Intégralité du rapport sur le suivi du malade mental

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Rapport adopté lors de la session du Conseil national
de l’Ordre des médecins de juillet 2001
Dr Bernard MONIER
LE SUIVI DU MALADE MENTAL
RAPPEL HISTORIQUE
Après la période de l’enfermement en asile psychiatrique dominé par la loi pour les aliénés
du 10 Juin 1838, il a fallu attendre 1922 pour voir apparaître les premiers dispensaires
d’hygiène mentale officiellement créés par la circulaire du 13 Octobre 1937, alors que la
profession d’infirmier des hôpitaux psychiatriques venait d’être établie, et en 1938 les asiles
d’aliénés devenaient les hôpitaux psychiatriques. Parallèlement, le développement des
électrochocs, des neuroleptiques et la psychanalyse changèrent complètement les données
médicales de la psychiatrie, permettant en particulier d’éviter l’enfermement des grands
agités.
Ce ne sera qu’après la triste période de la guerre, au cours de laquelle près de 40% des
internés moururent de faim faute d’alimentation et de soins non prévus par l’administration
occupante, que les médecins des hôpitaux psychiatriques étudieront un système de
rechange à celui de l’internement en asile. A la suite de ces réflexions, une simple circulaire
ministérielle, en date du 15 Mars 1960, tente une approche d’ouverture des hôpitaux
psychiatriques chargée d’orienter les malades vers une réinsertion dans leur milieu socio-
familial. La circulaire découpe les départements en secteurs géographiques, au sein
desquels chaque équipe médico-sociale devra assurer le dépistage, les soins et leur suivi si
possible sans hospitalisation. Un secteur sera créé pour le milieu pénitentiaire et des
secteurs en pédopsychiatrie.
Le secteur psychiatrique était né impliquant un changement radical des mentalités.
Ce changement apparaissait d’autant plus que de nouvelles disciplines comme la
psychologie, l’anthropologie, les services sociaux apportaient à la santé mentale une
dimension de santé publique. L’hospitalisation en milieu fermé ne devenait alors qu’une
étape du suivi du malade mental.
Cette évolution explique la lenteur de la mise en place opérationnelle du secteur
psychiatrique qui imposait la diminution du nombre de lits d’hospitalisation en psychiatrie et
le transfert des prises en charge de l’hôpital vers le milieu extra-hospitalier. En 1970, la loi
du 31 décembre intègre les hôpitaux psychiatriques dans la catégorie des Centres
Hospitaliers les classant Centres Hospitaliers Spécialisés. En 1972, un arrêté ministériel
définit le cadre juridique des secteurs placés sous le contrôle des préfets départementaux,
après avis du Conseil Général ce qui les faisaient coexister avec les établissements
hospitaliers régis par la loi du 31 décembre 1970, établissant la Carte Sanitaire Générale.
De très nombreuses difficultés pratiques furent mises à jour : financement des prix de
journée, exercice de praticiens hospitaliers en milieu non hospitalier, nominations des
internes, dotation globale etc… qui s’ajouteront aux réticences de certains médecins
hospitaliers attachés aux systèmes de soin en milieu hospitalier.
Jusqu’en 1991, la planification en santé mentale s’articulait autour de la carte sanitaire et
du Schéma Départemental d’Organisation (S.D.O.), ce n’est qu’ensuite que le Schéma
Régional d’Organisation en Psychiatrie (S.R.O.S) a apporté des aménagements en se
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basant sur les indices de besoin, l’évaluation permanente et l’accréditation qui par
l’ordonnance du 24 avril 1996 prenait un caractère obligatoire.
Il aura ainsi fallu plus de 40 ans pour établir et faire comprendre à tous qu’il ne faut plus
isoler les malades mentaux, mais à l’inverse les réinsérer dans leur milieu social, familial et
professionnel tout en impliquant ces derniers dans le programme de soins.
Dans cet état d’esprit s’est développé ce que certains psychiatres appellent les réseaux de
soins psychiatriques, qui n’ont rien à voir avec ce que l’on entend généralement sous le
terme de réseau de soins, mais constituent un mode thérapeutique particulier consistant à
réunir avec les soignants tout l’entourage environnemental du patient (famille, voisins,
collègues de travail…) afin de définir ensemble les causes de l’affection présentée et les
thérapeutiques à envisager. Il est certain que ce mode de raisonnement peut apparaître
comme surprenant à certains médecins traditionalistes, et risque d’accentuer les difficultés
relationnelles entre les psychiatres et le reste de la médecine.
G. BLEANDONU, cité par M. JONES, dans « Au-delà de la Communauté thérapeutique »
(Ed. SIMEP Lyon 1972) écrit : « La psychiatrie s’est beaucoup trop intéressée au modèle
que la médecine générale a créé, la psychiatrie sociale ou la psychiatrie de communauté se
pratique extra-muros et exige que l’on reconsidère les rôles, les relations de rôle et la
culture de l’équipe psychiatrique… La formation médicale est embourbée dans le concept
de maladie, le rôle du patient étant d’être malade… Pour que la psychiatrie sociale puisse
aboutir, il faudra que ce soit le résultat d’un accroissement de la capacité à utiliser les forces
latentes de la société elle-même… ».
STRUCTURE ACTUELLE
Etant donné la sectorisation des soins psychiatriques en dehors du système hospitalier, les
Centres Médico-Psychologiques (C.M.P.) furent créés par l’arrêté du 14 mars 1986 : un
C.M.P. Adulte par secteur psychiatrique et un C.M.P. infanto-juvénile pour 3 secteurs de
psychiatrie adulte. Chaque C.M.P. constitue le pivot de la prévention et des soins en
psychiatrie à l’image des anciens dispensaires de lutte contre la tuberculose.
Ces C.M.P. sont publics ou privés à vocation publique, implantés dans des appartements,
des pavillons, des centres de soins ou des hôpitaux locaux. Ils fonctionnent avec une
équipe polyvalente administrative et de soins : secrétaire, personnel infirmier, assistante
sociale, psychiatre et psychologues, internes, kinésithérapeutes, psychomotriciens, etc…
En 1995, il existait 1158 C.M.P. Adulte ouverts au moins 5 jours sur 7 et 944 ouverts moins
de 5 jours par semaine.
Les C.M.P. reçoivent les patients adressés par les médecins, les psychologues, les
enseignants, les services sociaux , mais aussi la police et les municipalités, et même les
patients venus de leur propre initiative.
Le patient est reçu par le personnel médical et infirmier, un diagnostic est établi et un projet
de soins est proposé et mis en place.
S’il s’agit d’une pathologie imposant une hospitalisation, celle-ci est réalisée en hôpital
psychiatrique spécialisé ou en clinique ; si la pathologie est plus légère, permettant des
soins ambulatoires, ceux-ci sont mis en route selon différentes modalités en fonction du
temps nécessaire et des thérapies envisagées :
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Ø soit retour au domicile et suivi par le médecin traitant habituel ou par des
consultations médicales, ou entretiens avec le psychologue et le personnel infirmier
du C.M.P. en relation avec le médecin traitant.
Ø soit prise en charge par un Centre d’Accueil Thérapeutique à temps partiel
(CATTP) avec activités thérapeutiques, musicothérapie, groupes de parole,
psychodrame, relaxation etc… et réinsertion dans le milieu familial et social. Ces
activités sont réalisées à temps partiel ou temps plein, le patient pouvant soit retourner
chaque soir dans sa famille, soit être hébergé dans un appartement thérapeutique,
réalisant ainsi un hôpital de jour ou hôpital de nuit, ou même être accueilli dans une
famille réalisant un placement thérapeutique familial.
Des « Hôpitaux de secteur » sont envisagés et en train de se mettre en place.
Ils comportent de 20 à 50 lits d’hospitalisation psychiatrique en milieu fermé ou semi-fermé
destinés aux patients devant être traités à temps complet pendant une durée qui peut aller
de quelques jours à plusieurs mois. Il s’agit de véritables hôpitaux de proximité destinés à
remplacer le Centre Hospitalier Spécialisé.
Le C.M.P. est donc le centre de coordination de toutes les activités du secteur : prévention,
bilans médico-psychologiques, bilans sociaux familiaux, activités d’occupation et de
réinsertion sociale, familiale, et professionnelle. Il pourra disposer de lits d’hospitalisation
permettant ainsi d’attendre la mise en place d’un projet thérapeutique plus précis, mais les
problèmes plus aigus seront adressés au Centre d’Accueil Psychiatrique Spécialisé
(C.A.P.S) du Centre Hospitalier Spécialisé Départemental ou Régional en vue d’une
hospitalisation plus ou moins longue.
En complément et pratiquement en parallèle à ces structures réglant les problèmes posés
par les patients strictement psychiatriques, il existe des structures pour les malades
présentant des psychoses déficitaires graves (P.D.G.) dont la pathologie n’est pas dominée
par le problème psychiatrique, mais par des problèmes psychomoteurs : ce sont les
Maisons d’Accueil Spécialisées (M.A.S.) et les Instituts Médico-Professionnels (I.M.P.R.O.)
publics ou privés. Ces établissements disposent d’un hébergement partiel ou total, les
patients pouvant rentrer chez eux le soir ou les week-end.
Le personnel est partiellement médicalisé avec du personnel de service, aide-soignants,
des infirmiers souvent à temps partiel, des éducateurs, kinés etc… mais les médecins,
psychiatres et les psychologues sont généralement des consultants venant de l’extérieur et
l’on retrouve le problème du suivi de médecine générale existant dans les établissements
de soins aux personnes âgées et le rôle d’éventuels médecins coordonnateurs.
PROBLEMES ACTUELS
1. L’évacuation des urgences
On voit donc que l’Hôpital Psychiatrique n’est plus la seule entité des soins en psychiatrie :
un véritable réseau l’a complété tissant ses ramifications aux confins des quartiers et des
communes, en étendant ses actions à la prévention et aux structures sociales familiales et
mêmes professionnelles, soignant du banal état dépressif transitoire jusqu’à la psychose
déficitaire grave.
Ceci explique la diminution du nombre de lits d’hospitalisation en psychiatrie, mais aussi en
contre-partie, l’impressionnante augmentation de ce qu’il est convenu d’appeler la « file
active », c’est à dire le nombre de personnes suivies en psychiatrie. Cet état ne vas pas
sans poser de gros problèmes : d’abord la plupart des C.M.P. étant fermés la nuit et les
week-end, les urgences devraient être adressées directement au C.A.P.S. du Centre
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Hospitalier, ce qui n’est hélas pas toujours le cas, les patients s’adressant aux généralistes
de garde et aux Accueils des Urgences des Centres Hospitaliers Généraux.
Les patients agités trouvent difficilement une solution tant pour être calmés que pour être
évacués vers une structure hospitalière spécialisée souvent éloignée.
En 1997, la psychiatrie disposait de 72000 lits d’hospitalisation complète et de 27000 lits en
hospitalisation partielle de jour et de nuit, soit un total de 99000 lits auxquels s’ajoutent
10000 places d’accueil à temps complet dans des structures alternatives à l’hospitalisation.
Au total, plus d’un million de patients ont été pris en charge dans des structures intra ou
extra hospitalières.
En 1999, sur 26 régions, 4 n’avaient pas arrêté leur Carte Sanitaire de Psychiatrie et 10
n’avaient pas adopté leur S.R.O.S. psychiatrique. Si à l’origine, la circulaire de 1960 fixait le
nombre de lits en psychiatrie à 3 pour 1000 habitants, on note en 1997, une forte disparité
selon les régions, si la moyenne nationale est de 1,5, l’écart varie de 1 à 10 selon les
régions (19 secteurs de psychiatrie n’ont aucun lit d’hospitalisation complète). En
psychiatrie infanto-juvénile, les disparités sont encore plus criantes, et sur 323 secteurs de
pédopsychiatres 182 n’avaient aucune capacité d’hospitalisation et 17 départements ne
disposent d’aucun lit d’hospitalisation. Par contre, il persiste encore un suréquipement en
psychiatrie générale estimé en 1993 à 14310 lits excédentaires.
2. L’atteinte au libre choix
La seconde difficulté est l’atteinte au libre choix alors que toutes les réglementations
l’exigent. Lors de son accès au C.M.P. de « son secteur » le patient n’a pas le choix réel, ni
de son médecin, ni de l’équipe soignante. Une fois entré dans la filière, il lui sera
extrêmement difficile (et onéreux en frais de déplacement) de choisir une autre filière avec
d’autres partenaires.
Le malade peut avoir des raisons personnelles de choisir son équipe soignante, mais aussi
des raisons sociologiques qui lui imposent d’éviter de côtoyer son voisin, son parent ou son
collègue de travail, sans parler des murmures sur sa pathologie psychiatrique que le
quartier, le village ou la famille peuvent colporter. Certes, il pourrait aller ailleurs ou être
suivi en clinique ou en privé, mais à quel prix ? (Déplacements onéreux et compliqués dans
le temps et l’espace). Certes, il est aussi des circonstances qui imposent une prise en
charge en dehors du secteur (infirmier ou personnel soignant malade psychiatrique lui-
même) et les assurances ne font aucune difficulté pour les prises en charge de ces cas
particuliers, mais cela reste des exceptions.
3. L’articulation entre les soins psychiatriques et somatiques qui n’est pas formalisée
dans la sectorisation et ne dépend en fait que de la personnalité des acteurs de soins.
Le Conseil national de l’Ordre des médecins avait déjà été alerté de ces problèmes et des
difficultés de mise en place d’un secteur extra-hospitalier par rapport aux soins dispensés
par les médecins libéraux en 1976, et un rapport fut effectué par le Dr JACQUEMART en
1978.
Si l’on peut évoquer un réseau de suivi du malade mental, il semble extrêmement difficile
de le formaliser. Avant toute chose, il convient de considérer que les acteurs de ce suivi
sont loin d’avoir tous une formation médicale de base, les psychologues, les sociologues,
les assistantes sociales, les ergothérapeutes, les musicothérapeutes etc… sont une partie
intégrante et nécessaire du soin, mais n’ont aucune raison de répondre aux obligations
déontologiques de notre Code.
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Par ailleurs, depuis très longtemps, la psychiatrie a de la peine à être considérée comme
une spécialité identique aux autres disciplines tant elle est intriquée avec toute pathologie
somatique.
Le somaticien a tendance à occulter les éléments psychiatriques de toute pathologie
somatique ou au contraire à s’en servir d’écran pour cacher son ignorance ou son
incapacité de diagnostic. Combien ont déclaré hystérie, angoisse ou dépression des
migraines d’origine tumorale ou des asthénies masquant une anémie. En outre, certains
médecins ne prendront pas en compte le retentissement psychique de pathologies
traumatisantes en ne faisant pas appel à un psychiatre ou à un psychologue spécialiste des
problèmes posés par son patient : c’est l’angoisse de la femme hystérectomisée ou de
l’homme prostatectomisé rendu impuissant qui nécessiteraient un diagnostic précis et une
thérapeutique psychiatrique adaptée.
A l’inverse le psychiatre peut négliger le somatique, qu’une pathologie soit cachée par les
médications à visée psychiatrique, ou déclenchée par ces médications voire même par la
pathologie psychiatrique elle-même : c’est le malade épileptique mis à l’Ortenal le soir et à
qui est prescrit un somnifère pour corriger ses insomnies ; c’est la fameuse H.T.A à la
Glycérizine donnée avec l’antésite aux alcooliques en cours de sevrage ; c’est le diabétique
en P.O. qui conservera les mêmes doses d’insuline alors qu’il a un régime strict qu’il ne
suivait pas chez lui et qui va faire un coma-hypoglycémique.
Au sein de la nouvelle filière du malade mental, rien n’est programmé pour articuler les
deux disciplines de la psychiatrie et de la médecine somatique. L’initiative est laissée à
chaque psychiatre de demander des consultations de médecine générale, de gynécologie
ou de cardiologie et à l’inverse le médecin généraliste devra s’informer des structures
psychiatriques dans lesquelles son ou ses patients pourraient être suivis.
Certes, la conscience professionnelle des uns et des autres les incite à se rencontrer,
s’informer et échanger des courriers, mais la présence de consultants somaticiens au sein
du secteur n’est pas plus prévue que l’obligation d’information du généraliste par le
psychiatre ou la présence d’un psychiatre consultant dans les établissements de soins pour
personnes âgées ou les cliniques privées.
Dans certains hôpitaux généraux, des expériences sont en train de se mettre en place,
partant des demandes faites dans les services d’accueil des urgences au psychiatres qui
déjà depuis les années 70 venaient en consultation plus ou moins régulières détachés par
leur service hospitalier spécialisé. Ce service s’est progressivement étendu à des
consultations effectuées par le psychiatre dans les services, à la demande d’un médecin
somaticien. Ceci ne va pas sans poser quelques problèmes (évacuation d’un patient
difficile, intervention demandée par le chef de service et non désirée par le patient, etc…),
mais aussi pour les prises en charge d’actes de psychiatrie et du suivi si cela nécessite
l’intervention d’un psychologues ou d’un rééducateur, voire même d’un sociologue s’il faut
envisager un reclassement professionnel.
Cette toute nouvelle notion de psychiatrie de liaison est créée de façon informelle sans
cadre juridique précis autre que des conventions ou contrats entre les établissements. A ma
connaissance, il n’existe pas d’équivalent dans les cliniques privées et pourtant la nécessité
et l’efficacité de cette psychiatrie de liaison fut bien démontrée lorsqu’il y a plus de 30 ans,
un orthopédiste parisien avait demandé à tous ses patients une visite psychiatrique
préopératoire, ce qui avait permis d’éliminer le tiers de ses indications opératoires.
Il conviendrait donc de formaliser les articulations entre tous les acteurs de soins et si l’on
veut créer un véritable réseau, les contractualiser entre eux en définissant bien le rôle et les
responsabilités de chacun.
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