les dit, nous projetant ainsi indéfiniment dans l'infinité du mystère dont il parle, mais qu'il n 'arrive pas à exprimer et qu'intentionnellement il ne veut pas emprisonner dans les cadres restreints du langage humain. Pour comprendre saint Jean, il ne faut jamais se séparer de son langage à lui ; s'efforcer au contraire d'en épuiser toutes les possibilités, souvent multiples, toujours complexes. Travail difficile, qui exige un esprit intuitif et imaginatif, en diapason avec celui de l'évangéliste, ainsi qu'un sain équilibre empêchant d 'imposer au langage ouvert et souple de saint J ean des fantaisies qui n'ont plus rien de commun avec sa pensée. Les commentaires du P. Boismard font preuve de toutes ces qualités. On sait qu'il n'aime p as les chemins battus; il a même un certain faible pour I. Louis BOUYER, Le Quatrième Évangile, bltrodl~ction à l'évangile de Jeall, traduction ect commelltaire, « Bible et Vie chrétienne », l vol. de 240 pp., Tournai et Paris, asterman, 20 éd., 1955. 2 . M.-É. BOTSMARD, O.P., DII Baptême à Catla (Jean, l , I9 -11, II J, « Lectio divina» 18, l vol. de 172 pp., Paris, éd. du Cerf, 1956. . I90 REVUE THOMISTE des solutions peu communes. Même là où l'on ne le suivra pas, on recueillera toujours avec fruit ses réflexions pertinentes, éclairantes d'une manière ou d'une autre pour l'intelligence du quatrième évangile. Une conclusion importante ressort de ce que nous venons de dire: conceptualiser la pensée johannique, c'est forcément la dépouiller en partie de son dynamisme inné et connaturel, la diminuer et l'appauvrir dans une certaine mesure. Toute théologie biblique, si valable soit-elle, entraîne nécessairement cet inconvénient. On ne l'accepte que pour gagner sur un plan ce que l'on perd sur l'autre. On l'accepte d'autant plus volontiers qu'une théologie biblique ne pourra jamais être un but en soi, un système qui se repose en lui-même. Moins immédiatement au service du texte sacré, puisqu'elle renonce à le suivre pas à pas, la théologie biblique y puise non seulement tous ses éléments constitutifs mais encore l'esprit selon lequel elle les organise. Elle ne doit jamais rien inventer ni majorer, mais seulement présenter dans un ensemble plus ou moins réussi ce qui, d'une manière explicite ou implicite, est réellement contenu et exprimé dans la Bible. La construction d'un système aussi cohérent, aussi parfait et complet que possible, n'est pas et ne pourrait être le but de la théologie biblique. Ce n'est qu'en reconnaissant ces limites qu'on en appréciera la raison d'être et la véritable grandeur. Finalement la théologie biblique nous ramène au texte même de la Bible dont en réalité elle ne s'est jamais séparée, mais, cette fois-ci, pour nous permettre d'y pénétrer plus profondément, d'en avoir une connaissance plus ample et plus unifiée. Comme la théologie spéculative, et conjointement avec elle, la théologie biblique est appelée à se dépasser elle-même dans une vue de sagesse, une connaissance épanouie et dépouillée de la Révélation et, surtout, de Celui qui se révèle. L'étude sur la pensée de saint Jean que vient de publier le R. P. Bonsirven a été écrite dans cet esprit!. Pour la présenter aux lecteurs, il nous a semblé utile de rappeler quelques principes qui doivent guider la lecture de ce livre et permettre de ne lui demander que les services qu'il entend rendre, et peut réellement rendre, à tout chrétien désireux d'acquérir une connaissance approfondie de la pensée de saint Jean. [M.-R. W.] *** G.-E. CLOSEN, S.J., Clefs pour la sainte Écriture, Considérations théologiques sur les idées religie'uses fondamentales de l'A ncienne A lliance, traduit par Robert Avice, avec un avant-propos de Jean Décarreaux, coll. « Renaissance et Tradition », 1 vol. de 312 pp., Bruges, éd. Beyaert, 1954. L'A. n'a pas voulu faire un répertoire des thèmes fondamentaux de l'A. T. ou une initiation biblique complète, mais son intention est simplement d'introduire à une lecture fructueuse de la Bible, .d'appreI].dre au croyant à écouter le Dieu qui parle . Pour cela, un certain nombre de textes de l'Ancienne Alliance, récits, prophéties ou psaumes - pas nécessairement les plus centraux, ni les plus essentiels mais toujours significatifs - sont commentés et expliqués. Le P. Closen écarte délibérément la méthode allégorisante, pour préférer le sens littéral. Commentaire direct, sans pédantisme, informé des travaux critiques contemporains à la publication du livre (l'horizon exégétique de l'ouvrage, de la sorte, ne dépasse pas 1940). L'A. s'attache à montrer, à propos de chaque thème abordé, sa permanence et son développement 1. 240 Joseph BONSIRVEN, S. J ., Le Timoitl dl, Verbe, le Disciple pp., Toulouse, Apostolat de la Prière, 1956. . biel~-aimé, 1 vol. de ~OTES BIBLIOGRAPHIQUES dans la littérature hébraïque, puis son « accomplissement» dans la nouvelle économie, non sans marquer au passage son originalité dans le contexte religieux du monde gréco-oriental. Les citations patristiques, encore trop peu nombreuses à notre gré, une r éférence fréquente à la liturgie de la Nouvelle Alliance, viennent élargir la perspective. La leçon qui se dégage, c'est la gratuité du don divin. Toute démarche religieuse commence par l'initiative de Dieu. Quid autem habes quod non accepisti? C'est aussi et surtout l'humilité des interventions divines jusque dans l'immensité de la grâce du Tout-Puissant. La Bible n'en est-elle pas le t émoignage ? La sagesse de Dieu ne s'est-elle pas a néantie, rapetissée jusqu'à épouser la faiblesse du parler humain? I nfirma mundi elegit Deus. Ce thème de la petit esse des moyens choisis par Dieu, de l'humilité de la Geste divine, emporte la conviction. On songe au mot de Pascal: «Jésus-Christ dans une obscurité (selon que le monde appelle obscurité) t elle que les historiens, n'écrivant que les importantes choses des États, l'ont à peine aperçu. » Le style de la traduction (1954) est correct. Parfois, le commentaire est un peu lent, pas assez nerveux. Les légères fautes de goi'it qu 'on y pourrait relever sont l'exception. C'est un livre à recommander aux catéchistes, à tout chrétien désireux d 'aborder la Bible avec fruit. [P.-L. C.] TEXTES ET MANUELS L'Éducation, « Les Enseignements pontificaux », Présentation et Tables par les Moines de Solesmes, l vol. de X-51 2-[72] pp., Paris, Desclée et Cie, 1955. L'excellente collection des textes pontificaux dont nous avons déjà présenté les premiers volumes s'est enrichie d'un nouveau recueil dont il est facile de saisir l'importance et l' actualité. Il est consacré à l'Éducation. Sa richesse défie l' a nalyse. Recueil ne signifie pas ici « morceaux choisis », ou du moins le choix ne laisse de côté, da ns les documents qui ne sont pas intégralement cités, que ce qui ne concerne pas l'éducation. On a donc bien l'ensemble des documents pontificaux depuis Pie VII concernant un sujet capital dont l'Église s'est si constamment préoccupée. Il était particulièrement opportun de les réunir. Les répétitions mêmes soulignent la continuité de la tradition; et l' élargissement , l'enrichissement, de l'enseignement des papes contemporains, manifeste une vigilance attentive à toutes les données nouvelles. Le plan général de la synthèse ainsi obtenue reste simple. Deux parties: 1. L'éducation de l'homme racheté; II. Le naturalisme dans l'éducation. Chacune comprend deux ch apitres. - Pour la première : 1. Sociétés compétentes en m atière d'éducation (famille, Église, État) ; 2. L'excercice de l' éducation chrétienne. - Pour la seconde: I. Le fléau du n aturalisme; 2 . Les remèdes au naturalisme. Mais ce cadre est abo ndamment rempli. Devant cette synthèse, on ne pourra pas dire que l' enseignement m agistériel resterait « négatif ». P lus encore que les condamnations et les résistances par rapport à l'école « laïqu e» (qui sont dans toutes les mémoires mais dont on t,~ou~era ici les raisons profondes et la véritable orientation). on remarquera 1 mSlstance sur le devoir d'éducation, ses buts, ses méthodes. On s'arrêtera particUlièrement, comme il est normal, à l'enseignement religieux, destiné à nourrir progressivement et solidement une foi v ivante, en se souciant de ne pas laisser la culture proprement chrétienne du fidèle à un niveau inférieur à la culture qu'il acquiert par ailleurs dans les domaines profanes. Citons au hasard : « Faites en sorte que vos enfants et vos jeunes gens, à mesure qu'ils 192 REVUE THOMISTE progressent sur le chemin des a nnées, reçoivent aussi une instruction religieuse toujours plus vaste et plus fondamentale ... )) (p. 372, n. 478). Tous les éducateurs chrétiens et les catéchistes auront à cœur de méditer ce recueil rendu si aisément accessible par les diverses Tables, logique et alphabétique, soigneusement établies par les Moines de Solesmes. ** * S. THOMAE AQUINATIS, Opusculum de Ente et Essentia, «Textus philosophici)) in linguam japonicam translati cura Instituti S. Thomae Aquinatis Kyôtoensis, edidit V.-M. POULIOT, O.P., cum cooperatione D. A. KUSAKA, Kyôto (Japon), Institut Saint-Thomas d 'Aquin, 1955. L'Institut thomiste de Kyôto inaugure une collection de textes philosophiques médiévaux accompagnés de leur traduction japonaise. Le premier volume contient le de Ente et Essentia, présenté par le R.P. V.-M. Pouliot, avec le concours de M. A. Kusaka. Il ne nous appartient pas d'apprécier la qualité de la traduction; mais comment ne pas saluer avec joie une initiative pleine de promesses, qui est déjà le fruit d'un long travail préparatoire de recherches et de coopération intellectuelle? Une Préface trace rapidement le portrait de ce précurseur que fut le P. Iwashita, auquel le R.P. Pouliot dit sa reconnaissance admirative. C'est grâce à lui, quoique après sa mort, que l'Institut thomiste put être fondé en 1945. Il a pris depuis un très bel essor. Pour l'établissement du texte, le P . P. s'est servi de l'édition critique du P. Perrier. Une substantielle introduction (en français, puis en japonais), suivie d'une abondante bibliographie, expose les notions essentielles, utilisant très spécialement les travaux de M. Ét. Gilson. On ne peut que féliciter chaudement l'A. d'un fruit qui vient couronner tant d'efforts et souhaiter le succès d 'une entreprise qui peut si bien servir la diffusion de la pensée chrétienne en même temps que les hautes études philosophiques. S. THOMAE DE AQUINO, Summa theologiae, cura et studio Instituti Studiorum Medievalium Ottaviensis, t. IV : T ertia Pars, 1 vol. de LXVIII-2413-3089 pp ., Ottawa, Commissio Piana, 1953. L'édition canadienne de la Summa theologiae de saint Thomas, publiée par la Commi ssio Piana, a connu un beau succès. Un second tirage est en cours d'achèvement. C'est une réimpression, mais soigneusement corrigée et notablement améliorée dans sa présentation matérielle. Le quatrième volume, contenant les 90 questions de la Tertia Pars, a paru. Ayant déjà présenté les précédents, il nous suffira de rappeler que, par la qualité de son texte (c'est celui de l'édition Piana, mais les variantes sont signalées), et surtout par ses notes, qui n'ont pas encore d'équivalent pour situer et permettre de retrouver les citations de saint Tl).omas, cette édition manuelle se place au premier rang. (Son prix est malheureusement celui d'une « devise forte )), mais des réductions sont consenties aux prêtres et étudiants ecclésiastiques.) JOANNES A SANCTO-THOMA, Cursus theologicus : de EOectibus gratiae, 1 vol. de XXVI-240 pp., Université Laval, Québec, 1955. En dépôt chez P. Lethielleux, Paris. L'excellente initiative, prise par l'Université canadienne de Laval, de publier sous une forme commode et à un prix abordable, le C1trsUs theologicuS de J oan de Saint-Thomas nous avait valu huit volumes, déjà signalés dans NOTES BIBLIOGRAPHIQUES I93 la Revue Thomiste; le neuvième nous parvient, achevant le commentaire de la Prima-Secundae. Il s'agit des effets de la grâce, tant opérante que coopérante: la justification et le mérite. C'est dire son importance. Il n'y a pas à souligner les qualités qui ont fait le renom du grand Commentateur, sa pénétration et son habituelle fidélité à son Maître. On les retrouve dans ce volume avec cependant, au milieu d'analyses admirables, un fléchissement pour la notion même de mérite surnaturel. Comme beaucoup de théologiens de son époque, Jean de Saint-Thomas ne pense pas pouvoir le définir sans faire appel à un pacte positif, par lequel Dieu accepterait notre mérite. Mais ce n'est pas de saint Thomas qu'une telle vue peut s'autoriser (pas plus dans le cas présent que dans la théologie du péché originel) ; la « praesuppositio divinae ordinationis » a chez lui un sens beaucoup plus réaliste. Caj etan l'a bien compris: « quae omnia aliena a theologia reali su nt » (in Iam_IIae, q . II4,a. 3, nO V). Mais ce n'est là qu'une faille dans une œuvre dont il est superflu de louer la profondeur et dont l'influence a été grande. On ne saurait trop remercier les éditeurs, MM. Armand Mathieu et Hervé Gagné, de la remettre en si bonnes conditions entre les mains des étudiants et des professeurs de théologie. P. LUMBRERAs, O. P., Praelectiones scholasticae in Secundam Partem D. Thomae: Vol. IX, de Prudentia, 1 vol. de XII-l20 pp., 1952; Vol. l , de Fine ultimo hominis, 1 vol. de x-I30 pp., 1954; Vol. VIII, de Spe et Caritate, 1 vol. de XII-256 pp., 1954. Madrid - Buenos-Aires, Ediciones Studium de Cultura et Rome, « Angelicum». L'œuvre considérable et justement appréciée du R. P. Lumbreras, O. P. va atteindre son achèvement: sur les douze fascicules que comportent ses « Praelectiones scholasticae in Secundam Partem D. Thomae », onze sont maintenant publiés et le douzième est annoncé. Il sera consacré au traité: de Diversis Statibus hominum. Les derniers parus traitent de la prudence, de la fin dernière de l'homme et des vertus d'espérance et de charité. On connaît la mà nière de l'A. Il sait rester à égale distance entre le manuel simplifié, sommaire ou trop massif, et le long commentaire par disputes développées, traditionnel dans l'École. Il ne prétend pas remplacer le texte de saint Thomas, mais y introduire et il a jugé à bon droit qu'une introduction ne doit pas être trop lourde. Sa phrase est vive, concise, claire; il sait faire le point d 'une question; une érudition de bon aloi lui permet à chaque instant les citations les plus opportunes, par où il introduit discrètement à l'œuvre des plus grands Commentateurs. On en retire parfois, il est vrai, l'impression qu'il se dérobe derrière ces Maîtres, et cette discrétion donnait à plusieurs de ses premiers volumes une allure un peu trop impersonnelle . Cette impression s'atténue beaucoup pour les fascicules que nous signalons et l'A. n'hésite pas à affirmer nettement sa propre pensée dans les questions encore en débat. On peut certes ne point partager toutes ses prises de position, encore que dans la plus grande majorité des cas elles soient des plus classiques : nous ne parlerions p as dans le même sens de la conscience et de ses rapports avec la prudence, mais alors même qu'elles paraissent discutables, on ne peut leur dénier la clarté et la science. La question consacrée à la guerre, au traité de la charité, rassemble avec bonheur de beaux t extes de Vitoria; plus originale et pleine d'intérêt est l'étude de la sédition et des conditions d'une juste révolte. On ne peut que souhaiter l'achèvement prochain d'une œuvre qui permettra à bien des étudiants de dépasser largement les données de leurs manuels et leur donnera le goilt de la lecture de saint Thomas. [M.-M. L.] Revue Thomiste. - 13. 194 REVUE THOMISTE DÉBATS SUR L'HISTOIRE Nous n'avons pas la prétention, dans ces quelques notes bibliographiques, de dresser un bilan de cette vaste enquête sur l'histoire qui préoccupe actuellement tant d'esprits. Qu'il nous suffise d'analyser quelques livres récemment parus sur ce sujet. Le thème de l'histoire est double: il s'agit d'une part d'un problème d'épistémologie : comment, à quelles conditions, la science historique est-elle possible? et d'autre part d'un problème métaphysique: que signifie l'histoire humaine, a-t-elle même un sens? Dans les deux cas le mot n'a pas évidemment la même signification: d'un côté c'est la sto'l'iog'l'afia, comme disent les Italiens, et de l'autre la storia. Examinons d'abord le premier point de vue. La connaissance historique Elle paraissait scientifiquement possible aux auteurs de la fameuse Introduction aux études historiques l, Langlois et Seignobos, pour qui l'histoire n'est que l'enregistrement définitif de faits établis. On peut dire que, depuis lors, l'effort de réflexion n'a cessé d'être critique: les difficultés de l'histoire sont d'abord apparues aux philosophes allemands de l'école de Dilthey (Rickert, Weber, Simmel) qui, se situant sur un plan kantien, se demandaient à quelles conditions la connaissance historique était possible. La meilleure introduction à ce mouvement de pensée est assurément l'excellente mais difficile thèse de R a ymond Aron, Introduction à la philosophie de l'histoire' et surtout La philosophie critique de l'histoires. On pourra aussi se reporter à l'œuvre principale de Dilthey, Introduction à l'étude des sciences humaines '. La Revue de Synthèse historique, dirigée par H. Berr, porte depuis 1900 l'écho de ces débats (articles de Xénopol, Lacombe, Croce, Rickert, etc.) . Plus récemment, il nous faut citer le livre d'Éric Dardel qui nous apporte le point de vue de Heidegger: l'Histoire science du concret', l'ouvrage du regretté Marc Bloch: Apologie pour l'Histoire ou M étier d'historien 6, Lucien Febvre avec son brillant recueil d'articles intitulé Combats pour l' histoire', le compte rendu du VIe Congrès des Sociétés de philosophie de langue française tenu à Strasbourg consacré à l'Homme et l'Histoire 8 et quelques livres que nous allons analyser de plus près. On connaît l'esprit et les limites de la collection « Initiation philosophique ». Elle contient d'excellents petits livres comme celui de Nédoncelle sur l'Esthétique et celui de G. Berger sur la Caractérologie . Malheureusement le cadre en est très limité. L'étude de M. Joseph Hours sur la Valeur de l'histoire a dl1 Paris, 1898. Raymond ARON, Introduction cl la philosophie de l'histoire, E ssai sur les limites de l'obiectivité histo'rique, Paris, 1938. 3. Raymond ARON, La Philosophie critiqtle de l' histoire, E ssai sur une théorie allemande Ile l'histoire', 1950. 4 . Wilhelm DrLTH E Y, Introdtlction cl l'ét·ude des sciences humaines, Essai stlr le fondement qtl'on pourrait donner à l' éttlde de la société et de l'histoire, traduit par Louis SAUZIN, Paris, 1942. 5. Eric DARDEL, L'Histoire, science dtl concret, Paris, 1946. 6. Marc BLOCH, Apologie pour l'histoi're 01< M étier d'historim, Paris, 1949. 7· Lucien FEBVRE, Combats pOtlr l'histoire, P aris, 195 3. 8. L'Homme et l'Histoire, Actes du VI. Congrès des Sociétés de philosophie de angue française (Strasbourg, 10-14 septembre 1952), Paris, 1952. 1. 2. NOTES BIBLIOGRAPHIQUES 195 se contenter d'esquisser le sujet!. Contre les thèses célèbres de Valéry l'A. commence par justifier l'utilité de l'histoire. Puis il passe en revue l'histoire de l'historiographie de l'Égypte ancienne à nos jours. La crise des cc méthodes» l'arrête plus longuement. Il montre l'éclatement de l'histoire cc événementielle» en une histoire sociale, économique, morale plus réaliste. Il esquisse la critique du cc fait» historique et montre sa radicale subjectivité: concepts, parti pris, ordonnance imposés par l'historien, pa1t d'imagination et conséquemment d'hypothèse dans la manière d'aborder et de se représenter le complexe d'un passé concret. Impossibilité pour l'historien d'échapper à son temps et de se situer dans une position privilégiée et proprement cc divine » par rapport aux événements .. . difficultés insurmontables de la connaissance psychologique des hommes d'autrefois, etc., toutes ces cc difficultés » de l'histoire sont loyalement expliquées. Et voici la conclusion, d 'apparence modeste, mais pleine de ferveur: « Le meilleur service que nous puissions attendre aujourd'hui de l'étude de l'histoire c'est sans doute d 'en apprendre à mieux connaître l'homme, d'en recevoir une méthode qui nous permette d'aborder avec un regard plus pénétrant chacun de nos semblables et de reconnaître en lui jusqu'aux singularités les plus intimes en passant d'abord par ces dispositions humaines essentielles et permanentes qui sont de tous les temps et de tous les pays'. » Ainsi comprise, l'histoire est la base de l'humanisme. Une histoire partiale nous trompe sur l'homme et l'absence d'histoire nous le laisse ignorer : dans les deux cas la civilisation est en péril. C'est exactement la conclusion de Lucien Febvre dans Combats pour l'histoire. Décidément nous sommes loin de Langlois et Seignobos pour qui l'histoire se devait d'être absolument inutile, sans regard et sans intérêt pour le monde vivant. « Celui-là seul est digne de ce beau nom [d'historien] qui se lance dans la vie tout entier, avec le sentiment qu'en s'y plongeant, en s'y baignant, en s'y pénétrant d 'humanité présente, il décuple ses forces d'investigation, ses puissances de résurrection du passé, d'un passé qui détient et qui, en échange, lui restitue le sens secret des destinées humaines s. » Telles sont les relations cc dialectiques » du présent et du passé dans une histoire vraiment vivante et humaine: le présent nous rend aptes à comprendre le passé et le passé nous permet de mieux pénétrer et comprendre notre présen t . Au total un excellent petit livre d'introduction à un sujet qui le dépasse infiniment. Voici, après l'ouvrage d'Aron, le livre essentiel sur le sujet. Celui d'Aron était la réflexion d'un philosophe; celui de M. Marrou 4 apporte l'expérience d'un praticien de l'histoire. Les perspectives sont les mêmes et l'A. s'inspire évidemment d 'Aron. Mais il étoffe la dialectique de son inspirateur d'une foule de faits concrets : à vrai dire les paragraphes en petits caractères où l'auteur accumule les anecdotes et les exemples font l'intérêt principal du livre. Il s'agit d'une synthèse de ces nombreux articles que, sous le nom de Davenson, l'A. a fait paraître dans plusieurs revues. Ils se ramènent tous à une réflexion critique, une sorte de bilan. A parler franc l' ambition de l'histoire est folle; comme le disait jadis Péguy: l'historien veut être Dieu. Il veut refaire, à côté du monde réel, un monde qui le reflète exactement mais cette fois par la parole: une transcription intelligible du temps universel... cc (L'historien) devrait tout savoir, tout ce qui a été réellement senti, pensé, accompli par tous les hommes du passé; saisir cette complexité sans ignorer, ni briser, 61 . Joseph HOURS, Vale11r de l'histoire, « Initiation philosophique» 9, 1 vol. de 9 pp., Paris, P. U. F., 1954. 2. Op . rec., p. 85. 3· Lucie.n FEBVRE, op. cit. p. 43. 4'1 Henn-Irénée MARROU, De la c01maissance historiq11e, coll . « La condition humaine u, r vo . de 304 pp., Paris, éd. du Seuil, 1954. REVUE THOMISTE ni altérer les relations internes, délicates, multiples, enchevêtrées ... Si tel est le problème posé par ce programme de l'histoire, quel Esprit peut s'en déclarer capable ? Nous répondrons: un t el Esprit existe, c'est le Seigneur notre Dieu 1 . » Tel est au début du livre l' aveu d'un historien conscient des limites de son savoir: nous sommes loin de la naïve conviction scientiste qu'un Paul Lacombe étalait en 1900 dans son Histoire scienti fique. Avec une extrême finesse l'A. nous montre comment tout historien est amené" à poser des questions » au passé et comment la question même oriente et détermine parfois la réponse : il n'y a pas d'histoire " objective ». Bien mieux il faut que l'historien se sente impliqué dans l 'événement qu'il rapporte: la sympathie lui est nécessaire : " L'historien doit posséder dans sa culture personnelle, dans la structure même de son esprit les affinités psychologiques qui lui permettront d'imaginer, de ressentir, de comprendre les sentiments, les idées, le comportement des hommes du passé 2 . » L'imagination est indispensable aussi pour se représenter l'événement et p ar suite l'histoire relève des mêmes facultés que l'œuvre d'art. L'intelligence enfin ... mais ici que de difficultés! Tout concept n'est-il pas un parti pris? La réalité comporte-t-elle réellement ces structures que nous croyons en dégager pour la rendre intelligible? Et c'est à une manière de nominalisme que l'auteur aboutit (contre Toynbee). En fait ce livre conclut au " mythe » de l'objectivité: nous ne connaîtrons jamais le passé en soi, tel qu'il fut: ce serait passer le mur du temps, mais ce que nous pouvons c'est tenter de " récupérer» J'homme dispersé dans le passé. Ce qu'on peut reprocher à ce livre excellent et fervent, c'est une certaine faiblesse dialectique. Un effort de mise au point, un affermissement de la logique eussent été désirables et en ce sens les ouvrages d'Aron, plus dépouillés, vont plus loin. Une introduction du Doyen de la faculté catholique de Lyon au livre de Felice Battaglia, La Valeur dans l'histoire, nous aide à situer l'auteur dans le mouvement philosophique italien parmi les philosophes spiritualistes chrétiens 3. La nouvelle collection italienne chez Aubier nous en a déjà fait connaître plusieurs. Le livre comporte deux études, l'une sur Croce, l'autre sur Gentile, la seconde heureusement plus importante car la pensée hardie de Gentile est beaucoup moins connue en France que celle de Croce. Au début l'A. nous montre p ar quelles étapes est passée en Italie la pensée " historiciste ». La première est symbolisée par Giordano Bruno qui affirme contre l'aristotélisme et la philosophie médiévale que la vérité n'est pas toute faite, qu'elle n'existe pas avant d' être connue mais qu'elle se fait tout au long de l'histoire. A ce propos on aimerait discuter la thèse de l'A. d'après laquelle le thomisme ne peut avoir en aucun cas le sens de l'histoire 4. C'est là une vue simpliste et trop répandue. En fait une philosophie chrétienne a forcément le sens de l'histoire, car c'est le christianisme qui l'a introduit précisément dans le monde. Assigner à l'histoire un terme fixé à J'avance n'est pas la bloquer: les marxistes eux aussi envisagent une fin de l'histoire . .. toute philosophie de l'histoire exige une " méta-histoire », c'est-à-dire une quelconque ontologie qui, privilégiant un état final du t emps, justifie toute l'histoire par référence. Après Bruno voici Vico qui, préludant à Hegel, affirme que le vrai se convertit avec le fait .. . et enfin Benedetto Croce. Nous avons en France l'excellent ouvrage de Lameere sur l'Esthétique 1. 2. Op. ree., pp. 57, 58. Ibid ., p. J02. 3· F~ lice BATTAGI. IA , La Valeur dans l'histoire, coll. , Philosophes italiens ", préface de. R égIS JOLIVET , trad. de M. -L. ROURE, l vol. de 208 pp., Paris, Aubier, éd. Mon· talgne, 1955. 4. Cf. op. ree., p. 19 . NOTES BIBLIOGRAPHIQUES 197 de Croce 1 (et sur Vico les trois livres de Chaix-Ruy 2), mais nous n'avions pas de travail précis sur sa théorie de l'histoire. Pour l'érudit napolitain la connaissance historique est pure contemplation du fait concret sans jugement de valeur, sans aucune intervention de la « volonté » : en toute connaissance concrète le concept abstrait entre en composition avec une représentation (image ou intuition) qui l'individualise. Et en ce sens la connaissance historique ressemble à la connaissance esthétique, l'histoire mobilise les mêmes facultés que l'œuvre d'art; il s'agit toujours « d'une pensée pour qui le réel n'est pas hors d'elle » : la notion d'adaequatio lui est radicalement inapplicable puisqu'il n'y a pas de l'es. Aussi faut-il opposer la théoricité de l'histoire et de l'art à la praxis qui commande les autres types de connaissance et qui porte sur une réalité intelligible. Gentile, disciple de Croce, va beaucoup plus loin que lui: c'est la philosophie de « l'actualisme » qui refuse l'opposition crocienne de la praxis et de la contemplation, de la volonté et de la pensée, de l'histoire réelle et de l 'histoire écrite, de la réalité et de la « théorie » ; l'opposition se fait pour elle entre la pensée actuelle, concrète (hic et nunc) et la pensée abstraite qui devient objet pour la réflexion qui la pense. L'histoire est « l'universel qui s'individue », la vérité est acte: elle se découvre et se révèle en se réalisant. Elle n'est pas toute faite : la pensée abstraite, objective, n'est que le « passé de la pensée », le déchet qu 'elle laisse derrière elle. La vérité, comme disait déjà Vico, se fait chaque jour. Aussi y a-t-il identité non seulement entre la philosophie de l'histoire et l'histoire de la philosophie (comme le voulait Hegel), mais identité entre la philosophie et l'histoire: la philosophie étant la vie concrète ressaisie au fur et à mesure grâce au principe spirituel qui la constitue comme vraieS. Bref l'histoire est philosophie. On ne voit plus très bien dès lors ce que peut être l'histoire de la philosophie et l'auteur ne manque pas sur ce point de critiquer « l'actualisme absolu» de Gentile' si proche par moments de Dilthey et tellement significatif de l'effort « surhumain» de la réflexion contemporaine pour transcender toute espèce de permanence et p enser le devenir. La PhilosoPhie de l'histoire Le livre que nous venons d'analyser abordait déjà les problèmes métaphysiques que pose l'histoire entendue non plus seulement comme connaissance du passé humain mais comme développement à travers le temps du phénomène humain : l'histoire nous précipite fatalement vers une méta-histoire. Et c'est assurément la grande idole des t emps modernes, la nouvelle ontologie du monde athée: il s'agit pour lui de récupérer l'être dispersé dans le temps et d'en faire un discours cohérent qui se substituera à l'être métaphysique. Si l'événement isolé, si notre vie personnelle sont pour toute conscience lucide radicalement absurdes, l'histoire qui englobe l'ensemble sera peut-être moins absurde. On peut alors, croit-on, se débarrasser de la transcendance : l' être historique donne le droit d' évacuer l':Ëtre. Aussi la philosophie de l'histoire n'est-elle, comme dit R . Aron, qu'une « sécularisation des théologies 6 », pour nos modernes la plus spécieuse consolation à l'angoisse de l'absurde. Ici encore la bibliographie serait immense. Contentons-nous d'indiquer le livre de Merleau-Ponty, Humanisme et Terreur, où s'affirme une belle confiance LAMEERE, L'Esthétique de Bmedetto Croce, Paris, 1953. CHAIX-Ruy, La formation de la pensée de j.-B. Vico, Paris, 1943; Vie de j. -B. Vico, Paris, 1943; Morcealtx choisis de j.-B . Vico, Paris, 1945. 3· Op. rec., p. 123. 4· Ibid., p. 165. d 5· Raymond ARON, L'Opit,m des intellectuels, coll. « Liberté de l'Esprit >, IvoI, e ~40 pp., Paris, Calmann-Lévy, 1955. Cf. p. 15~. I. ]. 2. ]. 19 8 REVUE THOMISTE dans la thèse marxiste. Analysons de plus près l'ouvrage déjà cité de Raymond Aron, L'Opium des intellectuels. Ce livre qui a fait sensation à sa publication, n'est pas consacré à l'histoire. Il n'en parle qu'incidemment. Son but est de « démystifier II les intellectuels de gauche, de détruire leurs illusions. Pour l'A., ces intellectuels sont victimes de mythes, les Mandarins de Simone de Beauvoir sont moins libres et moins lucides qu'ils ne le pensent: un « cléricalisme ", un « esprit d'orthodoxie II s'exerce sur l'intelligentsia d'Occident qui l'aveugle : fascination du mot Révolution ... L'A. montre que la gauche stalinienne n'est plus révolutionnaire mais, par bien des comportements, rappelle le fascisme. Où est le totalitarisme, demande-t-il ? A gauche ou dans les partis libéraux? Paradoxalement - et reprenant des thèmes de Camus - il soutient que l'esprit de révolte n'est plus du côté de l'esprit révolutionnaire. C'est après avoir ainsi éclairé ou évacué quelques mythes (celui par exemple du prolétaire tel que Marx pouvait le voir en 1850) qu'il passe à l'idolâtrie de l'histoire, mythe suprême. Là encore s'affirme une puissance « fabulatrice II : pour qu'il y ait une logique dans l'histoire il faut bien affirmer une fin de l'histoire par rapport à quoi s'ordonne l'aventure: inachevée sans doute mais non absurde. Au nom du « sens de l'histoire II on tend ainsi à justifier l'injustifiable 1. « Une philosophie de l'histoire, écrit Merleau-Ponty", suppose que l'histoire humaine n'est pas une simple somme de faits juxtaposés ... mais qu'elle est, dans l'instant et dans la succession, une totalité en mouvement vers un état privilégié qui donne le sens de l'ensemble. II Mais cet état privilégié, qui nous le révélera? Un prophétisme se cache sous ces orthodoxies laïques. L'A. a beau jeu de les démasquer, de stigmatiser le fanatisme qu'elles suscitent8. Qu'est-ce d'ailleurs que la fameuse « reconnaissance de l'homme par l'homme II sinon une version laïque de la charité? Comment peut-on enfin distinguer dans la continuité du temps des structures vraiment objectives, des « cultures ", des « civilisations II ? Et de s'attaquer aussi bien au pessimisme de Spengler qu'à l'optimisme d'un Toynbee .. . Nous ne pouvons que suggérer ici la richesse de pensée d'un tel livre qui pourrait n'être qu'un pamphlet ou une satire. L'A. ne cache pas ses positions personnelles, areligieuses, libérales, hostiles à tout « fanatisme ll . Ce qu'il reproche à l'intelligentsia d'Occident (dont il esquisse une étude sociologique fort curieuse) c'est son « aliénation II : ces idéologues qui se croient engagés s'enferment, en fait, dans un monde d'abstractions et ne voient pas autour d'eux évoluer la réalité. Les positions théoriques dans lesquelles ils s'obstinent sont ainsi tournées par l'histoire et les valeurs qu'ils croient défendre ne sont peut-être que des mythes. Sans prendre position ici sur le fond du problème il convenait d'attirer l'attention sur un livre très actuel et qui fait réfléchir. Les deux Essais de Max Scheler traduits sous le titre l'Homme et l'His/o'ire datent de 1929' : ils témoignent du désarroi qui régnait en Allemagne aux dernières années de la République de Weimar. M. S. y trace l'esquisse d'un ouvrage essentiel qu 'il n'écrira jamais: une « Anthropologie de l'esprit ll . Il s'agit d'un essai de classement des métaphysiques possibles. L'A. distingue « cinq types fondamentaux de la représentation que l'homme se fait de luimême II : l'idée judéo-chrétienne d 'une perdition et d'un salut, l'idée grecque d'une réalité ontologique qui serait raison, avec sa variante hégélienne d'une raison en devenir, l'idée dionysiaque, très répandue en Allemagne (Klages, Th. Lessing, Spengler, Bachofen, von Hartmann) et fort romantique, selon 1. Cf. op. ree., p. 145. 2. MERLEAU-PONTY, l-!tmtallis11Ie et Terrettr, p. 165. Cf. op. ree., p. 153. 3. Cf. op. ree., p. 167. 4·· .Max S.cH EI. El~, L'!fo11lme et,l'Histoire, trad. de l'allemand par M. Dupuy, coll. • Pbtlosopble de 1 esprit », 1 vol. de 192 pp., Paris, Aubier, éd. Montaigne , 1955. NOTE.S BIBLIOGRAPHIQUES 199 laquelle la conscience rationnelle tourne le dos à la vie (la raison est une « maladie de la vie », l'homme est, par la conscience, un « déserteur de l'instinct », etc.). En quatrième lieu l'idée nietzschéenne du surhomme pour qui l'athéisme est la condition d'une prise de conscience de la vie (on la retrouve chez N. Hartmann, Heidegger ... ). Enfin, l'idée qu'adopte l'A., celle de l'homo label' (opposé à l'homo sapiens). Pour lui la raison n'est qu 'un épiphénomène, prolongement des techniques animales. Au lieu d'opposer absolument, avec Descartes, l'esprit au corps et de s'engager dans d'inextricables confusions, il faut rejoindre, selon S. (et ce fut là le dernier état de sa pensée), le positivisme évolutionniste: explication du supérieur par l'inférieur, par les trois instincts primordiaux: manger (Marx), proliférer (Freud), s'imposer aux autres (Hobbes, Adler, Nietzsche). Il s'agit là bien entendu d'une simple esquisse dont le mouvement de pensée, inacceptable évidemment pour des chrétiens, ne laisse pas d 'être fort suggestif. Le second Essai traite d'un thème cher aux Allemands: la Kultur. Celle-ci, nous dit S., relève de l'essence, non de l'accident: elle consiste à participer plus profondément à tout ce qui est de l'essence du monde. L'homme, dit-il, est « une courte fête dans les énormes durées de l'évolution universelle ». En lui « le psychique s'est libéré du service de la vie» : il se situe « en marge » de la vie et c'est ce qui lui permet de la refléter, d'être à lui seul un microcosme: à la fois impasse et issue de l'évolution universelle 1 . Au fond, pour S., l'homme ne serait-il pas Dieu? Et ce n 'est point par hasard qu'il cite Faust: seulement la culture n'est plus seulement maîtrise sur la nature, elle est conscience du monde. Cette anthropologie délirante nous fait regretter la première manière de Scheler, le personnalisme spiritualiste de l'auteur de l'Homme du ressentiment. Il semble bien qu'il doive ce glissement au matérialisme freudien. L'ouvrage collectif publié sous le titre de La Philosophie de l' histoire de la ph·ilosoPhie, témoigne d'une collaboration philosophique internationale 2. On y trouve des articles d ' Italiens (Castelli, Lombardi, Valori), de Belges (M. De Corte), de Français (Gouhier, Gueroult), d'Espagnols (Gigon) et d'Allemands (inédits posthumes de Husserl, Dempf, Wagner). Dans la matière foisonnante de cet ouvrage, nous mettrons à part l'article de Henri Gouhier : Vision rétrospective et intention historique 3, qui enferme l'histoire dans un dilemme : faut-il, par la vision rétrospective, remonter de l'événement à ses origines et donner ainsi un sens à la durée, ou faut-il, en se mettant à la place des contemporains, essayer de revivre l'événement dans son imprévisibilité, tel qu'il fut réellement? L'A. a beau jeu de montrer les inconvénients et les impossibilités des deux attitudes et d'enfermer l'historien dans une impasse. Ce sont là des perspectives que devinait déjà Péguy en 1905 et qui vont loin. Elles aboutissent à poser la question fondamentale : l'histoire de la philosophie est-elle possible? N'est-elle pas un leurre, une fausse perspective, un jeu d'intellectuels ? Plusieurs articles (Lombardi, Gueroult) posent le problème de la multiplicité des types de pensée métaphysique. Pourquoi la pensée est-elle historique? Comment justifier ce scandale: le vrai serait-il multiple? N'atteint-on jamais que des moments du vrai ? Il y aurait beaucoup à dire sur l'étude que Marcel De Corte a consacrée à Aristotélisme et Christian·isme 4 • Sans doute le sage grec est-il comme le saint chrétien dépossédé de soi par la contemplation de l'Autre. Mais le temps 1. Cf. op. rec., p. 199. 2: La Philosophie de l'histoire de la philosophie, articles de É. CASTELLI ct autres, " ~lbliothèque d'histoire de la philosophie ", l voL de 208 pp., Rome, Institut d'études philosophiques et Paris, Vrin, 1956. 3· Op. rec., pp. 133-141. 4· Ibid., pp. 81 -97. 200 REVUE THOMISTE cyclique d'Aristote est-il incompatible avec le sens chrétien de l'histoire? Nullement, répond le philosophe de Liège: « Le primat de la contemplation ne peut être rigoureusement maintenu que dans un monde régi par la loi du cercle qui ramène l'homme à la perception de sa limite et de sa mesure, ne lui laissant d'autre issue que l'élan vertical de l'esprit vers la transcendance. 1 » Tout cet article est plein d'idées passionnantes et neuves et mérite d'être lu de très près. Que ces brèves notes suffisent pour donner une idée de la densité et de l'intérêt d'un tel ouvrage. On sait ce que Jaspers désigne par le mot chitJre : les chiffres ce sont les messages que nous adresse la transcendance par l'intermédiaire des réalités concrètes. L'histoire est par excellence un chiffre, elle est la parole de Dieu: à nous de la déchiffrer. Car l'histoire dépasse l'histoire: en elle, par elle, on peut entrevoir l'absolu . Pour Jaspers elle n' est pas, comme pour Hegel, l'absolu lui-même mais sa manifestation existentielle. Le chiffre, la signification du chiffre change avec l'homme qui dans le temps l'interprète, mais il s'agit toujours de penser historiquement quelque chose qui va bien au delà de l'histoire, et c'est justement ce que J aspers avait tenté de faire dès I9I9 dans sa Psychologie der Weltanschauun gen . La grande différence entre Jaspers et Kierkegaard, c'est que celui-ci ne pense l'existence que sous l'angle du destin individuel : face à face de Dieu et de « moi». L'autre au contraire envisage avant tout la communication des hommes entre eux, l'être historique de l'humanité évoluant vers son unité: l'existence, chez lui, n'est pas mon existence mais celle de tous. Tout ceci l'orientait vers la philosophie de l'histoire. L'ouvrage dont nous rendons compte, Origine et sens de l'histoire 2, admirablement traduit par Hélène Naef (il faut le noter, car les traductions d'ouvrages philosophiques sont souvent détestables), est un de ses derniers livres. Il a paru en allemand sous le titre Von Ursprung und Ziel der Geschichte, c'est-à-dire Origine et fin, but final de l'histoire s. Pour J. en effet le but final de l'histoire est vaguement lisible dans l'évolution générale de l'humanité. Les dernières pages du livre sont à cet égard les plus importantes: « Si nous ne voulons pas que l'histoire s'effondre devant nous dans la poussière du fortuit ... l'idée d'une unité de l'histoire nous est indispensable 4 . » Du reste l'attitude de J. est sur ce point (comme sur tous les autres) une attitude ambiguë, « déchirée », douloureuse: c'est, on le sait, à cette angoisse, à ces interrogations sans réponse qu'aboutit son existentialisme. D'un côté on voit une unité problématique qui tend vainement à se dégager de l'infinie dispersion: unité de l'espèce, convergence des civilisations, orientation continue du progrès vers une intégration mondiale de l'humanité : J. parfois nous donne l'impression d'un Teilhard de Chardin, plus prudent, plus inquiet, moins assuré dans sa foi mais animé des mêmes espoirs. Mais la fin de l'histoire serait aussi la fin de l'homme : « Pourquoi y a-t-il une histoire? Parce que l'homme est fini, mais non accompli. .. l'inachèvement de l'homme et son historicité sont une seule et même chose ... l'histoire ne peut prendre fin que par une abdication de l'homme ou par une catastrophe cosmique ... 6. » Telle est l'angoisse jaspérienne. 1. Ibid., p. 93. 2 . Karl JASPERS, Origine et sens de l'histoire, trad. de l'allemand par Hélène NAEF avec la collaboration de Wolfgang ACHTERBERG, l vol. de IV-360 pp., Paris, Plon, 1954· 3· Sur Jaspers: J ean WAHL, La Théorie de la vérité dans la Philosophie de Jaspers; Cmt années de l'histoire de l'idée tl'existmce (I848 -I948) , « Les Cours de Sorbonne », Paris, I950, I951. - Mikel DUFRENNE et Paul RICœUR, Karl Jaspers et la philosophie de l'existence, Paris, éd. du Seuil, I94.7. - Paul RI cœUR, Gabriel Marcel et Karl Jaspers, Paris, éd. du Seuil, I947. 4. Op. rec., p. 327 5· Ibid., p . 293· NOTES BIBLIOGRAPHIQUES 201 L'idée centrale du livre concerne ce que l'A. appelle la Période axiale (de 600 avant J.-C. jusqu'à notre ère). On sait que pour Spengler (et Toynbee) chaque civilisation subit une loi générale d'évolution: elle naît, se développe et meurt sans rien laisser (ou presque) aux civilisations ultérieures qui ne peuvent même plus la comprendre. Tout autre est la perspective de J. : il y a une progression universelle vers un but commun; l'histoire n'est pas succession pure et discontinuité : la période axiale le prouve. Curieux synchronisme : vers la même époque Confucius, Buddha, Zarathoustra, les prophètes, les philosophes grecs manifestent une prise de conscience de l'existence absolument nouvelle. Ce que l'on découvrira alors retentit jusqu'à nos jours: spirituellement c'est la période axiale qui nous a formés. Les « sauvages» demeurés en dehors de cette grande promotion devront être ultérieurement « civilisés ». Il y a là un axe de l'histoire, une base de départ, une table de référence: « La manière dont nous considérons la période axia.le détermine le sentiment que nous avons actuellement des situations et de l'histoire en généraP » ; c'est « un axe idéal autour duquel la condition humaine a trouvé sa cohésion 2 ». Cette période correspond à un progrès de la conscience, un développement du « sens de l'universel» et, partant, du sens du tragique. La pensée spéculative se substitue au mythe, les grandes religions remplacent les superstitions. Et l'A. toujours angoissé se demande s'il s'agit d'une victoire ou d'une catastrophe pour l'homme. Avant cette période essentielle il y a la préhistoire et les premières civilisations dont l'A. évoque l'immensité mystérieuse - « l'humanité, répète-t-il, ne fait que commencer ». Depuis il y a la crise provoquée par l'ère technicienne qui constitue un nouveau départ. L'Occident depuis le XVIIIe siècle en est responsable et le progrès des techniques, répandu dans le monde, risque de réduire à néant les conquêtes de la période axiale. Très librement, l'A. semble parfois penser devant nous: sa critique du monde moderne, son analyse de l'Orient et du besoin réciproque qu 'ont entre eux l'Orient et l'Occident, ses pages pathétiques sur cette « déchirure » dans l'histoire qu'est l'invention des grandes machines, sur la blessure peut-être inguérissable que porte sur nous l'essor des techniques, sur l'aspect démoniaque du progrès et la terreur qu'il inspire aux hommes, tout cela fait de ce livre un ouyrage brûlant d'actualité. Jamais on n'a mieux montré l'urgence du spirituel, l'ambivalence du progrès qui porte à la fois l'infamie des camps de concentration et l'espérance libératrice du socialisme. J. renonce dans ce livre au vocabulaire souvent abstrus de sa philosophie. C'est un sage qui s'adresse aux hommes dans un langage très simple et très humain pour leur faire part de son angoisse et les avertir des dangers qu'ils courent. Les dernières pages s'élèvent à une grandeur pascalienne quand l'A., considérant l'histoire dans son ensemble, la voit environnée d'abîmes et toute pénétrée de néant: immensité des temps cosmiques qui nous précèdent et nous suivront, impossibilité d'achever l'histoire sans détruire l'homme, caractère transitoire, essentiellement précaire du singulier qui est le matériau de l'histoire. Le livre s'achève sur des questions. Mais l'existentialisme peut-il s'achever autrement que par des questions? N'est-il pas question? Et n'est-ce pas à la fois sa grandeur et sa misère? [J. O.] DIVERS * ** A. GUILLAUME, Jeûne et char'ité dans l'Église latine, des origines au XIIsiècle, en particulier chez saint Léon le Grand, préface de Mgr J. RODHAIN , IVOI. de 192 pp., Paris, éd. S.O.S., 1954. 1. 2. Ibid., p. 33. Ibid., p. 330 . 202 REVUE THOMISTE Voici un livre qui mérite l'attention à bien des points de vue. Préfacé par Mgr Rodhain, il nous est présenté par le Secours catholique. Ce n'en est pas moins, si l'on en croit l'introduction, une thèse de théologie élaborée à Rome, sous la direction du Professeur de théologie morale de l'Université grégorienne: singularité assez notable qu'un travail de ce genre puisse être publié par des éditions destinées au grand public, et patronné par un organisme avant tout soucieux de réalisations pratiques. Faut-il ajouter que le sujet choisi n'est sans doute pas un de ces thèmes favoris du public, à une époque où la mortification et la pénitence n'ont guère plus de pratiquants que de défenseurs? Cela signifie que ses qualités de présentation, d'adaptation, de clarté, rendent l'ouvrage abordable pour un monde qui n 'est pas seulement celui des patrologues et des intellectuels et que, par ailleurs, l'aspect mis en lumière par l'A. est capable de toucher l'âme moderne. Sans doute les caractères qui dénotent la « thèse » n'ont-ils pas entièrement disparu. Cette impression ressort surtout de la lecture de la première partie: « JeÜne et charité avant saint Léon. » Les quelques citations des trois premiers chapitres ne peuvent suffire, en effet, à prouver que les premiers siècles chrétiens voyaient dans le jeüne une œuvre de charité. L'auteur aurait eu intérêt, nous semble-t-il, à rappeler les aspects fondamentaux du jeüne chrétien, qui sont les aspects de religion et de sanctification personnelle par la mortification (aspect ascétique) et le d ésir (aspect mystique) , dans l'attente de Celui qui a dit : « Les compagnons de l'époux peuvent-ils mener le deuil tant que l'époux est avec eux? Viendront des jours où l'époux leur sera enlevé; et alors ils jeftneront » Mt. IX, 15 . En passant sous silence ce point de vue essentiel, et en majorant l'aspect social du jeftne, source de charité, les perspectives sont légèrement faussées et l'exposé devient plaidoyer. N'y aurait-il pas eu avantage également à distinguer diverses sortes de jeftne ? Le jeÜne recommandé par Aristide pourrait bien être différent du jeûne préparatoire au mystère pascal. Il est probable aussi qu'on se trouve en présence d'une pratique en évolution dont le sens pourrait être différent suivant les lieux, les tempéraments et les personnalités influentes. Quoi qu'en dise l'A., le jeftne des Pères du désert et du monachisme provençal ne nous paraît pas, de soi, orienté vers la charité à l'égard du prochain, mais plutôt vers la charité, désir de Dieu. Enfin les limites du genre apparaissent encore trop dans les conclusions tirées par l'A. (pp. 102, II2, 165) et qui nous semblent manquer des nuances désirables. Mais de pareilles remarques laissent intact l'intérêt d'un ouvrage qui met en pleine lumière l'aspect social et charitable du jeûn e chrétien, aspect bien oublié depuis le XIIe siècle, et que le Pape Pie XII rappelait à si juste titre en 1950 : « Ce qu'il [le chrétien] aura retranché de la vanité, il le donnera à la charité et il subviendra miséricordieusement aux besoins de l'Église et des pauvres. Les fidèles de la primitive Église se conduisaient ainsi: par le jeftne et l'abstinence des choses permises, ils alimentaient les sources de la charité. » Notons pour finir que les traductions d es passages cités tout au long de l'ouvrage nous paraissent excellentes et que l'étude p artielle du vocabulaire de saint Léon et de sa doctrine d e la charité donn'e nt à ce livre une valeur scientifique . [M.-B. de S.] Thomas MERTON, Karl STERN, Evelyn WAUGH, etc., Les saints que nous aimons, textes réunis par Clare Boothe-Luce et traduits par Mme de SaintPhalle et Mlle Bernus, préface de Daniel-Rops, «Bibliothèque catholique Paris, Amiot-Dumont, 1954. », Un livre curieux, intéressant par certains côtés, décevant par d'autres, révélateur en tout cas d'une m éthode d 'accrochage du lecteur moyen, qui est de notre époque et plus spécialement peut-être « d 'Amérique ». NOTES BIBLIOGRAPHIQUES 2°3 Après une excellente préface de Daniel-Rops sur le thème pourtant facilement banal: « être des saints », où il sait être intéressant et profond, le livre débute par une introduction de Mme Clare Boothe-Luce, qui nous explique agréablement son but: nous faire mieux connaitre ces « êtres humains semblables à nous» que furent les saints, avec comme « principal but ... mettre en lumière par certains côtés, l'actualité de quelques saints ». L'intérêt du livre réside, en effet, comme le souligne la phrase de Péguy mise en exergue, dans l'effort à ne pas « laisser les saints dans leurs niches ». D'où une série non pas de biographies, mais d'articles originaux, vivants, cherchant toujours les côtés actuels de la vie des personnages étudiés et aboutissant ainsi à des parallèles intéressants entre leur vie et la nôtre. On cherche délibérément à nous faire sortir des images souvent conventionnelles de la sainteté, pour nous montrer des êtres avec leurs grandeurs et leurs défauts, donc imitables. Ce qui caractérise aussi le livre, c'est que ces articles ont été composés par des auteurs très différents: speaker de la radio, religieux, écrivains, de toutes confessions, de toutes opinions, Anglais et Américains, avec parmi eux: Evelyn Waugh, Thomas Merton, Karl Stern, etc., mais qui tous, véritablement passionnés par leur personnage, apportent ainsi des témoignages intéressants par leur diversité et leurs convictions admiratives. Les inconvénients découlent de la formule même qui a été choisie. Ces témoignages courts restent incomplets, ne donnant parfois qu'une vision bien fragmentaire, quoique souvent très intéressante, de la personnalité et de l'œuvre. A noter parmi les articles qui vont de saint] ean à sainte Thérèse de l'Enfant-] ésus, les pages excellentes sur cette dernière par Karl Stern, celles originales et fort intéressantes sur des figures moins connues, comme sainte Radegonde, sainte Hilda de Witby, saint Pie V, et d'instructives comparaisons avec notre époque et celle de saint Augustin, saint Thomas Morus, etc. Le livre est donc à utiliser plutôt pour un premier contact que pour un approfondissement. Le mérite de ces articles biographiques est peut-être quand même, en finale, de nous donner envie d'en connaitre plus. [A. AUGIER] Miscellanea del Centro di Studi medievali, Serie Prima, Pubblicazioni dell' Università Cattolica deI S. Cuore, l vol. de 374 pp., Milan, « Vita e Pensiero n, 1956. Le Père A. Gemelli, recteur, présente ce premier volume d'une collection qui sera l'un des organes d'expression du Centre d'études médiévales récemment créé à l'Université du Sacré-Cœur de Milan sous l'impulsion de M. le professeur Ezio Franceschini. Le sommaire témoigne d'un propos de diversité qui fait bien augurer de l'ampleur de vues de l'équipe dont les efforts seront désormais coordonnés. 1. Le Prof. Sofia Vanni Rovighi tente en un mémoire de 65 pp. une synthèse de la philosophie de Gilbert de la Porrée. 2. Le R. P. Celestino Piana, O. F. M., du Collège de Quaracchi, étudie la controverse sur la distinction entre « âme et puissances» dans l'école scotiste entre 1310-1330. 3· Une note de Ermenegildo Bertola sur le traité « De l'essence de l'âme» de Al-Farabi. 4· En marge d'une récente édition du « Lai d'Aristote» de Henri de Andeli par M. Delbouille à Liège, le prof. Raffaele de Cesare apporte du nouveau t~}ct.uel et iconographique sur la légende « di Aristotele cavalcato » comme dit Joliment l'italien. Fort utile mise au point. . 5· Le spécialiste de philologie romane et de littérature provençale, 2°4 REVUE THOMISTE Diego Zorzi (voir aux mêmes éditions son ouvrage sur « la spiritualité trinitaire dans la littérature provençale ») introduit et édite de précieux textes inédits du milieu franciscain « spirituel» provençal-italien: Prières, Confessio, Ars moriendi, « Exemples ». Le tout paraissant bien être l'œuvre en langue provençale, pour une partie création originale, pour l'autre traductions, d'un Franciscain, disciple d'Olivi, comme ce dernier originaire du Bas-Languedoc méditerranéen, frère Mathieu de Bouzigues (Hérault), écrivant entre 1298 et 1304 le recueil qui nous est si heureusement présenté. 6. Enfin la directrice de la bibliothèque d'Este, M"'e Lina Zanini, nous envoie de Modène une précieuse bibliographie analytique d'études catheriniennes parues de 1901 à 1950, qui clôt ce volume de Mélanges. [A. A.] F. J. VON RINTELEN, Der Rang des Geistes, Goethes Weltverstttndnis, de 436 pp., Tubingue, Max Niemeyer, 1955. 1 vol. La philosophie « officielle» ne prête que peu d'attention à Goethe. Bréhier par exemple ne lui consacre qu'une seule page, et même ses compatriotes comme Windelband manifestent un pareil manque d'intérêt. La raison en est assez simple : Goethe n'est pas un philosophe. Il n'est qu'un penseur. Toutefois, philosophe ou non, Goethe est un des génies les plus universels de notre culture occidentale qui par les richesses de son esprit et de son cœur ne cesse d'attirer l'attention de milliers d'hommes. Rien d'étonnant si cette pensée a suscité une littérature surabondante et les interprétations les plus divergentes. M. von Rintelen vient de consacrer un livre à cette figure complexe. Historien et philosophe en même temps, et disposant de toute cette érudition qui est la gloire - et en même temps le poids ... - de la philosophie allemande, il est parfaitement à la hauteur de sa tâche. Plus encore, il présente une certaine affinité avec son sujet. Loin de l'optimisme leibnizien sur le meilleur des mondes, il est aussi éloigné de cette préférence pour le tragique, voire même le chaotique, dont témoignent beaucoup de nos contemporains. L'être n'est pas absurde, mais il porte un sens en soi et c'est à l'esprit - non pas exclusivement à la raison raisonnante - de le découvrir. Ayant un sens, l'être mérite l'affirmation par l'esprit et c'est ainsi qu'il se revêt du caractère de valeur. En tant que valeur, l'être nous oriente vers une personne absolue, le Deus omnis boni bonum de saint Augustin. C'est à partir de cette position philosophique - développée longuement en des publications antérieures - que M. v. R. aborde son sujet. Goethe lui aussi connaît la puissance des forces chaotiques et l'on sait les interprétations dualistes de sa pensée. Pour obscure que soit cette pensée, une chose est certaine: le chaotique est vaincu par les forces de l'ordre, c'est-à-dire par l'esprit. Au sommet de la hiérarchie des êtres se trouve l'esprit universel auquel tout être participe. Notons toutefois que, ' pour Goethe, l'esprit universel n'est pas nettement distingué du monde, et malgré les expressions poétiques qui insinuent le contraire, il n'a pas les caractères d'une personne absolue. A partir de ces remarques on comprend sans difficulté le plan du livre. Le premier chapitre parle d e l'existence et de la nature. Le paragraphe le plus important a comme titre : la gradation dans la nature. Le deuxième chapitre a comme objet: Dieu et l'homme. L'A. expose d'abord le problème extrêmement compliqu é de la pensée goethienne sur Dieu. Le paragraphe suivant (d'une centaine de pages 1) parle de l'essence de l'homme, image de l'esprit éternel. L'homme se dégage de la sensibilité, dépasse la raison raisonnante, pour aboutir à une intuition des sens. Dans l'émotion esthétique il atteint le plein épanouissement de son être, un idéal tout proche de la kalQ- NOTES BIBLIOGRAPHIQUES 2°5 kagathia. Toutefois, ce développement n'est pas linéaire. Il a plutôt un caract ère dialectique à cause des tensions intérieures de l'homme. Avant tout, l'homme doit faire face à la tentation du dynamisme purement formel avec son culte de l'act e pour l'act e . Ce n 'est qu 'après avoir résisté à cette tentation qu'on peut commencer « l' ascension dans l' esprit ", c'est-à-dire la recherche des vraies valeurs. Là encore, on n'est pas à l'abri de tous les dangers. On doit encore passer p ar ce bouleversement tragique qui risque de mettre en question m ême les tendances les plus nobles. A ce moment l'homme doit s'adresser à des puissances surhumaines pour gagner un nouveau fondement de son exist ence. Goethe décrit cette voie de rédemption dans le Second Faust. Délivré, l'homme transcende la mort vers le Tout, sûr d'une vocation à l'immortalité. A cette phase on comprend d 'une manière définitive que c'est p ar l'union à l'esprit vivant qu'on dépasse les apparences d 'absurdité de l'être. Alors l'homme se découvre comme ressemblance de l'esprit ét ernel. Après cet exposé, on comprend le sens du p aragraphe suivant intitulé: « D e l'amour de la nature à l'amour spirituel. » Le chapitre final expose le roma ntisme de Goethe avec son accent sur le sentimental et l'irrationnel et son classicisme plus rationnel et spirituel. Ces brèves remarques donnent quelque impression de l'ampleur et de l'importance des thèmes pris en considération. La compréhension de Goethe est beaucoup facilitée p ar l'exposé sûr de M. v. R . Toutefois, notre auteur ne s'est pas limité à sa tâche d 'historien critique. Pour lui, philosophe, la pensée goethienne comporte un message pour notre époque, et il ne manqu e pas une occasion de nous le dire. Nous ne lui contestons pas cette thèse, mais il faut reconnaître que la manière dont il la prouve alourdit la lecture d'un livre sur un sujet déjà très complexe. Une fois acceptée cette méthode un peu déroutante, on lira avec profit les réflexions toujours intéressantes de M. v. R. Il se montre une fois de plus un philosophe, au sens classique du mot : quelqu 'un qui en toute chose voit les principes. [J. A.] Chanoine Marcel BRUYÈRE, Le Cardinal de Cabrières, Évêque de Montpellier (I830 -I9 2 I), 1 vol. de XIV- 482 pp., Paris, éd. du Cèdre, 1956. L' œuvre de M. le ch . Bruyère se distribue selon une double filière: les brochures in-1 2 ou in-16 ne dépassant p as les 200 pages, et les ouvrages in-8 de 400 à 800 p ages. C'est à la seconde catégorie qu'appartient la biographie du Cardinal de Cabrières. Aussi mainte bonne volonté se laissera-t-ell€' arrêt er par l' ampleur d'une t âche qui lui paraîtra surhumaine: aborder, en un t emps où on ne lit plus ou presque, cette biographie-fieuve d'un prélat oublié. Pourtant, à y regarder de plus près, le jeu en valait bien la mise. En effet, celui qui devait un jour devenir cardinal, commença sa carrière ecclésiastique - car ici l' on peut à bon droit parler de « carrière» - sous les auspices de l'évêque de Nîmes Mgr Plantier, dont il devient le secr ét aire particulier à l'âge de 29 ans en novembre 1859, alors que depuis un an il est ch anoine honoraire aux côt és du Pèr e d 'Alzon, autrefois son professeur, deven u vicaire gén éral. L'un et l'autre entoureront leur évêque à Rome lors du concile du Vatican. Très tôt vicaire général « honorair€' » il reçoit , à peine âgé de 43 ans, pour la Noël 1873 , la nouvelle de sa nomination épiscopale au siège de Montpellier. Le 25 janvier 1874 à Rome P ie IX lui remet rochet, mantelletta, et par conséquent le titre de prélat domestique de Sa Sainteté. De cette « domesticité » Mgr de Cabrières tiendra à honneur de donncr au Siège apostolique tout au long de sa vie, les marques sans cesse renouvelées 1. . 1. Témoin ce symbolique fauteuil qui restait dans le salon dc l'évêché toujours Inoccupé, réservé qu'il était au pape, au cas où celui-ci passerait par Montpellier. 206 REVUE THOMISTE Car ce jeune prêtre qui parait avoir été créé et mis au monde pour la prélature entre ·maintenant dans sa vraie vie. Durant 47 ans il administrera le diocèse de Montpellier jusqu'à sa mort en 1921. Il connaîtra donc quatre papes : Pie IX, Léon XIII, Pie X qui le fera cardinal en 19II, Benoit XV à l'élection de qui il participe. Une telle existence d'homme d'Église était bien faite pour tenter un historien, car au fur et à mesure des déplacements de son modèle, de ses prises de position, le biographe pouvait nous faire participer à tous les événements d'un demi-siècle d'histoire qui en compta de si importants pour le pays, spécialement dans ses rapports avec l'Église. D'autant que le Cardinal de Cabrières fut un homme d'Église engagé, toujours à la pointe du combat, fidèle à sa vocation de défenseur attitré des idées « traditionnelles 1 ». Le propos du Ch. B. nous parait avoir été, plutôt que d'aller aux articulations essentielles et de dégager la signification d'une vie, de nous mettre en mains un dossier, le plus complet possible. C'est davantage un recueil documentaire qui est offert à l'attention critique de l'historien qu'une histoire proprement dite. Aussi, vu l'ampleur de la documentation rassemblée, nous n'en voudrons pas à l'A. d'avoir cédé parfois à la tentation bien compréhensible de croire que tout est grand dans une grande vie. [A. A.] Hans URS VON BALTHASAR, Le Chrétien Bernanos, traduit de l'allemand par Maurice de Gandillac, 1 vol. de 576 pp., Paris, éd. du Seuil, 1956. Quand on a passé de longs jours à dépouiller ce livre immense, à le « mettre sur fiches », on demeure confondu de sa richesse. Bernanos y est déchiffré, expliqué, éclairé jusque dans ses replis les plus subtils et Dieu sait qu'il n'en manque pas; pour la première fois on peut prendre la dimension de ce surprenant génie qui a peut-être été parmi nous un authentique prophète, non seulement par sa mise en accusation du monde moderne, par la violence éruptive de son style, par cette espèce de colère lucide qui cloue les « imbéciles » au pilori et met à nu la sottise, l'imposture ou la lâcheté ... Prophète il l'est surtout par ce témoignage que son œuvre porte parmi nous d'une vie chrétienne vécue dans son droit fil, avec une sorte d'innocence terrible. C'est cette profondeur chrétienne que le théologien Urs von Balthasar s'est efforcé de mettre en lumière. L'auteur de cette gigantesque Apocalypse de l'dme allemande où, dès 1937, il tentait de dégager les thèmes d'angoisse dans la littérature germanique contemporaine, l'auteur d'un livre sur le Chrétien et l'angoisse , encore actuellement tout occupé par une œuvre capitale sur la Dramatique du christianisme était particulièrement désigné pour tenter une telle étude. Traducteur en allemand de Claudel, Péguy et Bernanos, la littérature française contemporaine lui est aussi familière que l'allemande. A vrai dire Balthasar est lui-même une manière de génie par sa fécondité et sa puissance de travail. Des affinités spirituelles çertaines lui permettaient de comprendre le mystère bernanosien: le livre qu'il nous donne a quelque chose d'une Somme par son ampleur et, disons-le en mesurant nos t ermes, sa proAttitude à laquelle le cardinal trouva plus tard des inconvénients, car dans une lettre à l'un de ses intimes en aoüt 1891, en plein ralliement, il écrit à propos de Léon XIII, qui l'appelait le « doux irréductible ", et d'un collègue de l'épiscopat : « Le pape devient le régulateur de toutes nos pensées et l'infaillibilité doctrinale est étendue au delà de toute limite" op. ree., p. 20r. 1. Le chroniqueur du Soleil note le 8 ma.i 1898 à propos du discours à Notre-Dame de Paris sur Jeanne d'Arc: « Je regrette de ne pouvoir reproduire textuellement les paroles de Mgr de Cabrières quI ont été dans la péroraison d'une grande éloquence. Comme l'évêque de Montpellier est pénétré de la puissance de la tradition et comme il prononce ce mot 1 » op. ree., p. 241. NOTES BIBLIOGRAPHIQUES 2°7 fondeur. Il faut le lire, non seulement pour connaître Bernanos, mais pour méditer sur les mystères de notre foi. L'A. ne nous apporte pas une biographie du romancier ni même une étude psychologique de son cas; il n'examine pas non plus son évolution (et c'est là du reste une lacune de son livre: un abîme sépare Sous le soleil de Satan des Dialogues des Carmélites). Non. Modestement il se contente de le faire parler, de rapprocher des textes et, longuement, de les citer: son livre est un recueil de morceaux choisis. Mais, ainsi mis en valeur et regroupés, ces textes manifestent toutes leurs richesses. On mesure mieux le niveau où se situe naturellement Bernanos: non pas au niveau de l'analyse morale mais de l'angoisse existentielle où s'affrontent les abîmes du péché et du mal, les appels de la grâce et de l'espérance. A ce niveau, on ne raconte plus, on ne décrit plus: on laisse deviner; et c'est pourquoi Bernanos est si difficile, si obscur parfois, et, pour le grand public, si décourageant. Il nous manquait un guide, un guide autorisé par une solide formation théologique, capable d'étayer et d'éclairer les intuitions du cc prophète ". On peut ne pas aimer Bernanos, on peut même détester son agressivité, son tempérament tourmenté de perpétuelles angoisses, ce caractère malheureux, douloureux que fascinent les thèmes de damnation, d'agonie et de peur, tout empreint de la haine et du mépris de soi-même et du monde. Il n'y a pas chez lui d'amour heureux et, s'il est à tant d'égards l'héritier de Péguy, c'est d'un Péguy mutilé dont ne subsisteraient que les profondeurs d'ombre. Mais son indubitable grandeur vient de ce qu'il a pris au sérieux le message du christianisme, qu'il l'a vécu intégralement et qu'il l'a fait vivre à ses personnages jusqu'à l'héroïsme et jusqu'à la sainteté. cc S'engager tout entiers ... Vous le savez, la plupart d'entre nous n'engagent dans leur vie qu'une faible part, une part ridiculement petite de leur être ... comme ces avares opulents qui passaient jadis pour ne dépenser que le revenu de leurs revenus. Un saint ne vit pas du revenu de ses revenus ... il vit sur son capital, il engage totalement son âme. C'est d'ailleurs en quoi il diffère du sage qui sécrète sa sagesse à la manière d'un escargot sa coquille, pour y trouver un abri ... On se dit avec épouvante que des hommes sans nombre naissent, vivent et meurent sans s'être une seule fois servis de leur âme, réellement servis de leur âme, fût-ce pour offenser le bon Dieu. » Les héros de Bernanos se servent de leur âme, ils sont des âmes, ils ne sont même que cela. C'est le monde de l'âme qu'ils nous révèlent. Impossible de résumer un pareil livre. Le polémiste et le romancier, le drame qui se livre à l'extérieur de l'homme dans le monde moderne et celui qui se livre au plus intime de la conscience, celui de la vocation, de la sainteté et du salut, ces deux versants de l'œuvre bernanosienne, y trouvent également place. Prévenons cependant tout de suite le lecteur pressé: ce livre ne s'abSorbe pas aisément. Il est touffu et, comme il arrive aux livres d'inspiration germanique, il manque de plan. Sans doute eût-il gagné à être plus court: il y a des pages entières de citations; on eût aimé que le critique s'efface moins devant son a uteur et construise plus fermement son étude. Une analyse, par exemple, de la grâce chez Bernanos, de son idéal de sainteté, de sa conception du prêtre, eussent été les bienvenues: il faut en chercher les éléments à travers le livre entier sans qu'un index vienne faciliter la recherche. Signe manifeste de désordre: l'ouvrage s'achève sans conclusion comme si, son fichier épuisé, l'auteur n'avait plus rien à nous dire. Bref nous avons trop Souvent l'impression d' être en présence de matériaux bruts, de minerais chargés de métal précieux, dont on n 'a pas entrepris l' exploitation ou la mise en œuvre. Il faut rendre hommage à Maurice de Gandillac dont la traduction est excellente et qui a fourni, pour les citations et les références, un travail de véritable bénédictin ... [J . O.] 208 REVUE THOMISTE V.-L. CHA1GNEAU, L'Organisation de l'Église catholique en France, l vol. de 168 pp. ; Les Ouvriers dans la moisson, Institutions et Associations catholiques en France, l vol. de 168 pp. ; Paris, Spes, 19S6. M. le chanoine Chaigneau rend un véritable et grand service à tous ceux qui s'intéressent à la vie de l'Église en France. En deux volumes brefs mais bien remplis, il a rassemblé une documentation sûre et abondante, qu'il est précieux d'avoir sous la main. Le premier de ces livres est consacré à l'organisation même de l'Église en ses cadres hiérarchiques. Des exposés précis, sans longueurs inutiles, donnent aux moins informés les notions essentielles, cependant que pour tous sont rassemblés une foule de renseignements. On ne peut mieux rendre compte d'un tel ouvrage qu'en énumérant ses chapitres: 1. L'évêque et le diocèse; II. L'archevêque et la province; III. L'Assemblée des cardinaux et archevêques; IV. Les Assemblées plénières de l'épiscopat; V. Les commissions épiscopales; VI. Les services généraux de l'épiscopat; VII. Les évêchés spécialisés. Sur tous ces points, trop de catholiques même ne sont renseignés que fort vaguement, partiellement et souvent tendancieusement, par la presse. Ils trouveront dans ce livre, non pas il est vrai un « Annuaire » officiel (l'A. prend soin de noter qu'il n'engage que lui-même), mais des indications puisées à bonne source par un connaisseur et vérifiées, en même temps que des notions justes sur les divers degrés de la Hiérarchie et les institutions ecclésiastiques. Sous le titre, moins immédiatement clair, les Ouvriers dans la moisson, un second volume prolonge ce travail dans le même esprit: 1. Notions générales sur les institutions et associations catholiques; II. Institutions et associations de prêtres; III. Institutions et associations de religieux; IV. Institutions et associations de religieuses; V. Institutions et associations pour le culte et la formation spirituelle; VI. Institutions et associations pour l'enseignement et l'information; VII. Institutions et associations pour l'action catholique; VIII. Institutions et associations pour l'action sociale; IX. Institutions et associations de catholicité (i. e. de portée internationale). La matière était ici plus difficile à rassembler et à classer. La présentation n'en reste pas moins aussi claire qu'il est possible, au milieu des plus nombreux renseignements pratiques. On ne peut que remercier M. le chanoine C. d'avoir affronté l'aride et fastidieuse préparation d'une œuvre aussi utile et le féliciter de l'avoir menée à bien sous une forme aussi commode. Guide pratique des Cathol'iques de France : G~lide N0 I, Provinces de Paris, Cambrai, Reims, Rouen, l vol. de 686 pp" Se éd., 19S6; Guide N° 2, Provinces de Lyon, Besançon, Chambéry, Sens, Diocèses de Strasbourg et de Metz, l vol. de 486 pp" 3 e éd" 19S4; Guide N0 3, Provinces de Bourges, Bordeaux, Rennes, Tours, Antilles françaises, l vol. de 684 pp" Se éd" 19S6, Guide N0 4, Provinces d'Aix, Auch, Albi, Toulouse, Avignon, Alger, Maroc, A,O.F" A,R.F., Madagascar, l vol. de 624 pp" Se éd" 19S6; Paris, Office national de propagande catholique. Les quatre volumes de ce Guide, régulièrement réédité et tenu à jour, sont déjà bien connus et appréciés, Il suit la répartition des Provinces ecclésiastiques. Purement informatif et donnant surtout l'état des personnes, les adresses, etc. , il se révèle indispensable; il appelait une introduction : il ne saurait en avoir de meilleure qu e les deux livres de M, Chaigneau, dont il devient comme un complément naturel et qui permettront de les utiliser en meilleure connaissance de cause. [M.-M. L.] Lits PnEssEs SAINT·AuGUSTIN, BnuG" • . Imprimé en B elgique, nO ~ 4 1 30/OT.