... Lettre d’information et d’analyse sur l’actualité scientifique N°34 : octobre 2002 Essais interrompus : quel avenir pour la thérapie génique ? Le 4 octobre la presse annonçait que l'essai de thérapie génique mené en France sur des "enfants bulles" souffrant d'un déficit immunitaire sévère était suspendu. Doit-on en conclure que la thérapie génique n’a pas d’avenir ? Comment ça marche ? Depuis plus de dix ans maintenant, la thérapie génique suscite beaucoup d’espoirs. Son principe est simple sur le plan théorique : pour les maladies liées à l’altération d’un gène par exemple, il s’agit de remplacer un gène muté par le gène normal, si l’on en connaît la séquence et le mode de régulation, parfois très complexe. On peut aussi imaginer introduire des gènes produisant des substances toxiques pour les cellules cancéreuses, ou déclenchant un programme d’apoptose (autodestruction). Les difficultés rencontrées Différents problèmes techniques sont alors apparus rendant difficile, voire impossible pour certaines maladies, le recours à cette thérapie. La première condition déjà évoquée est la connaissance du gène et son mode de régulation ; si celui-ci est trop complexe, ou trop fin, on risque de ne pas pouvoir maîtriser suffisamment l’expression du gène introduit. Dans la faisabilité technique, intervient aussi l’accessibilité des cellules cibles : lorsqu’il s’agit de cellules sanguines, l’accessibilité est facile, puisqu’on va prélever des cellules souches hématopoïétiques de la moelle osseuse pour les « guérir », et les réinjecter aux patients (essais ex vivo). Lorsqu’il s’agit de pathologie musculaire, ou d’autres cellules qui ne poussent pas en culture, il faut trouver un vecteur pour transporter le gène au bon endroit (essais in vivo). L’adénovirus recombinant peut être utilisé : on lui enlève certaines parties de sa séquence (ce qui l’empêche ainsi de produire de nouveaux virus), pour insérer à la place le gène normal, ou du moins les parties absolument indispensables au fonctionnement de ce gène : c’est le cas pour la dystrophine, gène de très grande taille, qu’il faut « réduire afin qu’il puisse « entrer » dans le virus. Une autre difficulté réside dans la durée de l’expression de ce gène, une fois inséré dans les bonnes cellules : même dans des cellules ne se divisant pas, comme les hépatocytes, l’expression du gène se réduit au fil du temps. Enfin, si le vecteur est un rétrovirus, il peut, en s’insérant au hasard dans le génome, altérer un gène ou « réveiller » un gène de multiplication cellulaire ; c’est ce qui semble s’être produit, avec l’essai jusqu’ici très positif, de thérapie génique des bébés bulles atteints d’un déficit immunitaire combiné sévère lié à l’X (SCID-X) ; ce risque était considéré comme théorique, mais peut s’être manifesté chez cet enfant présentant une prolifération de globules blancs. Cependant, il reste à démontrer qu’il s’agit bien de ce mécanisme, et non d’un autre phénomène. Les essais de thérapie génique, qui avaient été suspendus aux USA à la suite de cette annonce ont repris. Les résultats Les problèmes techniques cités plus haut expliquent le faible taux de réussite, malgré un grand nombre d’essais en cours : depuis 1989, plus de 500 essais ont été lancés : les 2/3 pour des cancers, 14% pour des maladies héréditaires et 9% pour des maladies infectieuses. Les difficultés techniques rencontrées, comme certains effets indésirables graves ont fait retomber l’enthousiasme initial. Cependant, même si la thérapie génique n’est pas la panacée espérée, elle reste certainement une voie thérapeutique, au moins pour certaines maladies bien ciblées, compte tenu de tous les impératifs techniques évoqués. Par ailleurs, elle peut aussi être très utilisée en étant couplée à d’autres techniques comme la thérapie cellulaire, par exemple pour des maladies héréditaires de la peau (cf : février 2001). Recherche sur l’embryon : débats au Parlement européen ! Programme 2002-2006 En avril dernier, le Parlement Européen adoptait le VIème Programme Cadre Recherche et Développement (VI° PCRD), pour la période 2002-2006 et pour un montant de 17,5 millions d’euros, ce qui en fait le troisième budget de l’Union européenne. Après un an de débat, en commission Industrie et Recherche, et le vote en première et deuxième lectures, en séance plénière, les échanges furent Gènéthique - n°34 octobre 2002 très animés sur la partie « biotechnologies et sciences du vivant ». Les partisans de la recherche sur l’embryon humain refusèrent de rouvrir le débat qui avait eu lieu au sein de la commission temporaire de génétique humaine sur « les enjeux économiques, juridiques et éthiques de la médecine moderne », pendant toute l’année 2001. Cette commission avait adopté une résolution tout à fait claire en refusant de financer la recherche sur les embryons humains, le clonage thérapeutique et reproductif et avait ainsi réaffirmé la position constante des Institutions européennes sur le respect de la dignité et de la vie humaines. Cependant en session plénière, la résolution, rendue incompréhensible et contradictoire par le jeu des amendements, avait été finalement rejetée, faute d’une majorité dans un sens ou dans l’autre, preuve qu’aucun compromis n’est possible sur cette question si sensible. En avril, donc, le VI° PCRD est adopté selon une procédure de codécision entre le Conseil (chefs d’Etats et de gouvernements) et le Parlement européen. Les programmes spécifiques (comme les biotechnologies et les sciences du vivant) sont eux adoptés par le Conseil, à la majorité qualifiée. Contre le financement La présidence danoise, (le Danemark préside l’Union européenne du 1er Juillet au 31 Décembre 2002) suite à l’initiative d’un ancien député européen, Rocco Butiglione, aujourd’hui ministre italien des affaires européennes, et suivant la procédure, a proposé le 30 juillet dernier de geler tout financement de la recherche sur les embryons humains. Elle a souhaité ce compromis après avoir constaté que l’opinion de nos sociétés n’est pas encore prête à accepter, pour des raisons éthiques, la recherche sur les embryons humains (toujours considéré dans les débats comme un être humain). Cette proposition a été soutenue par l’Autriche, le Portugal, l’Irlande, et l’Italie, l’Allemagne s’abstenant. Pour le financement Mais avant l’adoption finale des programmes spécifiques, étape ultime pour débloquer les crédits européens de la Recherche, plusieurs rencontres avaient eu lieu entre le rapporteur, le français Gérard Caudron, la Commission européenne et le Conseil des ministres de la Recherche en vue d’une position commune sur le respect de la dignité humaine, formule assez floue qui peut permettre l’utilisation des embryons humains pour traiter des maladies incurables. Le rapporteur français et quelques députés de la Commission Industrie ont déclaré que cette position commune devait être considérée comme un accord justifiant le financement de la recherche embryonnaire et motivant leur refus de soutenir le compromis du ministre danois. Que dit la procédure ? Lors d’une conférence de presse le 26 septembre, un autre groupe de députés, favorables au respect de l’être humain quelque soit son stade de développement : l’allemande Hiltrud Breyer, l’irlandaise Dana Scallon, la française Elizabeth Montfort, l’italien Mario Mauro et le Portugais José Ribeiro e Castro, a contesté la légitimité de « l’accord » conclu entre le rapporteur français et quelques députés de la Commission Industrie au motif que les programmes spécifiques relevaient de la décision du Conseil et non d’une codécision avec le Parlement européen, et qu’il n’était donc pas conforme à la procédure. Ils ont, par ailleurs, indiqué que cette bataille de procédure cachait la question de fond : « Peut-on utiliser l’être humain comme matériau pour soigner d’autres êtres humains, atteints de maladies incurables ? » Recherche sur l’embryon : la décision du Conseil européen C’est dans le contexte polémique décrit plus haut que le Conseil des ministres européens de la Recherche a adopté, le 30 septembre dernier, la décision finale qui stipule dans l’article 3, Application des principes éthiques : « Le Conseil et la Commission sont convenus que les dispositions d’application précises concernant les activités de recherche comportant l’utilisation d’embryons humains et de cellules souches embryonnaires humaines qui peuvent être financées au titre du sixième programme cadre seront définies d’ici le 31 décembre 2003. La Commission déclare que, dans l’intervalle et en attendant la définition des dispositions d’application précises, elle ne proposera pas de financer ces activités de recherche, à l’exception de l’étude de cellules souches embryonnaires humaines mises en réserve dans des banques ou isolées en culture. La Commission suivra les progrès et les besoins de la science…en tenant compte des avis du Groupe européen d’éthique et du Groupe européen des conseillers pour l’éthique de la biotechnologie ». (Document du Conseil de l’Union européenne. 12374/02 ADD1) Un rapport sera présenté au Parlement européen pour avis, au premier semestre 2003. On reste stupéfait du contenu de cette décision : ce n’est pas la recherche sur les embryons qui est mise en cause, puisqu’il est possible de financer l’études de cellules souches embryonnaires déjà disponibles, mais la manière de la faire admettre à l’opinion de nos sociétés. On est loin de la position commune arrêtée par le Conseil le 28 Janvier 2002. Il est nécessaire d’ajouter que la France, représentée par le ministre des affaires européennes, Noëlle Lenoir, ancienne présidente du Groupe européen d’éthique, connue pour son soutien à ce type de recherche, a rejeté le compromis danois pourtant conforme à la législation française aujourd’hui en vigueur : la révision des lois de bioéthique n’étant pas terminée, c’est la loi de 1994 qui s’applique, elle n’autorise pas la recherche sur l’embryon. En outre, selon cette décision certains Etats membres (France, Portugal, Irlande, Autriche, Allemagne, Italie et Espagne), devront financer la recherche sur les cellules souches embryonnaires disponibles, par leur contribution au budget communautaire alors qu’ils interdisent ces recherches sur leur territoire… lettre mensuelle gratuite, publiée par la Fondation Jérôme Lejeune. Gènéthique - n°34 octobre 2002 Directeur de la publication et Rédacteur en chef : Jean-Marie Le Méné Contact : Aude Dugast - 31 rue Galande 75005 Paris - Tél/Fax : 01.55.42.55.14 [email protected] Gènéthique - n°34 octobre 2002 Gènéthique - n°34 octobre 2002